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dimanche, 27 septembre 2009

L'usine, la cathédrale, le bordel

C’était il y a déjà un siècle. L’usine et les paysages qu’elle façonnait étonnaient encore le monde, et spécialement les artistes. Fasciné par « la cité maudite tuant toute végétation », Pierre Combet-Descombes mentionnait dans ses notes « les paysages malades de Saint-Fons, la statue rouge symbolisant l’usine de mort », « les fumées jaunes qui enveloppent les maisons et absorbent l’air »...

Le fer et le feu : Tel est le titre du triptyque qui naîtra de ces premières impressions déjà présentes dans les cahiers du peintre en 1909. Trois huiles sur toiles de 0,92 x 0,65.

L'histoire aidant, l’usine sera bien vite associée dans son imaginaire à la guerre, son outillage et ses « moyens de morts » (gaz asphyxiants notamment). L'usine sera la Cité Maudite.

L’usine, note Combet-Descombes en 1919, est « un lieu à sensations extrêmes, toxiques. » Avec ses « fumées en mouvement, sa vapeur en champignon, ses nuées sans couleurs », c’est une « cathédrale luxuriante où se lisent la beauté et la malédiction du monde moderne ».

Toute sa vie il restera stupéfié par ces paysages industriels. En 1925, Combet Descombes note un projet de décoration pour une Bourse du Travail : « L’usine maudite, l’usine rouge, inspirée par le thème de la métallurgie, cause de guerre ». En 1928, à propos du film, « Gueules Noires », il insiste sur « l’intensité photogénique de la machine, de tout l’outillage colossal d’une ville d’acier, et sur la féérie des fumées et des flammes ». Trente ans plus tard, en 1959, une inscription portée sur des chemises contenant d’anciens croquis : « Usines à revoir » : Le peintre y pense toujours.

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« Bavard, goguenard, cocasse, intarissable sur les faits divers surprenants et attentif aux fortunes poétiques de la promenade, aux hasards objectifs des rencontres avec les personnages, les objets bizarres que la vie quotidienne suscite à l'avantage de ceux qui savent voir : oui, Combet-Descombes était populaire. Il appartenait à l'air de Lyon » (Jean Jacques Lerrant, catalogue de l'exposition du musée des beaux-Arts - 1985).

Comme François Vernay, Pierre Combet Descombes impose la mémoire d’un promeneur infatigable, arpenteur passionné des rues, des pentes et des escaliers de la Croix-Rousse.

Il naquit un certain 24 mars 1885 à l’hôpital de la Charité, fils d'une couturière de la rue Pizay et d'un professeur qui ne reconnut que très tard sa progéniture. Il, ne quitta Lyon que pour des séjours brefs mais nombreux et variés en France (Bretagne, Marseille, Avignon, Grenoble, Sisteron...).

photo%20b&d%2001a.jpgFigure à la fois inspirée et bohême, pauvre et racée, une véritable gueule d'artiste, comme il en survécut quelques-unes en tous lieux du pays pour traverser à pas d'éclairs l'ahurissant vingtième siècle, et comme l'immortalisa le cliché de Blanc et Demilly.  Pierre Combet-Descombes fut à partir de 1920 et autour du critique d’art Marius Mermillon, l’une des figures centrales du groupe des Ziniars, dont les réunions se tenaient à la Brasserie du Nord. A ses côtés, Adrien Bas, Etienne Morillon, Antonin Ponchon, puis Venance Curnier, Philippe Pouchet, Charles Sénard, et les écrivains Joseph Jolinon, Gabriel Chevallier et, bien sûr, l’incontournable Henri Béraud. En 1925, le groupe fonde le salon du Sud-Est qui aura pour président d’abord Charles Sénard, puis Combet-Descombes lui-même jusqu’en 1933.

La passion de Combet-Descombes a toujours côtoyé l’univers du théâtre : Auprès du père Coquillat, tout d’abord, et son populeux autant qu'industrieux théâtre de la Gaîté, qui relayaient sans façon pour les gens modestes les productions parisiennes du boulevard du Crime: « un vrai théâtre populaire dans lequel jouaient les gens du quartier, ouvrières et employés de magasin, un public de vrais gens ».  Auprès de Suzette Guillaud, également, et de son Université des Heures dans laquelle il donne des cours de dessin et rencontre Copeau et le Vieux Colombier, l’Atelier de Dullin, les Pitoëff. Combet-Descombes réalise ainsi nombre des masques, de costumes et participe à l’élaboration de nombreux décors.  

 

 « On peut toujours se passer du nécessaire, mais pas du superflu » : De cette maxime tirée de Cocteau, il avait réellement fait une devise d'existence, au risque de la précarité la plus sévère: « Je suis de plus en plus un prolétaire », affirmait-il à la fin de sa vie. « Il faut savoir ce qu'est la pauvreté imbécile. Il faut savoir ce qu'elle entraine d'impuissance à se réaliser. Il faut savoir tout cela et bien d'autres choses très évidentes, pour avoir suffisamment d'amertume et de sécheresse au cœur, comme je suis obligé d'en avoir », écrivait-il à Joseph Jolinon.

 

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L’usine, la cathédrale, le bordel : en guise de boutade, on pourrait comme Tancrède de Visan le fit en 1925, résumer ainsi  l’œuvre du peintre lyonnais, célébré pour ses tableaux des usines de Chasse, la Cité Maudite « où se manufacture la guerre », mais aussi pour les multiples variations sur la cathédrale Saint-Jean (dont il savait chaque ligne par cœur à force de l'avoir étudiée dans chacun de ses détails) et pour ses fameux les nus féminins. Mademoiselle Reynaud qui posa pour lui plus d'une vingtaine d’années, le cite : «Mes dessins les meilleurs, disait-il, lorsque je ne demande rien au modèle ».

Et puis : « Dans une longue vie, des peintres ont transmis le même type féminin qui se substituait à leur mémoire, même et surtout pendant qu'ils travaillaient d'après nature, à un modèle toujours changé »

 

 

         

 

 

 

 

         

 

 

       

Pierre Combet-Descombes, Images pour un Baudelaire  (1917)

Le feu : cet élément dévastateur qui l’a toujours fasciné aura marqué fatalement son existence. Une première fois, lors de l’incendie de son atelier 22 rue Thomassin, où il entasse depuis trente ans des journaux, toiles, châssis, dessins, notes…. Le 29 décembre 1955, un mauvais fonctionnement du poêle à gaz y provoque un incendie monstrueux qui détruit une vie entière de travaux et de recherches : Le peintre déclarera avoir perdu soixante-dix tableaux, dont vingt de grandes dimensions, et des centaines de dessin.  

Survint ensuite ce tragique 4 décembre 1966, lorsque Pierre Combet-Descombes mourut asphyxié lors de l'incendie de son modeste appartement de la rue Ruplinger, dans lequel il vivait en reclus. Etant décédé sans héritier, la dispersion de son atelier se fit à l'encan, le 19 décembre 1967. Quelques marchands avisés y firent de bonnes affaires.

22:37 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : pierre combet-descombes, ziniars, hauts fourneaux de chasse, peinture | | |

Commentaires

Merci pour ce bel article. Avez-vous vu les fresques de Combet-Descombes à la mairie du 3ème arrondissement et à Villeurbanne, dans le groupe scolaire Anatole France ? J'espère qu'elles existent toujours, dans la grande salle-préau.

Écrit par : Nénette | dimanche, 27 septembre 2009

@ Nénette : Dans la salle des mariages de la mairie du 3ème, je sais qu'il y a une fresque d'Eugène Brouillard, j'ignorais qu'il y en eût de Combet.
Il faut que je sorte plus souvent de ma foutue colline.
Bien à vous.

Écrit par : solko | dimanche, 27 septembre 2009

Très touchant portrait.

Écrit par : Pascal Adam | lundi, 28 septembre 2009

Un portrait très attachant oui. Qui m'a fait relire quelques autres billets (notamment sur la cathédrale Saint-Jean).

La mairie du 3ème arrondissement, une fresque d'Eugène Brouillard, une fresque de Pierre Combet-Descombes, inspirés les édiles...

Écrit par : Michèle | lundi, 28 septembre 2009

Il me semblait bien l'avoir vu autour de votre incorrigible préféré dans "Qu'es-tu fait de ta jeunesse?"...

Ses nus sont superbes, votre billet bien beau et magnifique le cliché de vos deux acolytes (le nom double, gage de maison sérieuse, Vialatte est formel!)

Écrit par : tanguy | mardi, 29 septembre 2009

@ Michèle :
Les édiles ne se mouchent pas du pied... En effet ...

Écrit par : solko | mardi, 29 septembre 2009

@ Tanguy :
Je transmets à Blanc & Demilly.
Mes amitiés à Vialatte, si vous croisez son ombre, un vendredi soir, vers la gare de Lyon...

Écrit par : solko | mardi, 29 septembre 2009

Honte à moi, j'ai confondu Combet-Descombes et Brouillard !!! j'ai deux excuses : il y a très longtemps que je me suis mariée dans la salle de la mairie du 3ème, et votre illustration du billet par le tableau de l'usine ressemble in-du-bi-ta-ble-ment à un beau Brouillard... la prochaine fois, promis, je regarde mes livres avant de vous répondre....

Écrit par : Nénette | jeudi, 01 octobre 2009

@ Nénette
Ah mais je trouve ce triptyque parfait : un Brouillard, un Combet, un mariage !
Il n'en faut pas plus pour que naisse une belle légende. Et moi qui ne mettrai jamais les pieds dans la mairie du 3e arrondissement, je m'en raconterai une belle histoire !

Écrit par : Michèle | jeudi, 01 octobre 2009

"Le Fer et le Feu", n'est pas sans rappeler l'oeuvre d'un autre "peintre de l'usine", le creusotin Raymond Rochette.

http://www.raymondrochette.fr/galerie/usines

Écrit par : Dominique Rhéty | jeudi, 01 octobre 2009

Merci de nous faire connaître le travail de ce "peintre de l'usine", Dominique Rhéty.
Je n'ai pas tout regardé du site sur Raymond Rochette, mais j'y reviendrai. Encore merci. Vraiment. Je suis touchée par le portrait du mineur. Par la scène du "descricage à la presse de 10 000 tonnes" aussi.

Écrit par : Michèle | jeudi, 01 octobre 2009

@ Dominique : Je ne connaissais pas non plus Raymond Rochette, que j'ai pris le temps de découvrir grâce à votre lien. Il n'a pas peint que des usines : le chevet de la cathédrale d'Autun me rappelle Van Gogh.
Et parmi les paysages, certaines toiles font penser à Adrien Bas. Clin d'oeil à qui vous savez.
Merci à vous.

Écrit par : solko | vendredi, 02 octobre 2009

@ Michèle et Solko
Merci.
Comment ne pas penser à Adrien Bas.

@ Solko
Comme dernières nouvelles de qui vous savez, je viens de m'offrir un Nième exemplaire du "Tube 1233". Dans cet écrin, un petit bijou.
Surveillez votre boite aux lettres.

Écrit par : Dominique Rhéty | mardi, 06 octobre 2009

@ Dominique :
J'ai ouvert ma boite.
Je vous remercie infiniment.

Écrit par : solko | mardi, 06 octobre 2009

Ah l'amitié ! Et Paul Lintier... Il est des noms qui à eux seuls vous requinquent.

Écrit par : Michèle | mardi, 06 octobre 2009

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