vendredi, 26 septembre 2008
Tantôt pour Guignol
Les festivités autour du bicentenaire de Guignol sont multiformes. A cette occasion, la salle Rameau se met au goût du jour en accueillant le samedi 4 octobre 2008 des marionnettistes et des marionnettes de tous les théâtres Guignol de Lyon. On jouera Le Déménagement, l'une des pièces fétiches de Mourguet, ré-actualisée par Gérard Truchet et mise en scène par Christophe Jaillet. Les représentations auront lieu à 15 h et à 20 h.30.
En photo, Guignol, Gnafron, Madelon (musée Gadagne) Voici le monologue d'ouverture de Guignol, celui de Mourguet, dans la fantaisie initiale :
GUIGNOL -seul. — Ah l Guignol, Guignol… Le guignon te porsuit d'une manière bien rébarbarative (1). J'ai beau me virer d'un flanc et de l'autre, tout va de traviole chez moi... J'ai ben changé quarante fois d'état, je peux riussir à rien… J'ai commencé par être canut comme mon père…. Comme il me disait souvent dans sa chanson :
« Le plus cannant des métiers,
« C'est l'état de talle, taffe,
« Le plus cannant des métiers,
« C’est l'état de taffetatier (2) »
Je boulottais tout petitement sur ma banquette. Mais voilà qu'un jour que j’allais au magasin - je demeurais en ce temps-là aux Pierres-Plantées - je descendais la Grande-Cote avec mes galoches, sur ces grandes cadettes (3) qu'ils appellent des trétoirs… voilà qu'en arrivant vers la rue Neyret, je mets le pied sur quéque chose de gras qu'un marpropre avait oublié sur le trottoir... Je glisse... patatrouf !... les quatre fers en l'air... et ma pièce dans le ruisseau… Quand je me relève, ils étaient là un tas de grands gognands qui ricanaient autour de moi... Y en avait un qui baliait la place avec son chapeau... un qui me disait : « M'sieu, vs’ avez cassé le verre de votre montre?» l'autre répondait : «Laisse donc, te vois bon qu'il veut aller ce soir au thiàtre, il prend un billet de parterre»… Je me suis retenu de ne pas leur cogner le melon... Enfin, je me ramasse; je ramasse ma pièce dans le ruissiau, une pièce d'une couleur tendre, gorge de pigeon... ça lui avait changé la nuance... Je la porte au magasin, ils n'ont pas voulu la prendre... Y avait le premier commis, un petit faraud qui fait ses embarras avec un morceau de vitre dans l'oeil... qui me dit : Une pièce tachée! J’aime mieux des trous à une pièce que des taches ! — Ah bon! que j'ai dit, je veux bien... — J'ai pris des grandes ciseaux, j'ai coupé les taches tout autour... C'est égal, il a pas voulu la garder… Puis il m'a dit : — Vous vous moquez de moi, Mossieu Guignol, ne revenez plus demander d'ouvrage à la maison... et dépêchez-vous de vous en aller, mon cher, car vous ne sentez pas bon... — J'aurais bien voulu le voir, lui, s'il était tombé dedans, s'il aurait senti l'eau de Colonne... Je suis rentré à la maison; J’étais tout sale; Madelon m'a agonisé de sottises : — Te voilà! t'es toujours le même! T’es allé boire avec tes pillandes (4), te t’es battu!... — Elle m'a appelé sac à vin, pilier de cabaret, ivrogne du Pipelu (5) Elle m'a tout dit; enfin... on n'en dit pas plus à la vogue de Bron (6)… La moutarde m'a monté au nez ; je lui ai donné une gifle, elle m'a sauté aux yeux ; nous nous sommes battus, nous avons cassé tout le ménage. C't histoire-là m'a dégoûté de l'état…Je me suis dit : Je vergetais là depuis cinq ans sans rien gagner... y faut faire un peu de commerce... Je me suis mis revendeur de gages (7)dans la rue Trois-Massacres (8) .. Mais j'ai mal débuté... J'ai acheté le mobilier d'un canut qui avait déménagé à la lune . . . Le propriétaire avait un ban de loyer… il a suivi son mobilier... Le commissaire est venu chez moi... il m'a flanqué à la cave... J'ai passé une nuit avec Gaspard (9)… Mon vieux, que je me suis dit après ça, faut changer de plan... T'as entrepris quéque chose de trop conséquent... t'as voulu cracher plus haut que ta casquette… Y faut faire le commerce plus en petit… Y avait un de mes amis qui avait une partie d'éventails à vendre... je l'ai achetée... et je les criais sur le pont… Mais j’avais mal choisi mon m'ment... C'était à la Noël... j’avais beau crier : « Jolis éventails à trois sous ! Le plus beau cadeau qu'on peut faire à un enfant pour le Jour de l’An ! » . . . Personne en achetait, et encore on me riait au nez. Après ça, je me suis fait marchand de melons... Pour le coup, c'était bien au bon m'ment... c'était au mois de jeuliet . . . Mais quand le guignon n'en veut à un homme, il le lâche pas… C'était l'année du choléra (10).. et les médecins défendaient le melon... J'ai été obligé de manger mon fonds... toute ma marchandise y a passé . . . Eh ben! ça n'a pas arrangé mes affaires... au contraire, ça les a tout à fait dérangées... J'ai déposé mon bilan..." ça a fait du bruit… la justice est venue sur les lieux avec les papiers nécessaires... et elle a dit : V’la une affaire qui ne sent pas bonne... C'est égal, les créanciers ont eu bon nez, ils n'ont point réclamé de dividende. J'ai pas eu plus de chance dans mes autres entreprises… Y a bien un quéqu'un qui m'avait conseillé de me faire avocat... parce qu'il disait que j'avais un joli organe... Mais y en a d'autres qui m'ont dit que, pour cette chose- là, je trouverais trop de concurrence. Ah ! j’ai eu, par exemple, un joli m'ment... je m'étais fait médecin margnétiseur (11), et ma femme Madelon somnambule... C'était un de mes amis, qui avait travaillé chez un Physicien, qui m'avait donné des leçons... Madelon guérissait toutes les maladies... On n'avait qu'à lui apporter quéque chose de la personne... sa veste, ses cheveux, quoi que ce soit, enfin... Elle disait sa maladie et ce qui fallait lui faire… Les écus roulaient chez nous comme les pierres au Gourguillon... et tous les jours y avait cinq ou six fiacres à notre porte... C'est que Madelon était d'une force!... Et pour le déplacement des essences.'... c'était le même ami qui m'avait appris ça... Elle y voyait par le bout du doigt, elle y voyait par l'estomac, de partout, enfin... Elle lisait le journal, rien qu'en s'asseyant dessus... Eh ben ! nous avons fini par avoir un accident... Y avait une jeunesse qui était malade de la poitrine; Madelon l'a conseillée de s'ouvrir une carpe sur l'estomac et de s'asseoir sur un poêle bien chaud, jusqu’à ce que la carpe soye cuite... Elle a prétendu que ça lui avait fait mal... ça nous a ôté la confiance... Les fiacres sont plus venus, les écus non plus. .. Nous avions fait bombance pendant le bon temps, acheté un beau mobilier… y fallait payer ça ... Tout a été fricassé. Du depuis, je n'ai fait que vivoter… je suis revenu à ma canuserie... mais l'ouvrage ne va pas… Le propriétaire m'est sur les reins pour son loyer. Je lui dois neuf termes... Il est venu hier... il va revenir aujourd'hui... Je sais plus où donner de la tête..."
[1] Corruption comique de l’adjectif « rébarbative »
[2] Ouvrier fabriquant du taffetas (étoffe de soie fine). Les taffetatiers lyonnais appartiennent à la corporation plus large des canuts.
[3] Une cadette est une large dalle qui, avant l’invention des trottoirs, était placée contre la façade des maisons afin d’en éloigner les eaux de pluie. Le développement des trottoirs à Lyon, mot écorché par Guignol, s’opère de 1830 à 1848, sous les mandats des maires Prunelle et Terme.
[4] Pillandre : vieille guenille ; Vaurien, canaille
[5] L’ancien quartier du Puits-pelu, vers l’actuelle rue du Palais Grillet, où s’entassent à l’époque les cabarets .
[6] A la vogue de Bron, on pouvait s’injurier librement.
[7] On appelait jadis à Lyon revendeur de gages, les marchands de vieux meubles, probablement parce que ces industriels avaient l'usage de prêter sur gages aux pauvres gens.
[8] Rue des trois massacres : rue Tramassac, dans le vieux Lyon.
[9] Dans les caves de l’Hôtel-de-Ville, peuplées de rats, où l’on enfermait les prisonniers gardés à vue. Le rat Gaspard finit par être une sorte de personnage populaire.
[10] 1832 ;
[11] Corruption comique pour magnétiseur.
13:11 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : théâtre, guignol, lyon, actualité, le déménagement |
Commentaires
Eventails à 3 sous? J'achète!
Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 26 septembre 2008
Trois sous 1832, à la valeur du franc lourd d'alors, ramenée à celle d'avant-14, convertie en franc Poincaré, puis Pinay, avec le passage de l'ancien au nouveau, puis du nouveau à ce foutu euro : vous ne vous rendez pas compte, Sophie ! C'est une véritable fortune ! Vous achetez toujours ?
Écrit par : solko | vendredi, 26 septembre 2008
Une fortune? Ah, ne remuez pas le fer dans la plaie! décidément le guignon m'en veut et ne me lâche pas!
Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 26 septembre 2008
@ Sophie : Il faudra que je vois samedi si je ne peux pas en récupérer un, tombé du castelet. Avec Guignol, tout est possible et on ne sait jamais.
Écrit par : solko | vendredi, 26 septembre 2008
Suite à vos commentaires sur mon blog, j'ai cherché ds la catégorie que vous indiqué, mais je n'ai pas trouvé d'article concernant Orwell et 1984...
Pouvez vous m'aiguiller?
Sinon, je vous invite à venir découvrir la critique de l'adaptation du roman "Jhonny s'en va t-en guerre" de Dalton Trumbo...
Vous trouverez l'article ds la catégorie "guerre"...
Écrit par : eeeelsoliver | vendredi, 26 septembre 2008
Facile, c'est quatre notes en dessous (ça s'appelle "Essai de rentrée"). Le film adapté de D. Trumbo, j'en ai lu la critique que vous en avez faite, c'est même grâce à cela que ns ns sommes rencontrés, je crois.
Écrit par : solko | vendredi, 26 septembre 2008
Ronchon comme vous êtes, vous allez ronchonner :"je lis plus le monde etc, tous des bégaudeaussien etc" ! mais quand même ce mot: grand grand article sur Orwell dans Le monde des livres; oui, oui, grand bien me fasse, n'est-ce pas!!!
Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 26 septembre 2008
@ sophie : Un ami, qui le lit régulièrement ( Le Monde) , me l'a montré, cet article, sur le concept cher à Orwell de "common decency". Il a rajouté : quand un concept est galvaudé, il perd de sa force. Je lui ai dit : "oui, mais il gagne en influence". Il m'a dit "ça sert à rien s'il perd en signification". Là-dessus, nous nous sommes quittés. C'était ce matin.
Écrit par : solko | vendredi, 26 septembre 2008
Sans vouloir me mêler aux commentaires,
le glossaire de lyonnaiseries me fascine
Solko, pourquoi les gens à Lyon, ne parlent pas ainsi ?
Écrit par : frasby | samedi, 27 septembre 2008
@ à Frasby : Ah ça ! C'est probablement encore une histoire de novlangue. Il faudra demander la réponse à Orwell...
Ma grand mère, en son temps qui n'est tout de même pas si reculé que ça, prononçait encore quelques mots en ce dive jargon de la Grande Cote. Grâce à Puitspelu, il nous demeure un Littré.
Écrit par : Solko | samedi, 27 septembre 2008
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