mercredi, 04 mai 2011
Disait-elle
Ma vieille prof de théâtre était toujours vêtue d’un pantalon fuseau et d’un pull over à col roulé. « On peut, disait-elle, réduire le jeu d’un comédien comme tout ce que raconte la totalité du Répertoire à deux mouvements fondamentaux : dire oui, dire non. Pour cela, vous disposez du regard, du geste, de la parole. Et c'est tout. »
Sur ces deux grandes tendances – le refus ou l’acquiescement-, elle nous expliquait que se greffait la gamme entière des nuances et des émotions qu’il nous faudrait jouer sur scène, et l’existence de milliers de personnages : honte, pitié, colère, désir, raisonnement… Tout cela ne revenant in fine qu’à approuver ou réfuter ostensiblement quelque chose, du regard, du geste ou de la parole, avec une intensité plus ou moins affirmée.
Pour le reste, nous disait-elle, il n’est de secret que l’articulation. Avant de monter sur scène, elle nous faisait répéter : Gros grand grain gris creux d’orge, quand te dégros grand grain gris creux d’orgeriseras-tu ? Je me dégros grand grain gris creux d’orgeriserai quand tous les gros grand grain gris creux d’orge se dégros grand grain gris creux d’orgeriseront. Idem avec le petit pot de beurre et d’autres pis-aller.
Après ça, elle nous fichait un texte entre les mains, un monologue d’Othello, un sermon de Bossuet, une chanson de Gaston Couté, ou tout autant une liste de commissions, et il fallait se débrouiller pour lui dire oui ou non avec ce texte-là, du regard, du geste, de la parole. Sans s’occuper du reste.
Elle se tenait en fond de salle, cigarette au bec. Elle ne fumait que des Gitanes. Dans la pénombre, cela formait une lueur, un grésillement, une écoute, un peu de fumée bleue. Quelques recommandations. De compliments, jamais.
Quand elle était contente de quelqu’un, elle le lui faisait savoir en lui proposant un petit rôle. On venait en car de toute la région pour voir les spectacles qu’elle montait dans son théâtre non subventionné. Des pièces de boulevard, écrites par elle ou par son mari. Un canevas bien rôdé, des répliques à l’efficacité éprouvées durant ses cours. Du 100% maison, disait-elle.
09:17 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : théâtre, littérature, lyon |
Commentaires
J'adore ce billet.
Écrit par : Sophie | mercredi, 04 mai 2011
Ah fichtre, la belle et bonne dame...
(Moi, ces temps-ci, j'apprends à dire "non" pour de vrai (il était temps!), et je m'engueule avec un paquet croissant de prédateurs humains, des plus minables aux plus pénibles. C'est épatant, j'avoue, cette reprise en main de sa liberté.)
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 04 mai 2011
Je dirais même plus, c'est une question cruciale. Les guignolistes savent que pour donner l'illusion du caractère et l'impression de l'individualité à une marionnette, c'est sur le "non" qu'il faut le faire bouger.
Écrit par : solko | jeudi, 05 mai 2011
Tout sauf tiède finalement, cette femme aux gitanes. J'aime beaucoup ce billet, merci.
Écrit par : Marie-Hélène | mercredi, 04 mai 2011
J'aime d'autant, moi aussi, que les bons profs de théâtre ont des exigences qu'ils partagent (avec d'autres exigeants comme eux)...
Ne vous parlait-elle pas aussi de la nécessaire gestion du silence et du bruit, de la tension du temps ? Comment certaines phrases ont besoin pour être entendues, que soient installées avant elles une parole muette. C'est-à-dire qu'il y ait le silence qui serait celui de la réflexion ; le silence avant donc, mais aussi après (comme un concertiste qui laisse quelques secondes de suspension après la dernière note, avant de se lever pour saluer le public). Se retirer d'une phrase comme une mère, ou un père, se retirent de la chambre d'un enfant, sur la pointe des pieds. Un silence, une respiration, qui ne soient pas entre les répliques ou après les points ; qui ne puissent être confondus avec une hésitation, un oubli. Un silence, une respiration qui mettent en suspens, qui agrandissent l'espace légitime de parole.
C'est vrai pour toute prise de parole en public... C'est un bonheur quand ces vérités prennent corps :)
Écrit par : Michèle | jeudi, 05 mai 2011
Hi hi j'étais bien sentencieuse hier soir, sorry :)
La première image que j'ai là, de votre prof, c'est la silhouette en pantalon fuseau et col roulé. Images des années 70, Jean Seberg dans "A bout de souffle", Mylène Demongeot dans "Bonjour tristesse" de Preminger... et Monique Serf, au pied du Vercors, elle devait bien parfois porter un pantalon fuseau ...
http://www.youtube.com/watch?v=L-ToyNEYFmY
Écrit par : Michèle | jeudi, 05 mai 2011
Que voilà un bel album d'images !
Le silence, bien sûr, comme Patrick le souligne également. C'est grâce au silence qu'on laisse que le spectateur entre dans son imaginaire, (re)compose le personnage qu'il voit devant lui, lit le spectacle.
@ Patrick : Rien n'est pire, en effet, que ces applaudissements qui suivent les dernières répliques (genre "vous en avez enfin fini!").
La qualité et la réussite d'un spectacle se mesurent au contraire au nombre de secondes qui s'écoulent entre les dernières répliques et les premiers applaudissements.
Écrit par : solko | jeudi, 05 mai 2011
Michèle:
J'aime beaucoup votre réflexion sur l'importance du silence. Je crois qu'il est essentiel. Il faut le laisser s'installer prendre sa place, il est un moment d'écoute privilégié.Dans le même ordre d'idée, autant je suis réticent au silence religieux "obligatoire" pendant un spectacle, autant les applaudissements précipités m'agacent. J'aime quand des artistes ont installé une ambiance de la laisser respirer et s'éteindre, doucement, après la fin du spectacle, de la déguster de l'ingérer. Peu d'artistes savent prendre le temps pour venir saluer au moment opportun. Ils le font, trop souvent, avec précipitation et excès.
Écrit par : patrick verroust | jeudi, 05 mai 2011
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