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jeudi, 26 janvier 2017

Victor F de Laurent Gutmann

La première originalité du spectacle est qu’on ne sait au fond quand il débute : devant un grand rideau vert, Victor F (Éric Petitjean) se tient assis sur une chaise à l’entrée du public. Jambes croisées, il le contemple, qui prend le temps d‘arriver, de s’installer, de déposer sacs et manteaux. Il s’impatiente, zyeute de temps en temps sa montre, boit une gorgée d’eau et en conférencier pressé lance soudain : « Bon c’était prévu à 20 heures… » L’entrée de l’ami aveugle, Henri (Serge Wolf) lance sur le champ la première scène : le comédien raconte alors les premiers chapitres du récit de Mary Shelley qui servent d‘exposition, et je laisse au spectateur le soin de découvrir par quel facétieux procédé le récit cadre est ainsi mis en scène. Le ton est donné : L’adaptation de Laurent Gutmann écartera toute tonalité gothique pour laisser place à l’humour et à la citation décalée : on note, pêle-mêle, l’Aigle noir de Barbara ou Elephant Man de David Linch. Mais le parti pris humoristique n’ôte rien à la teneur métaphysique du roman, il n’est qu’un moyen ingénieux pour transposer, en l’épurant, l’interrogation qui parcourt toute la prose de Shelley du siècle romantique au nôtre, post moderne.

« L’homme avait plus de chance que moi », lance le monstre (Luc Schiltz) à peine né un peu plus tard, en écoutant le récit de la Genèse : Adam fut créé par un être certes sévère, mais capable au moins de le reconnaître comme fils. Tandis que lui ne fut créé que par un homme et sera donc voué à une solitude existentielle sans recours. La tentation /tentative de Frankenstein se propose ainsi comme une réduplication sur le mode burlesque d‘un acte originel qu’il aurait fallu ne jamais imiter, car il se révèle par essence inimitable. Mais nous nous découvrons nous, hélas, des animaux diablement mimétiques…  

Comme le souligne Laurent Gutmann, la faute principale de Frankenstein ne fut pas de se prendre pour Dieu, mais celle, qui en découle, de ne pouvoir en assumer les conséquences en reconnaissant sa créature à son image. Le nouvel Adam ne lui reprochera donc pas d’être né de lui, mais « de ne pas le reconnaître comme son fils, de ne pas assumer ses responsabilités de père », dit-il.

Cette lecture qui interpelle évidemment sur un plan théologique résonne aussi sur un plan politique et sociétal, à l’heure où les expériences sur le vivant et les projets transhumanistes postulent la « fabrication » d‘êtres voués à un orphelinat en quelque sorte consubstantiel à leur nature scientifique ; réincarné sous un masque qui prend le contrepied de Boris Karloff, ce nouvel Adam de Gutmann affirme ainsi haut et fort le caractère monstrueux de notre époque en nous rappelant que le bourreau vient toujours en souriant, et toujours pour piétiner l’amour.

Plastiquement, la mise en scène est très agréable, vive et pleine de surprises, comme cette représentation de la « Souveraine Nature » de Shelley sous la forme mi féérique mi ironique d‘une gigantesque carte postale helvétique. Les choix musicaux accompagnent le propos et forment un subtil contraste, entre le romantisme du lied Ständchen de Schubert et le rythme de la marimba de Sway. Dans le premier se murmure l‘impossibilité d’aimer et d’être aimé à laquelle Frankenstein a outrageusement condamné sa créature, dans le second s’affirme un  ironique contre-pied entre la fabrication du monstre en laboratoire et la conception d‘un enfant par les voies naturelles. Un spectacle subtil pour la raison et plaisant à l'oeil, à déguster à la Croix-Rousse jusqu’au 3 février. 

 

Victor F 
Mary Shelley / Laurent Gutmann
du 25 janvier au 03 février | 1h30

Théâtre de la Croix Rousse, LYON 04

jeudi, 19 janvier 2017

Fin de partie (reprise)

Le mot juste, juste le mot. Tel est le parti pris de la direction d'acteurs revendiqué par Sandrine Bauer. Le mot, le souffle, le silence. Du coup, le texte de Beckett se donne à entendre dans une plénitude qui étonne, surprend, captive.  Hamm, l'infirme aveugle et tyrannique (Arnaud Chabert), n'existe que dans son phrasé, à l'articulation ample et déhanchée; Clov (Jacques Pabst), le fils souffre-douleur, tient tout entier dans une gamme d'expressions alliant le clownesque lunaire à la trivialité mélancolique et résignée; tous deux lâchent mot à mot ce texte qui semble en devenir incertain, puisqu'autour d'eux comme en eux, « tout est déjà fini ». La vacillante et insuffisante existence du moi de chacun détermine l'absurde nécessité de leur relation qui se déroule et se répète cruellement. Le plaisir du mot articulé, soufflé, respiré se suffit alors à lui-même, fait corps, sinon sens.

Les parents de Hamm, Nagg (André Sanfratello ) et Nell (Sandrine Bauer ), anticipant la Winnie de Oh les Beaux Jours, s'éteignent à petits feux, chacun dans une poubelle. Ils constituent là comme un passé sans mémoire qui se redirait une fois de plus, tel un arrière plan vocal qui tarde à disparaître, et dont les deux autres dépendent. Tous deux, au contraire des deux autres, lâchent en effet des paroles heureuses, des paroles issues des beaux jours et du vieux style, tragiquement audibles dans le huis-clos glacé qui s'apprête à les engloutir.   

Tout le théâtre de Beckett interroge la présence réelle de l'homme de l'après guerre à lui-même, après la catastrophe, figé dans l'absence de Dieu. C'est cette interrogation sur la présence réelle des personnages que la scénographie quasi polaire d'André Sanfratello restitue à sa façon. Le lieu et ses ressources, sa hauteur, sa profondeur, ses hors-champs, sont efficacement intégrés à la mise en plateau. Ce Fin de Partie  constitue ainsi une valeur sure pour débuter cette nouvelle année à l'Espace 44, rue Burdeau. Le Royal Court Théâtre, au sein duquel Roger Blin monta en 1957 la première de la pièce en français, était à peine plus grand que lui. C'est que l'espace restreint sied au langage de Beckett, à ce langage qui ne cesse d'osciller de la retraction à la délivrance. Un petit joyau à voir (ou revoir) du 19 au 29 janvier.

 

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Crédit Photo Malo Lacroix / J-S Pourre

FIN DE PARTIE de SAMUEL BECKETT
PRODUCTION ESPACE 44

DU 19 AU 29 JANVIER

Vendredi, samedi | 20h30 Mercredi, Jeudi | 19H30

 

23:20 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : beckett, espace44, sanfratello, fin de partie, lyon, croix-rousse, théâtre | | |

jeudi, 27 octobre 2016

De l'honneur des prêtres en Croix-Rousse

Le temps médiatique dans lequel on nous laisse mijoter passe, emportant avec lui l'attention des peuples, de plus en plus disséminée. Aux affaires s'enchaînent les attentats, aux scandales les élections. Il arrive que la machine médiatique broie non seulement l'attention des peuples, mais aussi l'honneur des gens. Ce fut le cas d'un prêtre croix-roussien, Jérome Billioud, accusé de pédophilie puis innocenté. Je publie aujourd'hui ce texte de mon ami Xavier Charpe, auquel je souscris entièrement, qui relate pour ceux qui n'ont pas suivi le dossier le déroulement des événements, et s'adresse, par delà les paroissiens et les chrétiens de la Croix-Rousse, à tous les hommes de bonne volonté 

Ignoble ! Tel est le qualificatif qui convient à l’attaque dont  notre ancien curé de la Croix Rousse a été victime. Attaque infamante, de la plus extrême gravité, puisqu’il a été accusé d’être un prêtre pédophile[1].

Attaque  bien lâche au demeurant, puisque avec la complicité de la journaliste l’accusateur masquait son identité sous un pseudo. De l’autre côté, le nom de notre ancien curé et son identité était étalés en toutes lettres. A soi seul, cette dissymétrie jette la suspicion sur l’accusateur et ses allégations. Comment peut-on accuser un curé d’être un prêtre pédophile sans preuve mais plus encore quand l’accusation est mensongère  et la manoeuvre  perverse ?

L’article était visiblement malveillant ; les termes de l’accusation si invraisemblables que j’ai cru devoir mener  une enquête serrée. Vous comprendrez que cela ait pris du temps. J’ai maintenant la preuve que l’accusateur est un menteur et un manipulateur ;  il a été le premier à qui j’ai écrit pour le lui dire. Si je l’accuse d’avoir porté publiquement une accusation mensongère, c’est que j’en ai la preuve. Je l’attends paisiblement s’il avait l’intention que l’explication entre nous se fasse devant un tribunal.

Quand une accusation est aussi grave, celle d’avoir commis des actes de pédophilie, surtout s’il s’agit d’un curé ou d’un éducateur, il est  essentiel de savoir si l’accusation est véridique ou si elle est mensongère. Dans le premier cas il faut sans délai et avec fermeté écarter le prédateur de tout contact avec les enfants. Ce que précisément le cardinal  n’a pas fait dans le cas de l’abbé Preynat. Mais à l’inverse, si l’accusation est mensongère, le curé doit être  défendu avec vigueur.

L’accusation a été publique ; elle doit être lavée publiquement. Cela n’a été fait ni par le diocèse ni par les responsables de notre paroisse. Cette inertie est indigne, d’un simple point de vue humain; elle l’est plus encore de la part de responsables de notre Eglise : si on se prétend chrétien, on ne pactise pas avec l’injustice ; ne venez pas me parler ensuite de charité ou de communion, si un évêque ne prend pas la défense d’un curé injustement accusé et trainé dans la boue ; cela vaut dans une moindre mesure pour ceux qui sont ses frères dans le ministère pastoral.

Comprenez : le seul point d’accord que j’ai avec le diocèse c’est qu’ils ont reconnu (du bout des lèvres) que notre curé n’est pas un pédophile. Autrement dit, notre curé a été diffamé publiquement ; pas seulement lui : le cardinal également.  En effet, le cardinal  est accusé par ricochet d’avoir protégé ce prêtre prétendument pédophile ; plainte  a donc été déposée contre le cardinal pour « non  dénonciation de crime » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Le cardinal  avait tous les moyens de porter plainte pour diffamation et par la même de défendre notre curé et son frère ; de défendre du même coup notre Eglise, dont vous vous doutez bien qu’elle est l’objet d’une attaque en cette affaire. Comment a-t-il pu rester  amorphe et les bras ballants, sans réaction ? Il a même osé dire à notre curé : « Pourquoi Charpe n’attaque-t-il pas lui-même ? » Ce n’est pas moi qui  suis diffamé ! Ne l’étant pas,  je ne suis pas habilité à porter plainte.

La première chose à faire de la part du diocèse, et à son défaut par notre nouveau curé, était de dévoiler publiquement l’identité de l’accusateur particulièrement lâche qui se cachait sous un pseudo ; il s’agit de monsieur Pierre-Henry Brandet, un journaliste qui a mené une brillante carrière et qui se retrouve porte-parole du Ministre de l’Intérieur et des Cultes, membre du Cabinet de monsieur Cazeneuve ; déjà sous monsieur Manuel Valls à ce poste[2].  Si cet anonymat avait été dénoncé publiquement, chacun aurait aussitôt pressenti que nous étions devant une cabale politique menée contre le cardinal  et contre les positions de certains responsables de notre Eglise sur les questions de sexualité et de morale sexuelle. Ce n'est pas par hasard si la charge s’est concentrée sur l’Eglise de Lyon, précisément en raison des prises de positions parfois sans nuances prises par le cardinal et  en raison de son goût prononcé pour la médiatisation[3]. Ce monsieur Brandet est un homme de pouvoir ; il fait partie du cercle rapproché du ministre, un poste politique ; il a en charge la communication du ministère. D’où l’omerta généralisée protégeant ce monsieur ; aucun journal, même pas le journal La Croix, n’a eu le courage de dévoiler son identité et sa position de pouvoir. Qui peut d’ailleurs imaginer qu’à son poste il ait pu porter une telle accusation contre le cardinal sans prévenir sa hiérarchie ? Notre curé  n’est que l’instrument de cette machination, ce que j’appelle « l’affaire Brandet-Barbarin ».

Loin de défendre avec courage notre curé injustement accusé, le diocèse a tenu des propos parfaitement ambigus, laissant planer le doute sur sa culpabilité ; pliant aux exigences de l’accusateur qui avait demandé qu’il soit écarté du ministère pastoral, le diocèse l’a écarté de la paroisse de l’Immaculée  Conception. Chacun a compris  entre les lignes qu’il faisait partie du groupe des quatre « pestiférés » ; entre les lignes certes, mais Le Figaro s’est chargé d’expliciter la chose… Dans ses déclarations au Figaro, l’accusateur présentait le cardinal comme une sorte de caution de ses accusations. Belle manipulation ! Aucune réaction de la part du cardinal ; et les dirigeants du diocèse n’arrivent pas à comprendre que le fait de ne point défendre notre curé et de le mettre « sur la touche » était « de facto »  comme une caution apportée à l’accusation.

Sur la paroisse l’ambigüité de certains a été similaire. Nous avons entendu des « il n’y a pas de fumée sans feu » ; le refrain  était « laissons la justice se prononcer » ce qui justifiait la passivité ; en effet les motifs de l’accusations sont si ridicules au regard du droit que l’affaire sera classée sans suite ; la  justice ne sera pas rendue ; l’inculture juridique  peut servir d’excuse à ceux qui tiennent cette position ; pire certains  colportent les pires ragots, ignorant les règles élémentaires  de la vie chrétienne qui condamne la « médisance » et la « calomnie ». Devant la gravité  de l’accusation portée la moindre des choses si l’on se prétend responsable c’est de chercher à faire émerger la vérité. Ce n’était pas à moi de chercher à savoir ce qu’il y avait  au juste dans le dossier de l’accusation initiée devant la justice en 2009 et ressortie juste à propos en 2016 pour les besoins de la cabale politique. Rester inerte en cette affaire, c’était se faire le complice de l’injustice. On tend une oreille  complaisante à l’accusation et on ne sait pas ce que le dossier contient au juste ; on juge sans connaissance de cause ; on condamne sans preuve et dans l’ignorance des faits. J’accorde que ces attitudes  regrettables sont induites par le comportement même du diocèse.

Heureusement des paroissiens ont réagi. Les témoignages en faveur de notre curé ont afflué. Une lettre collective de soutien en sa faveur a été signée par quelques 135 paroissiens, amis ou collègues de notre curé[4]. En sus des témoignages individuels. Ces fidèles parlaient d’expérience, pour avoir éprouvé la qualité avec laquelle notre curé avait exercé  son ministère pastoral. Leur « sensus fidei » ne les trompait pas ; leur jugement était sûr et droit, visiblement davantage que celui de certains clercs[5].

Les échanges  avec le cardinal et avec  les responsables  du diocèse sont particulièrement rudes. J’ai été dans l’obligation de rappeler au cardinal et au diocèse les  nombreuses fautes qu’ils ont commises en cette affaire. Je leur ai demandé de rétablir publiquement la vérité et la justice  par rapport à l’injustice  commise ; en pure perte. J’en suis arrivé à la conviction qu’ils n’avaient jamais mené l’enquête indispensable pour savoir si l’accusation était fondée ou non. On a fini par m’avouer  qu’ils n’ont en effet jamais eu accès au dossier d’instruction de la plainte  déposée en 2009 et instruite en 2010, instruction qui a  conduit à classer la plainte sans suite. Ce qui veut dire qu’ils ont laissé accuser notre curé sans  avoir la connaissance du dossier, en accordant crédit à un accusateur de mensonge et en s’en tenant à des ragots. La présomption d’innocence et l’obligation de récuser les accusations diffamatoires, ils ne semblent pas  connaitre.

J’ai demandé à rencontrer le cardinal ; « il n’avait pas le temps de me recevoir… » ; j’ai eu droit à  cinq minutes d’entretien, dans une sorte d’audience publique, un vendredi soir, entre deux piliers de la cathédrale Saint Jean, debout appuyé sur ma canne. J’ai été stupéfait de l’entendre me dire qu’il tenait le témoignage de l’accusateur pour véridique et que c’était notre curé qui était le menteur. Ahurissant et scandaleux ; une double erreur de jugement. Tout d’abord sur l’accusateur ; le cardinal  n’a pas saisi que l’accusateur  était un manipulateur. Certes ce n’est pas très agréable  pour notre cardinal  de devoir avouer qu’il a  été naïf et s’était fait manipuler ; bref d’avoir commis une erreur de jugement. Dieu sait que la ficelle était grosse : le porte-parole  du Ministre de l’Intérieur et des Cultes ; il n’a rien vu venir ! Et bien entendu sans s’être donné la peine de savoir ce qu’il y avait dans le dossier instruit par la justice en 2010. Mais l’autre erreur de jugement est à propos de notre curé; il faut croire que le cardinal ne le connait pas, qu’il n’a jamais  parlé d’homme à homme et de frère à frère avec « son curé » ; il fait confiance à un accusateur pervers qui ment et il se méfie de son collaborateur dans le ministère. Il échange des mails avec l’accusateur sans même prévenir  notre curé, puis va diner avec lui au restaurant Le train bleu  à la Gare de Lyon ; ce n’est qu’au tout dernier moment qu’il avertit le curé de ce « repas d’affaires ». Quel manque de fraternité. Et comment se tromper à ce point sur Jérôme ; il est tout le contraire du profil de l’abbé Preynat ; allez lire le portrait qu’en dresse madame Isabelle de Gaulmyn dans son livre sur l’omerta ; des amis m’avaient délivré la même description du personnage : autoritaire, imbu de sa personne, se prenant pour un « père », un homme de pouvoir qui se prétendait  au-dessus de ses paroissiens ; ah, je vous accorde des grands talents d’organisateur qui faisaient l’admiration de ses supérieurs.. Jérôme est un doux, rien d’un autoritaire ; un pasteur amical, joyeux et fraternel et plein d’empathie[6] ; l’avez-vous entendu une seule fois nous prêcher et se situer par rapport à nous comme nous étant supérieur ? Bordélique au possible je vous l’accorde ; rien d’un violent en tout cas. Comment le cardinal  a-t-il pu se tromper à ce  point sur « son » curé.

Et comment  l’accusateur a-t-il pu porter son accusation de pédophilie, alors qu’il sait qu’il n’en est rien ? Passons encore sur le caractère invraisemblable de son récit (à certains moments c’est abracadabrantesque ; je n’ose vous raconter… tellement c’est grotesque) ; passons sur le fait que dans l’article du Figaro il ment sur son âge en se rajeunissant ; passons sur le fait que sur l’un des points  qu’il évoque son témoignage est contredit par un tiers témoin ; passons encore sur le fait  qu’il accuse sans preuve ; l’essentiel n’est pas là : il n’y a rien dans le dossier qui justifie l’accusation de pédophilie. Au juste, dans sa propre déposition il ne parle que d’une simple « avance », sans que l’on sache au juste qui aurait fait l’avance. Il prétend avoir été traumatisé, mais il revient trois ans après ; s’il a été  traumatisé pourquoi serait-il revenu une seconde fois ? Et au vu de sa belle carrière comment croire qu’il aurait été traumatisé ? Le grand gaillard de 17 ans révolus, devenu journaliste sportif,  officier de réserve de pompier et de gendarmerie, occupant un poste de pouvoir au ministère de l’Intérieur, comment peut-il se faire passer pour un jeune enfant du genre des enfants de chœur et des jeunes scouts de l’abbé Preynat ? « Une avance », le mot de monsieur Brandet  dans sa déposition de 2010, me parait probablement juste, en tout cas plausible et correspond au reste du dossier; dans quel sens s’est fait l’avance, je ne sais ; je n’y étais pas ; en tout cas des deux côtés rien de violent ; je crois à une imprudence réciproque du jeune curé d’alors et du jeune homme, à coup sûr un grand gaillard. C’était sympathique d’accueillir ce garçon qui ne savait pas où loger ce soir-là, mais dans ce cas-là il faut se montrer prudent ; des deux côtés ; à 17 ans on dort sur la moquette ou sur le parquet; en tout cas, cette affaire  est un « pas grand-chose » et ne mérite pas que l’on en fasse tout un plat, 26 ans après. Avec du recul, je ne suis pas certain que nos séminaristes  soient toujours bien formés et instruits dans ces domaines. Puisqu’on leur impose de manière bien imprudente le célibat, alors que celui-ci doit s’exercer normalement dans le cadre d’une vie religieuse communautaire[7] , mieux vaudrait les  bien avertir…

Pour l’heure la situation est bloquée. Le diocèse comme les responsables de notre paroisse se refusent à dévoiler publiquement l’identité de l’accusateur et à dénoncer la manipulation, comme la cabale politique.  Le diocèse a mis sur la touche le curé injustement accusé ; à croire que le diocèse regorge  de pasteurs de sa qualité. Refus de reconnaitre  publiquement qu’ils ont jugé et sanctionné sans preuve, sur le témoignage d’un seul, pire sur le témoignage d’un menteur. Là-dessus tout ce dont nous pouvons témoigner est tenu pour quantité négligeable : ils sont les clercs ; nous sommes les moutons qui devons obéir docilement et n’avons pas voix au chapitre. Tout cela est inacceptable et difficilement compréhensible.

Sauf que le cardinal est sur la sellette dans l’affaire de l’abbé Preynat, le pédophile notoire et  récidiviste.  Si  le cardinal a été « absous », au strict  plan juridique,  par le Procureur de Lyon[8], il n’en est pas  pour  autant indemne de tout reproche sur le fond. Il a affirmé publiquement à deux reprises qu’il n’avait été  tenu informé sur les pratiques de l’abbé Preybat qu’à partir de 2007-2008, par les soins de madame de Gaulmyn. Or celle-ci affirme qu’elle l’a alerté  dès 2004 ; il est même possible que le cardinal ait été averti déjà dès 2002, tant la rumeur courrait de tous côtés sur Lyon. Et il ne pouvait ignorer la gravité et la nature des actes de pédophilie, puisque l’épiscopat français avait été  alerté de manière très circonstanciée sur ces questions dès  l’année 2000, lors de l’assemblée plénière de l’épiscopat ; il y participait en tant qu’évêque de Moulins. Il a donc commis une grave imprudence en renommant l’abbé Preynat comme curé, et même comme doyen, le remettant ainsi au contact d’enfants, organisant comme par le passé des camps et colonies de vacances. Le cardinal étant sur la défensive, il pense d’abord à défendre sa réputation, quitte à se montrer  particulièrement sévère sur des  fautes bien moins graves commises par tel ou tel des prêtres de son diocèse : bref, ce que l’on peut appeler la « purification sur les autres », comme pour se disculper soi-même. Il serait temps que le diocèse  se ressaisisse et rectifie sa position.  Pouvons-nous espérer qu’il en soit ainsi ?

Dans l’attente, c’est à nous de réagir. Il faut que de la manière la  plus large possible  nous fassions connaitre l’identité du diffamateur et qu’il s’agit d’un homme  qui détient un poste clé  auprès du Ministre de l’Intérieur et des Cultes.  J’ai pris les devants en accusant directement Pierre-Henry Brandet d’avoir porté  une accusation mensongère et d’être un manipulateur ; même pas le courage d’accuser à visage découvert.  Je prends la responsabilité de l’accusation que je porte contre lui. Chacun doit savoir dans notre paroisse que notre ancien curé n’a rien d’un pédophile et que l’accusation était diffamatoire et abjecte. Sur notre paroisse les colporteurs de ragots doivent se taire et je demande à notre nouveau curé de s’employer pour que cela soit. Puisque les responsables de notre diocèse se refusent à défendre notre curé, c’est à nous de le faire. Les lâchetés de quelques-uns ne nous autorisent pas, pour ce qui est de nous,  à manquer de courage et à ne pas assumer notre responsabilité propre.

Xavier Charpe                                                                                   

 

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Auguste Perrodin, Christ en majesté, coupole du chœur de Saint-Denis, Croix-Rousse, 1878

 NOTES :

[1] Dans un article du journal Le Figaro, en date du 15  mars, reproduit  quelques 1200 fois par  presque tous les médias.

[2]  Comme par hasard, à peine l’attaque  portée dans l’article du  Figaro, le Premier Ministre a appelé le cardinal « à prendre ses responsabilités », ce qui en langage politique codé veut dire à  démissionner.  Étrange manière de respecter la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

[3] On pouvait prendre position contre certains aspects de la loi Taubira ouvrant le mariage à des couples homosexuels, sans pour autant le faire sans  nuances ou avec outrance, par exemple en  établissant un rapprochement injurieux avec la zoophilie ! Le cardinal semble  parfois  se bien mal garder de propos malheureux : on se souvient, lors de la conférence de presse à Lourdes, à propos de l’affaire Preynat : « Grâce à Dieu tous ces faits sont prescrits ».

[4] On ne saurait dire que notre nouveau curé nous ait apporté son concours ; plutôt des bâtons dans les roues. On nous objectait  qu’une lettre collective de soutien  ne plairait pas au cardinal …

[5] Disant à un paroissien que je détenais les preuves du mensonge de l’accusateur Brandet, il m’a répliqué : « Je n’ai pas besoin de preuve ; je connais mon curé ; je sais que l’accusation est mensongère ». Le  bon sens de la foi.

[6] Même l’accusateur l’a reconnu quand il m’a appelé au téléphone ; il m’a même parlé du « côté lumineux » de Jérôme !

 [7] C’est en tout cas la sagesse traditionnelle de l’Eglise : le célibat et la chasteté  sont liés au vœu d’engagement libre dans la vie religieuse ;  il est imprudent de les imposer à des curés, isolés dans leur paroisse et que l’on déplace sans cesse, en sorte  qu’ils sont arrachés à intervalle régulier de la « Communion d’Eglise » qu’ils sont censés édifier.

[8] Le Procureur a classé sans suite la plainte déposée par les anciennes victimes de l’abbé Preynat regroupées dans l’association La Parole Libérée. Pour des strictes raisons juridiques, ce qui laisse entier le problème de fond.

dimanche, 11 mai 2014

Nuel, Houdaer, bref et fictif Réel

Jean Jacques Nuel  a connu le temps des « menus larcins », et le raconte dans Le Mouton Noir, un recueil de textes courts publié chez Passage d’Encres. Il m’en cause un peu autour d’une bière dans un café de la rue Aimé Boussange à la Croix-Rousse. Le Mouton Noir, c’est le texte liminaire, celui-ci qui donne la clé (et le titre aussi) du bref recueil. Nuel s’y dépeint  naguère  également rejeté, et par les poètes et par les prosateurs, devenu fervent amateur de textes courts. A un moment, la conversation tourne autour du catholicisme, et il me parle de sa lecture de Jouhandeau. Même si ça ne saute pas aux yeux de prime abord, je me dis qu’il doit y avoir un lointain rapport de filiation entre les paragraphes mordants de Chaminadour et les siens, vifs et pince-sans-rire.

Une sorte de posture à mi chemin entre Réel et fiction, une technique de croquis qui hésite entre personne et personnage. A la page 24 du recueil, par exemple, Nuel raconte qu'il retrouve un de ses copains, Houdaer, en train d’écrire dans un café de la Guillotière nommé Court-Circuit un poème nommé Court-Circuit, et qu'au lieu de se retrouver dans un café, ils ont failli se retrouver dans une fiction. C’est d'ailleurs un trait commun entre les deux, cette envie instinctive de faire se joindre ce qui se passe et ce qui s'écrit, à la crête de leurs brèves lignes.

Ne se souvient-on pas que Nuel a édité Houdaer, l’an passé ? Enfin pas lui, mais son recueil Fire Notice, dans lequel il est question de ne pas imposer sa vision du monde, mais plutôt des effets de surprises. Et c’est marrant (en guise de surprise) parce que le lendemain même de ma rencontre avec Nuel, je tombe nez à nez à la sortie du Carrefour City de la rue du Mail sur Houdaer. Toujours à la Croix-Rousse, mon fief de plus en plus. Il est pressé, moi aussi, mais on se promet de se revoir un de ces jours. L’art du bref, dans toute sa curieuse véracité. Avec tout ça, je ne sais plus bien si j'étais en train de lire une page de Nuel ou bien  d'Houdaer. C'est pour ça que je parle des deux.

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Nuel et Houdaer à un cabaret poétique du Périscope

A lire 

Le Mouton Noir, Jean-Jacques Nuel, Passage d'encres. Son blog, L'Annexe, ICI

Fire Notice, Frédérick Houdaer, Le pont du Change. Son blog, Branloire Perenne, ICI

dimanche, 13 avril 2014

Pierre Autin-Grenier, inutile et tranquille, définitivement

« Au zinc de certains cafés commence à se murmurer assez sérieusement que la Terre ne serait pas ronde, pas du tout. Je reçois aujourd’hui la lettre d’un ami m’assurant que mon adresse est fausse et qu’en fait je n’habite nullement où je l’imagine. Autour du Soleil la Terre tourne cependant, et cette lettre fameuse m’est pourtant bien parvenue. Il semble donc qu’il y ait belle lurette que les boussoles n’indiquent plus vraiment le nord, mais divers endroits assez désemparés où chacun tente, dans les limites étroites de ses moyens, d’un peu s’ancrer pour échapper au tournis général et retrouver d’illusoires certitudes en vue des rafistoler l’idée précaire qu’il peut se faire de l’avenir »

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Inutile et tranquille, définitivement : dernières paroles de Toute une vie bien ratée,  un récit qui date de 1997, et d'où les lignes ci-dessous sont tirées, des lignes de Pierre Autin-Grenier (1947-2014), qu’on ne croisera plus sur le boulevard de la Croix-Rousse ni au grand café de la Soierie ni ailleurs, puisqu'il vient de quitter Lyon et la Terre plus trop ronde à ce qui se murmure de plus en plus autour de nous...

22:31 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lyon, croix-rousse, littérature, pierre autin-grenier | | |

lundi, 16 décembre 2013

Henri VI de Thomas Jolly

Henri VI, de Shakespeare, est une œuvre de jeunesse; une trilogie historique dont François-Victor Hugo, premier traducteur français de l’œuvre intégrale, attribua la paternité à Robert Greene, assurant n’y reconnaître ni le style ni le génie du grand Will. C’est un peu vite dit.

Le bon plaisir du roi, les querelles intestines entre les pairs d’Angleterre, les rivalités entre l’Eglise et l’Etat, les complots, la vengeance, la passion féminine pour le pouvoir, la trahison, la veulerie, la sorcellerie, les retournements de fortunes et les renversements baroques de conditions, tous les thèmes qui constitueront les grands personnages à venir sont déjà là, à travers les 15 actes et les 150 personnages de cette pièce à rallonges réputée injouable à laquelle Thomas Jolly et les comédiens de sa Piccola Familia (petite famille) se sont attaqués, et qui était de passage pour un week-end au théâtre de la Croix-Rousse de Jean Lacornerie.

« Nous aimons l’idée de partage » souffle, avant un entracte, le rhapsode, magnifiquement interprété par Manon Thorel. Et c’est bien ce qu’on retient après les 8h30 de ce spectacle fleuve, tant le format calibré par les instances culturelles de la production théâtrale contemporaine (1h20, un à trois comédiens) vient de voler en éclat, sous les coups de la troupe de trentenaires enthousiastes. Deux parties et une moitié seulement de l’œuvre de 16 heures, dont la suite - qu’on pressent aussi noire que sanguinaire - sera présentée à Avignon cet été.

L’épopée commence devant le tombeau de Henri V, qui laisse un enfant de neuf ans et un pays englué dans les péripéties de la guerre de Cent Ans. Toute cette première partie se joue comme un heureux hommage rendu au théâtre artisanal de foires, avec des toiles tendues où figurent les noms des villes assiégées (Orléans, Rouen, Bordeaux), des chaises servant à la fois de destriers et de bois à bûcher, des héros prenant honneur et plaisir à en découdre chacun pour leur roi. Une Jeanne d’Arc héroïcomique à perruque bleue (Flora Diguet) mène Charles Dauphin (Damien Gabriac) et l’armée française contre une armée anglaise dirigée par un Talbot intrépide (Jean Marc Talbot), qui finira par mourir dans les bras de son fils (Thomas Jolly). 
Elle se prolonge par le mariage de « Celui dont le règne dévot a fait la ruine de la belle Angleterre » avec la très romanesque Marguerite d’Anjou, La pièce serpente alors à travers toutes les intrigues de cour qui découlent de la guerre des deux Roses. On passe ainsi des très bariolées scènes de combats dans un théâtre d’ombres et de lumières à d’autres, plus feutrées. La parole y fuse plus vite que les armes, lorsqu’il s’agit de débattre de la légitimité du droit et du coup de force de l’usurpation. L'argent a remplacé l'épée. Le monde moderne commence là, suggère Jolly, dans ces ambitions individuelles qui s’aiguisent d’antichambre en antichambre, comme dans cette cour des miracles farcesque qui lui fait contre-point, et où se débattent infirmes et gueux. 

Dans cette deuxième partie, Thomas Jolly utilise beaucoup le face à face au public et la proximité directe avec la salle. La mise en scène donne souvent l’impression de s’effacer dans un parti-pris d'immobilité, qui laisse toute sa place au texte, traduit par Line Cottegnies. Le ton devient tour à tour drôle et didactique – ce qu’il faut pour que le spectateur s’y retrouve dans une Histoire anglaise qu’il est en droit de ne pas toujours maîtriser. Les deux tableaux où lui sont expliqués les droits des prétendants au trône d’Angleterre (York, le futur Richard III et l’actuel Henri VI) sont, de ce point de vue, un modèle de didactisme scénique réussi ; le propos peut alors s'élargir au monde contemporain. Et si, par mégarde, on prend le temps de s’installer dans un tableau plus émouvant, comme le bûcher de Jeanne ou la disgrâce de la duchesse Eléonore (Julie Lerat-Gersant) l’ironie cinglante et toujours bienvenue du coryphée nous en extrait en quelques mots, nous rappelant la précarité d’une tel théâtre à l’ère du tout numérique, les comédiens faisant leurs costumes eux-mêmes ou le nombre de scènes que le metteur en scène a dû se contraindre à couper.

Alors que le clan qui tient le pouvoir démocratique se veut de nos jours si transparent, si propre sur soi et si technocratiquement professionnel, et que son personnel défile sur nos écrans comme un cortège de châtrés, nous rappeler que la passion politique, tout comme celle du théâtre, est affaire de refoulements aussi sombres et de sublimations aussi éclatantes, de rivalités entre clans et de névroses individuelles insatiables, ce n’est pas la moindre vertu de ce coup de force et de maître. On reparlera de Thomas Jolly, c’est certain. Non qu'il donne à voir quelque chose de nouveau ; mais parce qu'il se souvient que le théâtre n'est vraiment original que lorsqu'il restitue, et donne d'abord à revoir.

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©NicolasJoubard

mardi, 19 novembre 2013

Bells are ringing, de Jean Lacornerie

Un parfum de fifties flotte sur le théâtre de la Croix-Rousse. Jean Lacornerie, son directeur, y ressuscite la comédie musicale Bells are Ringing, de Jule Styne,  Betty Comden & Adolph Green. Créée à Broadway en 1956, adaptée quatre ans plus tard par Vincente Minelli au cinéma, Bells are ringing conte les aventures de Ella Peterson, opératrice téléphonique dans la permanence de sa cousine Sue, Susanswerphone. Persuadée par ses parents que cela coûte peu et change la vie de faire le Bien (Is it a crime ?), cette dernière s’immisce dans l’existence de ses abonnés en véritable fée communication, jusqu’à les aider à combler leurs ambitions ou réaliser leurs rêves. Bien sûr, il va lui falloir déjouer les pièges que le Mal lui tend, sous les traits d’un bookmaker qui utilise la petite entreprise pour véhiculer des paris codés grâce aux noms de célèbres compositeurs, et sous les yeux d’un inspecteur soupçonneux qui place le standard sous écoute.

La communication est, on le comprend, placée au cœur même de l’intrigue, par les possibilités de détournement comme par les rêves de relations positives entre les uns et les autres qu’elle suscite, dans cette Amérique d’Eisenhower, entre Shannon et Macluhan, qui commence à faire d’elle son moteur économique et social.

Au cœur du dispositif, le déploiement d’une histoire d’amour qui va de pair avec l’élaboration d’un spectacle The Midas Touch, par un auteur sans inspiration, un acteur au chômage, un dentiste compositeur. Pour ne pas se brûler les ailes dans un monde où tout ce qui brille n’est pas or, la standardiste et l’auteur dramatique vont devoir garder intacts cette simplicité de cœur initiale et cet imaginaire heureux, qui président à tout désir de rencontre amoureuse   (It’s a perfect relationship) :

 I'm in love with a man

Plaza-O-Double-Four-Double-Three

What a perfect relationship

I can't see him, he can't see me 

I'm in love with a voice 

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© Bruno Amsellem 

Bells are Ringing est ainsi une fable légère et moderne par son propos mais déjà nostalgique par sa forme, ce que relèvent avec justesse les partis-pris de Jean Lacornerie : en effet, tandis que les costumes et les décors très vintage de Robin Chemin et Bruno de Lavenère ressuscitent les objets, les couleurs et les silhouettes des fifties à Hollywood, les images projetées d’Etienne Guiol recadrent le spectateur dans un tempo technologique fait de lignes, de volumes, de typos et de motifs plus contemporains.

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Ce qui pourrait menacer une telle adaptation en nos temps saturés de technologie et sans doute passablement déniaisés du rêve américain, c’est cette foi naïve et presque mièvre en la communication qu’exalte la comédie d’après-guerre. Jean Lacornerie l’a parfaitement compris, qui souligne le fait « qu’il n’y a pas d’optimisme béat » et prend soin dans sa mise en scène de noircir en contrepoint tout ce qui par ailleurs désenchante le monde : le chômage, la corruption, la superficialité des rapports et l’anonymat des grandes villes. Les tableaux avec les corps masqués dans le métro (« Saying hello»), ou limités aux membres inférieurs (« Drop a name »),  le clin d’œil à la solitude des personnages de Hopper dans celui du bar, sont de ce point de vue particulièrement efficaces. 

Tout comme le sont Gerard Lecointe et les Percussions Claviers de Lyon, présents côtés cour et jardin, pour porter la partition et le rythme de la comédie musicale. Deux heures trente pour se replonger dans ce qui nous apparaît aujourd’hui comme l’âge d’or de la communication, avec tout ce que cela comporte de naïveté, de rêveries, et d’heureuse mélancolie. 

Théâtre de la Croix-Rousse, du 18 au 29 novembre 2013, Spectacle en français, chansons en anglais surtitrées en français,  Durée : 2h30 (avec entracte)

dimanche, 06 octobre 2013

Le Président de Michel Raskine

Au centre du texte  du Thomas Bernhardt et dans les propos du président lui-même se niche la comparaison entre l’art politique (le premier dans sa hiérarchie) et l’art dramatique (celui qui vient juste après, avant les Beaux-Arts et tous les autres): Le dispositif  imaginé par Raskine pour la mise en scène du Président, actuellement au théâtre de la Croix-Rousse, tient tout entier dans cette assimilation d’un art par un autre : le trône et l’estrade, lieux symboliques du pouvoir, se dressent devant les spectateurs entre deux vestiaires où deux comédiens (Marief Guittier et Charlie Nelson) vont endosser les peaux successives de leurs deux personnages : la Présidente, le Président. A leur côté, un troisième officiant, régisseur à la fois du palais et du théâtre, comme l’indique sa tenue. Et une multitude de petits pantins hauts de quelques centimètres afin de figurer les personnages secondaires, parmi lesquels la bonne de la présidente, le colonel victime du premier attentat et le masseur. Ce parti pris de théâtre dans le théâtre  culmine lors du dénouement lorsque, vêtu du même tee-shirt que le régisseur, Charlie Nelson contemple la mise en bière de son personnage sur l’estrade en bois comme s’il la mettait en scène, tout en jouant du saxo.

Le texte de Bernhardt n’a rien perdu de sa force depuis 1975, bien au contraire : «En chaque individu, il y a un anarchiste », y compris dans le Président et la Présidente, qui ont enfanté le Fils qui menace de les tuer. Y compris chez les militaires, les domestiques. Y compris chez les curés et les médecins, dont il est vain de croire qu’ils pourraient former un rempart contre  les risques galopants qui menacent le pouvoir. « Ambition, haine, rien d’autre » : c’est le fameux leitmotiv, auquel se rajoute « la peur » dans la bouche du président, qui hante la scène comme le palais et court d’un bout à l’autre du texte de l’auteur autrichien : survivre aux attentats qui déciment peu à peu le Régime et ses dignitaires, tel est donc l’enjeu de ce couple présidentiel qui justifie leurs monologues successifs, lesquels s’énoncent devant le spectateur telles deux longues phrases ponctuées autant que hachées par les répétitions : manière pour les personnages de communiquer leur isolement, leurs obsessions de se dire, et surtout leur incapacité à communiquer entre eux.

Survivre et non pas vivre, non pas régner : Jadis tragique, la figure de l’ordre est devenue comique, car la classe dirigeante, nous apprend le texte, meurt finalement d’elle-même, de son exposition et de sa corruption. De son auto-érosion.

« On oublie souvent, déclara Raskine dans un interview, que Thomas Bernhardt est un survivant. Il aurait dû mourir à 18 ans dans un sanatorium ; les médecins n’ont jamais compris comment il a survécu à tant de difficultés d’ordre médical. Il a survécu. Je pense qu’il a mis la barre à une telle hauteur d’exigences qu’on est tiré vers le haut ».

Dans Le Président, en effet, la survie est à la fois un thème burlesque et le moyen de la satire. On répète souvent que la pièce a été montée pour la première fois au Schauspielhaus de Stuttgart en 1975, alors que s’ouvrait le procès de la bande à Baader. On se souvient moins souvent que cette année 1975 fut aussi celle où Thomas Bernhardt entreprit le premier volume de sa longue suite autobiographique avec son premier volet, L’Origine :

« Lui-même est incapable de transformer même en un seul instant de sommeil son état d’épuisement encore bien plus grand, l’état d’un blessé perpétuel », peut-t-on lire dès les premières pages de ce récit. Or c’est bien cette rencontre entre la comédie du pouvoir et la tragédie de la survie qui confèrent aux deux personnages de la pièce leur épaisseur toute particulière, toute bernhardienne, mais aussi plus classique, plus universelle qu’une simple pièce au motif politique : c’est ce que soulignent la mise en scène de Raskine, comme la performance des deux comédiens, sur le fil d'un bout à l'autre du spectacle. Un beau et vrai moment de théâtre, en ce moment-même à la Croix-Rousse.

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Marief Guittier  Photo © Loll Willems

Théâtre de La Croix-Rousse, jusqu'au 11 octobre 2013

mercredi, 27 mars 2013

Embolie

Il était seul dans l’appartement ce matin-là, quand le réveil sonna. Sept heures trente, presque : la perspective de retrouver le bureau, les dossiers, les collègues, après le long week-end qui venait de s’écouler ne le réjouissait guère. Cela traçait devant ses pas sur le parquet comme un sentier étroit, un obstacle à son réveil. Il se leva cependant, pâteux de l’esprit comme de la bouche. Un sentier qui le conduirait au bureau aussi surement que le soleil se lève et se couche, ou que toute trajectoire peut se réduire à la ligne droite.

Il avait ôté tous les vêtements de la nuit et s’apprêtait à enjamber la paroi de la baignoire lorsqu’une douleur fulgurante emplit la partie droite de sa poitrine. Il dut poser le pied sur l’émail et demeura un instant dans cette position stupide, une jambe dans la baignoire et l’autre sur le carrelage de la salle de bains, la main au thorax, le sourcil froncé et des larmes lui montant aux yeux.  Le cœur ? Cela se pouvait-il, sur ce côté-là ? A moins que cela ne fut nerveux, mais quelle obscure raison ? Sa première impression fut que c’était sérieux, très, même. Il parvint à sortir sa jambe gauche de la baignoire, entrevit son visage dans la glace. Eméché, pas rasé, l’animal.

Il ouvrit le robinet du lavabo, s’empara d’un gant et entama ce qu’on appelait jadis une toilette de chat, histoire de ne pas puer, au cas où.  L’évidence d’un pressentiment contre lequel il luttait tout en s’y abandonnant, qu’il aurait sans doute besoin d’être malgré tout présentable. Cette pensée le reconduisait au bureau. Pouvait-il s’y rendre comme cela, la chevelure aussi sale ? Il s’empara d’un flacon, fit couler avec sa paume droite de l’eau sur ses cheveux, de l’autre quelques gouttes de shampoing. Les bras ainsi levés, la douleur s’estompait. La fraîcheur de l’eau, juste ce qu’il fallait de mousse, le parfum du shampoing le rassérénait. C’était certes absurde de se laver les cheveux ainsi debout entre deux arrivées d’eau, mais il pouvait encore se dire que le train-train habituel n’était encore perturbé par rien qui serait définitif.

Pourtant, lorsqu’il se pencha en avant pour se rincer avec le pommeau de la douche, il crut défaillir, comme si la douleur revenue le poussait en avant dans la baignoire. Coup du lapin. Ce deuxième assaut eut raison de ses doutes : la douleur cette fois-ci ne passait plus. Appeler les pompiers ? Pour récupérer et passer  un à un ses vêtements, il économisa au mieux ses gestes et ses efforts. Les pompiers risquaient de tarder et comment entreraient-ils dans l’appartement s’il s’effondrait entre temps ? Téléphoner à un ami qui habitait non loin, c’était prendre le même risque. Il fallait pourtant agir, avec au-dedans cette douleur au côté droit dont il se demandait à présent si ça ne montait pas de l’estomac. Il emplit de croquettes le bol du chat, dans l’idée qu’il risquait d’être absent plusieurs jours.  Il se dit que le mieux était de ne déranger personne, ni ami ni pompiers, mais qu’il était urgent de quitter ce lieu où il n’était visible de personne.

En portant sa main au thorax, il descendit à petits pas les escaliers de l’étage. En poussant la lourde porte en bois de l’immeuble, il ressentit une très nette difficulté pour respirer. C’était sérieux, que croyait-il ? En même temps, l’idée que son corps le lâchât d’un coup ne lui était pas familière, comme l’étaient, par exemple, l’odeur et la chaleur de ce trottoir. Il pouvait bien faire  quelques pas encore, jusqu’à l’arrêt du bus d’en face, dedans il y aurait une place assise, et quelques arrêts plus tard, il serait en sécurité à l’hôpital. Il ne dérangeait ainsi personne, ne prenait pas le risque de se ridiculiser pour le cas où tout ça ne serait que crampes, et satisfaisait quand même aux injonctions de plus en plus pressantes intimées par son instinct de survie. Cet état curieux, froid, insensible, méthodique, qui n’exigeait que de l’efficacité. Ici, il était visible. Qu’il tombât, on le ramasserait.

C’était l’heure où chaque ouvrière de la ruche se rendait à son job. Lui aussi, ne s’y rendait-il pas ? Une partie de lui-même était en route, une autre assise là, sentait peser de plus en plus lourdement le poids de chaque instant,  avec la difficulté croissante pour se saisir d’un souffle nouveau. S’il voulait arriver à l’heure, il faudrait presser le pas. Ne lui venait nullement à l’esprit que sa journée avait déjà  bifurqué vers autre chose, même si très lucidement il attendait ce bus qui l’arrêterait juste devant l’hôpital Il se disait qu’après une consultation aux urgences, renseigné sur son état, ce ne serait qu’un minime retard. Avait-il sur lui son portable ? Tâtant les poches de son veston, il fut rassuré d’y palper son relief, son portefeuille également, sa carte vitale. Ouf. Malgré cette lourdeur écrasante dans la poitrine, il pouvait donc encore reposer sur quelques automatismes, compter sur eux, hein : que se serait-il passé si sa carte vitale n’était pas toujours dans son portefeuille, son portefeuille dans sa veste, et ainsi de suite. Son portable, pour prévenir tout à l’heure le bureau de son retard ? Euh Euh… Il devait être un peu plus de huit heures du matin, la rue emplie de bagnoles et de leurs klaxons, ça pue terriblement, les uns dans une file, les autres dans une autre, la même direction. L’air lui venait encore, bien sûr, nécessitant de sa part de plus en plus d’attention, de plus en plus d’efforts. Dès qu’il bougeait le bras, la  douleur dans le thorax s’engouffrait. Le bus ne venait pas. Pouvait-il tenter d’aller à pieds ? Au fond, l’hôpital ne se trouvait qu’à un quart d’heure de marche.

 

Quelques pas suffirent à le convaincre du caractère hasardeux de l’aventure. Il serait plus sage de se rasseoir et d’attendre, décidément. Qu’il tardait, ce foutu bus !  Son regard se posa sur ses carreaux du premier, juste en face. Ils étincelaient. La veille, il avait pris le temps de nettoyer toutes les vitres. Son regard se figea.  On venait  de l’arracher à ce lieu. Son lieu. Leur lieu. On ? Qui était ce on ? Il songea qu’il serait ridicule qu’il mourût au printemps, quand sa saison préférée était l’automne. Pourquoi, foutre, tout le monde est-il entiché de ce printemps ? Détestable est le printemps ! Le printemps n’est qu’un commencement, quand l’automne est la véritable origine, dans l’humus nourricier. Il regardait ces fenêtres, dont une force douloureuse entre ses cotes venait de l’extirper, le bus ne venait pas, personne qu’il connût aux alentours. Peut-être était-ce mieux qu’on ne le surprît point dans cette étrange situation. Interloqué, il songea à l’humus nourricier. Tous au trou, in fine. L’idée qui l’avait souvent fait sourire lui serrait à présent le cœur. A moins que ce ne fut le manque d’air. La pollution, partout. Là-bas, il reconnut le bruit de ce moteur contre lequel ils avaient souvent pesté en regardant la télé, fenêtres ouvertes. Le bus qui passait juste sous leurs fenêtres. Fallait-il la prévenir ? Inutile de l’inquiéter, non plus, avant d’être  sûr de quelque chose. Il fit un signe au chauffeur. Jeta un dernier coup d’œil aux carreaux sur lequel rebondissaient les rayons du matin. Pria pour les revoir, lorsqu’ils furent mangés par un tournant de la rue peut-être décisif. 

21:15 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : embolie, santé, littérature, nouvelle, croix-rousse, hopital | | |