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jeudi, 26 janvier 2017

Victor F de Laurent Gutmann

La première originalité du spectacle est qu’on ne sait au fond quand il débute : devant un grand rideau vert, Victor F (Éric Petitjean) se tient assis sur une chaise à l’entrée du public. Jambes croisées, il le contemple, qui prend le temps d‘arriver, de s’installer, de déposer sacs et manteaux. Il s’impatiente, zyeute de temps en temps sa montre, boit une gorgée d’eau et en conférencier pressé lance soudain : « Bon c’était prévu à 20 heures… » L’entrée de l’ami aveugle, Henri (Serge Wolf) lance sur le champ la première scène : le comédien raconte alors les premiers chapitres du récit de Mary Shelley qui servent d‘exposition, et je laisse au spectateur le soin de découvrir par quel facétieux procédé le récit cadre est ainsi mis en scène. Le ton est donné : L’adaptation de Laurent Gutmann écartera toute tonalité gothique pour laisser place à l’humour et à la citation décalée : on note, pêle-mêle, l’Aigle noir de Barbara ou Elephant Man de David Linch. Mais le parti pris humoristique n’ôte rien à la teneur métaphysique du roman, il n’est qu’un moyen ingénieux pour transposer, en l’épurant, l’interrogation qui parcourt toute la prose de Shelley du siècle romantique au nôtre, post moderne.

« L’homme avait plus de chance que moi », lance le monstre (Luc Schiltz) à peine né un peu plus tard, en écoutant le récit de la Genèse : Adam fut créé par un être certes sévère, mais capable au moins de le reconnaître comme fils. Tandis que lui ne fut créé que par un homme et sera donc voué à une solitude existentielle sans recours. La tentation /tentative de Frankenstein se propose ainsi comme une réduplication sur le mode burlesque d‘un acte originel qu’il aurait fallu ne jamais imiter, car il se révèle par essence inimitable. Mais nous nous découvrons nous, hélas, des animaux diablement mimétiques…  

Comme le souligne Laurent Gutmann, la faute principale de Frankenstein ne fut pas de se prendre pour Dieu, mais celle, qui en découle, de ne pouvoir en assumer les conséquences en reconnaissant sa créature à son image. Le nouvel Adam ne lui reprochera donc pas d’être né de lui, mais « de ne pas le reconnaître comme son fils, de ne pas assumer ses responsabilités de père », dit-il.

Cette lecture qui interpelle évidemment sur un plan théologique résonne aussi sur un plan politique et sociétal, à l’heure où les expériences sur le vivant et les projets transhumanistes postulent la « fabrication » d‘êtres voués à un orphelinat en quelque sorte consubstantiel à leur nature scientifique ; réincarné sous un masque qui prend le contrepied de Boris Karloff, ce nouvel Adam de Gutmann affirme ainsi haut et fort le caractère monstrueux de notre époque en nous rappelant que le bourreau vient toujours en souriant, et toujours pour piétiner l’amour.

Plastiquement, la mise en scène est très agréable, vive et pleine de surprises, comme cette représentation de la « Souveraine Nature » de Shelley sous la forme mi féérique mi ironique d‘une gigantesque carte postale helvétique. Les choix musicaux accompagnent le propos et forment un subtil contraste, entre le romantisme du lied Ständchen de Schubert et le rythme de la marimba de Sway. Dans le premier se murmure l‘impossibilité d’aimer et d’être aimé à laquelle Frankenstein a outrageusement condamné sa créature, dans le second s’affirme un  ironique contre-pied entre la fabrication du monstre en laboratoire et la conception d‘un enfant par les voies naturelles. Un spectacle subtil pour la raison et plaisant à l'oeil, à déguster à la Croix-Rousse jusqu’au 3 février. 

 

Victor F 
Mary Shelley / Laurent Gutmann
du 25 janvier au 03 février | 1h30

Théâtre de la Croix Rousse, LYON 04

jeudi, 12 novembre 2015

Faux prophètes à la pelle

Prem Pal Singh Rawat est ambassadeur de la paix dans le monde. Pour avoir croisé la route de ce triste sire durant ces fameuses années 70 dont on tente de nous vendre la légende rafistolée, je ne peux m’empêcher d’en dire deux mots sur ce blog. John Mac Gregor, qui fut un agent influent de la secte de Rawat durant presque 30 ans, en dit ceci  « Pour nous, il s'est produit quelque chose que peu de gens ont l'occasion d'expérimenter : les éléments du mythe se mettaient en place sur terre » De quels éléments parle-t-il ? De la paix. La paix sur terre. De la révolution promise par le nouveau millénaire à venir. Et d’un enfant, d’un simple enfant, venu de l’Est pour l’installer.

Lorsque j’ai croisé pour la première fois des disciples de Prem Rawat, en avril 75, ce dernier avait tout juste dix-huit ans. Depuis l’âge de sept ans, me dirent-ils, photos à l’appui, il enseignait à vivre en harmonie avec soi et les autres, grâce à des techniques de méditation dont on peut trouver la description ICI  Il descendait d’une lignée de maîtres dont la trace se perd dans le temps [lignée avérée bidon depuis], et était venu en Occident pour que les gens y vivent enfin en paix. Quoi de plus magnifique ? A l’époque, je lisais l’Evangile de Matthieu dont je me souviens avoir extrait cette phrase « La haine n’a pas d’avenir ». J’aurais mieux fait d’en extraire une autre, qu’on lira un peu plus loin. Dans la suite de sa confession, le même Mac Gregor, disciple repenti, écrit : « On ne peut pas dire que 50.000 personnes ont reçu la Connaissance aux USA (et des quantités équivalentes dans d'autres lieux) au début des années 1970 sans aucune raison. On ne peut pas l'expliquer que par des raisons négatives. (Nous étions jeunes, perdus, manipulés, etc.) Il y a eu une expérience : parfois c'était électrique, parfois océanique. Nous avions la certitude de vivre.»

C’est vrai. Nous avions une ferveur inouïe, la certitude de participer à un dessein qui méritait qu’on s’y dédiât corps et âme, je confirme. Je me souviens de ces paroles de Graeme Alwight, sans doute inspiré d’un discours de guru de cette même étrange et oubliée époque : « Le monde se prépare à un grand changement. Veux-tu aider ? Bénis sont ceux qui font un bond vers l’avenir ». 

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Prem Rawat, sacré maître parfait à l'âge de sept ans 

Rawat, alias Shri Maharaj Ji, alias « Seigneur de l’Univers », avait juré ses grands dieux que sa « connaissance » satisferait le cœur de tous ceux qui l’attendaient sans le savoir : nous étions en quelque sorte ces pionniers d’un monde nouveau, disciples de l’absolue transformation nécessaire de l’humanité. J’aurais oublié tout cela si d’une certaine façon, ces maîtres du « New Age » qui déferlèrent sur l’Occident à cette époque n’avaient pas depuis [mais d’une façon très différente que celle que nous imaginions alors] contribué à changer le monde depuis leurs villégiatures californiennes et à transformer, hélas, l’humanité.

Le guru en question s’est révélé à l’usage un parfait escroc, certes ! Ceux qui le fréquentèrent d’un peu près découvrirent assez rapidement qu’il ne respectait ni les « dix commandements » auxquels l’un de ses modèles avoués, le Christ, se référait pourtant, ni ne pratiquait la vénérable sagesse que l’une de ses autres références, Kabir, recommande à ses disciples dans ses propos d’un autre âge.  Ceux que cela intéressent peuvent visiter ce site, réalisé par d’anciens adeptes, pour en apprendre davantage à son sujet.

Ce qui m’interpelle des années plus tard, c’est que, Rawat, parmi d’autres prédateurs spirituels bien authentifiés, est devenu « ambassadeur de la paix », reconnu par des chefs d’Etat, alors qu’il a lamentablement échoué dans la mission qu’il s’était assignée. La paix ? Un monde en paix ?  Où ça donc ? A ce titre, il continue même à propager les mêmes « clés » sur un nouveau site (ici et ici) , à faire des conférences dans le monde entier et à charmer encore des milliers de gens, au nom du libéralisme libertaire devenu le bréviaire des puissants, cautionné comme ses pairs charlatanesques par des personnalités du monde politique, du show-business, de l’entreprise. Amma, son clone féminin, court elle aussi le monde, courtisant la même clientèle. La méditation, le yoga, le développement personnel, le contrôle de soi, autant de notions jugées il n’y a pas si longtemps communément sectaires et dorénavant partout parfaitement admises comme des clés du bonheur ou des ouvertures à d’autres horizons, y compris [surtout] dans ce qu’on appelle les classes moyennes supérieures mondialisées, prétendument évoluées et faussement progressistes. Les états ferment les yeux. Était-ce finalement ça, un divertissement pour oisifs fortunés, la paix que ce guru aussi opportuniste qu’astucieux parlait alors de répandre dans le monde entier ?

Songeant au discours eschatologique cité par Matthieu [XXIV, 24], je me souviens donc des propos du Christ sur « ces faux prophètes capables d’induire en erreur même les élus ». 

Certes, j’aurais appris beaucoup de ma traversée de cette secte, sur l’instinct grégaire, la fatuité spirituelle, les rapports de domination, la misère affective, le pouvoir de l’autosuggestion, les ravages de l'imaginaire débridé et de l'abandon de la raison. Sur le fait, également, que les maîtres du New Age ne brillent jamais par leur culture, mais plutôt par des techniques de fausse empathie et de réelle manipulation, et grâce à des soutiens logistiques importants, ceux là même dont disposent aujourd'hui d'autres redoutables et plus contemporains inspirés philanthropes, les théoriciens de l'homme augmenté ou du transhumanisme de la Silicon Valley, par exemple.

Mais j’aurais souffert longtemps de cet endormissement de la véritable foi, qui laisse dans l’âme [alors malmenée par l’orgueil spécifique de l’esprit sectaire qu’on trouve désormais un peu partout au point de se confondre même avec ce que certains nomment une culture de parti ou d’entreprise] de vives et grandes blessures. Surtout quand je pense à tous les humbles qui, depuis des siècles, ont fabriqué le monde commun dont tous profitent de manière aussi éhontée

Les faux prophètes ont ensemencé le monde post moderne de leur venin, au point que même François se croit parfois contraint de jouer au pape mainstream livré qu'est le monde au tourbillon du libéralisme planétaire et de l'œcuménisme religieux. Ce venin, je l’ai senti agir dans mes veines. D'autres l'auront senti, le sentent et le sentiront. Le détournement du désir de Vérité, de la soif d'Absolu, de la recherche de la Perfection, de  la quête d'Éternité, risque même de prendre des tours de plus en plus violents et radicaux au sein d'une société dont les dirigeants nient à ce point Dieu, dans un élan matérialiste aussi profondément marqué, évidemment. Il suffit pourtant, dans l’oraison ou la communion avec l’Eglise, de retrouver le sens intime du sacrifice parfait du Christ pour se réconcilier avec la grâce de l’alliance sereine et commune de l’homme avec Dieu. C’est le fil conducteur du monde et de sa tradition, devant lequel les multiples faux-prophètes ne sont, eux, que du vent.