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dimanche, 06 octobre 2013

Le Président de Michel Raskine

Au centre du texte  du Thomas Bernhardt et dans les propos du président lui-même se niche la comparaison entre l’art politique (le premier dans sa hiérarchie) et l’art dramatique (celui qui vient juste après, avant les Beaux-Arts et tous les autres): Le dispositif  imaginé par Raskine pour la mise en scène du Président, actuellement au théâtre de la Croix-Rousse, tient tout entier dans cette assimilation d’un art par un autre : le trône et l’estrade, lieux symboliques du pouvoir, se dressent devant les spectateurs entre deux vestiaires où deux comédiens (Marief Guittier et Charlie Nelson) vont endosser les peaux successives de leurs deux personnages : la Présidente, le Président. A leur côté, un troisième officiant, régisseur à la fois du palais et du théâtre, comme l’indique sa tenue. Et une multitude de petits pantins hauts de quelques centimètres afin de figurer les personnages secondaires, parmi lesquels la bonne de la présidente, le colonel victime du premier attentat et le masseur. Ce parti pris de théâtre dans le théâtre  culmine lors du dénouement lorsque, vêtu du même tee-shirt que le régisseur, Charlie Nelson contemple la mise en bière de son personnage sur l’estrade en bois comme s’il la mettait en scène, tout en jouant du saxo.

Le texte de Bernhardt n’a rien perdu de sa force depuis 1975, bien au contraire : «En chaque individu, il y a un anarchiste », y compris dans le Président et la Présidente, qui ont enfanté le Fils qui menace de les tuer. Y compris chez les militaires, les domestiques. Y compris chez les curés et les médecins, dont il est vain de croire qu’ils pourraient former un rempart contre  les risques galopants qui menacent le pouvoir. « Ambition, haine, rien d’autre » : c’est le fameux leitmotiv, auquel se rajoute « la peur » dans la bouche du président, qui hante la scène comme le palais et court d’un bout à l’autre du texte de l’auteur autrichien : survivre aux attentats qui déciment peu à peu le Régime et ses dignitaires, tel est donc l’enjeu de ce couple présidentiel qui justifie leurs monologues successifs, lesquels s’énoncent devant le spectateur telles deux longues phrases ponctuées autant que hachées par les répétitions : manière pour les personnages de communiquer leur isolement, leurs obsessions de se dire, et surtout leur incapacité à communiquer entre eux.

Survivre et non pas vivre, non pas régner : Jadis tragique, la figure de l’ordre est devenue comique, car la classe dirigeante, nous apprend le texte, meurt finalement d’elle-même, de son exposition et de sa corruption. De son auto-érosion.

« On oublie souvent, déclara Raskine dans un interview, que Thomas Bernhardt est un survivant. Il aurait dû mourir à 18 ans dans un sanatorium ; les médecins n’ont jamais compris comment il a survécu à tant de difficultés d’ordre médical. Il a survécu. Je pense qu’il a mis la barre à une telle hauteur d’exigences qu’on est tiré vers le haut ».

Dans Le Président, en effet, la survie est à la fois un thème burlesque et le moyen de la satire. On répète souvent que la pièce a été montée pour la première fois au Schauspielhaus de Stuttgart en 1975, alors que s’ouvrait le procès de la bande à Baader. On se souvient moins souvent que cette année 1975 fut aussi celle où Thomas Bernhardt entreprit le premier volume de sa longue suite autobiographique avec son premier volet, L’Origine :

« Lui-même est incapable de transformer même en un seul instant de sommeil son état d’épuisement encore bien plus grand, l’état d’un blessé perpétuel », peut-t-on lire dès les premières pages de ce récit. Or c’est bien cette rencontre entre la comédie du pouvoir et la tragédie de la survie qui confèrent aux deux personnages de la pièce leur épaisseur toute particulière, toute bernhardienne, mais aussi plus classique, plus universelle qu’une simple pièce au motif politique : c’est ce que soulignent la mise en scène de Raskine, comme la performance des deux comédiens, sur le fil d'un bout à l'autre du spectacle. Un beau et vrai moment de théâtre, en ce moment-même à la Croix-Rousse.

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Marief Guittier  Photo © Loll Willems

Théâtre de La Croix-Rousse, jusqu'au 11 octobre 2013

Commentaires

Merci pour ce billet

Écrit par : patrick verroust | dimanche, 06 octobre 2013

Du vieux vieux théâtre personnellement j'ai détesté. Raskine devrait faire son deuil des manies brechtiennes héritées de son ex patron Planchon.
Je préfère lire les textes de Bernhard. Et plus ses romans que ses pièces . C'est peut être pas mal vu le parallèle entre la tuberculose de Bernhard et l'idée de l'attentat terroriste mais c'est quand même anecdotique. Enfin de la psychologie de bazar selon moi. N'oublions pas que ce spectacle a été crée dans le cadre très officieux des Nuits de Fourvière pas question donc de trop accréditer des théories anars. Mieux vaut comme le fait Raskine s'attarder a la maladie d'enfance de l'auteur autrichien. C'est un peu restrictif. Bernhard pour moi est un vrai anarchiste. Qu'il le soit devenu pour des raisons de maladie je m'en fiche.

Écrit par : ladyMacbeth | lundi, 14 octobre 2013

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