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dimanche, 16 mars 2014

Quand on parle du Loup

Une mise en scène de Nino d’Introna, c’est avant tout une succession d’images, qui se construisent et se déconstruisent devant le spectateur, pour laisser place à une autre, et ainsi de suite : le tout devenant le  fil conducteur d’une histoire racontée. C’est la raison principale pour laquelle nous aimons ses spectacles. Il pratique un théâtre magnifiquement visuel, de création en création plus épuré.

Certes, il vous dira que le détour par le visuel est la façon la plus simple et la plus signifiante de s’adresser à son premier public, les enfants. Mais il sait bien aussi que la ruse de la théâtralité est toute là : l'émotion doit naître du visuel. C'est l'artifice le plus juste et le plus universel dont dispose un homme de théâtre pour raconter une histoire aux gens de tous âges, de toutes générations. N’était-ce pas le conseil d’Ariane Mnouchkine à Philippe Caubère : « parle leur comme s‘ils avaient sept ans. » ? 

Cette année, Nino d’Introna a choisi de parler du loup, de raconter le Petit Chaperon Rouge. Le propos est de décliner les deux versions du conte (celle de Perrault et celle de Grimm) selon les différentes interprétations d’une même chanson, le fameux My Way, qui devient une sorte d’unité de lieu, de temps, d’action.  

 My way, -entendez mon chemin, mon destin-, du point de vue du Petit Chaperon Rouge, c’est en effet le devoir écouter sa mère, dont les conseils sont souvent indigestes, d’assister sa grand-mère dans sa dépendance (thème très à la mode), d’affronter enfin le loup qui tente et séduit, de danser avec lui. Du point de vue du loup, c'est d'être à la hauteur de la peur qu’il inspire, et de porter la solitude qui découle d'elle. Du point de vue de la mère et de la grand mère, c'est d'assumer cette fonction parentale de plus en plus malmenée, la transmission.  En constituant une thématique commune aux personnages, My Way, - mon chemin, celui à quoi je dois me tenir sans m’égarer– est bien le centre de gravité de l’action.

My Way, c’est aussi le décor retenu, un chemin en Z qui est tout autant  scénique (lieu de l’action) que métaphorique (chemin de la vie).  My Way, c’est enfin la solitude finale à laquelle chaque personnage, chaperon, loup, grand-mère, est subtilement rendu à la fin : « Cette histoire raconte la répétition intergénérationnelle. Je me dis que peut-être la mère a déjà vécu la même peur, la grand-mère aussi, que c’est une transmission de prudence que chacune fera à son tour à sa propre fille, pour mettre en vigilance l’enfance contre les dangers de la vie. Il est inimaginable que l’homme puisse vivre sans la peur », explique Nino d’Introna.

 

Cette lecture personnelle du metteur en scène se construit harmonieusement à partir des dénouements divergents de Perrault et des Grimm (chez l’un la petite fille est mangée, chez les autres elle est sauvée par le chasseur qui ouvre le ventre du loup) : les deux sont en effet  interprétés, ce qui apporte au spectacle à la fois la distanciation indispensable du récit (ah le subjonctif imparfait et le futur de choir de Perrault !), et l’immersion dans le premier degré de la dramaturgie (le rideau de scène devenu loup, par exemple). Le classicisme du conte, aussi immuable qu'universel, s’exprime ainsi dans une forme à la fois jubilatoire, légère et émouvante qui fait mouche. Hier soir, le spectacle a été ovationné. 

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© Cyrille Sabatier

 

Quand on parle du Loup, TNG - du 15 au 22 mars

Une création de Nino d'Introna,

avec Maxime Cella, Angélique Heller, Hélène Pierre



vendredi, 08 février 2013

Everest

Nino d’Introna nous a habitués à la finesse d’exécution de ses mises en scène. Avec Everest, sa toute dernière création au TNG, il ne déçoit pas son public.

A l’origine, la commande d’un texte traitant du thème du père, que Nino d’Introna proposa à Stéphane Jaubertie (1). Ce dernier inventa un huis-clos à trois, un père, une mère, un fils. Une famille pauvre, chez qui l’on mange des oignons et des mini-saucisses, où on ne prit jamais le temps d’écouter sa « demande intérieure » ni, « jusqu’au plus loin de nos ancêtres » celui d’ouvrir un livre.

Entre le père qui s’évade régulièrement dans la forêt (« ma cathédrale à ciel ouvert », dit-il) et la mère qui sait ce qu’elle veut (« une chaudière neuve et qui vous change la vie », dit-elle), le fils unique qui grandit est le principal récitant du spectacle (« mes parents n’étaient pas méchants. Ils me faisaient du mal, mais gentiment », dit-il). Toute la mise en scène se construit autour de son point de vue, à travers des variations très subtiles de la taille de ses parents, qui alternativement diminuent et grandissent, par la grâce du théâtre d’ombres et de marionnettes. 

L'action se déroule sur et autour d’une table de cuisine, laquelle s’encombre peu à peu de livres. Car sans dévoiler le fantastique de l’intrigue, on peut dire qu’Everest est avant tout un apologue sur la nécessité de la littérature, « des sommets de la littérature », qui seuls permettent de retrouver dans un univers miniaturisant une taille d’homme et tout ce qu’elle représente métaphoriquement. La figure du père est donc plurielle puisque derrière lui se cachent celles des auteurs de la littérature universelle.

Sur le plateau, derrière un voile qu’animent des jeux de lumière, l’arrière plan, le hors-champ : la chambre nuptiale où le fils rêve de dormir, la salle de bains où la mère va pleurer, la forêt où le père se fait piquer par le serpent, la banque qui refuse de prêter l’argent, la maison du voisin où se déroule l’adultère, l’Everest, enfin, que le fils devra un jour conquérir.

Everest est un pari audacieux qui mêle la légèreté et la cruauté du conte initiatique pour suggérer en creux les menaces qui pèsent sur notre époque. Car le texte de Stéphane Jaubertie, non sans faire courir à la scène le risque d’un pesant didactisme, formule au fil des tableaux de multiples questions : la plus singulière aventure est-elle intérieure ou extérieure ? L’homme se doit-il plus à l’amour ou à la forêt ? Aux autres ou à lui-même ? Est-ce l’homme qui fait l’enfant, ou l’enfant qui fait l’homme ? C’est le talent de Nino d’Introna de créer à partir de ces thèmes généraux des visuels poétiques, avec le souci du détail dans les enchainements et le raffinement de la mise en espace qu’on lui connaît, non sans la précieuse collaboration de Patrick Nejean pour la musique et d’Andrea Abbatangelo pour la lumière.

 

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© : Cyrille Sabatier

Everest, de Stéphane Jaubertie, mise en scène de Nino D’Introna, avec : Angélique Heller, Cédric Marchal, Gabriel Hermand-Priquet en alternance avec Alain-Serge Porta 
TNG, jusqu’au 22 février.

1     C’est la troisième fois qu’il travaille avec lui, après,  Yaël Tautavel et Jojo au bord du monde

lundi, 31 janvier 2011

Terres

Deux personnages marchent en direction d’une « terre jaune », une terre idéale dont l’un d’entre eux, Kétal,  se dit persuadé qu’elle existe. C’est celui qui déambule devant. Derrière, Aride, un plus petit, qui porte le plus lourd bagage et se plaint : « C’est encore loin ? » Ainsi débute Terres, la pièce de Lise Martin que Nino d’Introna vient de créer au TNG de Lyon.

Très vite les deux hommes découvrent cette terre jaune (Israël ? L’Ouest Américain ? Le paradis perdu ?) puis en prennent possession, malgré la mention propriété privée inscrite en lettres capitales dessus. Le (les) propriétaires déboulent bientôt, en revendiquent eux aussi la propriété. Et c’est la guerre. Le texte de Lise Martin demeure suffisamment simple, ouvert et allégorique pour intéresser le jeune public auquel Nino d’Introna s’adresse aussi dans son théâtre.

Ce qui est surtout et constamment captivé ici, c’est l’œil. Car cette terre jaune, qui n’est qu’Idéal, la scénographie la fait vivre au gré de la marche et des stations des acteurs dans un carré de couleur. C’est du visuel minutieusement réglé.

A lire la direction d’acteurs, on comprend que le choix de Nino d’Introna fut de mettre en scène avec le plus de légèreté possible le caractère incessamment belliqueux de l’espèce. Du public. Même petit. Même tout petit : Le spectateur peut ainsi découvrir  à un tournant du spectacle que la scène est dans un bac à sable.  Et tout le spectacle converge alors vers une image finale, belle trouvaille, vraiment, pour éclairer d’un nouveau jour le titre de la pièce et l’allégorie qui la sous-tend.

Impossible de ne pas songer alors  à Rousseau : « Le premier qui, ayant enclos un terrain s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. »

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Dans un entretien avec Blandine Dauvilaire, journaliste à Théâtre contemporain.net, Nino d’Introna révélait en janvier 2010 : 

« Je pense qu’en réalité, tout ce que l’on voit chez les hommes dans la société actuelle, se trouve déjà à l’origine de l’humanité, c'est-à-dire dans la petite enfance. Il y a finalement peu de différence entre cette folie qui consiste à vouloir posséder une terre ou une femme, et deux enfants autour d’un bac à sable qui se battent pour la propriété d’un seau. Sans batailles, l’humanité ne pourrait probablement pas exister. Mais je n’ai pas de solution, alors j’ai envie de montrer que la propriété est la base de la relation. »

Terres, de Lise Martin, mise en scène de Nino d’Introna, avec Maxime Cella, Thomas Di Genova, Alexis Jebeile, Sarah Marcuse.

TNG, Lyon 9ème -  jusqu’au 5 février 2011 

 

06:03 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : nino d'introna, théâtre, tng, lise martin, terres, lyon | | |