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vendredi, 12 février 2010

La haine de la littérature

« La haine de la littérature est la chose la mieux partagée au monde » (Flaubert)

Cette phrase est d’une lucidité fascinante, terrible, presque d'acier. S’y lit d’abord une exigence absolue, celle qui anima le styliste hors pair que fut l’écrivain Flaubert dans l’arrachement douloureux et besogneux de son écriture devenue, à force de pratique, force consciente d’elle-même. Et c’est vrai que la haine de l’exigence (je ne parle même plus de l’exigence littéraire) dans une société qui a fait de l’égalitarisme condescendant et démagogique son credo de base et sa seule façon d’éviter la guerre civile, est une des choses le plus communément admise. Jamais la haine de l’exigence ne fut chose aussi partagée que dans la société du tout se vaut mise en place depuis quelques quarante ou cinquante ans.

Ainsi, éditeurs, professeurs de français, animateurs d’ateliers d’écritures, ministres de l’éducation nationale, animateurs de centre social, libraires, académiciens, publicistes, auteurs de bande dessinées, footballeurs, cadres supérieurs, techniciens en informatique ou en sciences de l’éducation, pharmaciens, présidents de la République, critiques littéraires, psychiatres, linguistes, sociologues, journalistes, épiciers, chanteurs de variétés et parents d’élèves - et surtout écrivains ou écrivaines-  sont-ils tous, à des degrés divers et pour des raisons diverses, ennemis de l’excellence, et particulièrement de l’excellence littéraire. Parce qu'ils sont amis, et amis souvent fort intimes, de l'imposture littéraire.

Il n’y a que le solitaire, qui se recrute occasionnellement chez l’une ou l’autre des espèces citées plus haut, il ne reste que le solitaire ou la solitaire pour être capable de ne pas rejoindre la cohorte de ceux qu’anime cette haine, parce qu'au sens propre, la littérature l'a aidé d'abord à survivre, et puis peut-être à vivre. Un solitaire aimant des Lettres, vous en trouverez également chez un éditeur, bien sûr, un professeur de français, un animateur d’atelier d’écriture, un ministre d’éducation nationale … Eventuellement (mais de moins en moins) chez un auteur ou une auteure de renom.(1) N’importe lequel d’entre nous peut le devenir, ce solitaire-là avant de retourner à ses occupations mondaines. Occupations mondaines qui feront de lui à nouveau, et peut-être surtout s’il travaille dans le secteur littéraire, le pire ennemi de la littérature. C'est qu'il faut bien, comme le disait le bon Zola, gagner sa vie.

 

Se lit donc dans la phrase de Flaubert, outre cette lucidité terrible, une conscience à la fois grandiose et désabusée du cœur humain.

Et c'est pourquoi me semble-t-il, cette phrase demeure quelles que soient nos indignations respectives et nos « efforts » pour « lutter contre » la réalité qu’elle pointe du doigt tragiquement vraie. Je vais proférer un lieu commun : L’homme a besoin de reconnaissance. Or, pour aimer la littérature, il a besoin d’être reconnaissant à son égard. Combien d’entre nous le sommes-nous réellement ?

 

 

 

Commentaires

Mystérieux votre (1)!
Bon, oui. La haine est assez répandue.

Écrit par : Sophie | vendredi, 12 février 2010

@ Sophie : Ah ! Tiens ! Oui : le contenu de la note n'est pas passé avec le reste dans le couper coller (j'avoue ; je fais des vilains couper/coller sur Word ). Et vous savez quoi ? j'ai oublié ce que c'était que ce contenu..
Tant pis. Soyons énigmatiques.
Il est tard. Je vais me coucher.

Écrit par : solko | vendredi, 12 février 2010

Parfait! Soyons énigmatiques! Bonne nuit! Moi aussi!(je vais me coucher!)

Écrit par : Sophie | vendredi, 12 février 2010

Ce qu'il y a de fascinant dans l'exigence littéraire, dans ce que le tout venant démocratique regarde avec condescendance (et sur ce point je vous rejoins sans réserve (j'allais écrire : à 200% comme on dit aujourd'hui pour bien signifier qu'on est enthousiaste. Les chiffres, c'est bien connu, disent mieux qu'un long discours. Surtout pour les troupes d'illétrés qui revendiquent désormais leur ignorance)), ce qu'il y a de fascinant, dis-je, chez nos grands auteurs, c'est que malgré la distance esthétique qu'ils ont mis entre eux et nous, la hauteur de leurs vues, ils sont les demeures les plus accueillantes. Celles où nous savons nous (re)trouver. J'aime à dire que quand nécessité fait loi et que du monde je veux me soustraire, je rentre à la maison : je lis Proust. Et c'est bien là l'essentiel.
Quant à la soumission de la littérature à des impératifs économico-narcissiques, il n'est qu'à rappeler que La Bruyère en son temps n'aurait pas supporté qu'on lui donnât le titre d'écrivain, comme s'en prévalent aujourd'hui des histrions télévisuels.
Vous avez donc bien raison quand vous soulignez que les premiers fossoyeurs de la littérature sont les "auteurs" eux-mêmes. Ceux qui en vivent, ceux qui veulent en vivre, coûte que coûte. Et voici une question pour votre esprit plein de sagacité :
faut-il vivre de la littérature ?
Puis une deuxième :
vivre de la littérature, est-ce faire vivre la littérature ?
Bien à vous.

Écrit par : nauher | samedi, 13 février 2010

Evidemment, si vous prenez Flaubert pour référence ! Prenez plutôt Nothomb ou je ne sais qui, affirmez fortement qu'ils sont la littérature et l'exigence demeure, mais à la portée de tous ! C'est tellement simple, pourtant, Solko !

Écrit par : Pascal A. | samedi, 13 février 2010

@ Nauher : Assurément - nous en avons la confirmation en regardant les écrans et les vitrines des libraires, la représentation que le pouvoir global se fait de la littérature et, à travers les médias, en livre au public, fait que vivre de la littérature, ce n'est pas faire vivre la littérature mais bien plutôt vivre de l'industrie médiatico-littéraire, si l'on veut, comme ailleurs on vivrait d'une autre industrie. Dans un tel milieu, il n'est guère possible de garder une exigence littéraire sans se condamner à une sorte d'exclusion. Par conséquent, "il ne faut" pas vivre de littérature, en effet.
200% & + d'accord avec vous.

Écrit par : solko | samedi, 13 février 2010

Cette haine de la littérature rejoint le déni du réel. Quand on ne veut plus de la réalité et de ses impossibles, qui impliquent ses possibles, comment peut on aimer et cultiver ce qui imprime en nous sa morsure?
Billet très juste pour notre temps.

Écrit par : Marie-Hélène | samedi, 13 février 2010

@ Marie Hélène : Le déni du réel et donc le déni de soi.

Écrit par : solko | dimanche, 14 février 2010

Ennemis de l'excellence, littéraire précisément,comme le sont toutes ces émissions sur France Télévision - à tf1 pour des raisons moins avouables, on est plus cohérent- qui prétendent cerner une œuvre en un tour de table... A quand des coupures publicitaires en plein débat ?...

Écrit par : Mouloud des Aiguades | lundi, 15 février 2010

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