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samedi, 13 février 2010

La Logique, royalement

Un drôle de hasard m’avait conduit chez ce bouquiniste ; je cherchais un ouvrage d’Adorno, et je tombe sur La logique de Port Royal. Et ce fut un raccourci saisissant : de la culture de masse et de sa critique, si l’on peut dire, à la culture du solitaire et de sa raison. Et je vis en un éclair la façon dont nous étions passés d’une société où la culture permettait avant tout aux individus de cultiver leur solitude – dans le silence de leurs lectures ou dans celui de leur écriture (ah, la haute image de Racine coiffant tous ces rayonnages, tandis que d’un pas feutré sur le parquet grinçant, d’autres clients vaquaient  autour de moi !)  - à un  monde où la culture, sous la garde de ses sbires diplômés - ne sert plus qu’à socialiser des individus, lesquels n’ont plus (semble-t-il) le moindre goût pour la solitude.

Et je demeurais accroupi, à feuilleter cette édition ancienne de la Logique de ces Messieurs, comme il se disait à l’époque, à badiner avec moi-même devant la construction juste ou fausse de leurs syllogismes d’un autre siècle. J’en oubliai Adorno –ma foi, tant pis !  Le brave et bon Adorno, qui condamna l’Aufklärung pour avoir cru en la valeur émancipatrice de la  Raison, sans avoir saisi quel instrument de domination  redoutable cette dernière était par ailleurs, dès lors qu'il s'agissait d'asservir, d'aliéner (d'acculturer, somme toute)  les populations.

Dehors, le soir tombait. Une odeur de barbe à papa, aussi séduisante par sa vivacité que répugnante par son uniformité, me tarauda sans ménagement la narine. Impossible de le dire (ni comment, ni pourquoi) : en contemplant les vitrines, les passants, leurs habits, leurs regards, il me sembla (une fois de plus) que nous étions jusqu’à la mort victimes de cette culture de la résignation à laquelle je ne peux me résoudre, bien que je sois immergé dedans, et nourri d’elle. Je pressai le pas pour rentrer chez moi.

Rien de tel, alors, que d’exercer son esprit à un vieux syllogisme de nos parfaits logiciens pour s’en extraire, ou s’en donner l’effet, quelques instants.

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18:55 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : adorno, logique de port-royal, littérature, société | | |

Commentaires

Ah, Port Royal et la solitude... Je suis justement pongé dans les Pensées de Pascal (il n'est jamais trop tard pour bien faire, n'est-ce pas?)

Écrit par : Feuilly | dimanche, 14 février 2010

@ Feuilly : L'un des plus bel antidote (ou contrepoison) à la novlangue, quel que soit par ailleurs sa propre position par rapport à ce qu'il dit.

Écrit par : solko | dimanche, 14 février 2010

Ah, "cette chère solitude que le propre des sots est de redouter"...(Villiers de l'Isle-Adam, "L'Eve future"). Par une étrange association d'idées, je pense aux jardins ouvriers. Je ne sais ce qu'il en est de Lyon, mais il en reste quelques uns à la périphérie de Marseille. L'ouvrier pouvait, à proprement parler, "cultiver son jardin secret", c'est-à-dire garder le contact non seulement avec la nature (rappel de cette campagne dont il était bien souvent originaire) mais aussi avec son être intérieur. C'était pour lui l'occasion, entre deux pieds de tomates, d'oublier la machine et de se retrouver, dans un plaisir certes solitaire mais néanmoins partagé lors de discussions avec le jardinier amateur d'à-côté, par-dessus un vieux grillage rouillé à demi défoncé par quelque renard, ou bien lors du partage du fruit de modestes plantations. La ville moderne a peu à peu effacé de son paysage ces petits jardins, au profit de "lieux de plaisirs" bien plus obscènes que le plus miteux des lupanars (j'entends par là les zones consuméristes et autres complexes qui n'ont plus de cinématographique que le nom). Comme l'a écrit Ernst Jünger dans "Eumeswil", "les forêts nous donnent nos modèles élémentaires, les jardins nos modèles sociaux". La disparition des jardins ouvriers témoigne de la nature de notre société, et cela me paraît aller dans le sens de vos propos.

Écrit par : Le Photon | dimanche, 14 février 2010

Vous savez fort bien, Solko, que la solitude est un rendez-vous avec soi, une lutte avec l'ange et le démon que nous connaissons en nous, une forme de lucidité (dé)flagrante et que, comme l'écrivait René Char, que vous connaissez fort bien, "la lucidité est la blessure la plus proche du soleil". Nous n'en sommes plus, loin s'en faut, à une fuite hors du monde. Il faut être dans le monde, encore et encore, à défaut d'être AU monde. Surtout ne pas avoir mal, jamais. Ce qui, bien sûr, ne laisse pas d'inquiéter car on ne peut infiniment, à moins de se réduire à l'animalité la plus crasse, refuser le combat qu'engage en nous notre propre humanité et auquel participe la lecture et son silence.

Écrit par : nauher | dimanche, 14 février 2010

@ Photon : Il en reste quelques humbles vestiges, sur les contreforts de Loyasse ou de Gorge de loup, encore que je ne sache pas qui les cultive ni à qui ils appartiennent, et ce qu'ils ont donc encore d'ouvriers. En tout cas ils apportent oui, quelque chose au paysage lyonnais qui, sous les belles lumières printanières, prend à certains endroits grâce à eux quelque chose de napolitain.
A Villeurbanne, où beaucoup d'immeubles et parfois de villas ont été détruites, on a créé des horreurs innommables, sortes de terrains vagues appelés (encore un truc de socialistes) "les jardins pédagogiques". Ils restent "pédagogiques" quelque temps,avant d'être cédés à des promoteurs immobiliers.
A la sociabilité des jardins pédagogiques, nous préférons donc la solitude - au moins symbolique - des vieux jardins ouvriers.

Écrit par : solko | dimanche, 14 février 2010

Ce livre devrait être interdit. Lisez Guillaume Nothomb, Amélie Moix ou Yann Musso !
Vieilles lunes tout ça ! Poubelle ! Passez muscade !

Écrit par : Pascal Hop | dimanche, 14 février 2010

@ Nauher : Je me souviens fort bien avoir suivi avec beaucoup d'intérêt un cours de stylistique de Pierre Cahné sur René Char à la Sorbonne, dans lequel des lectures comparées des fragments de Pascal et de ceux de Char mettaient à nu la filiation, sans équivoque de l'un à l'autre. Il est certain que les seuls aphorismes de "Fureur et Mystère", et spécialement ceux d'Hypnos, s'ils donnent à lire ce que fut la transmutation de l'expérience du maquis en expérience poétique, ne nous permettent guère de nous faire une idée de ce que fut l'expérience du maquis quand il n'y avait pas transmutation. C'est à dire, sans doute, la plupart du temps. Et c'est là que la lecture de Pascal, comme la reproduction de La Tour, d'ailleurs, eurent leur rôle à jouer sans doute.
Pour ce qui est de la "transmutation poétique" du monde contemporain en quelque chose de lisible, voire de beau, il est certain que la fréquentation intime et silencieuse de notre propre humanité (puisque c'est nous les vivants désormais) a un rôle majeur à jouer, et que le retraite volontaire - et presque dénaturée au regard du monde - est essentielle à sa réussite, comme à notre survie.

Écrit par : solko | dimanche, 14 février 2010

@ Pascal : Surtout pas interdit : il ferait trop parler de lui. Vaut bien mieux en laisser dormir quelques exemplaires au fond de bibliothèques oubliées, non ?

Écrit par : solko | dimanche, 14 février 2010

Petite précision concernant les jardins ouvriers : les 3/4 des jardins présents sur la colline de Fourvière du coté de Gorge de Loup, de Trion ou de Loyasse appartiennent à la ville de Lyon. Ce ne sont plus vraiment des jardins dits ouvriers (fini la Rhodia !), mais jardins familiaux (familles modestes & nombreuses) ... Quoiqu'il y ait beaucoup de retraités ! Il en existe aussi plus discrètement à Montchat et à Gerland. La liste d'attente est très longue, en moyenne 3 ans, pour obtenir son lopin... Et ensuite il faut le cultiver : pas de pelouses ni trop de fleurs : du légume et des fruits...

Quant à la Logique, écrite par le Grand Arnauld et son bras droit Pierre Nicole, il est un des grands livres de Port-Royal Il ne s'agit cependant pas d'un ouvrage religieux, comme Arnauld savait en écrire. Un ouvrage à la gloire de la pensée, de sa structuration, de la sémiologie, et de la représentation. En tout cas, l'édition en photo parait sympathique.

Écrit par : Y. | lundi, 15 février 2010

Char et Pascal. Ponge et Malherbe (un superbe "Pour un Malherbe" en 1965). Et après, on vous dira que le passé ne sert à rien. Fadaises.

Écrit par : nauher | mardi, 16 février 2010

@ Y : Lu sur votre blog votre article sur le musée des médailles. Effrayant. Le patrimoine historique (comme le patrimoine populaire puisqu'il est question des jardins ouvriers)est partout bradé. Voir ce qui arrive au monastère de Saorge, à l'Hôtel-Dieu de Lyon...
Désastre culturel, et politique. Nous n'avons pas de quoi être fier de cette putain d'époque.
Cordialement.

Écrit par : solko | mardi, 16 février 2010

Lu aussi l'article sur les menaces de fermeture du plus ancien musée de France. Le capitalisme financier n'a pas fini de faire des dégâts. Lu aussi d'autres articles sur le blog (Des)illusions, notamment sur le livre électronique. La liste n'en finit pas de s'allonger des blogs à lire absolument...

Écrit par : Michèle | mardi, 16 février 2010

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