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dimanche, 20 novembre 2011

Corneille de poche

On ne m’a pas élevé dans le culte forcené de l’enrichissement, mais dans le simple respect de l’argent. Tout billet gagné représentait un effort quotidien, dans ce temps-là de mon enfance. Je ne reverrai jamais, devant les colonnades du théâtre du Château de Versailles, le buste de Corneille, coiffé de sa mince calotte et nanti de sa fine impériale, siégeant au centre de trophées d’armes et de bouquets de fleurs blanches, bleues et roses, sans me représenter aussitôt le visage de ma grand-mère maternelle qui, lorsqu’elle m’en tendait un, prenait pour le toucher infiniment de précautions. Surtout s’il était neuf, et, tel une bûche dans l’âtre, s’il bruissait encore du secret sortilège de sa fabrication dans les imprimeries de la Banque de France. Le craquer, comme on disait à l’époque, ou mieux, le flamber, c’était vraiment détruire quelque chose. Il y avait bien comme cette superstition dans son regard bleu, derrière ses modestes lunettes. Elle me le tendait quand même, refusant de connaître l’usage que j’en ferai.

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Un cent francs Corneille, pourtant, ne figurait à cette époque qu’un cinquième de ce fameux Pascal, dont je ne me souviens guère avoir vu traîner chez moi l’effigie sur un coin de table. C'est qu'un Pascal représentait en pouvoir d'achat quelque chose comme quatre mille francs, et un Corneille sept cents, à cette époque-là. Le cent francs Corneille vit le jour en 1964 et fut retiré de la circulation en 1979, ce qui lui fit une durée de vie de quinze ans. Somptueux teen-ager, qui ne connut jamais la gauche au pouvoir, mais qui vibra avec tout un petit peuple dans les belles espérances de l'avant-Mitterand.

Dans la longue et belle dynastie des billets de cent francs, l'auteur de l'Illusion Comique se glisse entre un empereur (Bonaparte) et un peintre (Delacroix). Cela tombait bien, lui qui, d'Auguste à Néron,  peignit le caractère de tant d'empereurs sur la scène.  « Prends un siège Cinna... Rome, l'unique objet de mon ressentiment... cette obscure clarté qui tombe des étoiles... »

La présence du dramaturge dans le porte-monnaie de chacun, n'était-ce pas aussi la lumineuse trace de l'existence, dans l'esprit de chacun, et ce même sous la forme de ritournelles ressassées, des vieux hémistiches scolaires qui s'y étaient logés ? Le buste de Corneille sur un billet de cent francs rappelant mieux que n'importe quel sermon la primauté intellectuelle des Belles-Lettres et celle du théâtre sur le monde grossier de la finance, et la pérennité de la langue classique sur la misère de la nov'langue.

00:01 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, corneille, billets français, anciens francs | | |

Commentaires

C'est vrai que les francs étaient plus beaux que les billets froids et impersonnels de l'Euro. Maintenant, quand on parle de Corneille, un djeun dira "ben c'est un chanteur quoi". L'argent n'a d'importance que s'il permet plus de libertés. Actuellement, il n'y a que ça comme valeur et idéal.

Écrit par : Amaury | lundi, 21 juillet 2008

@ Amaury : La monnaie est un signe, comme le mot. On peut examiner les connotations, les dénotations d'un billet, comme on le fait avec des mots. C'est ce à quoi je m'amuse dans cette rubrique des Derniers Francs. Le fait qu'il n'y ait pas de visages humains sur les billets en euro, quelle qu'en soit la raison, est révélateur de l'abandon de la tradition humaniste dans l'Europe libérale. La laideur de ces billets est particulièrement remarquable.
Bien à vous.

Écrit par : solko | lundi, 21 juillet 2008

Vos amusements sont très agréables Solko. Agréable n'est pas le mot que je cherche en fait mais il m'échappe. Je pense que vous le trouverez sans peine. Beau billet pour un que je n'ai pas connu...

Hum, juste un bémol: il doit y avoir quelque sublime à extirper de la finance actuelle malgré tout. Il manque un Balzac à l'époque voilà tout... Assertion gratuite d'un charlot qui n'a pas lu le 1000ème de la Comédie humaine. D'ailleurs je ne bé&molise pas vraiment, il manque des hommes - ou la foi? - pour affirmer la suprématie de la littérature sur la finance, en permettant à celle là de rehausser celle ci, de se dépasser...

A bientôt, et en effet la prochaine fois que je viens hanter le vieux lyon je vous ferai signe avant dans l'espoir de vous rencontrer.


Très chaleureusement, du fond du Finistère, en vous souhaitant de belles journées,

Tanguy

Écrit par : Tang | mardi, 22 juillet 2008

"Le désir s'accroit quand l'effet se recule" : là, franchement, dans un billet aussi sérieux, aussi nostalgique ! Pourquoi pas "et sur la plaie cent fois le fer a repassé ?" ou l'immortel
"Il sortit de la vie comme un vieillard en sort" ?

Écrit par : Porky | mardi, 22 juillet 2008

@porky : les bévues - conscientes ou non - de Corneille font partie de sa langue, que diable ! de son charme, en tout cas.
@Tang : Finistère ! Quel chanceux. Si le fin fond du Finistère c'est l'ïle d'Ouessant, saluez de ma part les lumières du Creac'h... Merci de votre commentaire et à bientôt.

Écrit par : solko | mardi, 22 juillet 2008

Le cent francs Corneille était contemporain du dix francs Voltaire (1963-1973), alors ?
Retiré de la circulation il y a donc trente ans (1979), il me semble pourtant "encore le voir", comme dirait mon ami Feuilly.
Le Pascal je me demande si j'en ai vu. A part un dans la neige.

Et je prends véritablement conscience qu'il "n'y a pas de visage humain sur les billets en euros", l'abandon, dites-vous de la pensée humaniste dans l'Europe libérale.
Merci de cette réflexion combien enrichissante :-) sur les Anciens francs, les Derniers francs.

Écrit par : Michèle | samedi, 13 juin 2009

@ Michèle :
Sur les billets en euros, non seulement vous ne trouverez pas de visages humains, mais pas non plus de dessins de bâtiments réels.
C'est le sacre de l'Europe virtuelle.
Hélas !

Écrit par : solko | samedi, 13 juin 2009

oui, je concorde avec vous tous.
J'ai toujours trouvé les billets des années 1960/80 beaux, avec leurs couleurs automnales (à comparer avec ceux de nos voisins à l'époque), surtout le voltaire (d'une moindre valeur et je vous laisse le soin d'écrire à son sujet).
Aujourd'hui, oui, ils sont froids, impersonnels (ne reflètant même pas la culture européenne), virtuels,... et sans valeur !

Écrit par : FOurs | dimanche, 20 novembre 2011

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