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mercredi, 10 février 2010

L'Oeil du berger

La circulation de monnaie divisionnaire était constituée, avant guerre, de pièces de nickel de 5 francs et de pièces d’argent de 10 et de 20 francs. Parmi les billets, la plus petite valeur faciale était un billet de 5 francs qui datait de 1917. A la suite de la mobilisation, la Banque dut faire face à la demande croissante du public, puis à la nécessité de retirer le plus rapidement possible les marks d’occupation. Elle créa alors plusieurs billets de format très réduit, dont le plus petit de son histoire : un billet de 5 francs que Clément Serveau réalisa à Villeneuve-sur-Lot. Il était illustré du portrait d’un berger pyrénéen dans un décor de montagne. En filigrane, le profil de Bernard Palissy.

berger1.jpg

Curieux choix : celui d’une sorte de consolation, coulant comme l'eau vive, de toute évidence. Comme s’il fallait, après le feu de la débâcle, offrir aux Français d’alors l’image d’une mélancolie révolue et localisée à l’extrême, une image faite de rondeurs dans laquelle le passé du pays affleurerait et insérerait, dans leurs poches et dans leur imaginaire, une teinte susceptible d’amortir la douleur : ce bleu et ce vert venus des champs et pesant d’une égale lumière, d’un même poids, celui des racines. Le bâton semble un appui sûr au berger qui a posé dessus ses doigts noueux. Du Séguéla et de la force tranquille, déjà. Du Mitterrand avant l’heure. L’efficacité du rustique et la promesse des bas de laines : voyez comme est dodu le ventre bleu de ce faible chiffre, le plus humble de la gamme, malgré tout majestueux. Suivez le berger.

berger2.jpg

 

Pour comprendre la poésie toute particulière de ce billet-ci, il faut le retourner et observer à son verso avec quelle sureté le volume de chaque fleur fut tracé, le relief de chaque pétale profilé. Avec quelle minutie le pinceau a déposé la teinte. Et dans quel but ? Et pour quel acte déjouer ? Quel profanateur évincer ? Dans ce décor floral et mièvre, une Agenaise coiffée de sa coiffe traditionnelle, les épaules recouvertes d’un châle mordoré, veille. Veille également. Très peu de lettres, mais quelles ! La Banque de France s’y affirme seule propriétaire des lieux : ce visage luisant ni vraiment beau, ni vraiment laid, dont on ne sait trop s’il est celui de l’homme ou de la femme, ne serait-il pas en vrai son allégorie la plus provinciale ?

L’œil qui chercherait à échapper aux senteurs confinées dans ce rectangle-là ne trouve là, pour tout songe, qu’un autre rectangle bleu, celui où la loi se rappelle.

L'oeil du Berger ...

06:16 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : billets français, clément serveau, villeneuve-sur-lot | | |

Commentaires

Le choix des Pyrénées n'est peut-être pas anodin. C'est le lieu le plus éloigné de la frontière allemande et c'est aussi une frontière naturelle infranchissable, histoire de rappeler le bon droit des Français sur leur propre territoire. Indirectemeent, c'est une manière de suggérer que la victoire, finalement, ne pouvait être que de notre côté, que c'était dans la nature des choses.

Écrit par : Feuilly | mardi, 09 février 2010

"Voyez comme est dodu le ventre bleu de ce faible chiffre, le plus humble de la gamme, malgré tout majestueux".
Je suis toujours fascinée par cette lecture d'image que vous faites. Je devrais m'obliger à un exercice de cette sorte : avant de vous lire, voir ce que j'en dirais moi, du billet.
Merci en tout cas, vraiment, du plaisir pris à lire ce billet sur le billet. Et de tout ce qu'on y apprend.

Quant à l'interprétation de Feuilly, judicieuse, comme toujours (si je puis me permettre).

Écrit par : Michèle | mardi, 09 février 2010

Très belle lecture, Solko, et merci de nous la transmettre...
""ce visage luisant ni vraiment beau, ni vraiment laid, dont on ne sait trop s’il est celui de l’homme ou de la femme " un tel visage, avec cette teinte d'indéfini, comme le pronom "on", n'est-il pas le plus fédérateur des visages ?
Pas d'opposition beau/laid, pas d'opposition homme/femme...
Je ne sais pas si Feuilly est toujours judicieux, je ne le connais point assez en profondeur pour dire cela, mais là, je dis, oui, très bien vu cette allégorie des pyrénées tel un inexpugnable rempart de la forteresse France.

Écrit par : Bertrand | mercredi, 10 février 2010

Feuilly non seulement toujours judicieux, mais extêmement fin, comme toi, cher Bertrand. onBen nourjée à ito (je te salue en charmillon à défaut de savoir le faire en polonais).

Écrit par : Michèle | mercredi, 10 février 2010

En polonais, ça donnerait "Miłego dnia"....qu'un de mes visiteurs, n'arrivant pas à dire ce satané l barré, prononçait "mes bégonias", et ça marchait quand même, en disant vite...
Donc mes bégonias à toi aussi..

Écrit par : Bertrand | mercredi, 10 février 2010

Prochaine étape de cet apprentissage linguistique : le charmillon en polonais (ou le polonais en charmillon) - avec ou sans l barré....

Écrit par : solko | mercredi, 10 février 2010

@ Feuilly : A propos de ce point de vue sur les Pyrénées, Roland ne peut qu'être d'accord et applaudir des deux mains...

Écrit par : solko | mercredi, 10 février 2010

Belle interprétation, en effet.
Avez-vous remarqué, Solko, que la menace judiciaire peuvent se lire comme trois vers de 7, 7 et 5 syllabes. Des vers impairs... Fichtre du Verlaine dans l'administration !

Écrit par : nauher | mercredi, 10 février 2010

Je corrige : "PEUT se lire".

Écrit par : nauher | mercredi, 10 février 2010

@ Nauher : Le virus vous gagne. Vous entrez peu à peu dans la compréhension de l'inexprimable poésie des billets.

Écrit par : solko | mercredi, 10 février 2010

Et que Besancenot se le tienne pour dit !

Écrit par : Pascal | mercredi, 10 février 2010

Mince alors, moi aussi quand j'ai lu "le contrefacteur" tout à l'heure j'ai pensé à Olivier

Écrit par : Sophie | mercredi, 10 février 2010

@ Sophie et Pascal :
Ne confondez pas le contrefacteur avec le facteur contre. Olivier n'est qu'un monnayeur faux; pas un faux-monnayeur.

Écrit par : solko | mercredi, 10 février 2010

Les commentaires sont fermés.