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jeudi, 08 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (6)

 Le  lendemain, ce serait déjà lundi. L’histoire, le temps passent trop vite. Et souvent comme sans moi, sans nous. J’ai toujours été coupé en deux avec ça. Une part qui veut régner dans le monde des hommes, inscrire sa marque, être aimé des femmes. L’autre qui surtout veut s’en garder et rester méconnu de tout ce beau monde. Discret comme le souffle. Noli me tangere.

Le bout de cette nuit viendrait, c’était inévitable, et j’avais promis de porter mon billet à Rita. Quelques gouttes de pluie tombaient sur la verrière, imitant des pas d’oiseaux. Passants, nous sommes. A l’idée que j’allais bientôt m’en défaire, je me mis une fois encore à penser à la silhouette élancée de Saint-Pierre du petit Montrouge, ce dimanche de juillet 1950.

Sébastien n’aurait jamais dû se rendre à la brocante d’Alésia ce matin-là, s’il n’y avait eu cette histoire de commode à retaper de toute urgence pour une baronne neurasthénique de Neuilly. Mais Gaby n’avait rien en stock et lui avait demandé de repasser en fin d’après-midi. Il avait remonté toute la rue des Plantes, puis l’avenue du Maine, puis avait achevé de se vider la tête en se prenant pour James Stewart devant les images de La Flèche brisée. C’était l’été, la rue de la Gaité était quasiment déserte au sortir du cinéma.

Habitué à traîner ainsi dans Paris, de longs dimanches comme celui-ci durant les cinq ans qui venaient de s’écouler, arpentant aussi bien la rue Monge que celle des Pyrénées, la rue de Courcelles que celle de Vaugirard, après une nuit parfois passée à moitié blanche, parfois à l’heure de midi, Mercure indécis ne devant plus compter désormais sur le seul  hasard pour retrouver Cérès égarée, piégé par la dimension de Paris et les cataclysmes du siècle.  

Il était revenu finalement à la brocante d’Alésia et avait conclu avec Gaby d’une date de livraison. Gaby avait tenu à lui montrer une collection de sabres dont il venait de se porter acquéreur. Sans plaisanter, le coup de fusil de la semaine. Les deux hommes avaient plaisanté un moment, discutant westerns tout en fumant du gris.  Bientôt, il fut huit heures à l’horloge de Saint-Pierre. C’est comme ça que tout est arrivé, je murmure. Polo opine du galurin.

Sébastien est finalement entré dans la brasserie. Il est entré juste pour passer un coup de fil à la concierge et lui demander de laisser la porte d’entrée entrebâillée comme elle le fait souvent, en  glissant dessous une page pliée du journal de la veille. C’est au moment où il dit ça qu’il la voit dans un miroir, qui le regarde.

Quand il s’est attablé face à elle, pourquoi aurait-elle eu le moindre mouvement de surprise, le moindre geste de recul. Au contraire. A l’un comme à l’autre, rien ne parut aussi évident que l’un, que l’autre. Et les conversations autour d’eux continuèrent comme si de rien n’était. Gauthier conserverait-il longtemps son maillot jaune ? La Seleçao KO devant l’Uruguay ! L’entrée de la RFA au Conseil de l’Europe. Fallait bien finir par le boucler, le grand cercle de la paix.

Cette jeune femme qui n’était attablée que depuis dix minutes, on aurait tout simplement dit qu’elle ne l’avait attendu que dix minutes, et qu’ils s’étaient quittés au matin. Au matin même. Le garçon venu prendre leur commande, sûr que c’est ça qu’il s’était dit, dès qu’il vit Sébastien assis face à elle. Un peu comme ces volutes de fumée qui se stabilisent au-dessus des têtes en un beau plafond de nuage gris, tout rentrait dans l’ordre ; comme si rien jamais n’avait été diverti, comme si l’errance et ses arabesques par les rues de Paris n’étaient plus de mise. Autour, on ne les remarquait, on ne les voyait plus, qui commençaient à s’aimer sous un plafond de lumière art-déco, dans le brouhaha diffus de cette fin de dimanche à la brasserie d’Alésia. 

Qu’a-t-il pu lui dire à cet instant ? Elle seule l’a su, hein !

Elle seule l’a su, reprend Polo.

Ils sont restés tout le temps d’un premier repas face à face. Et le temps qu’ils se dévisagent comme des amants déjà, la brasserie se vidait. La brasserie se vidait peu à peu. Il y avait des tables qui restaient sans clients, dont on avait retiré les couverts et mis les nappes en boule. D’autres désertes pareillement, mais dont les couverts sales demeuraient encore sur des nappes un peu tâchées, avec des serviettes pendant dans le vide. Les forcenés du dernier métro qui occupaient les dernières banquettes commençaient tous à fatiguer. 

Forcément, à un moment, il a dû lui parler du turban qu’elle portait, ce turban magnifique aux épis d’or qui semble tenir tout seul sur ses tresses, mais qu’une large broche nacrée maintient sur le bandeau du devant. Mauve, le bandeau, mauve. Forcément, il lui a parlé de la beauté extraordinaire de ses yeux. Des yeux de braise, oui, tout à fait.

Quand on glisse le billet sous une lampe, on la voit bien poindre, cette lueur orangée plus vive dans le regard. De braise scintillant. C’est comme ça qu’il la regardait, ce dimanche de juillet. C’est dans ce chatoiement qu’elle l’a toujours vu aussi, reprit Polo.

Nous nous taisons un moment.

Et puis, oui, oui, je fais.

L’ovale de son visage était impeccable. Le nez parfaitement droit. La peau toute lisse. Ce jaune orangé qui point dans son regard, n’est-ce pas tout autant celui des épis, des épis de blés dont Cérès est couronnée ? C’est le même or. Cérès, qu’avait enfin connue Mercure.

A force de se vider, ne resta bientôt plus qu’eux dans la salle. Et le billet, je dis. Le temps passe. Le billet ?

T’inquiète pas, je me souviens de tout encore, fait Polo. Je me souviens.

Quand le garçon est venu avec l’addition, ils en avaient chacun un en main à s’offrir. Et flambant neufs encore. Chacun tendit le sien comme un trophée, levant très haut le bras, en ne se quittant pas des yeux, riant même, un peu. Cela faisait des années qu’il n’avait pas ri un peu. Un seul suffisait à payer les deux repas. Le garçon a pris celui de Sébastien et ne lui a rendu que quelques pièces. Alors, comme elle tenait encore le sien entre ses doigts fins, il l’en a retiré doucement, il a demandé au garçon un stylo bleu. Tout ce manège, elle l’a suivi d’un air émerveillé, comme si vraiment elle avait su ce qu’il allait faire. Des yeux de braise. Et forcément, elle le savait, puisqu’elle était venue là elle aussi par hasard, après des mois et des années d’attente, après avoir tant sillonné la ville, et que cela faisait des années que Cérès n’avait pas ri un peu.

Alors il a écrit ce que tu vois sur le billet d’un seul trait, conclut Polo, d’un seul, au dessus des signatures, ces mots dans l’emplacement que la Banque de France n’avait laissé blanc que pour ça.

Il raconte bien, Polo. Il est bon, Polo. Elle a éclaté de rire, littéralement. Je suis certain qu’elle était vraiment heureuse. « Je le conserverai toujours auprès de moi, a-t-elle dit. C’est le plus beau billet du monde. »  Après, dis-je d’une voix de plus en plus douce tant elle me paraît lointaine, et j’entends alors les gouttes qui tombent comme des pas d’oiseaux sur la verrière, après ça leur appartient.

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 A suivre

mardi, 06 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (5)

V

Je peux l'imaginer, Sébastien, démobilisé, ne connaissant dans Paris que peu de gens vraiment, seul dans la chambre meublée qu’il louait pour un billet de cinq mille, en train de n’espérer qu’en une pauvre image toute neuve, qu’il décidait de conserver précieusement chaque journée proche de son cœur jusqu’à ce qu’il  trouvât celle qui lui ressemblait.

1945. La date exacte… L’échange ordonné par le Général se faisait par séries de lettres, et comme Sébastien passait dans les dernières, son tour dut être vers le mercredi 13 juin. Dans la France ruinée de l’époque, y’avait queue rue Croix-des-Petits-Champs, queue de gens ordinaires tous en file avec leur pognon à la main, de gens fatigués de tout, de la guerre, des queues, des aboiements politiciens de tous bords, à attendre, à s’entreregarder, à siffloter Fleur de Paris. Certains avaient même apporté des pliants. Au milieu d’eux, il se sentait très seul.

Le moment qui compte fut celui-ci. Lorsqu’il tendit ses coupures démonétisées au guichet de la Banque de France et qu’une caissière en échange lui offrit à nouveau sa gueule, une fois encore, sa propre gueule sur un billet à masque de Mercure, un Mercure cette fois-ci de profil sur un bifton de trois cent balles. Aurait-il donc un sosie, un sosie qui posait pour les graveurs de la Banque de France ?

Ce qui dut le frapper ce jour-là, Sébastien, tandis que plein de monde attendait derrière lui qu’il ait fini de compter ses billets, c’est que cette grâce juvénile qui n’avait pas abandonné les traits de Mercure commençait à laisser tomber les siens. Ce cou puissant, ce nez droit, cette ligne grecque, cette peau sans ride, ce regard sans amertume, ce crâne ailé, sa jeunesse : voilà que le trois cents francs de remplacement la lui balançait d’un coup en pleine gueule lui qui pour toute avenir se voyait foncer à présent vers les temps les plus noirs du monde. Il eut un moment d’hésitation, forcément, et puis, il retourna le billet.

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Alors là, c’est la première fois, et c’est pour de bon, que Sébastien tomba amoureux, niaisement, sans crier gare, comme dans les chansons de coin de rues. Là, pile, quand il découvrit le visage de la Cérès du trois cents francs Serveau, rue Croix-des-Petits-Champs, ce jour de juin 45, quand la France entière échangeait ses billets.

Pas un portrait à l’identique trafiqué, cette fois-ci. Pas comme sur le billet des années trente.

Non, pas une espèce de sosie, qu’un dessinateur économe aurait cloné à son image.

Mais un vrai visage, un visage autre, qui lui convenait. Un beau visage ovale et doux. Sur les petits rectangles blancs tout neufs qu’on lui distribue, son double. Pas son sosie. Son double. Son double féminin, authentifié exact par les signatures conjointes d’un caissier général et d’un secrétaire général. Sa promise. Comme s’il avait fallu toutes ces années pour qu’elle apparût enfin, non pas rafistolée à partir d’une des côtes de Mercure, mais libre, authentique, singulière, étrangère, mystérieuse, autre, pleinement. Cérès.

Quelle était cette inconnue ?

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Il se retourna, sur le point de demander à un concierge de la rue Croix-des-Petits-Champs le nom du modèle qui aurait posé sur ce billet. Peut-être se trouvait-elle là, parmi cette file immense de gens qui, malgré leur fatigue, portaient tous sans le dire la même impression étrange d’avoir survécu au pire, la même joie d’être rescapé. C’était d’abord cette joie et cette joie seule, la joie de la victoire et celle de la Libération.

Peut-être cette femme était-elle encore parmi eux. Fébrile, il observait chaque trait, chaque visage. Peut-être aussi n'avait-elle pas survécu. 

A suivre

mercredi, 10 février 2010

L'Oeil du berger

La circulation de monnaie divisionnaire était constituée, avant guerre, de pièces de nickel de 5 francs et de pièces d’argent de 10 et de 20 francs. Parmi les billets, la plus petite valeur faciale était un billet de 5 francs qui datait de 1917. A la suite de la mobilisation, la Banque dut faire face à la demande croissante du public, puis à la nécessité de retirer le plus rapidement possible les marks d’occupation. Elle créa alors plusieurs billets de format très réduit, dont le plus petit de son histoire : un billet de 5 francs que Clément Serveau réalisa à Villeneuve-sur-Lot. Il était illustré du portrait d’un berger pyrénéen dans un décor de montagne. En filigrane, le profil de Bernard Palissy.

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Curieux choix : celui d’une sorte de consolation, coulant comme l'eau vive, de toute évidence. Comme s’il fallait, après le feu de la débâcle, offrir aux Français d’alors l’image d’une mélancolie révolue et localisée à l’extrême, une image faite de rondeurs dans laquelle le passé du pays affleurerait et insérerait, dans leurs poches et dans leur imaginaire, une teinte susceptible d’amortir la douleur : ce bleu et ce vert venus des champs et pesant d’une égale lumière, d’un même poids, celui des racines. Le bâton semble un appui sûr au berger qui a posé dessus ses doigts noueux. Du Séguéla et de la force tranquille, déjà. Du Mitterrand avant l’heure. L’efficacité du rustique et la promesse des bas de laines : voyez comme est dodu le ventre bleu de ce faible chiffre, le plus humble de la gamme, malgré tout majestueux. Suivez le berger.

berger2.jpg

 

Pour comprendre la poésie toute particulière de ce billet-ci, il faut le retourner et observer à son verso avec quelle sureté le volume de chaque fleur fut tracé, le relief de chaque pétale profilé. Avec quelle minutie le pinceau a déposé la teinte. Et dans quel but ? Et pour quel acte déjouer ? Quel profanateur évincer ? Dans ce décor floral et mièvre, une Agenaise coiffée de sa coiffe traditionnelle, les épaules recouvertes d’un châle mordoré, veille. Veille également. Très peu de lettres, mais quelles ! La Banque de France s’y affirme seule propriétaire des lieux : ce visage luisant ni vraiment beau, ni vraiment laid, dont on ne sait trop s’il est celui de l’homme ou de la femme, ne serait-il pas en vrai son allégorie la plus provinciale ?

L’œil qui chercherait à échapper aux senteurs confinées dans ce rectangle-là ne trouve là, pour tout songe, qu’un autre rectangle bleu, celui où la loi se rappelle.

L'oeil du Berger ...

06:16 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : billets français, clément serveau, villeneuve-sur-lot | | |

lundi, 14 septembre 2009

Les savants de la Banque de France

La première représentation d’un savant sur un billet français date de 1897. On la doit au crayon de François Flameng. Elle seFlamNeV.jpg trouve sur le verso d’un billet de 1000 francs qui n’aura finalement été édité en 1918, mais n’a jamais émis avant 1938, avec une valeur faciale de 5000 francs. On l’y découvre dans une représentation à l’antique, bizarrement désœuvré devant un globe et un atlas ouvert, entre deux misérables petits paysans, l’un tenant une bêche, l’autre une faux. Derrière ce trio étonnant, la pâle brume d'un petit matin sur l'île de la Cité. Devant, des papiers épars sur le sol, comme si, en ce tournant entre deux siècles et avant le cataclysme de 1914 s'exprimait une lassitude du savoir.

En 1927, sur un autre billet de mille, ( dit Cerès et Mercure), la figure plus discrète d’un savant se retrouve. Mais ce ne sont, pour l’instant, que des personnages anonymes.

Le premier personnage de scientifique véritablement inspiré d'une personne à figurer sur un billet fut un chimiste inconnu du grand public, du nom du docteur François Debat, ami du dessinateur Clément Servau, qui accepta de servir de modèle lors de la création  d’un billet de 20 francs, émis en 1940. A cette occasion, on le découvre20F%20Sciences%20cercle.jpg penché sur un microscope, son instrument de prédilection. Vétu d'une blouse  blanche symbolisant  la recherche mise au profit de l'industrie, il arbore la barbe en pointe, symbole de volonté. François Debat, membre de la délégation spéciale qui  géra la ville de Saint-Cloud, fut le créateur, à Garches, de laboratoires ultra modernes pour l'époque, consacrés à la recherche pure. Industrialisés, ses produits ont fait, par le monde entier, la renommée de l’opothérapie.

Le trait de plume de Serveau, sur ce billet, fleure bon son scientisme des années trente. On voit, juste derrière le savant, un pont métallique enjamber la Seine, et des usines fumantes déployer leurs tentacules orangées, comme dans un poème de Verhaeren.

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De l'autre côté du billet, se découvrent deux personnages : l'enfant paysan, enfin raisonné par le vieux scientifique à barbiche grise, l'ancien et le nouveau monde conciliés idéalement : tous deux, tels pères et fils, nous fixent dans les yeux, confiantes figures résolument tournées comme deux icones soviétiques, vers l'avenir... Science et travail : tel fut le nom donné à ce billet daté de la funeste année 40.

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Une année durant laquelle il fallut se tenir droit (tout comme le doigt du chercheur qui longe sa joue) et raide (tout comme la nuque de ce garçon aux traits efféminés). Le billet ne vit définitivement le jour qu'un an plus tard, et ce en pleine Occupation. Il ne circula d'ailleurs pas très longtemps et fut le dernier billet de 20 francs d'une telle largeur. Restriction et vaches maigres obligent, le suivant fut de moitié moins large, de sorte que pour le mettre en poche, il ne fut plus nécessaire de le plier en quatre.

Urbain Le Verrier (1946), Pasteur ( 1966), Pierre et Marie Curie (1994) furent les derniers savants honorés par la Banque de France (cliquer sur les noms pour suivre les liens)

vendredi, 21 novembre 2008

Buonaparte, Général de la Quatrième République

C’est l’un des billets auquel la Banque de France accorda le soin le plus méticuleux. Le peintre David avait peint Napoléon, si j’ose dire, à tous les âges et dans tous ses états. Parmi tous les portraits ornant la fresque napoléonienne du maître, Clément Serveau, le créateur du billet, a choisi une simple esquisse.

Le visage seul du jeune général y est achevé. On le découvre tête nue, cheveux mi-longs, plats. Quelles retrouvailles avec sa propre jeunesse, la République, quatrième du nom, espère-t-elle alors retrouver ? A quelle souffle, quelle grandeur, quel vent historique le vieux pays plongé dans les affres du parlementarisme le plus corrompu tente-t-il de ranimer sa vacillante légende ?  Ou bien la Banque de France n'a-t-elle d'autre souci que de rendre hommage à son fondateur, puisque c'est le Premier Consul qui l'avait créée, en 1800 ?

 

 

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Le 30 novembre 1840, une frégate du nom charmant de Belle Poule avait appareillé dans le port de Cherbourg. En provenance de Longwood (Sainte Hélène), elle rapatriait les restes de Napoléon 1er, empereur des Français, mort dix-neuf années auparavant à 52 ans sur son rocher du bout du monde. Il faudra une quinzaine de jours pour que les cendres de l'Empereur, en un char que tirent seize chevaux, entrent dans Paris : C'est l'une des Choses vues que raconte Victor Hugo dans son recueil du même nom : 

"Derrière le corbillard viennent, en costumes civils, tous les survivants parmi les anciens serviteurs de l'empereur, puis tous les survivants parmi les soldats de la garde, vêtus de leurs glorieux uniformes, déjà étranges pour nous."  

Tandis qu'une bonne partie de la bourgeoisie refuse de se découvrir au passage du char funéraire, le peuple, note avec une certaine jubilation Hugo, crie encore Vive l'Empereur... 

C'est le commencement d'un mythe post-mortem qui ne cessera de croître avec le siècle. Le premier à en faire les frais sera évidemment le citoyen Louis-Philippe, roi bourgeois au charisme quelque peu fade comparé à celui du Petit Caporal qui fit trembler toute l’Europe et dont la littérature romantique portait désormais la légende à bout de bras. Avant de devoir présider solennellement le rapatriement des cendres, Louis-Philippe avait dû également, ironie aimable de l’Histoire, inaugurer quatre ans plus tôt l'Arc de Triomphe que Napoléon avait commandé en honneur de la Grande Armée, le 26 février 1806.

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Avec son encadrement ornementé dans un style Directoire, le billet est particulièrement difficile à reproduire. A l'identique, l'effigie de Napoléon devant l'Arc de Triomphe, puis au verso devant le dôme des Invalides. En 1953, le général Blanc, alors gouverneur des Invalides, choisit lui-même les étendards disposés en faisceaux, dans le but toujours de compliquer la tache des faux-monnayeurs :

 

-          drapeau de la 74ème demi brigade de l'armée d'Egypte,

-          étendard du Général en Chef de l'armée d'Italie,

-          étendard du Général en Chef de l'armée d'Egypte,

-          étendard de cavalerie de l’armée d’Italie

-          drapeau de la 39ème demi-brigade de l’armée d’Italie

 

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Le billet eut l'heur de ne pas déplaire à un autre général, Charles De Gaulle, qui le reconduisit lors du passage au nouveau franc en 1960. C’est pourquoi on en trouve aujourd'hui trois valeurs faciales : Celle de 10.000 "anciens francs" (1955), la même surchargée 100 NF (1958), et celle de 100 NF (1959).

Malgré tous les efforts de la Banque de France, il ne déplut pas non plus aux faussaires : L'un d'entre eux, le célèbre Bojarski, (2) fit des imitations de ce billet le chef d'œuvre et le point d'orgue de sa romanesque carrière de copiste (7047 faux Bonaparte de cent NF répertoriés, entre novembre 1962 et mars 1975). En 1964, Napoléon abandonna à Corneille le soin de figurer sur cette valeur faciale de cent francs, devenue entre temps la plus symbolique de toutes.

 

1.    Cahier du 15 décembre 1840

2. Lire en suivant ce lien  la chronique consacré au faussaire Ceslaw Bojarski

A lire également, les chroniques consacrées aux Coupures de la même série, qui connurent trois versions (anciens francs, anciens francs surchargés, nouveaux francs :

- Le Victor Hugo : suivre ce lien. Le Richelieu : suivre ce lien.

L'Henri IV  & Le Molière

 

 

20:35 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : napoléon bonaparte, billets français, victor hugo, clément serveau | | |