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mardi, 09 septembre 2008

Le cardinal et le billet de mille.

Aujourd'hui, 9 septembre, c'est l'anniversaire de Richelieu. Naquit-il à Paris ? Naquit-il à Richelieu ? Les historiens, qui sont gens sérieux mais divisés, s'étripent sur la question.

Quelques quatre cents ans et plus après ce 9 septembre 1585 où Armand Jean du Plessis de Richelieu, quatrième enfant d'une noble famille française, duc et pair de France, futur cardinal et ministre de Louis XIII, il serait quand même temps de trancher. 

Cardinal_Richelieu_%2528Champaigne%2529.jpgCe que l’on sait avec certitude, c’est qu’il Richelieu naquit l'année même où Montaigne quittait la mairie de Bordeaux ; qu’il fut de huit mois le cadet de Vaugelas, lequel occupa le fauteuil 32 de l'Académie Française, dont il avait été à partir de 1635 le fondateur et le protecteur.

On doit à Richelieu la devise "A l'Immortalité", qui figure sur le sceau de l'Académie, d'où les "Immortels" (Valéry Giscard d'Estaing & Max Gallo compris), tiennent leur surnom.

Figure kaléidoscopique et hautaine, car Richelieu ne fut pas seulement un cardinal d'Académie. Richelieu, c’est également un point de dentelle, des verres à pieds, une sauce ma foi fort bonne au palais, un pâté en croute tout aussi délicieux…  sans compter qu’il donna son nom également par tout le pays à un nombre incalculable de deux, trois et quatre étoiles pour représentants de commerce, couples adultères et séminaristes en goguettes. A quoi il convient également de rajouter la Bibliothèque Nationale, d'avant l'ère mégalo-mittérandienne, ce qui n'est pas rien, et une rivière, sinueuse, assez sale, grâce à laquelle Champlain (le lac) se rend à Saint-Laurent (le fleuve).

 

Ci-dessus, le portrait en pied de celui qui fut (comme on le dirait aujourd'hui) l'une des plus grosses fortunes de son temps (estimée à 20 millions de livre). Portrait en pied par Philippe de Champaigne, auteur également du triple portrait (profils et trois-quarts, ci-contre), dont s'inspira Clement Serveau lorsqu'on (la Banque de France) lui passa commande du billet.

richelieu6.jpgUn homme de Dieu... Un homme d'Eglise... Sur un billet de banque !

L'homme d'Etat, il est vrai, en avait connu d'autres…

Le premier alphabet date du 2 avril 1953; le dernier du 4 janvier 1963; dix ans, c'est un bel exemple de longévité. Le franc, entre temps, par la magie d'Antoine Pinay, était mort et ressuscité : "A nouvelle République, franc nouveau" (La formule, de Marcel Dassault, se trouve dans Paris Presse du 30 décembre 1958.) Deux jours auparavant, dans l'une des allocutions radiotélévisées dont il avait le secret, DeGaulle s'était exclamé : « Quant au vieux franc français, si souvent mutilé à mesure de nos vicissitudes, nous voulons qu'il reprenne une substance conforme au respect qui lui est dû ».

Et c'est ainsi que le matin du 1er Janvier 1960, le cardinal qui valait mille anciens francs n'en valut plus que dix nouveaux. (sur la photo ci-dessous, une coupure de mille surchargée 10 NF) .Divisé par cent, comme ses compagnons de l'époque (Victor Hugo, Henri IV, Bonaparte), mais, rassurait la communication gouvernementale, cela ne changerait rien puisqu'on diviserait aussi bien les dépenses que les recettes. « En terme de prix des marchandises, proclamait Pinay, on retrouverait d'ailleurs les échelles de 1927 ». C'était une référence forte à l'Age d'Or du franc Poincaré, à un souci affiché de redressement économique, à la solidité monétaire du franc lourd d'avant 14 dont la France (qui cesserait bientôt d'être un Empire) rêvait encore. L'effigie conservée de Richelieu, dans cette affaire, assurait une sorte de continuité de l'identité française, d'un ancien régime aussi romantique qu'un roman de Dumas, à un nouveau aux prises avec le monde moderne : pour comprendre les Trente Glorieuses, il faut aussi regarder yeux dans les yeux  les grands hommes de ses billets. 

3h13-03.jpg

 Sur celui de mille comme sur le nouveau billet de dix, le cardinal se détache devant une estampe rappelant les façades rectilignes du Palais-Cardinal (Palais-Royal), tel qu'il fut peu après sa construction en 1622. Sur les beaux toits gris de Paris, « ville jolie », s'attarde un ciel onctueux, lisse, crémeux, comme  si la capitale s'était tout entière repliée dans les pans rosés du jupon cardinalesque. Le regard suave et la barbichette affutée, ce dernier veille, conforte, rassure.

Au verso, même prestance, même allure : la figure de l'homme d'Etat en pleine force tranquille, non loin de sa gentilhommière provinciale, devant les remparts du bourg de Richelieu, sourcil hautain et lèvres pincés, sous ce même ciel rose fané.

10V1960G.jpg

Si ce billet fut l'un des plus populaires qui sortit des presses de la BdF, c'est aussi parce qu'il fut l'un des plus abouti : dans sa composition se résume une certaine conception du Pouvoir dit gaullien, propre à la fois à l'Ancien Régime et au Nouveau, à la Province comme à Paris, à l'Esthétique comme à l'Idéologie. Avec la crise, le passage à l’euro, la mythification médiatique des années soixante et la nostalgie des Trente Glorieuses, il se peut bien que cette effigie fasse encore rêver…

 

 

 

15:25 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : cardinal richelieu, littérature, billets français | | |

Commentaires

Coïncidence, car j'ignorais que ce fût son anniversaire, j'ai écrit ce matin sur le cardinal moi aussi, pour commenter un livre retraçant sa vie. Je ne sais si tu le connais ?
http://www.toreador.fr/2008/09/09/banderille-n%C2%B0249-le-pourpre-et-lhermine/

Écrit par : Toréador | mardi, 09 septembre 2008

Au Québec, Richelieu, c'est assurément le nom de plusieurs rues dans les villes et villages. Mais c'est surtout une rivière, sinueuse, assez sale, grâce à laquelle Champlain (le lac) se rend à Saint-Laurent (le fleuve). Et encore, je crois que tout le monde ici le sait, c'est le nom d'un groupe de détaillants de produits pétroliers. Ah... Rivière, pétrole, argent. Le verra-t-on un jour sur notre monnaie ?

Plus sérieusement merci pour ces informations. Cette façon d'aborder la question de l'argent me plaît ; m'aide à reconnaître la juste valeur des choses.

Écrit par : Marc | mardi, 09 septembre 2008

@ Toréador : Je vois que les grands esprits se rencontrent. Je ne connais pas le livre dont tu parles, (il faut dire que la bibliographie sur Richelieu est de poids !) Je vais donc de ce pas lire ce que tu en dis.
@ Marc : Bonnes infos, que je glisse dans le texte. Triste Euros, sans visages humains, désormais, sur ses coupures...
Merci pour vos précisions à tous deux.

Écrit par : solko | mardi, 09 septembre 2008

Je pense à Richelieu chaque fois qu'il est question des 3 mousquetaires (soit pas souvent) et quand je vois un chateau fort parce qu'il me semble qu'il en a démolit un paquet à lui tout seul non (je ne croise pas souvent de chateau-fort j'avoue) (pas d'académicien non plus d'ailleurs)...

Écrit par : Trublyonne | mardi, 09 septembre 2008

Et pourtant ce cardinal aura imprimé d'une marque indélébile la conception de l'homme d'Etat en France, dans lla constitution à long terme de ce qu'on pourrait appeler "la monarchie républicaine". Des remarques très éclairantes à ce sujet chez Toréador (lien au-dessus).

Écrit par : solko | mardi, 09 septembre 2008

Jamais trop attirée par Richelieu, je dois dire que vous avez encore frappé très fort. Figurez vous qu'en vous lisant, que je me suis laissée séduire par le bonhomme. Un cardinal de la dentelle, des verres à pieds et de la bonne sauce au palais (pâté en croûte etc ), j'ignorais ça. sans compter (si, justement, comptons!) la présence au billet de ce cher Pinay + une citation du général (ah ! les citations du général !). Une fois encore, vous nous offrez une totale. Merci Solko ;-)

Écrit par : Frasby | mercredi, 10 septembre 2008

Des groupes s'étaient constitués au début des années 30, les sénacles je crois et Richelieu avait décidé de fonder l'Académie avec eux, Corneille, Vaugelas mais aussi Furetière en faisaient partie. Vaugelas a fait ses Remarques, Corneille ses retouches et Furetière son dictionnaire qui lui a valu un blâme de l'Académie.

Richelieu a apporté beaucoup pour se faire un nom. Son image cinématographique est souvent négative... Je ne connais malheureusement son action que par le biais de ses activités 'littéraires' mais si sa fortune atteignait 20 millions de livres, beaucoup d'arguments doivent être réunis pour en dire du mal.

Comment expliquez-vous la présence d'un homme d'Eglise sur un billet de banque? Je veux dire par là que d'un point de vue logique la religion ne devrait pas donner son aval à une mise en avant de soi sur une chose aussi damnée que l'argent. Les marchands et autres activités bourgeoises ont été considérées comme damnées jusque tard dans l'histoire.

Écrit par : Léopold | jeudi, 11 septembre 2008

@ Léopold : Richelieu était d'abord un homme d'état, d'un état autoritaire. Je pense qu'il a été choisi pour cela, encore que je n'en sache en réalité rien : Je tiens modestement cette chronique en explorant un à un les billets, parce que cela m'intéresse. Je crois qu'il y aurait une étude, voire un livre à faire avec eux. Les billets racontent l'histoire d'une façon inimitable. Ce qui est certain, c'est que le Richelieu du billet de mille, c'est la représentation que la quatrième république finissante se fait de l'état : et je crois que dans cette réprésentation, l'homme d'église n'a plus vraiment de poids. Quant aux autorités ecclesiastiques, je ne crois pas qu'elles aient eu le moindre mot à dire, l'image de Richelieu appartenant de fait à ce qu'on appelle le domaine public.
@ Frasby : merci pour tous ces compliments. Je garde donc quelques citations du Général en réserve pour de prochains billets !

Écrit par : solko | jeudi, 11 septembre 2008

Retrouvé ce billet avec plaisir, comme au fond d'un sac ! Merci, donc.

Écrit par : S.Jobert | lundi, 06 avril 2009

Les commentaires sont fermés.