Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 27 novembre 2008

Alexandre Vialatte et le bon roi Henri

Le 17 juillet de l'an 1956, Alexandre Vialatte notait dans sa chronique n° 82 de la Montagne quelques lignes dont il a le secret sur les éléphants : L'éléphant est le songe pompeux d'un dieu des Indes. Son oreille, dit l'Ecriture, est comme le manteau de Salomon.  Magnifique. Mais quel rapport, me dirait un pointilleux, avec le bon roi Henri ? Aucun, en apparence. Aucun.  

Sinon qu'après des tours et des détours, la plume du maître de la Gare de Lyon en vient, dans cette même chronique, à évoquer le susdit roi, à propos de la parution du nouveau Larousse:

« Les vrais grands hommes ne savent pas l'orthographe ! Imaginez-vous Henri IV, Louis XIV ou Bonaparte, ou même simplement Saint-Simon, ou Ravaillac, écrivant proprement ? discutant du pluriel des noms à trait d'union?  Que de temps perdu ! Ils allaient au plus court, au bout de la phrase, à la victoire, au crime urgent. » 

Deux fois, Vialatte évoque le roi Henri : Au début de la phrase, de façon explicite, et à la fin, de façon quasi-métonymique, à travers la notion de crime urgent qui fait penser à Ravaillac, dont personne aujourd'hui ne se souviendrait sans un certain coup de surin;  le crime urgent qui justifie qu'on n'ait pas le temps de finir sa phrase en faisant tous les accords, le crime-urgent, terme générique pour désigner la nécessaire primauté de l'action sur le langage châtié, ah, la redoutable concision de Vialatte !

Le 23 septembre 1958, soit deux ans plus tard, alors qu'il parle « d'entrer dans le signe de la Balance », le chroniqueur auvergnat cite à nouveau le monarque béarnais, cette fois-ci aux côtés du « chaste Louis XIII, de Boucher, Watteau et de son propre boulanger (suite logique du boucher ?) un brave parisien du nom de Courcoux ».

A peine une année plus tard, (14 avril 1959) il remet ça, embrigadant le vert galant dans une autre liste, à l'occasion d'un passage traitant des raretés, et dans lequel il est question de « la barbe de Fidel Casto, le crâne de Henri IV enfant, le Jardin de Brêche Grignotte, la Topographie au Salpêtre, les Sols et Terrains de Dubuffet. »

Le 20 avril 1960, Vialatte récidive en incluant cette fois-ci le premier Bourbon  parmi Jeanne d'Arc, Ravaillac, Landru, Pasteur et Brigitte Bardot, lors d'une énumération des représentants de la « France éternelle ». Le 27 août 1963, revoici Henri IV, cité comme personnage préféré des Français de l'époque, en compagnie du pape Jean XXIII, de Brigitte Bardot, saint Vincent de Paul, le bourreau de Béthune et Khrouchtchev.

A propos de la vitesse de la lumière, dans un beau délire dont il a le secret, Vialatte un peu plus tard rend subitement et fort scientifiquement le 27 avril 1965 contemporain de ... l'assassinat d'Henri IV par Ravaillac : y aurait-il chez Vialatte une fascination secrète et ambiguë pour l'un des plus célèbres trousseurs de jupons du pays ?

Voire une véritable obsession ?

Car ce n'est pas fini. C'est peut-être la chronique du 5 octobre 1965, intitulée Le vase de Soissons qui contient la formule la plus lumineuse :

« L'âme française, écrit Vialatte, a toujours été démocratique, même dans ses monarques : Henri IV préfigurait les présidents de la République. »

 Voilà qui est dit.

 

1762984014.jpg

Quelques précisions : En 1954, le projet d’un billet Louis XIV, remanié plusieurs fois, avait dû être écarté, les reproductions des peintures de Rigaud ne donnant pas satisfaction aux pontes les plus éminents de la Banque de France. Pour la vignette de 5000 francs, qui devint ensuite la première de 50 NF, on demanda à un prix de Rome, et pas n'importe lequel, le bien-nommé Le Feuvre, de songer à ce qu'il pourrait faire avec un autre roi que le trop absolu Roi-Soleil, indésirable en pays désormais démocratique : l'élu fut alors Henri IV.

Et ce dernier devint du même coup l'unique monarque à figurer sur un billet de la République.

Beau symbole : Ne  préfigurait-il pas ainsi les monarques républicains que celle-ci allait bientôt s'offrir sous les traits de De Gaulle ou Mitterand ? 

Le monarque républicain, le voici donc dans toute sa débonnaire splendeur. Et puisque Paris valait bien une messe, Le Feuvre le plaça devant le Pont-Neuf en construction qu'on aperçoit à l'horizon, derrière la royale fraise, avec ses boutiques et son moulin du Petit Chatelet. En ce dix-septième débutant, le ciel de Paris est encore d'un bleu limpide, le moteur à explosion n'ayant pas encore été breveté. Sûr que dans cette Seine, on plongeait à la renverse des arches du nouveau Pont, et on pêchait, tout vif, le poisson. 

144712614.jpg

 

De l'autre côté du billet, Le Feuvre grava la silhouette draculéenne du Château de Pau, ainsi qu'une chaîne des Pyrénées qui, ne connaissant pas le Tour de France, n'avait entendu jusqu'alors d'autre son de cor que le son de celui de Roland, lequel n'avait nul besoin de dopage pour décimer du sarrasin. 

On cessa d'imprimer ce fort joli billet en 1961. Et, l'année suivante, Jean Racine prit le relai dans le grave et mélancolique cortège des figures du Franc.

Démonstration avait été faite de la souveraineté symbolique du billet sur tous les régimes politiques : Le billet, c'est le vrai roi, le vrai président, le pourvoyeur de poules au pot devant l'Eternel et pour les siècles des siècles ... Le billet de banque, c'est l'autorité qui prévaut sur toutes les tables de la loi, ne nous y trompons-pas, comme l'assura en son temps un certain Honoré qui célébrait de roman en roman la toute puissante pièce de cent sous.

Un fondateur de dynastie sur le sol de Marianne, donc, pour assurer la liaison entre le vieux et le nouveau franc républicain, jeter un pont entre un régime parlementaire en pleine déconfiture et un régime présidentiel en gestation :  J'ignore combien la Montagne rémunérait son chroniqueur attitré.

Tout laisse à penser cependant que grâce à sa plume empanachée, ce dernier en gagna un bon nombre au fil de ces semaines, de ces mois, de ces années-là. De quoi remplir de poules aux cuisses bien dodues et bien fermes le pot de maints dimanches que le Bon Dieu fit. Et c'est ainsi qu'Alexandre est grand.

 

Autres billets de la même série ( cliquez sur les noms pour suivre les liens):

Victor Hugo, Richelieu, Bonaparte et Molière.

 

 

07:29 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : alexandre vialatte, le bon roi henri iv, billets français | | |

Commentaires

Solko, vous m'impressionnez avec cette collection de billets qui, au fil des jours a tendance à me convaincre de plus en plus que je suis un panier perçé. Je me rassure alors en me disant qu'au papier, j'ai toujours préféré le métal mais quand même ! ... cela porte à réflexion car d'évidence, je fus inattentive, le symbole ayant ici discrédité l'objet.

Écrit par : simone. | jeudi, 27 novembre 2008

J'ai sous les yeux un recueil de textes de Péguy, lequel emprunte son titre à l'un d'entre eux:
"La République... notre Royaume de France".

Écrit par : Pascal Adam | jeudi, 27 novembre 2008

@ Simone : Les billets du vingtième siècle, c'est tout le siècle en images. Fascinant.

@ Pascal Adam : Que soient bénis les lecteurs de Péguy.

Écrit par : solko | jeudi, 27 novembre 2008

La numismatique (là, je ne parle pas des médailles) n'a pas le même attrait pour vous ? ... Il est vrai que le plus souvent elle se résume à une effigie. Sauf, la pièce de 5 fr - 1875 - à 3 personnages, frappée à nouveau en 1978 en un format plus grand, transformée en 50 fr - l'alliage (argent) n'est pas tout à fait de même teinte ... J'avoue que si j'avais dû faire une collection, j'aurais plutôt choisi celle-là ! A cause du toucher, peut-être et des reflets ? A chacun ses vices ...

Écrit par : simone. | jeudi, 27 novembre 2008

@ Simone : c'est une histoire plus ancienne, avec d'autres enjeux. C'est aussi, là, un marché institutionnalisé depuis fort longtemps. Tout est balisé.

Écrit par : solko | jeudi, 27 novembre 2008

J'adore tout votre texte, Vialatte je l'adore, oui Alexandre est grand!,j'adore "la royale fraise", "décimer du sarrasin"..;tout! et il y avait un moulin au châtelet? c'est un livre de Vialatte qu'Henri IV a dans la main (?) Quand j'avais 15 ans j'étais tombée dans la maison de mes grands-parents sur des piles de vieux "Spectacles du monde " (???)où il écrivait chaque semaine (de toutes façons, ces "Spectacles du monde" avaient été une mine de merveilles!!!)

Écrit par : Sophie L.L | jeudi, 27 novembre 2008

@ Sophie : Non, Sophie, ce n'est pas un livre qu'Henri IV a dans la main, et en même temps, bien sûr que c'en est un, et que c'est un livre de Vialatte, qu'est-ce que Henri IV pouvait lire d'autre ? Spectacles du Monde ? Vialatte écrivit aussi pour eux ? Parlez-nous en alors, une mine de merveilles, il ne faut pas la laisser au loin.

Écrit par : solko | jeudi, 27 novembre 2008

@ Solko & Pascal Adam : lire Péguy ? un titre s'impose... "L'Argent" :)

Bien cordialement.

Écrit par : le photon | jeudi, 27 novembre 2008

@ Photon : C'est de là qu'est tiré le titre en question.

Écrit par : Pascal Adam | jeudi, 27 novembre 2008

@ Pascal & Le Photon : Il y a des passages fabuleux dans cet essai. Il parait qu'il vient d'être réédité dans une collection de poche.

Écrit par : solko | jeudi, 27 novembre 2008

Le bon roi Henri supplanta par deux fois le Roi-Soleil : à cheval au-dessus du balcon de Gérard et dans les poches de ceux qui en avaient (des poches et des billets).

Écrit par : Michèle | vendredi, 14 mai 2010

@ Michèle : Et sans doute dans de nombreux autres lieux, encore. Merci de votre lecture et de ses echos si attentifs. C'est rassurant.
Pour en revenir à ce soir, l'anniversaire de la mort du Béarnais avec Delanoe et Mitterrand aux premières loges devant sa "jedaïsation" ne manque ni de sel, ni de panache, ni de ridicule...

Écrit par : solko | vendredi, 14 mai 2010

Les commentaires sont fermés.