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samedi, 29 janvier 2011

Andromaque, je pense à vous

Aujourd'hui, anniversaire de la mort de Racine. Occasion de publier à nouveau ce billet : 

 

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Dans l’écusson bleu,  en bas et à gauche de la vignette, presque invisible, nage un cygne, un cygne solitaire. Suffisant, déjà, pour conférer à ce billet une élégance particulière et énigmatique.  « Le vierge, le vivace, le bel aujourd’hui », le cygne, depuis Mallarmé devenu l’emblème même de l’alexandrin – ne rappelle encore, dans un coin de ce billet, que les armoiries concédées à Jean Racine par Louis XIV, « d’azur au cygne d’argent ». Le tragique au visage replet a le chef surmonté d’une haute perruque bleuâtre. Derrière lui (derrière Racine, derrière l'historiographe du Roi-Soleil), cette étroite cour de terre battue qu’on distingue entre quelques  bâtiments, ne ressemble-t-elle pas à l’enceinte d’un lycée qui serait déjà napoléonien et dans lequel s’étudieraient depuis des siècles les tirades de Phèdre et d’Athalie :   « N’allons pas plus avant. Demeurons, chère Oenone… Un songe (me devrais-je inquiéter d’un songe ?)». La cour, je dis bien la cour vide (quand chacun est en cours) d’un vieux lycée perdu dans une sorte de province coupée de tout et résolument éternelle – oui, cela existe, les provinces résolument éternelles - L'eau des rivières y demeure à jamais potable, et les monuments aux morts y sont régulièrement fleuris. Anacoluthe : on y étudierait encore du grec et du latin, on y composerait même des tragédies, imitées à l’exemple d’Eschyle ou bien de Sénèque. On se défierait dans des concours de rhétorique, quelques précaires mais suffisantes connaissances mythologiques y suffiraient. Derrière le visage de Jean Racine, non, non, ce n’est donc plus l’abbaye de Port Royal des Champs, non, ce n'est pas non plus le Louvre, c’est...   En filigrane,  la tête d’Andromaque : « Le spleen, expliquait d'un ton docte le professeur de français, c’est la douleur intense qui survit au renoncement à l’idéal. Il se peut que ce soit aussi une forme de salut pour le poète. Andromaque lui apparaît alors comme la dernière incarnation sensible de la grandeur dans ce Paris que la modernité a la fois embellit et prostitue».  Quel vieux lycée, oh, quel vieux temple de l'alexandrin, dans lequel les vers de Racine, et ceux de Baudelaire, et ceux de Mallarmé se croiseraient en nouant la gorge des récitants comme sont noués les plis en ce pourpoint carmin de Racine, comme le désordre indocile et beau du col bouffant qui s’en échappe, et me rappelle trop vivement, trop brutalement, l’élégance, désabusée du paysage en ruine, et néanmoins dressé de jeunesse et d’orgueil, ces quelques mots ont valeur de mètre, et derrière ce poète, cet autre encore, ayant valeur de maître :

 

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Aussi devant ce Louvre une image m’opprime 

 

Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous...

 

Ce billet magnifique a été imprimé du 7 juin 1962 au 3 juin 1976. Il remplaçait le 50 NF Henri IV et fut remplacé par le 50 Frs Quentin de la Tour. Jean Racine est né le 22 décembre 1639 et mort le 21 avril 1699,  soixante ans.

12:17 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature, théâtre, racine, billets français, lycée | | |

Commentaires

Ah ! Racine ... toute ma jeunesse passionnée. Je me suis frottée à ses alexandrins durant 12 années, de façon aussi quotidienne qu'intense. Il paraît qu'il faut 15 ans pour faire un(e) tragédien(ne) ... pour enfin le parler de façon intelligente, sans l'ombre d'une emphase. Il est vrai que le texte se suffit à lui-même, nul besoin de musique supplémentaire. J'ai fini par conclure que le pire ennemi du cerveau était l'estomac puisqu'à notre époque, Racine ne nourrit plus son homme dans le sens général du terme.
Je refuse depuis d'assister à une seule de ses tragédies par peur d'entendre massacrer ses vers. Quoi de plus exécrable en effet qu'un alexandrin de 11 ou 13 pieds ? Mais je le relis parfois pour le plaisir et non sans nostalgie. Mon maître lui préférait Corneille ce qui était un grand sujet de discussion voire de dispute entre nous. Vous avez l'art de réveiller les souvenirs, cher Solko ...

Écrit par : simone | mardi, 23 décembre 2008

C'est votre billet qui est magnifique Solko,et qu'il faudrait apprendre par coeur, je suis admiratrice de tout: ce que vous dites, et comment vous le faites, je veux dire comment vous tournez tout ça -et je parle même pas du titre!- c'est splendide, vous nouez la gorge vous aussi.
Et c'est beau de lire le commentaire de Simone en-dessous, enfin au-dessus. J'espère quAndromaque va venir vous dire merci publiquement, mais je ne doute pas qu'elle l'ait déjà fait en privé! Bonne journée Solko, merci, merci.

Écrit par : Sophie L.L | mardi, 23 décembre 2008

Sophie a raison, mais si j'avais été plus rapide c'est moi qui aurais eu raison. Blague à part, votre billet est en effet magnifique.

Écrit par : L'autre Jacques | mardi, 23 décembre 2008

@ Simone, Sophie & L'Autre Jacques : Jean vous remercie pour tous ces témoignages.

Écrit par : solko | mardi, 23 décembre 2008

A mon tour, je vous remercie.
Ah, que n'ai-je été votre élève !

Écrit par : Le Photon | dimanche, 13 décembre 2009

Superbe. "Andromaque" était, avec "Iphigénie", l'une de mes pièces préférées.
Le cygne, celui qui "chante divinement pour soi et pour le monde", était un parfait symbole pour Racine...

Écrit par : Sophie K. | samedi, 29 janvier 2011

(PS : il faudra bien abattre la "muraille immense du brouillard", tout de même...) :0)

Écrit par : Sophie K. | samedi, 29 janvier 2011

Non pas l'abattre, mais demeurer capable, oui, de la traverser dans "tous les sens", d'aller de part et d'autre.

Écrit par : solko | samedi, 29 janvier 2011

Andromaque, je pense à vous! un beau billet nous est offert là. Il nous emmène loin dans les souvenirs lycéens mais aussi dans ceux des premières pièces de théâtre vues. J'ai en mémoire des sociétaires de la Comédie Française domptant par la qualité de leurs dictions et de leurs jeux une salle rétive et chahuteuse, des matelots en goguette.J'ai été impressionné d'apprendre qu'ils devaient avoir en mémoire un répertoire de 100 pièces.

Voir ces auteurs de pièces étincelantes, passer des planches à la planche à billets m'a, toujours, un peu choqué. Ces écrivains virtuoses, aux œuvres éternelles, méritaient mieux,je crois, que de prêter leurs effigies à des billets qui se dévalorisaient plus vite qu'ils étaient imprimés. "Leurs valeurs n'attendaient pas le nombre des années" . Cette récupération de grands auteurs me semblaient une tartuferie de la bourgeoisie. Elle était pour moi, révélatrice du peu de respect dans lequel elle tient la culture . Cette exhibition révélait, aussi, les limites du consensus mou dans lequel nous vivions. Ils sont , peut être joués, parfois au théâtre de la monnaie à Bruxelles!

Écrit par : patrick verroust | samedi, 29 janvier 2011

Vous avez raison. C'était une publicité, aussi, faite par la BdF, du patrimoine du pays. Et puis ça avait un côté bon point...
Comme les mots extirpés de leur valeur d'usage par on ne sait quel charme poétique (un sens plus pur aux mots de la tribu, disait Mallarmé), les billets démonétisés prennent toutefois une "valeur" poétique, quand on les reconsidère à titre de documents.

Écrit par : solko | samedi, 29 janvier 2011

J'ai lu votre billet en ayant oublié que je l'avais lu -mon dieu il y a deux ans !- et j'ai été éblouie exactement comme la première fois.

Écrit par : Sophie | samedi, 29 janvier 2011

Deux ans, oui, que nous pianotons. On peut aussi voir la chose en se disant que nous sommes de très jeunes pianoteurs...

Écrit par : solko | samedi, 29 janvier 2011

Oui. Et vivement votre prochain billet. je ne vous dis pas assez merci.

Écrit par : Sophie | samedi, 29 janvier 2011

@ Patrick Verroust :

Il y a chez "Solko", (cf la colonne en haut à droite), toute une série de textes sur les billets de banque :
"Les Savants de la Banque de France", "Écrivains & Artistes de la Banque de France", "Politiques & Anonymes de la Banque de France".
Il y a aussi des Nouvelles (sublimes) :
"Le Dernier franc", Un Pascal dans la neige", "Les Billets roses", "La Poésie et la monnaie".
Nous sommes nombreux à souhaiter que tous ces textes puissent faire l'objet d'une édition. A imaginer qu'il existât encore des éditeurs inspirés...

http://solko.hautetfort.com/le-monde-sans-cezanne.html

Écrit par : Michèle | dimanche, 30 janvier 2011

Comme le dit Frasby, vous êtes une fée (la fée Chimèle). Si j'avais la poudre de perlimpinpin pour vous rémunérer dignement, je vous embaucherais comme agent littéraire!

Écrit par : solko | dimanche, 30 janvier 2011

Ouais! vous avez bien raison Solko

Bonne soirée

Écrit par : valentine | dimanche, 30 janvier 2011

Bonsoir cher Solko,
J'ai relu aussi ce matin ce billet, je lirai bientôt Andromaque que je n'ai peut-être encore jamais lue! Il me semble que c'est la tragédie racinienne préférée d'un ami cher, après cette réédition d'ancien franc je n'ai plus d'excuse !!!!!
Merci et à bientôt.

Écrit par : Tanguy | dimanche, 30 janvier 2011

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