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vendredi, 28 janvier 2011

Sur la scène

J’ai trop souvent l’impression, lorsque je me rends au théâtre, que cet art a cessé d’être le grand rassembleur qu’il fut jadis, pour n’être plus, parmi d’autres, qu’un anodin représentant en images. Voilà pourquoi, contraint par l’époque, je peux passer de longs mois à ignorer son chemin qui me fut cher.

Et puis soudain, cinq, six spectacles, une sorte de boulimie presque involontaire, comme à la recherche d’ébranlements considérables dans la température des fondations éboulées.

 

Rejoindre le lieu d’où voir, et cet instinct égaré : « Le désespoir en dernier lieu de mon Idée qui s’accoude à quelque balcon lavé à la colle ou de carton-pâte », larmoyait Mallarmé (1) – et larmoyer est à entendre ici sous un jour positif –, tenter la clé du spectacle.

 

Longtemps, la culture des gens de théâtre – à cela la vive crainte que le bourgeois toujours leur porta – fut de ne rien conserver de lui-même : là, un soir efface l’autre, et chacun mérite la nouvelle et seule énigme d’une représentation ; on dit que c’est ainsi que le pape succède non pas à son prédécesseur, mais à Pierre lui-même. Comme si rien de trop ne comptait jamais, brûler les planches, flamber son cœur en guise de martyre, jouer fut longtemps le seul mystère du comédien.

Et dans un geste aussi aristocratique que catholique, centon échappé de la crèche, par le parvis de la cathédrale jusqu’au miroir de sa loge, l’homme de théâtre garda cela comme un honneur, à travers les siècles de possession. Telle fut sa coquetterie, qu’une maison jalouse dût ne durer, par nature qu’un instant.

 

Malgré l’aride travail qu’avait été l’édification de la précédente, assembler les poutres de la prochaine avec la ferveur d’un débutant, le compagnonnage d’un averti, le métier de l’artisan au déclin. Tant d’œuvres perdues, soit. Mais tant d’œuvres surgies de cette perte, consubstantielles.  Tant d’autres, dans tous les sens du terme, passées. Tel, ce que la naissance doit à la mort.

 

Il est, de nos jours, question de captation de spectacles. Le metteur en scène, économe de son talent, devient réceptacle de son seul répertoire. Puisqu’il naquit  de l’électricité, l’électricité le grille, en quelque sorte. Et,  comme au cinéma, fige l’essor de sa parole. Moi, spectateur, il me faut alors redoubler de vigilance ; réserver mes applaudissements à quelques rares secondes : lorsque, quand même, loin de la performance, le souffle de l’acteur ranime mon instant.

 

 

(1) Mallarmé, Crayonné au théâtre

11:07 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : théâtre, littérature, société, mallarmé, spectacle vivant | | |

Commentaires

Solko:

J'aime beaucoup ce commentaire, votre intime réflexion. j'apprécie votre réserve quant aux applaudissements. Je ne suis pas chiche en applaudissements mais je trouve ce mode d'expression sommaire et dérangeant. Il rompt l'enchantement qui a pu être créé. Il impose la loin du vacarme comme norme de qualité alors qu'il contient une bonne dose de narcissisme chez celui qui applaudit. Les artistes en sont, quelquefois, perplexes qui savent évaluer leur performance. Cela ne les aide pas à progresser et permet à des spectacles médiocres de perdurer. Il est vrai que le spectateur aime être "dérangé" un peu mais pas beaucoup, passionnément, à la folie.
Comme vous, je peux avoir des périodes boulimiques puis des ruptures aussi bien par satiété que par paresse ou par frustration de ne pas pouvoir voir les spectacles que j'aimerais voir. Je n'aime rien autant que de découvrir de petits bijoux confidentiels que je déguste pour mon seul plaisir. Vous en avez à Lyon.

Écrit par : patrick verroust | vendredi, 28 janvier 2011

Des bijoux confidentiels surnagent parfois en effet, au centre d'un grand conformisme. Certains metteurs en scène comptent de plus en plus sur du spectaculaire, là où une recherche de la signification aurait sans doute suffi. Chaque époque e eu ses "traits". Les nôtres sont technologiques.

Écrit par : solko | samedi, 29 janvier 2011

Votre texte donne envie d'aller au théâtre. Je n'ai, loin de tout, que celui de la nature. Aujourd'hui, je le regrette.

Écrit par : Natacha S. | vendredi, 28 janvier 2011

j'ajouterai que la classe politique serait avisée de s'inspirer de la philosophie de votre billet.

Écrit par : patrick verroust | vendredi, 28 janvier 2011

très cool, ce centon, il fallait l'oser

Écrit par : gmc | vendredi, 28 janvier 2011

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