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dimanche, 22 février 2015

L'absente de tous bouquets

 « À quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant : si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure ?

  Je dis : une fleur ! et hors de l’oubli où ma voix relègue aucune couleur, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. »

 

Frappé – suffit pour cela de quelques lignes de Mallarmé relues – du peu de goût, d’enclin, d’affection de ce présent infect pour la poésie, la qualité vibratoire du son, la résonance absolue du signe en l’esprit dans la richesse et la tension de tout son arbitraire. Race maudite nous voici devenus, race plusdite même, race sans poètes tandis que les mots de la tribu mallarméenne un à un jetés à l’encan sont mis en procès dans l’imaginaire populaire par l’infectieux agent politicien.

Quelques lignes d’une langue non point morte mais tue, à l’heure que le jeu de la parole se borne au vent imbu du dire et que la notion pure se retire, et que le concret bat tambour, ignare et assourdissant !

Oserai-je même dire : une fleur, de peur que sitôt ne frappe à ma porte la salopette d'un livreur du Monoprix, son bouquet éteint à la main, vide de tout risque et stupidement présent sur la page où nul ne l’aurait désigné ?

 

A quoi bon donc cette merveille du pur poème, sinon la protection d’un son dans l’écrin de la suggestion, infime et seul écran face à la honte déjà toute bue dans le calice du signe de l'horreur de demain ?

 

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Portrait de Stéphane Mallarmé par Manet, 1876

vendredi, 28 janvier 2011

Sur la scène

J’ai trop souvent l’impression, lorsque je me rends au théâtre, que cet art a cessé d’être le grand rassembleur qu’il fut jadis, pour n’être plus, parmi d’autres, qu’un anodin représentant en images. Voilà pourquoi, contraint par l’époque, je peux passer de longs mois à ignorer son chemin qui me fut cher.

Et puis soudain, cinq, six spectacles, une sorte de boulimie presque involontaire, comme à la recherche d’ébranlements considérables dans la température des fondations éboulées.

 

Rejoindre le lieu d’où voir, et cet instinct égaré : « Le désespoir en dernier lieu de mon Idée qui s’accoude à quelque balcon lavé à la colle ou de carton-pâte », larmoyait Mallarmé (1) – et larmoyer est à entendre ici sous un jour positif –, tenter la clé du spectacle.

 

Longtemps, la culture des gens de théâtre – à cela la vive crainte que le bourgeois toujours leur porta – fut de ne rien conserver de lui-même : là, un soir efface l’autre, et chacun mérite la nouvelle et seule énigme d’une représentation ; on dit que c’est ainsi que le pape succède non pas à son prédécesseur, mais à Pierre lui-même. Comme si rien de trop ne comptait jamais, brûler les planches, flamber son cœur en guise de martyre, jouer fut longtemps le seul mystère du comédien.

Et dans un geste aussi aristocratique que catholique, centon échappé de la crèche, par le parvis de la cathédrale jusqu’au miroir de sa loge, l’homme de théâtre garda cela comme un honneur, à travers les siècles de possession. Telle fut sa coquetterie, qu’une maison jalouse dût ne durer, par nature qu’un instant.

 

Malgré l’aride travail qu’avait été l’édification de la précédente, assembler les poutres de la prochaine avec la ferveur d’un débutant, le compagnonnage d’un averti, le métier de l’artisan au déclin. Tant d’œuvres perdues, soit. Mais tant d’œuvres surgies de cette perte, consubstantielles.  Tant d’autres, dans tous les sens du terme, passées. Tel, ce que la naissance doit à la mort.

 

Il est, de nos jours, question de captation de spectacles. Le metteur en scène, économe de son talent, devient réceptacle de son seul répertoire. Puisqu’il naquit  de l’électricité, l’électricité le grille, en quelque sorte. Et,  comme au cinéma, fige l’essor de sa parole. Moi, spectateur, il me faut alors redoubler de vigilance ; réserver mes applaudissements à quelques rares secondes : lorsque, quand même, loin de la performance, le souffle de l’acteur ranime mon instant.

 

 

(1) Mallarmé, Crayonné au théâtre

11:07 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : théâtre, littérature, société, mallarmé, spectacle vivant | | |

jeudi, 15 octobre 2009

Le XXIème siècle fait joujou avec le XIXème


Nerval  : El desdichado

 

Baudelaire : A une passante


Rimbaud : Ophélie

 

Connaissiez-vous ces horreurs en caoutchouc ?

Moi non.

J’ai découvert cela sur un blog « pédagogique ».

Je m’imagine, à seize ou dix-huit ans, ayant des poètes une telle vision.

Chamallow, chamallow.

 

Brrrr….

 

06:40 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature, chamallow, nerval, baudelaire, rimbaudd, mallarmé | | |

samedi, 26 avril 2008

Kantor et Mallarmé

Du 25 Juin au 25 juillet 1986, Tadeusz Kantor a dirigé un séminaire à l’Ecole d’Art Dramatique de Milan. Chanceux furent les douze élèves qui y participèrent. Chanceux, ô combien ! « Les Artistes doivent étudier, découvrir, reconnaître et laisser derrière eux les régions conquises. » Le texte de ces  12 leçons, dites « de Milan » existe, on le trouve dans la collection Papiers d’Acte Sud.: « Votre étude ne sera pas scolaire, elle doit être créative », dit-il en apéritif aux douze chanceux présents ces jours-là. Un artiste assène Kantor, «  n’est pas un professionnel comme un autre ». Pire : «la professionnalisation théâtrale de plus en plus marquée conduit à sa défaite (il parle alors du théâtre en général). » Pour lui, rien n’est pire que cette assurance froide, lucide et somme toute irréprochable du technicien qui en effet est devenu maître de son art.  Cette mise en garde contre l’acteur professionnel rappelle un peu le dégoût  qu’exprimait au début de l’autre siècle Anatole France dans  une bonne vieille phrase de spectateur, à propos du Guignol de la rue Vivienne et de ses comparses en bois et en tissu : « Je leur sais un gré infini de remplacer les acteurs vivants. Les acteurs vivants me gâtent la comédie. J’entends les bons acteurs. » Cela rappelle aussi cette boutade de Gordon Craig, au début du siècle : «Il faudrait que tous les acteurs meurent de la peste. »

Kantor fit en effet disparaître les acteurs, au sens traditionnel du terme.  L’abstraction qu’il évoque sans cesse  dans les  Leçons de Milan, et qui est le contraire de l’incarnation, au sens où on dit «qu’un acteur a bien joué son rôle », cette abstraction n’est pas si éloignée de celle à laquelle revient sans cesse Mallarmé  dans sa Crise de vers « Je dis : une fleur ! », proclamait ce dernier « et musicalement se lève, idée même et  suave, l’absente de tous bouquets »  Et en effet, comme Mallarmé abolit la performance ordinaire du mot pour le montrer à la tribu sous un jour qui rende un sens plus pur, un jour essentiel, disait le maître des mardis, le maître de Milan abolit la performance ordinaire de l’acteur afin de montrer par cette abolition les contours  grotesques et  pathétiques de l’être humain, dans une abstraction presque sacrée. Car ce n’est bien, en définitive, que lui, l’être humain, qui l’intéresse, l’être humain, cet objet pauvre dont Tadeusz Kantor se fit, sa vie durant, le montreur, - au sens où il y eut un temps, dans les villages de Pologne, de nulle part, d'ici et d’ailleurs, des montreurs d’ours. L’abstraction dont il parle, ce n’est jamais que cela, le corps de l’acteur ou bien la silhouette de l’objet retirés du circuit de la consommation, exposés comme le fut le ready made de Duchamp, exhibés, mais jamais représentés, tout comme le mot de Mallarmé, retiré de la conversation, et comme pris dans le gel, « le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui… », acteurs, objets, mots, signes visibles, palpables jamais absolument ou définitivement compris…

 

 

01:05 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature, kantor, mallarmé, leçons de milan | | |