dimanche, 17 août 2014
Je hais les touristes (1)
Ma détestation du touriste remonte loin, à ce temps où je faisais mon Kérouac sur les routes, sac à dos en bandoulière, pouce levé. S’il fallait fixer une image liminaire, ce serait peut-être celle de ce Français juché sur les épaules de la petite sirène de Copenhague, l’été 73, et gueulant à sa femme, bras levés au ciel : « Et surtout, qu’on ne voit que moi… ». Quelque chose d’incompréhensible, pour l’adolescent que j’étais. Sur la petite sirène ? Qu’on ne voit que ce gros con ? étions-nous vraiment du même pays ? De la même humanité ?
Peut-être aussi dois-je cette détestation à de vieilles lectures : celles des récits des voyages en Orient de Gérard, à de vieux rêves : ceux des premiers beatniks dont, dans l’ennui drômois qui berça ma puberté, je me grisais. Original, ça ne colle pas avec organisé.
Et puis, je suis d’une famille de sédentaires, comme la plupart d’entre vous. Ma grand-mère, par exemple, ne quitta jamais Lyon, sinon pour cette maison de la Drôme où je me suis beaucoup ennuyé en sa compagnie. Pour ces gens-là qui vivaient comme leurs chats, le voyage était un fait exceptionnel. C’est peut-être ce qui me déplaît le plus chez le touriste : le côté acquis du voyage, comme si c’était un droit… Vulgarité, effet de troupeau, routine : bref, s’il y a bien un ennemi, un contraire absolu du voyageur, c’est bien le touriste.
Une autre anecdote : Je me souviens être allé en Bretagne voir des amis il y a longtemps et avoir visité avec eux un phare, et longuement discuté avec son gardien. En ce temps-là, personne de visitait les phares, ni les cabanes de pécheurs, ni ailleurs les mines ou les camps de concentration. Il y a quelques années, je suis retourné dans le Finistère. Et j’ai vu un car s’arrêter devant un phare désaffecté, des grappes de gens en sortir, appareils photos bringuebalant sur le torse. Un guide avait pris la place du gardien, que savait-il, ce dernier, des longues nuits, passées seul avec le vacarme de l'océan ?Ce côté obligé, balisé, pour finir : j’ai donc renoncé à voyager vers 1997 et je me souviens fort bien m’être dit cette fois-ci, c’est la dernière fois que je prends l’avion. J’ai laissé mourir mon passeport au fond d’un tiroir, et quand il a expiré, je ne l’ai pas renouvelé, de profundis et n’en parlons plus.
C’était sans compter sur l’Unesco et ses hits qui classèrent un jour tout mon quartier de la Croix-Rousse avec la bonne ville de Lyon toute entière pour son site exceptionnel et la variété de son architecture. Sans Raymond Barre et Gérard Collomb, qui transformèrent la vieille fête du 8 décembre en festival des Lumières. Si tu ne viens pas au tourisme, le tourisme viendra à toi. Moi qui, jadis, engueulais des potes qui tiraient irrespectueusement le portrait des autochtones sur le marché de Cotonou au Bénin, me retrouve pris en photo par ces cons à la fenêtre de mon immeuble, habitat typiquement canut and so and so… Les touristes sont décidément une sale engeance. J’ai connu à Briançon une dame charmante, qui les appelait fort justement des doriphores, et il faut vraiment s’appeler Fabius et raisonner sous un crâne d’œuf pour se réjouir du fait que la France, après avoir perdu sa monnaie, ses frontières, son industrie, et une grande partie de sa culture, soit devenue « la première destination touristique du monde ». Cela me rappelle son collègue socialiste Attali, assurant d’un ton égrillard que les nations sont comme les hôtels de luxe, et que le petit personnel y doit être bien traité, si l’on veut que les hôtes de marque y reviennent…
A suivre
København, indéniable solitude d'une sirène
20:21 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : københavn, tourisme, nerval, kerouac, littérature |
lundi, 01 juillet 2013
Le cadavre pensif (1)
On a pu voir dans les billets précédents comment avait émergé dans la littérature une figure, celle du cadavre glorieux. Sa description fait toujours l’économie de la matérialité du corps, esthétisant jusqu’au sublime la forme, selon les modèles de la beauté grecque. Il est d’ailleurs probable que la plupart des descriptions aient été inspirées davantage par des tableaux ou des statues que par de véritables cadavres. Par ailleurs, elle exprime toujours l’idée de Résurrection à venir, fidèle en cela au dogme catholique. Cette esthétisation toute empreinte de religiosité des dépouilles est d’ailleurs un fait de société, comme l’a très bien noté Philippe Ariès :
« Dans les chambres les plus banales de la bourgeoisie occidentale, la mort a fini par coïncider avec la Beauté, dernière étape d’une évolution qui a commencé tout doucement avec les beaux gisants de la Renaissance. Mais cette apothéose ne doit pas dissimuler la contradiction qu’elle renferme : cette mort n’est plus la mort, elle est une illusion de l’art. La mort a commencé à se cacher malgré l’apparente publicité qui l’entoure dans le deuil, le cimetière, dans la vie comme dans l’art et dans la littérature : elle se cache sous la beauté » (1)
Lorsque Louis XVIII revient sur le trône et que s’achève l’héroïque épopée napoléonienne, une génération dont Musset a si bien dit « le mal du siècle » va se donner pour tâche d’interroger cette beauté et, à travers elle, le dogme de la Résurrection. Ce « cadavre de toi » avec lequel dialoguaient si sereinement les préromantiques, et qu’on se promettait de retrouver au Ciel, sans perdre son caractère sublime et sacré, va devenir une troisième personne, cadavre de lui, vers qui se tournent les doutes et les questions du survivant.
« Hélas, hélas, s’écrie Musset. La religion s’en va. Nous n’avons pas deux petits morceaux de bois noir en croix devant lesquels tendre les mains. (…) Il n’y a plus d’amour, il n’y a plus de gloire : quelle épaisse nuit sur terre ! et nous serons morts quand il fera jour ! » (2)
On retrouve le même constat chez Nerval :
« Pour nous, nés dans les jours de révolutions et d’orages, où toutes les croyances ont été brisées, il est bien difficile de reconstruire l’édifice mystique dont les innocents et les simples admettent dans leurs cœurs la figure toute tracée » (3)
Ce faisant, la description du cadavre demeure le lieu où convergent toutes les spéculations spirituelles que l’ébranlement du dogme occasionne ; que l’âme conserve ou non le souvenir de son identité terrestre, qu’elle expérimente une alternance plus ou moins heureuse de vies dans l’au-delà, qu’elle s’épanouisse en un nirvana radieux, s’abîme dans le Néant ou accomplisse une trajectoire de comètes dans un espace sans fin, les variétés imaginaires que les tenants de la « religion romantique » ont élaborées sont presque sans fin et s’expriment dans une multitude de croyances nées au carrefour de multiples influences : résurgence de l’illuminisme, prolongation du déisme voltairien ou du matérialisme enchanté de Diderot, développement du spiritisme, goût pour l’orientalisme qui introduit dans le champ des croyances le thème de la réincarnation et celui de la Maya (l’Illusion), variations sur les thèses de Swedenborg comme on en trouve jusque chez Balzac et sa Séraphita.
Cependant, même si le dogme catholique est malmené, la volonté de déchristianiser le pays bute encore sur une pratique bien installée, surtout lorsque la mort est en jeu et le deuil de mise. Le cadavre demeure donc une figure hautement sacrée. Entre Musset, Lamartine, Hugo, Leconte de Lisle, Gautier, Nerval, par ailleurs, l’éclectisme des doctrines est tel qu’il est impossible d’évoquer une conception religieuse commune de l’Au-Delà. Pourtant, lorsqu’on lit de près les descriptions des cadavres qu’ils produisent, force est de constater qu’elles obéissent à une logique qui leur est commune : avec ces auteurs, disparait ce que nous avons appelé la figure du cadavre glorieux, et les descriptions empreintes de religiosité qui en découlent. Une autre figure surgit, plus problématique, qu’on pourrait appeler ici le cadavre pensif.
« Rien n’est encore trouvé, rien n’est encore compris,
Car beaucoup, ici-bas sentent que l’espoir tombe
Et se brisent la tête à l’angle de la tombe » (4)
Au centre de cette hérésie, comme l’appelle Bénichou (5), la figure souveraine qui se détache n’est plus celle du Christ et du corps glorieux, mais celle du Moi quêtant, souffrant. La foi que le romantisme oppose au christianisme diffère « non seulement par le contenu mais par la nature même : c’est une autre région de l’esprit » écrit Paul Bénichou, dans son remarquable Temps des Prophètes. Si confuse soit-elle sur le plan conceptuel, cette « religion » prône l’émancipation de la tradition et accompagne le développement de l’individualisme bourgeois. Il est donc de moins en moins question de salut de l’âme ou de conversion religieuse, mais de survie de l’esprit et de sublimation du désir.
Dans le même temps, la notion de paradis se matérialise : on confond l’Au-delà avec le monde sidéral où Swedenborg voit les anges voler et Kardec les esprits se purifier. La nature, de laquelle l’homme classique s’était vivement méfié comme d’un lieu diabolique, devient une sorte de Temple de Dieu ; l’idée et le sens même du péché originel se perdent : les énergies se tendent vers le confort et le progrès social. Et si l’âme du défunt se retirait dans un au-delà dont le survivant, mélancolique, pouvait encore contempler la diaphane majesté sur le front de son cadavre, l’esprit du défunt, lui, à l'image du naufragé, erre encore parmi nous :
« A chaque vent qui s’élève
A chaque flot sur la grève
Je dis : n’es-tu pas leur voix », peut ainsi chanter Lamartine dans sa splendide Pensées des Morts.
A suivre
(1) Philippe Ariès, « Le temps des belles morts », L'homme devant la mort, II,
(2) Musset, Confession d'un enfant du siècle, Première Partie
(3) Nerval, Aurélia
(4) Hugo Chants du Crépuscule
(5) Paul Bénichou: Le temps des prophères, Les Mages romantiques
01:04 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, cadavres, nerval, musset, ariès, hugo, leconte de lisle, france, romantisme |
jeudi, 15 octobre 2009
Le XXIème siècle fait joujou avec le XIXème
Nerval : El desdichado
Baudelaire : A une passante
Rimbaud : Ophélie
Connaissiez-vous ces horreurs en caoutchouc ?
Moi non.
J’ai découvert cela sur un blog « pédagogique ».
Je m’imagine, à seize ou dix-huit ans, ayant des poètes une telle vision.
Chamallow, chamallow.
Brrrr….
06:40 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature, chamallow, nerval, baudelaire, rimbaudd, mallarmé |
vendredi, 20 juin 2008
Le prince d'Aquitaine
Dernières nouvelles de Gérard de Nerval...
01:32 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, nerval, père lachaise, poèmes, littérature |