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mercredi, 30 septembre 2015

Putain d'ta race

Très sincèrement, je ne crois pas que Nadine Morano soit raciste ; en disant (après de Gaulle) que la France « est un pays de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne »,  elle employait le mot race pour le mot couleur, ce qui est une de ses acceptions courantes parmi d’autres (1) d’avant le Touche pas à mon pote et autres campagnes médiatiques de propagande, ce que le slogan black blanc beur, une invention de la gauche socialiste, signifie sans qu’on s’en  émeuve plus que ça… Que la France soit un pays séculairement peuplé de blancs, de culture gréco-latine et de religion chrétienne, tous nos mondialistes révisionnistes auront du mal à nous démontrer sérieusement le contraire. Que ces propos prennent une telle proportion dans le landernau politique, de Cambadélis à Juppé et NKM, en passant par l’ex du Medef, dame Parisot en personne, en dit assez long sur les stratégies de communication dans lesquelles ce petit monde de Bélise et de Trissotin s’est lui-même empêtré, dans l’indifférence générale du plus grand nombre.

A l’heure où l’on s’apprête enfin à constituer une coalition contre les salafistes de Daesh, il y a peut-être d’autres débats à tenir en métropole que ces procès en sorcellerie incessamment montés depuis Jacques Pilhan et sa petite main par les fabricants de clivage et les meneurs d’opinion. Il est vrai que depuis Hollande, qui ignore tout de la polysémie, le terme infamant a été retiré de la constitution. Mais pas du dictionnaire. Quand saisira-t-on enfin l'Académie Française, non d'un socialiste ? 

(1) Ce sont les biologistes et les anthropologues du XIXeme siècle qui ont foutu la merde, en quelque sorte, dans les connotations du mot race.  « Race de vipères », disait des Juifs le Christ, qui lui-même était Juif. «Le premier dont ma race ait vu rougir son front », lançait le vieux Don Diègue  (vers qui enflamma pour d’autres raisons jadis les manuels de rhétorique). Et Hugo : « Une race naîtrait de moi ! Comment le croire? Comment se pourrait-il que j'eusse des enfants? »  Et Proust : « Monsieur de Charlus, se rappelant qu'il était de race plus pure que la maison de France »…

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Jacques Pilhan, derrière Mitterrand. Une bonne vieille histoire de com', une ficelle usée

samedi, 06 juillet 2013

Le cadavre pensif (2)

Ce qui étonne le plus dans le cadavre, c’est son silence. Car le siècle a foi dans la parole. C’est cette même foi, que le XXème égarera dans la propagande et la technicité, qui caractérise ce temps que Bénichou a si bien appelé celui des prophètes. De la parole, en effet, doit naître l’avenir A la question de la survie de l’esprit, par exemple, Hugo répond par l’affirmative dans le célèbre alexandrin de Suite dans lequel il postule la toute puissance du mot sur la lumière et sur le monde sensible.

« Mon nom est Fiat Lux, et je suis ton aîné ».

Qu’un homme aussi  « éclairé » qu’Hugo ait pu donner crédit aux théories spirites interroge aujourd’hui ; d’autant plus qu’il ne fut pas le seul.

C’est que la doctrine de Kardec offre plusieurs intérêts pour qui souhaite s’affranchir du catholicisme sans quitter le domaine de la croyance :

- en donnant la parole aux défunts, le spiritisme invente un lien idéalisé entre morts et survivants. Il place la parole et la communication au cœur de son dispositif, cédant en cela à l’engouement de tout le romantisme pour elles.

- d’autre part, il transpose dans un univers spirituel où les esprits se meuvent d’eux-mêmes et sans l’intercession d’un Sauveur, le concept moderne et bourgeois du progrès social. Dans son best-seller, Le livre des Esprits, Allan Kardec fait répondre à un esprit interrogé (question 766 : « la vie sociale est-elle dans la nature ») :

« Certainement. Dieu a fait l’homme pour vivre en société. Dieu n’a pas donné inutilement à l’homme la parole et toutes les autres facultés nécessaires à la vie en relation ».

Le manifeste spirite affirme par ailleurs de nombreux principes révolutionnaires  (la liberté de penser, l’égalité devant Dieu, la fraternité entre tous) comme des droits inaliénables accordés directement par Dieu à chacun. (1) Il n’a pu se concevoir que sur la base d’une vaste idée de l’humanité en mouvement, en progrès, au sein de laquelle vivants et morts communiquent leurs savoirs solidaires : « Nul homme n’a des facultés complètes. Par l’union sociale, ils se complètent  les uns par les autres pour assurer leur bien-être et progresser ». Sans doute est-ce ce qui explique que le spiritisme ait pu être pratiqué avec une stupéfiante naïveté par des individus issus de tous les milieux, et souvent par des hommes de lettres et des artistes. En 1862, Kardec, qui est lyonnais, recense quelques 30 000 spirites dans sa ville natale, dont l’essentiel se trouve dans une population canut par ailleurs très férue d’humanisme sociale.

Ce qui intéresse dans ce phénomène, c’est là encore ce mélange de négation et d’exaltation de la mort qu’il manifeste de façon aussi intempestive que théâtrale. Les esprits des morts « incorporent » les médiums et parlent aux vivants ; devant le cadavre, les spéculations les plus folles semblent permises, comme celle de parler en son nom.

Car « Le vaste et profond silence » de la mort, dont Hugo se fait au temps des Contemplations le chantre, est en réalité peuplé de paroles :

« Mais d’où je suis, on peut parler aux morts

Ah, votre cercueil s’ouvre  - Où donc es-tu ? – Dehors,

Comme vous. – Es-tu mort ?  Presque. J’habite l’ombre. » (2)

« Le souvenir de la vie reçue dans le néant et donnée dans la mort en appelle à l’espérance folle en une Parole Absolue parfaitement identique à son effet, la vie, note D.Vasse (3), et au regard de laquelle la mort ne se donne plus à lire comme un échec, mais comme le lieu de son surgissement éternel, ce dont témoigne, dans l’espace et le temps la vie de chaque homme »

La foi en cette parole quasiment performative devient une arme pour affronter les duretés de l’existence. Dans le chapitre « Le Roi des morts » de la Sorcière, Michelet regrette qu’on ait « tiré la fête des morts du printemps, où l’antiquité la plaçait, pour la mettre en novembre ». Il imagine ensuite cette prosopopée, faite de « je ne sais quelles faibles voix qui montent du cœur » :

« -Bonjour ami. C’est nous. Tu vis donc. Tu travailles comme toujours. Tant mieux ! Tu ne souffres pas trop de nous avoir perdus, et tu sais te passer de nous. Mais nous, pas de toi, non, jamais ».

On a bien affaire à un nouvel au-delà, dans lequel tout poète digne de ce nom se doit non seulement de croire, mais dont il doit également témoigner.

Un poème de Hugo, dont le ton mélodramatique a souvent été critiqué et qui connut un succès gigantesque auprès du public, Le Revenant, met en scène une mère dont le fils est mort et qui ne s’en console pas. Jusque là, rien que de très banal. Lorsque « elle se sentit mère une seconde fois », elle refuse d’abord cette nouvelle grossesse, ce nouvel enfant, jusqu’à ce que le nouveau-né la reconnaisse :

« Elle entendit avec une voix bien connue

Le nouveau né parler dans l’ombre entre ses bras

Et tout bas murmurer : c’est moi. Ne le dis pas »

Si un cadavre, dans un contexte aussi exalté, peut donner matière à penser, c’est bien, plus que tout autre, le mien.

Ainsi, le narrateur du Dernier Jour d’un condamné imagine sa tête décapitée, roulant comme une balle, découvrant les ténèbres dans lesquelles il va s’enfoncer :

« Il me semble qu’il y aura un grand vent qui me poussera et que je serai heurté ça et là par d’autres têtes roulantes (…) Quand mes yeux, dans leur rotation, seront tournés en haut, ils ne verront que le ciel sombre, dont les couches épaisses pèseront sur eux, et au loin, dans le fond, de grandes arches de fumée plus noires que les ténèbres. »

Nodier, dans cet extrait de Smara, pousse à l’extrême cette même vision, faisant de la tête de son cadavre l’instrument d’un jeu cynique et symbolique :

« Ma tête était tombée… elle avait roulé, rebondi sur le hideux parvis de l’échafaud et, prête à descendre toute meurtrie entre les mains des enfants, des jolis enfants qui se jouent avec les têtes des morts, elle s’était rattrapée à une planche saillante en la mordant avec ces dents de fer que la rage prête à l’agonie. »

Cette figure du cadavre, qui n’est plus appelée à ressusciter, mais pas encore à disparaître hante la littérature occidentale et traverse le XIXéme siècle à travers un genre qu’il affectionne particulièrement, le fantastique. Que sont la créature du docteur Frankenstein, et le comte Dracula, sinon des cadavres en instance de départ et de retour à la fois, des cadavres pensifs, amalgames d’un nouveau credo qui hésite entre scientisme et paganisme, et ne parvient pas à se défaire non plus du christianisme, dans une confusion des genres et des valeurs plus que jamais, si l’on peut parler ainsi, littéraire

 

rubens - The Head of Medusa. 1617. Oil on wood. 69 x 118 cm. Kunsthistorisches Museum, Vienna, Austria.jpg

 Tête de Méduse, Rubens

 

1 Allan Kardec, Le livre des Esprits

2 Hugo, Contemplations – « Ecrit en 1855 »

3 D.Vasse, « l’effet d’une parole dans le lieu de la mort », Cahiers de Psychanalyse, 5, Lumen Vitae, 1971

lundi, 01 juillet 2013

Le cadavre pensif (1)

On a pu voir dans les billets précédents comment avait émergé dans la littérature une figure, celle du cadavre glorieux. Sa description fait toujours l’économie de la matérialité du corps, esthétisant jusqu’au sublime la forme, selon les modèles de la beauté grecque. Il est d’ailleurs probable que la plupart des descriptions aient été inspirées davantage par des tableaux ou des statues que par de véritables cadavres. Par ailleurs, elle exprime toujours  l’idée de Résurrection à venir, fidèle en cela au dogme catholique. Cette esthétisation toute empreinte de religiosité des dépouilles est d’ailleurs un fait de société, comme l’a très bien noté Philippe Ariès :

« Dans les chambres les plus banales de la bourgeoisie occidentale, la mort a fini par coïncider avec la Beauté, dernière étape d’une évolution qui a commencé tout doucement avec les beaux gisants de la Renaissance. Mais cette apothéose ne doit pas dissimuler la contradiction qu’elle renferme : cette mort n’est plus la mort, elle est une illusion de l’art. La mort a commencé à se cacher malgré l’apparente publicité qui l’entoure dans le deuil, le cimetière, dans la vie comme dans l’art et dans la littérature : elle se cache sous la beauté » (1)

Lorsque Louis XVIII revient sur le trône et que s’achève l’héroïque épopée napoléonienne, une génération dont Musset a si bien dit « le mal du siècle » va se donner pour tâche d’interroger cette beauté et, à travers elle, le dogme de la Résurrection. Ce « cadavre de toi » avec lequel dialoguaient si sereinement les préromantiques, et qu’on se promettait de retrouver au Ciel, sans perdre son caractère sublime et sacré, va devenir une troisième personne, cadavre de lui,  vers qui se tournent les doutes et les questions du survivant.

« Hélas, hélas, s’écrie Musset. La religion s’en va. Nous n’avons pas deux petits morceaux de bois noir en croix devant lesquels tendre les mains. (…) Il n’y a plus d’amour, il n’y a plus de gloire : quelle épaisse nuit sur terre ! et nous serons morts quand il fera jour ! » (2)

On retrouve le même constat chez Nerval :

« Pour nous, nés dans les jours de révolutions et d’orages, où toutes les croyances ont été brisées, il est bien difficile  de reconstruire l’édifice mystique dont les innocents et les simples admettent dans leurs cœurs la figure toute tracée » (3)

Ce faisant, la description du cadavre demeure le lieu où convergent toutes les spéculations spirituelles que l’ébranlement du dogme occasionne ; que l’âme conserve ou non le souvenir de son identité terrestre, qu’elle expérimente une alternance plus ou moins heureuse de vies dans l’au-delà, qu’elle s’épanouisse en un nirvana radieux, s’abîme dans le Néant ou accomplisse une trajectoire de comètes dans un espace sans fin, les variétés imaginaires que les tenants de la « religion romantique » ont élaborées sont presque sans fin et s’expriment dans une multitude de croyances nées au carrefour de multiples influences : résurgence de l’illuminisme, prolongation du déisme voltairien ou du matérialisme enchanté de Diderot, développement du spiritisme, goût pour l’orientalisme qui introduit dans le champ des croyances le thème de la réincarnation et celui de la Maya (l’Illusion), variations sur les thèses de Swedenborg comme on en trouve jusque chez Balzac et sa Séraphita.

Cependant, même si le dogme catholique est malmené, la volonté de déchristianiser le pays bute encore sur une pratique bien installée, surtout lorsque la mort est en jeu et le deuil de mise. Le cadavre demeure donc une figure hautement sacrée. Entre Musset, Lamartine, Hugo, Leconte de Lisle, Gautier, Nerval, par ailleurs, l’éclectisme des doctrines est tel qu’il est impossible d’évoquer une conception religieuse commune de l’Au-Delà. Pourtant, lorsqu’on lit de près les descriptions des cadavres qu’ils produisent, force est de constater qu’elles obéissent à une logique qui leur est commune : avec ces auteurs, disparait ce que nous avons appelé la figure du cadavre glorieux, et les descriptions empreintes de religiosité qui en découlent. Une autre figure surgit, plus problématique, qu’on pourrait appeler ici le cadavre pensif.

 

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« Rien n’est encore trouvé, rien n’est encore compris,

Car beaucoup, ici-bas sentent que l’espoir tombe

Et se brisent la tête à l’angle de la tombe » (4)

Au centre de cette hérésie, comme l’appelle Bénichou (5), la figure souveraine qui se détache n’est plus celle du Christ et du corps glorieux, mais celle du Moi quêtant, souffrant. La foi que le romantisme oppose au christianisme diffère « non seulement par le contenu mais par la nature même : c’est une autre région de l’esprit » écrit Paul Bénichou, dans son remarquable Temps des Prophètes. Si confuse soit-elle sur le plan conceptuel, cette « religion » prône l’émancipation de la tradition et accompagne le développement de  l’individualisme bourgeois. Il est donc de moins en moins question de salut de l’âme ou de conversion religieuse, mais de survie de l’esprit et de sublimation du désir.

Dans le même temps, la notion de paradis se matérialise : on confond l’Au-delà avec le monde sidéral où Swedenborg voit les anges voler et Kardec les esprits se purifier. La nature, de laquelle l’homme classique s’était vivement méfié comme d’un lieu diabolique, devient une sorte de Temple de Dieu ; l’idée et le sens même du péché originel se perdent : les énergies se tendent vers le confort et le progrès social. Et si l’âme du défunt se retirait dans un au-delà dont le survivant, mélancolique, pouvait encore contempler la diaphane majesté sur le front de son cadavre, l’esprit du défunt, lui, à l'image du naufragé, erre encore parmi nous :

« A chaque vent qui s’élève

   A chaque flot sur la grève

   Je dis : n’es-tu pas leur voix », peut ainsi chanter Lamartine dans sa splendide Pensées des Morts.

A suivre 

(1) Philippe Ariès, « Le temps des belles morts », L'homme devant la mort, II, 

(2) Musset, Confession d'un enfant du siècle, Première Partie

(3) Nerval, Aurélia

(4) Hugo   Chants du Crépuscule

 (5) Paul Bénichou: Le temps des prophères, Les Mages romantiques

01:04 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, cadavres, nerval, musset, ariès, hugo, leconte de lisle, france, romantisme | | |

samedi, 05 février 2011

Mille francs de récompense

Mille francs de récompense, mélodrame de Victor Hugo, est l’une des onze pièces du recueil Théâtre en liberté que le dramaturge exilé composa à Guernesey, et qui ne fut publié qu’en 1886. La pièce fut montée pour la première en fois en 1961, par Hubert Gignoux à la Comédie de Metz et  demeure depuis régulièrement exhumée. La récente proposition de  Laurent Pelly, co-directeur avec Agathe Mélinand du TNT, ne manque ni d’intérêt, ni d’astuce, ni de charme. Son passage à Lyon, du 4 au 19 février au théâtre de la Croix-Rousse constitue donc un beau legs que Philippe Faure laisse à son public.

Le mélodrame est un genre français qui se développa à la fin du XVIIIème siècle, triompha sous l’Empire puis la Restauration, et dans lequel excellèrent des auteurs comme Pixerécourt, Charrin, Monvel, Antier, Saint-Amant, Ducange, des acteurs comme Tiercelin, Frédérick Lemaître, Marie Dorval. C’était la grande époque du boulevard du Temple, surnommé le boulevard du Crime. Un temps éclipsé par le drame romantique, le mélodrame survécut malgré la concurrence du vaudeville et du drame bourgeois. Paul Féval y triomphait encore avec son Bossu en 1862, tandis qu’une forme dite « le mélodrame revendicatif » avec des gens comme Dugué, Gadot et Rollot, Dorney et Mathyeu, tenait le haut de l’affiche.

Les pièces étaient jouées à Paris puis reprises en province jusque dans des théâtres modestes tel celui du père Coquillat, sur les pentes de la Croix-Rousse, dont c’était le principal répertoire. Le canevas demeure invariablement le même : des familles populaires brisées par la misère, l’injustice sociale et les quiproquos, manipulés dans l’ombre par des loups cerviers ; des amoureux éprouvés jusqu’au dénouement, ultime renversement de situation à la fois moral et heureux. Sur ce canevas, pleutrerie et héroïsme, naïveté et cynisme, vengeance et coups de cœur déterminaient à grands traits les bons et les méchants à travers péripéties en tous genres.

Qu’Hugo se soit rabattu sur cette forme durant l’exil et après l’échec déjà ancien des Burgraves et du drame romantique en général (1843) n’a donc rien d’étonnant. Le caractère à la fois spectaculaire et didactique du genre, de même que la faveur qu'il rencontrait auprès du public populaire, ne pouvaient que le séduire. Le mélodrame était par ailleurs un médiateur de premier choix pour diffuser ses grands thèmes  : la probité persécutée, le caractère inaliénable de la liberté, le règne du carnavalesque, la satire de ce que, depuis le Coup d'Etat de Napoleon III, il appelait l'orgie de l'ordre...  

 Quiconque s’intéresse au théâtre hugolien trouvera donc dans l’adaptation proposée un très beau document, lisible, juste et servi avec brio par une distribution variée : les grisettes (« une robe de toile est tout aussi jolie qu’autre chose »), les financiers balzaciens (« ce que je veux se fera »), les modestes employés amoureux (« nous vivons en des temps de réaction, mais de meilleurs jours viendront »), les pères ruinés, les probes parvenus, les huissiers corbeaux, les fils à papas désabusés, les forçats anges-gardiens et les députés à la Daumier.

 

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Sur le plateau de la Croix-Rousse, les décors, les costumes, les jeux d’ombre, de couleur et de lumière profilent sans les forcer les aspects caricaturaux des caractères, en surlignant avec efficacité le trait principal de chaque silhouette:  « Il faut assumer à fond le sublime et l’ultra dramatique en respectant le phrasé et la rythmique de cette langue. Mais pour ne pas tomber dans le relâchement, éviter le pathos larmoyant, il faut y adjoindre une rigueur quasi-physique des personnages, un dessin rigoureux des corps dans l’espace » raconte Laurent Pelly qui a soigné chaque détail et chaque instant. L'écueil en effet, dans le traitement de ce mélodrame comme sans doute dans le traitement de n'importe quelle pièce de Hugo, réside bien dans ce rapport ambivalent entre ironie et pathétique, que seule une mise à distance esthétique réussie permer de maîtriser.

C’est à ce point-là que la restitution devient parti-pris, dans ce contraste ténu entre l’exhibition plastique de la forme et la rétraction habile du contenu, qui me semble caractériser l’astuce et la souplesse de cette mise en scène.

Malgré la longueur, on ne s’ennuie pas. On rêve, on sourit même, souvent ; car la reconstitution de cette Restauration en plein Second Empire par le verbe hugolien (dans lequel s’entendent de nombreuses réminiscences balzaciennes) coule vraiment, sans peine et sans surenchères.  Grâce au travail de Joël Adam, dont la création de lumières toujours leste fait apparaître par deux fois la chevelure blanche de Hugo parmi les personnages, comme pour rappeler au spectateur que ce théâtre de la liberté fut en grande partie pour son auteur un lieu privilégié  de la mise en scène de soi. Grâce aussi à l’équilibre du jeu entre les comédiens, qui révèle la maîtrise pointilleuse de la direction d’acteurs, dans la gestion délicate des longs monologues adressés au public comme dans celle des scènes de pure convention où perce toujours un espace pour le second degré. Grâce à l’unité de la dramaturgie, enfin, qui place face à face et à tour de rôle chaque individu et la société que tous composent avec un minutieux déterminisme.

Bien plus que de porter un discours politique ou moral qui serait transposable (transvasable ?) aux temps globalisés que nous vivons, au risque d’une anachronique lecture sociale et géopolitique, toute la force et tout l’intérêt de cette reconstitution me semblent ainsi de replonger avec pédagogie le spectateur dans les utopies du dix-neuvième, dans un certain état et à un certain moment du théâtre populaire français, théâtre dont le dramaturge Hugo fut incontestablement l’un des chantres les plus doués, et dont le metteur en scène Laurent Pelly, au terme de l’aventure esthétique des scènes nationales et décentralisées qui occupa tout le vingtième siècle, se révèle le subtil héritier.

   

Mille francs de récompense deVictor Hugo

Mise en scène de Laurent Pelly

A voir au théâtre de la Croix-Rousse, du 4 au 19 février, 20 heures.

 

samedi, 15 mars 2008

Le petit misérable

 C'était le temps des numéros de téléphone à quatre chiffres : Balzac 02-04 / Danton 67-78 /  Odéon 87-19 ...

Au verso, le front haut ceint de la couronne blanche, le regard droit, la barbe enneigée de Père éternel, l'homme de la Place Royale (actuellement place des Vosges ) et des promenades nocturnes et consignées dans les Choses Vues. Deux jours après son élection à l'Académie Française ( Toto académicien ! s'était écriée Juliette...) au fauteuil de Népomucène Lemercier, le 9 janvier 1841...

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 IL relate en parlant de soi à la troisième personne (comme plus tard le fera A.D.) la querelle,  dont IL est le témoin, entre un jeune bourgeois et une non moins jeune prostituée. Débarquent alors un essaim de sergents de ville : « Ils empoignèrent la fille et ne touchèrent pas à l'homme : - Tu en as pour six mois ». Le récit se poursuit : IL ( V.H., pas A.D.) vit la pauvre femme se traîner de désespoir par terre, s'arracher les cheveux; la compassion le gagna, IL se mit à réfléchir.  Et voilà V.H, magnanimement travaillé par la Conscience, en train de signer une déposition contredisant les dires des vils sergents de ville. A ce prix-là (un autographe d'une telle patte, bigre!), la fille est relâchée, bien sûr. 

IL, l'Académicien, devient à peu de frais le shérif de la Conscience Pure, le Robin des bois de la Veuve et de l'Orphelin, le douanier intransigeant de la Bonté morale en passe de devenir républicaine. Bref, une légende. « Ces malheureuses femmes ne sont pas seulement étonnées et reconnaissantes quand on est compatissant envers elles, elles ne le sont pas moins quand on est juste. » Le maître-mot hugolien est lâché. Ah, Victor ! On le retrouvera, ce même mot, vingt-et-un ans plus tard dans le premier livre des Misérables lors de la scène entre Fantine, M. Madeleine et Javert : « Allons marche ! Tu as tes six mois. Le Père éternel en personne n'y pourrait rien » : Même au cours de ses passages les plus pathétiques, Barbe Blanche savait manier l'humour. 

 

 

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Au recto, l'homme du Panthéon. Trajectoire normal : l’académicien est entre temps devenu la légende républicaine. Poète millionnaire dans un cercueil de pauvre. « Jtais élevé, témoigne Léon Daudet dans Fantômes et Vivants, dans la vénération de Hugo. Mes grands parents maternels, tous deux poètes, tous deux romantiques, tous deux républicains, savaient par coeur Les Châtiments, La Légende des Siècles, Les Misérables... » 

Léon Daudet retrace sa première rencontre avec "l'oracle trapu aux yeux bleus, à la barbe blanche" que le billet de la BdF à présent reproduit devant le Panthéon : "Il articule distinctement ces mots : La terre m'appelle, qui ne pouvaient avoir qu'une grande portée, un sens mystérieux..." Dans ses Souvenirs sans fin, André Salmon brosse le tableau du même fétichisme ridicule autour du vieil Hugo en racontant comment Pierre Quillard ne quitta "le très riche et très encombré appartement de la rue d'Eylau" qu'après avoir recueilli avec des ciseaux "une touffe des poils du chat du maître". L'entrée du cadavre de ce dernier au Panthéon fut le prétexte à des fêtes mémorables, ponctuées par une marche de Chopin et un hymne de Saint-Saëns, jusqu'à cette crypte froide où, narre Daudet, "la torche symbolique qui sort de la tombe de Rousseau a l'air d'une macabre plaisanterie, comme si l'auteur des Confessions ne parvenait pas à donner du feu à l'auteur des Misérables."

 

Dès son émission en 1954, le billet à l'effigie d'Hugo (qui remplaça le projet initial d'un Louis XIV, jugé trop équivoque pour une république) fut surnommé le petit misérable. Tristounet, jugea le populo, peut-être parce qu’on ne pouvait pas se payer grand-chose avec. . Tristounet ! Plutôt que cet académicien austère et soucieux dans son complet bleu, prenant la pose au-devant de bâ.timents officiels à la silhouette aussi empesée que les alexandrins de La Fin de Satan, le populo aurait probablement préféré un Victor beaucoup plus jeune, plus chevelu et plus fougueux, un véritable Toto, quoi, à la façon du temps des batailles romantiques, un mage véritable comme l'aurait prononcé en chaire le professeur Paul Bénichou ! C'est, au passage, l'occasion de rendre hommage à Jacques Seebacher pour qui « l'image de l'écho trop sonore du moulin à antithèses, du mélimélo dramaturge démagogue, du satyre torrentiel, du politique ridicule, bref, de l'exagéré en tous sens » n'a jamais correspondu à la réalité. 

Au vrai, n'était-ce pas, au temps des numéros de téléphone à quatre chiffres, le billet de Monsieur Pinay, celui de Mendes France et d'Edgar Faure ? Entre une nouvelle Citroën, un steak frite et un match de catch, on regrette que le sémillant sémiologue du Quartier Latin n'ait pas, tel quel, consacré à ce billet d'instituteurs l'une de ses Mythologies. Le billet de cinq cents ! Celui dont, chaque hiver, on se mit à remplir les boites en fer des croisades de l'Abbé Pierre ! Et ne devint-il pas, en changeant de valeur, celui de De Gaulle et de ses Nouveaux Francs ? Pinay, De Gaulle, des politiques moins rigolos que le petit Nicolas, certes, et qui n'étaient pas connus pour leur fantaisie... Le populo n'appréciait guère le petit misérable :  et pourtant,  devenu billet de 5 NF, il ne fut retiré qu'en 1965 du commerce des Français. Il traîna donc quinze années dans leurs poches et dans leurs portefeuilles.

Le plus modeste des billets, le plus quotidien, pour ne pas dire, puisque le Peuple porte en lui la Sagesse de Dieu, le plus misérable...

 

 

08:10 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : hugo, billets français, société, seebacher, littérature | | |