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vendredi, 19 octobre 2012

Éloge de l'automne

« C’est la saison où tout tombe / aux coups redoublés du vent », chantait Lamartine. C’est aussi la saison des peintres. La plus belle à mon goût, et nous voici plongés au cœur de ses multiples cercles. Pour décrire le ballet de feu des feuilles d’automne, Bloy évoque « les anges gardiens d’Octobre à qui fut confiée la douce agonie de la Nature » (1).On a tant parlé de cette saison comme du « soir de la vie » ou de « l’automne des idées » qu’on doit se murmurer à chaque coucher de soi-même quelle chance on a d’en traverser un nouveau, de part en part.

En automne, juge Baudelaire, « les nuages flottent comme des continents en voyage » (2). Prosaïquement, voici donc que le ciel se prend devant nos yeux pour une mappemonde : Tous les voyages demeurent possibles, comme avant Neil Armstrong et l’empreinte profane qu’il posa sur l’imaginaire des ancêtres. Après tout, si un homme a marché sur la lune, nul homme n’a jamais posé le pied sur mes nuages.

Aux variations de l’automne, chacun d’entre nous peut suspendre « la scintillante minute de son choix » (3). Je ne suis pas coloriste. Combien d’aquarelles aurai-je accomplies par les fleuves, les cieux, les étangs qui jaillissent des pochoirs de l’automne ?

« Une feuille qui tombe a divisé l’année / de son événement léger » (4) La sordide propagande ni la rude économie ni la triste technologie des hommes ne sont donc venues à bout des charmes de l’automne, et la parole la plus juste parmi eux demeure pour l’an encore celle, comme lui renouvelée, des poètes. Dût-elle un jour s’éclipser par mauvais sort, les mayas seraient justifiés, et ce serait la fin du monde.

 

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Eugène Brouillard, La fuite des populations devant le fléau (1917), reproduit dans l'ouvrage de D.Ranc et D.Vaginay, Eugène Brouillard, Dialogues avec la modernité, Libel, 2011

 

 

(I)Léon Bloy Poèmes en prose, «Octobre »

(2)Baudelaire, Spleen de Paris, « Les vocations »

(3) Je trouve l’expression chez Marius Marmillon, dans un article sur le peintre Ravier publié dans le numéro 61 de la revue Résonances en 1957.

(4) Paul Valéry, Poésies, « Equinoxe » 



10:12 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, poésie, léon bloy, paul valéry, baudelaire, eugène brouillard | | |

mercredi, 20 juin 2012

Dater sa colère - Solko a cinq ans

J’aime vraiment cette idée de dater sa colère, suggérée par Baudelaire dans son célèbre texte Fusée. Dater sa colère, c’est l’envisager comme une histoire. Lui attribuer un début et peut-être aussi une fin. Solko, ce blogue, est né un jour de juin 2007 – cinq ans déjà –d’une colère diffuse, confuse : une colère politique issue non pas de l’élection de Sarkozy, (président contre lequel tant de blogues furent créés - Sarkofrance est mort avant-hier), mais contre le hold-up électoral du NON à  la Constitution Européenne auquel Hollande, cet espèce de SarkoII, a contribué à l’époque à part égale avec son PS droitier. Une colère esthétique contre l’euro, monnaie sans hommes ni femmes. Une colère existentielle contre la médiocrité des temps, contre ma propre médiocrité, englué dans un quotidien de moins en moins satisfaisant. Une colère contre l’indécence de ces temps.

J’avais écrit un polar il y a longtemps, polar dont le héros, à peine sorti de l’adolescence, après avoir rêvé d’une vocation monacale, s’était fait justicier. Un mauvais roman empli de clichés, mais le nom du personnage, Solko, m’était resté. Et comme il favorisait un bon référencement sur Google, ce blogue prit ce nom.

Et voici qu’il a cinq ans aujourd’hui et que je relis, une fois de plus, ce beau texte de Baudelaire.

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04:21 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : baudelaire, littérature, solko, poèmes en prose, fusées, dater sa colère | | |

jeudi, 16 juin 2011

Recueillement 2

« Sois sage, ô ma Douleur… » Parole de poète qui me remonte en mémoire devant la beauté discrètement figée d'un lac artificiel, au parc de la Tête d’Or, à Lyon. Les travaux commencèrent en 1857, l’année que Baudelaire édita les Fleurs du Mal. Ce n’est pas la seule analogie, d’ailleurs, que je trouve entre ce recueil si célèbre et ce parc si fameux, sans doute pour m’être jadis récité dans ces allées les vers que j’étudiais dans le lycée non loin de là, vers naturels et apprêtés comme ces bosquets et ces jardins botaniques. L’oxygène est frais, tout autour de ce banc. Oies, canards, cygnes font querelle à la surface de l’eau. La ville en son affairisme quelconque s’est éclipsée.

 « Sois sage… », donc.  Parole d’un être capable d’identifier son mal, de quelque bord qu’il soit, au point de le nommer. Non seulement de le nommer, mais de le déterminer, même : ma, d’un lien réservé d’ordinaire à l’intime : ma chère ou ma chérie, ici soudain chargé de n’inscrire qu’un  rapport étroit, précis à la douleur, une sorte de quotidienneté. Et puis cet impératif, ordre ou prière, on ne sait, recommandation, espérance… « Que Votre Nom soit sanctifié », murmure-t-on à Dieu, au subjonctif.  Ici, à la douleur, sois sage. Etrange vœu.

Bien sûr, au centre de l’hémistiche, trône ce ô lyrique, et, ma foi, très Second Empire, telle la rocaille, non loin, où s’écume le clapotis. Est-il véritablement signifiant ? « Ô, ma Douleur ! » A ce point, à cette césure qu’il fait sonner à la manière d’un clairon, ce ô n’est-il là que pour fermer le e de l’adjectif, en réduire un peu la  sagesse ?

« Sois sage, ô ma Douleur… »

Pour de bon, s’agit-il vraiment d’être sage ? Ou bien plutôt tranquille, c’est-à-dire docile, doux tel un enfant qu’on vient de gronder. « Tiens-toi  plus tranquille », combien de fois ne l’ai-je pas entendu, gamin, ou bien aussi : « Sois gentil ». Est-ce que cela peut exister, une gentille douleur ?

 

Une douce douleur, plutôt, nous y voilà. 

Qu’est-ce donc qu’une douce douleur, sinon une douleur qui s’est tue - une douleur matée par la grâce de l’injonction, vaincue par la force du subjonctif -, une absence de douleur, telle, dira Mallarmé (cet autre massif produit par le Second Empire), « l’absente de tout bouquet », la douleur que le vers brutalement a tirée du Néant.

Qui réclamait le soir ? Qu’est-ce que le Soir, sinon l’apaisement, l’anéantissement, le néant ? Ce soir, il descend, le voici, et il n’est que douceur, atmosphère obscure et enveloppante.  La ville se rend. Se peut-il que cette fin heureuse fût réclamée par la douleur ? Non, par le poète, assurément. C’est à lui qu’il vient d’adresser ce tu presque léger : « Tu réclamais le soir ? ».

Et moi, sur ce banc, c’est pareil. Une atmosphère obscure parait monter des eaux. En plein midi, je ressens dans la remémoration de ce vers comme le soir de ma douleur, et je ne peux que me reconnaitre parmi ces quelques-uns auxquels cette chute porte non pas le souci par lequel se clôt la strophe,  mais bien plutôt la paix

Avec une douceur étudiée, comme dans un sentier plein d’arômes, nous sommes passés de la douleur au souci, quand ce n’est pas, pour les plus heureux d’entre nous, du souci à la paix. Une fleur, véritablement, que ce mal qui s'est amoindri, jusqu'à se taire.  L’horizon, là, paraît dégagé malgré la voie ferrée. L’île, on pourrait, dans un tel recueillement, l’imaginer inviolée. Il y a bien des silhouettes de promeneurs faufilées entre ce lac lumineux et ma douleur dorénavant apaisée, ceux-là ne dérangent plus rien du spectre du poète vif et murmurant :

 

Baudelaire.jpg

 

« Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci. »


dimanche, 31 janvier 2010

Baudelaire et le spleen de Lyon

Le vingt-deuxième poème du Spleen de Paris, titré Crépuscule du soir, présente, dans la troisième version du journal La Presse publié en 1862, deux allusions à des toponymes lyonnais : l’hôpital de l’Antiquaille et la colline de Fourvière.

Dans la version définitive, celle du Figaro, datée de 1864 les deux mots ont disparu, l’un étant remplacé par là-haut.

« Quels sont les infortunés que le soir ne calme pas, et qui prennent, comme les hiboux, la venue de la nuit pour un signal de sabbat ? Cette sinistre ululation nous arrive du noir hospice des Antiquailles perché sur la montagne ; et, le soir, en fumant et en contemplant le repos de l’immense vallée, hérissée de maisons dont chaque fenêtre dit : « C’est ici la paix maintenant ; c’est ici la joie de la famille ! » je puis, quand le vent souffle de Fourvières (là-haut), bercer ma pensée étonnée à cette imitation des harmonies de l’enfer.

Le crépuscule excite les fous. — Je me souviens que j’ai eu deux amis que le crépuscule rendait tout malades… »

Dans la version de 1862, Fourvière porte un s final ce qui est conforme à la graphie des années 1830 : On le trouve dans le titre du livre de Boitel, Lyon vu de Fourvières. Dans l’une de ses études étymologiques de la Revue du Lyonnais (n° 316) datée de 1876, le baron Raverat s’interroge sur ce s final qui est alors en train de disparaître, rappelant que «Fourvière est un de ces mots qui ont le plus exercé l'imagination des archéologues lyonnais. »

En ce qui concerne le s de l’Antiquaille, il s’explique aussi fort bien si l’on se souvient que les Anticailles désignaient la collection d’antiquités (les débris d’objets gallo-romains) que Pierre Sala (1457-1529), ancien maître d’hôtel à la maison du Roi et bourgeois lettré, avait réunies dans la spacieuse demeure qu’il s’était fait construire au milieu des vignes. La villa était devenue le couvent des Visitandines puis, rachetée par la ville en 1806, il devint un hospice dans lequel on hospitalisa les fous jusqu’à l’ouverture, en 1876, de l’hôpital des Chazeaux. Baudelaire n’est pas le seul qu’indisposa le cri des fous quand tombait le crépuscule. Une immense rotonde, nommée « la rotonde des folles », construite de 1812 à 1814 et détruite en 1936 est demeurée légendaire.

Il est donc presque certain que Baudelaire a réutilisé un texte plus ancien, datant de ses années de collège à Lyon, de janvier 1832 à 1836, plaçant dans son spleen de Paris quelques miettes d’un spleen plus lyonnais. Le dessin d'Hubert de Saint-Didier ci dessous donne une idée du paysage lyonnais de cette époque, et le lavis de Leymarie nous rappelle l'hôpital perché sur la montagne ...

 

 

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Fourvière. Place des Minimes. Hospice de l'Antiquaille, par Balthazar Hubert de Saint-Didier, 1829-1832

 

 

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L'ancien quartier Saint-Georges, à Lyon, vu de la rive gauche de la Saône, vers 1840 [détail de la partie dominée par l'Antiquaille], phototypie d'après un lavis par H. Leymarie, ca 1840

21:01 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : baudelaire, spleen, littérature, fourvière, antiquaille | | |

vendredi, 16 octobre 2009

La leçon du XIXème au XXIème siècle

Ce billet fait suite à celui sur les grotesques videos d'hier. Joyeux, incorrigible et ringard, je laisse la finesse de la critique baudelairienne ainsi que le bucolisme présumé de Pierre Dupont parler d'eux-mêmes, en guise de pendant.

 

En 1846 ou 47 (je crois plutôt que c’est en 46), Pierre Dupont, dans une de nos longues flâneries (heureuses flâneries d’un temps où nous n’écrivions pas encore l’œil fixé sur une pendule, délices d’une jeunesse prodigue, ô mon cher Pierre, vous ne souvenez-vous ?), me parla d’un petit poème qu’il venait de composer et sur la valeur duquel son esprit était très indécis. Il me chanta, de cette voix si charmante qu’il possédait alors, le magnifique Chant des Ouvriers. Il était vraiment très incertain, ne sachant trop que penser de son œuvre : il ne m’en voudra pas de publier ce détail, assez comique d’ailleurs. Le fait est que c’était pour lui une veine nouvelle.

Si rhéteur qu’il faille être, si rhéteur que je sois et si fier que je sois de l’être, pourquoi rougirais-je d’avouer que je fus profondément ému ? Je sais que les ouvrages de Pierre Dupont ne sont pas d’un goût fini et parfait ; mais il a l’instinct, sinon le sentiment raisonné de la beauté parfaite. Ce chant était-il un de ces atomes volatiles qui flottent dans l’air et dont l’agglomération devient orage, tempête, événement ? Etait-ce un de ces symptômes précurseurs tels que les hommes clairvoyants les virent alors en assez grand nombre dans l’atmosphère intellectuelle de la France ? Je ne sais ; toujours est-il que peu de temps, très peu de temps après cet hymne retentissant s’adaptait admirablement  à une révolution générale dans la politique. Il devenait, presque immédiatement, le cri de ralliement des classes déshéritées.

Le mouvement de cette révolution a emporté jour à jour l’esprit du poète. Tous les événements ont fait écho à ces vers. Mais je dois faire observer que si l’instrument de Pierre Dupont est d’une nature plus noble que celui de Béranger, ce n’est cependant pas un de ces clairons guerriers comme les nations en veulent entendre dans la minute qui précède les grandes batailles. Pierre Dupont est une âme tendre portée à l’utopie, et en cela même vraiment bucolique. Tout en lui tourne à l’amour et la guerre, comme il la conçoit n’est qu’une manière de préparer l’universelle réconciliation. »

Charles Baudelaire, « Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, Pierre Dupont »,  Critique Littéraire, 1858

 

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jeudi, 15 octobre 2009

Le XXIème siècle fait joujou avec le XIXème


Nerval  : El desdichado

 

Baudelaire : A une passante


Rimbaud : Ophélie

 

Connaissiez-vous ces horreurs en caoutchouc ?

Moi non.

J’ai découvert cela sur un blog « pédagogique ».

Je m’imagine, à seize ou dix-huit ans, ayant des poètes une telle vision.

Chamallow, chamallow.

 

Brrrr….

 

06:40 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature, chamallow, nerval, baudelaire, rimbaudd, mallarmé | | |

lundi, 15 juin 2009

Anniversaire

Tiens ! ce n'est pas trop mon trip, les anniversaires. J'ai toujours préféré les fêtes. Je me rends pourtant compte à l'instant que Solko a aujourd’hui pile deux ans. Et comme la saint-Solko n'existe pas, reste que ça à fêter, l'anniversaire. Le petit Solko est né d'un coup de tête et d'une manip sur un ordi  (et hop!),  le vendredi 15 juin 2007. En consultant les archives, je me souviens que j'avais bidouillé certains articles pour les antidater. Notamment la "fête de la merde" (écrit en fait un an auparavant sur un cahier), billet qui sera réédité le 21 juin prochain, c'est désormais une tradition-maison. Le 15 juin, je ne sais pas trop pourquoi, j'antidatais aussi "temple" et "les épuisés", et je programmais le premier billet pour le lendemain 16 (compliqué tout ça, oui, je sais) "dater sa colère", tout premier billet, celui donc que je reproduis aujourd’hui et qui fut, fort modestement, placé sous les auspices de Baudelaire.

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10:37 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : solko, fusées, dater sa colère, anniversaire, baudelaire | | |

mardi, 25 mars 2008

Le dentier du pape

Un ciel bas et lourd, au-dessus de quelques arbres malingres. Un ciel très dix-neuvième. Siècle, bien sûr. Pas arrondissement ! Encore que... Cela 772533361.3.jpgpourrait constituer un arrondissement de Paris, ce ciel qui pèse comme un long corbillard sur nos têtes, ce cercle de ciel pascal très dix-neuvième, qui va se prolonger au-delà de Paques puisque, dit la radio, la grisaille va se poursuivre jusqu'à jeudi. Bon. Nous voilà englobés dans un seul temps, tous et toutes, les humains. Avez-vous remarqué le dentier de Benoit XVI ?  C'est la pluie qui me fait penser au pape. La pluie et la façon linéaire qu'ont tout à coup secondes et minutes de passer en sa compagnie monotone. Salut en toutes les langues, devant une floraison de parapluies, place Saint-Pierre. Ce pape à une élocution, une articulation et une dentition également refaites. Je me demandai, en l'écoutant, à quoi ou à qui ressemblait son dentiste. Et si les dents un peu jaunies et parfaitement régulières qu'il porte en son sourire étaient des implants, des bridges ou bien un ratelier à la mode d'antan. Que le pape ait son propre dentiste au Vatican, voilà une question pour jours à ciel bas et lourd qui n'en finissent pas. Il y a dans A Rebours de Huysmans  une scène d'épouvante qui se déroule ainsi  chez un dentiste, une scène à quoi ce temps de Paques et ces voeux pontificaux me font inexorablement penser. Il est possible, après tout, que Baudelaire ait tout simplement eu un fort mal au dents, lorsqu'il demanda un peu de calme à sa douleur. Des générations de potaches à qui on répéta : Sois sage...  Et qui apprirent, pour le bonheur de l'Institution, ces vers de Baudelaire par coeur. "Le vieux style", aurait dit Winnie, plus que jamais enlisée, elle aussi, et articulant tant bien que mal sa douleur...

09:47 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : benoit xvi, baudelaire, spleen, poésie, paques | | |