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dimanche, 14 mai 2017

Vol de la couronne de la Vierge de Fourvière

La couronne de la Vierge de Fourvière à Lyon, l’un des plus importants sanctuaires marials français, a été volée samedi 13 mai 2017, peu avant 3h30 du matin ; certains n’y verront qu’un fait divers attristant (ou non) Je voudrais dans ce billet tenter une exégèse de ce vol qui, sur un plan surnaturel, tient véritablement de la profanation, de l’amputation et de l’avertissement.

Mais d’abord un peu d’histoire :

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Cette couronne a été réalisée par l’orfèvre mystique et ami de Bossan, le Lyonnais Armand-Calliat peu de temps avant sa mort, à l’occasion du couronnement de la Vierge, le 28 avril 1900. Sur le bandeau est figuré un chœur de chérubins. Elle est enrichie de 1791 pierres précieuses et perles, offertes par les Lyonnais contemporains de sa création.

La Vierge est l’être le plus élevé de tous ceux issus de la Terre. Lorsque son Fils lui dit lors du recouvrement au Temple : « Ne savez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père » ou encore durant les noces de Cana : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ?», il souligne qu’Il vient, Lui du Ciel, quand sa mère, ne vient que de la Terre. Pourtant, si Marie n’est alors que la mère de Jésus qui s’apprête à le suivre jusqu’à la Croix, elle est bien cependant déjà l’Immaculée. Et ce que signifieront son Assomption, puis son Couronnement, c’est que, bien qu’issue de la Terre, elle règne dorénavant sur le Ciel et ses créatures, incarnant à la suite de son Fils la promesse de la Nouvelle Alliance qui invite tous les hommes à leur suite. Elle devient alors l’être le plus élevé de tout le genre humain, la porte, véritablement du Ciel.

Voilà donc quelle est Celle dont on vient de dérober la couronne.

Le couronnement de la Vierge est par ailleurs lié à la Dévotion à son Cœur Immaculé, qui s’est répandue à la suite des apparitions de Fatima dont – coïncidence troublante – on fête précisément l’anniversaire de la première apparition ce 13 mai, jour du larcin.

Sous cet angle, ceux qui sont derrière ce vol sont évidemment des ennemis terrestres déclarés du Couronnement de Marie, conscients de tout ce qu’il représente dans le Ciel, et qui cherchent à le profaner publiquement en cette période où l’Ennemi ne cesse de s’attaquer à la France. Ce vol survenu le 13 mai tient ainsi d’une double profanation : celle de la Vierge de Lyon et celle de Fatima.

A un degré moindre, qu’on pourrait dire culturel, ce vol est aussi une amputation à vif dans l’histoire de la Ville, consacrée à la Vierge depuis le vœu des échevins de 1643, et dans la mémoire disséminée de tous ceux qui participèrent à la création de cette couronne par un don, de leurs proches et de leurs descendants. Au premier rang desquels Armand-Cailliat, l’orfèvre mystique des mains duquel s’échappèrent tant de merveilles, Pierre Bossan, l’architecte de Fourvière et de tant d’autres églises, et tous les anonymes qui vinrent au fil des siècles se recueillir dans le sanctuaire afin d'y prier la Mère du Verbe incarné.

Je n’imagine pas, par ailleurs, que ce vol ait pu s’effectuer sans le consentement surnaturel de la Vierge. Comme son fils se laissa dépouiller de sa tunique, sa Mère se laisse dépouiller de sa couronne et ce faisant nous avertit tous du Mal dont nous souffrons.

Cela devrait interpeler au premier chef l’actuel maire de Lyon qui, dans le temple de la laïcité maçonnique qu’est devenu l’Élysée, s’apprête à introniser un nouveau président pour le moins ambigu, tout comme cela devrait faire méditer le primat des Gaules qui, de manière indirecte la semaine dernière, a appelé à son élection.

Cela devrait faire réfléchir le pape François venu à Fatima pour canoniser Francisco et Jacinta, mais qui n’a toujours pas opéré la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie, consécration pourtant au cœur de la problématique des apparitions de Fatima.

Cela doit enfin, nous interroger tous : les perles et diamants de la couronne, même si le diamant a reçu quelque chose d’en haut, restent liés aux attachements et aux superstitions de la Terre. La royauté de Marie, désormais céleste, découvre, elle, une couronne faite de Lumière et de Charité, une couronne portée par les anges et proprement inviolable, puisqu’aucun voleur n’entrera jamais au royaume des Cieux.

Cette Lumière et cette Charité se maintiennent surnaturellement non loin de chacun d’entre nous, non loin même de ceux qui volèrent ce que la presse régionale et nationale qui se situe à leur niveau appelle vilainement « un butin d’un million d’euros... ».  Du cœur des hommes qui les méprisent, elles ne peuvent cependant que se retirer si nous continuons à ne voir en ces trésors que du patrimoine culturel ou de l'art religieux.  Nous devons tous prier non pas pour que cette couronne soit retrouvée (si cela arrive, ce sera donné par surcroit), mais pour que nous soit à tous bel et bien remis un jour, par les Anges du Ciel et par leur Reine en personne, cette couronne de Lumière et de Charité dont nos âmes en détresse ici-bas ont tant besoin pour se redresser et vivre éternellement. Faute de quoi le Mal et ses avatars multiples ne peuvent que triompher, durant ce quinquenat qui commence très mal pour la France comme pour le reste du monde.

Car au-delà du politique, ce message de Fatima, explique Benoit XVI dans Lumière du monde (2010) n’est pas clos. « La réponse ne peut en dernier ressort provenir que de la transformation des cœurs – de la foi, de l’espoir, de l’amour, de l’expiation ». Au-delà des grands débats sur la résonnance historique du message, une des clefs du secret de Fatima consiste ainsi en la conversion personnelle, la prière et la pénitence. Il se peut que l’avertissement livré par le vol concomitant de la couronne mariale du sanctuaire de Fourvière fût de même nature et exige, là où règnent beaucoup de scepticisme, d’apostasie, de ricanements, un grand nombre de conversions…

vendredi, 25 décembre 2015

Propter nostram salutem descendit de caelo

J’ai croisé cette nuit six des 120 000 policiers et gendarmes mobilisés, les églises étant, parait-il, « des cibles potentielles d’attaques terroristes ». Trois d’entre eux déambulaient dans la rue saint Jean presque déserte. L’un s’est arrêté devant la vitrine d’un marchand de bonzaïs, pour désigner à ses deux collègues une plante qui, leur dit-il, « gobe les mouches comme ça. »  (et vivement, il rabattit les doigts de sa main gauche sur sa paume, la dextre tenant le fusil). Rangers, bérets, treillis, drôles de bergers ! Trois autres sur le parvis de la primatiale. Il était 22 heures environ, les portes étaient encore fermées. J’ai filé tout droit, vers l’église saint-Georges où l’on célébrait « selon le rite extraordinaire », comme on dit à présent, c'est-à-dire en latin, dos au peuple et selon le missel d’avant Vatican II.  Devant cette église, point de surveillance, ou alors très discrète.

C’est la nuit de la Nativité. « Depuis quatre mille ans nous le promettaient les prophètes », et depuis deux mille, pouvons nous rajouter, martyrs et saints l’ont glorifié.  La chrétienté, c’est d’abord une histoire, qui débute à nouveau cette nuit. C’est aussi une architecture, des églises répandues partout dans le monde pour la raconter encore et encore, aux hommes de bonne volonté. Ce sont, enfin et surtout, des sacrements. La chrétienté, ça ne se laisse pas terroriser aussi facilement que ça. Tout ce climat dans lequel le gouvernement et les médias tiennent l’opinion parait s’évaporer dans une sorte d’illusion artificielle, théâtralement entretenue, lorsque la chorale entame l’introït : « Dominus dixit ad me : Filius meus es tu, ego hodie genui te » (1)

Je me suis demandé un jour combien d’hosties les hommes avaient dévoré depuis l’établissement de l’Eucharistie. Combien, à travers les siècles des siècles et au cours de leurs misérables vies ?  Insondable mystère de la présence continue du Dieu invisible. Je me suis souvent demandé aussi ce qui avait pu se passer dans la tête des premiers disciples, quand ils virent leur Christ pour la première fois prendre ce pain, ce simple pain posé là, sur la table, et leur dire tout à coup : « Prenez et mangez, car ceci est mon corps… ». Leur surprise. Leur tête !  Pouvaient-ils imaginer, eux, ce qu’Il était en train de fonder ? D’instituer ? Et ces milliards, ces milliards d’hosties à venir ? Jusqu'à cette nuit pleine de militaires... In saecula saeculorum...

Le Christ : qu’elle est sainte, en effet, cette nuit, bien au-delà des menaces des fous d’Allah et des craintes des politiciens…. Cette nuit, Sa première nuit de nouveau… L’un des abbés, à la sortie, me serre chaleureusement la main :

« C’est beau...

   Oui, c’est très très beau !»

Je suis revenu à pied, ne rencontrant finalement que très peu de monde, dans cette nuit de Noël aux relents anormalement printaniers, l’autre menace contre laquelle les rondes militaires ne peuvent rien. Quel temps ! Je portais en moi cette simple parole du Credo, «  propter nostram salutem descendit de caelo » et j’étais comme vidé de tout le reste. Ca et là, des traces d’urine, de vomi, des détritus. Dans le ciel sombre, sous la basilique de Fourvière, les lettres brillantes du « Merci Marie » retrouvaient un sens pleinement religieux : malgré tous les efforts de la municipalité pour le réduire à une formule lapidaire pour syndicat d’initiative (où est passé le « Marie Mère de Dieu de jadis » ?), oui, merci Marie pour ce Fils. Car Dieu, affirment les théologiens, lui ayant laissé pleinement son libre arbitre, elle aurait pu se refuser, comme la plupart d’entre nous nous refusons, à Lui.

Magnificat ! Une histoire sainte dans laquelle vivre, donc. Certes, nous ne sommes plus habitués, empêtrés dans nos raisonnements limités. Une ancienne action de grâces byzantine que j’aime particulièrement dit à un moment « Mère compatissante du Dieu de Miséricorde, ayez pitié de moi et placez la componction et la contrition dans mon cœur, l’humilité dans mes pensées, et la réflexion dans la captivité de mes raisonnement. » La réflexion dans la captivité de mes raisonnements… J’aime beaucoup. Beaucoup… Quelle captivité de mes raisonnements, en effet, me fait encore tiquer devant tel ou tel point du Credo, n’en pas comprendre toute l’authentique sagesse ni gouter toute la surnaturelle réalité ? Ah, si l’on comprenait vraiment ce que signifie la rémission des péchés, la communion des saints, la résurrection de la chair, quel Gloria unanime s’élèverait alors ! Et comme on clouerait le bec à tous les prôneurs de valeurs abstraites et théoriques ! Ne parlons pas des faiseurs de Jihad ! Et de quelle utilité nous seraient alors militaires comme politiques...

merci_marie.jpg

(1) Le Seigneur m’a dit : « Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui »

dimanche, 15 février 2015

Marie ma exaucée

A l’intérieur de la chapelle de la Vierge de Fourvière à Lyon, le vingtième ex-voto en comptant du bas sur le deuxième pilier droit arrête le regard : Marie ma exaucée. Comme beaucoup d’autres, il date du Second Empire.

Gravée dans le marbre, la faute d’orthographe n’est pas sans en rappeler une autre, tracée avec du sang de 1991, le fameux Omar m’a tuer de Ghislaine Marchal.

Sans doute fut-elle laissée là pour témoigner de la ferveur populaire envers la Vierge, à qui Joseph Fabisch venait depuis peu d’élever une statue.

Marie ma exaucée : il y a donc, se dit-on tout d’abord, comme un marqueur de classe et de ferveur dans la disparition de l’apostrophe. On pense aussi aux progrès tout relatifs de l’esprit humain de l’époque de Napoléon III à l’an 2011, tant les « ma » pour des « m’a » et les « tuer » pour les « tué », sans compter les « mon » pour les « m’ont » et autres laideurs sont légions dans les copies d’étudiants du XXIème siècle. Evolution, vous avez dit évolution ?

En même temps, je ne sais plus quel linguiste rappelait que toute faute individuelle de langage, si horrible fût-elle, était motivée par une signification parfois presque consciente. Le regard s’attarde à nouveau sur le propos, au tiers supérieur du pilier : Marie ma exaucée.

On songe que ce ma pourrait aussi bien être un déterminant possessif, et qu’ainsi ce serait fort joli : Marie ma exaucée, comme Marie ma bien aimée. Dans cet emploi, exaucé serait un participe passé substantivé juxtaposé ; évidemment cela contrarie l’idée première de l’ex-voto puisque c’est Marie qui a exaucé le vœu de la personne qui le fit graver. Or Marie sujet ne peut devenir objet du vœu.

Cependant, se souvient-on, Marie ne fut-elle pas aussi exaucée ? Si l’on en croit le splendide Magnificat, nulle personne ne le fut même mieux qu’elle. La faute nous fait ainsi passer d’un vœu exaucé, celui de la personne qui commanda l’ex-voto, à un autre, celui de la fille d’Anne et de Joachim. .

Certes, c’est sans compter sur la règle qui veut que devant un nom féminin commençant par une voyelle, pour éviter un hiatus disgracieux, on emploie les formes masculines (mon, ton, son, au lieu de ma, ta, sa : Ma femme, mais mon épouse). Il eût donc fallu graver Marie mon exaucée.

Mais la faute, justement,  prend un caractère poétique qui commence à me charmer.

J’imagine cette lyonnaise de la deuxième partie du XIXème, une mère de famille à fois pieuse et bonne-vivante, dans le genre de celles qui faisaient leur marché sur le quai Saint-Antoine et qu’on voit sur les tableaux de petits maîtres dans certaines brocantes. Longue jupe de coton, fichu noué, chaussures entre la sandale et le sabot, dans cette ville où l’on allait encore beaucoup à pieds.

Et puis son garçon soudain saisi d’une mauvaise grippe, ou quelque chose de plus grave encore du côté des parents, du mari, et voilà que tout s’arrange, les détours d’une vie. J’imagine les longues visites qui précédèrent l’heureux dénouement, les montées à Fourvière comme disaient alors les petites gens du centre ville, dans cette chapelle emplie non pas d’Histoire raisonnée, mais d’histoires murmurées, devant ce retable baroque où  trône encore cette Vierge en bois vêtue d’étoffes chatoyantes,  et dans la cire des cierges d’antan, elle sent l’odeur du petit Jésus, ça, c’est l’expression des curés d’antan.

Pour qui sait lire, il y a tout cela, plus même dans cette faute. 

Le garçon, un compagnon lourdaud qui d’une main rugueuse la grava définitivement, cette faute, dans l’atelier d’un faubourg,  pensant probablement à sa belle à lui, sa bien aimée, Marie ma exaucée. Après, c’était trop tard. Il faut imaginer aussi le moment où un prêtre maigre et sérieux finit par découvrir la faute. Au prix que coûtait le  marbre, on jugea que ce n’était pas si grave, que le Seigneur, c’est bien connu, ne regarde pas le degré d’instruction de ses ouailles. Et on fixa quand même cet objet de reconnaissance parmi les autres, qui demeure (le vingtième en partant du bas sur le deuxième pilier droit), comme un témoignage, un testament.

Toute faute d’orthographe étant, au même titre qu’un trope, un écart, n’est-elle pas aussi, d’une certaine façon, une figure poétique ? Dans ses Etudes de style, le philologue Léo Spitzer évoque cette « linguistique behavioriste, antimentaliste, mécaniste, matérialiste, qui voudrait faire du langage ce qu’il n’est pas : un agglomérat sans signification de choses inertes, un matériel verbal mort, des habitudes des paroles automatisées ».  Pour évoquer la stylistique qu’il pratique, il parle de la « signification interne » que prennent les mots et les figures de style de chacun. Sûr qu’il il y aurait rajouté les fautes, le vieux maître, s’il avait su, ou vu, ces piliers bruissant d’autrefois qui soutiennent la chapelle de Fourvière.

Car avec cet ex-voto insolite, nous sommes à la croisée d’une prière et d’une foi, d’une histoire singulière effacée et d’une civilisation qui perdure, d’un dire aussi beau que maladroit :

Marie, exaucée,

m’a exaucée.

Marie ma exaucée.

samedi, 12 avril 2014

Sous le ciel d'avril

Le cimetière de Loyasse était désert, quand j’y suis passé hier. Sous le ciel d'avril, le printemps ne fait pas de différence entre le séjour des vivants et celui des morts. Ça pépiait dans les arbres, et la lumière baignait les chapelles avec la même abondance que les toits de la ville en contre bas, sur lesquels flottait une  nuée de pollution. J’ai arraché l’herbe en trop - la mauvaise dit-on, sur la tombe de ma mère.  J’ai déplacé les vasques pour nettoyer les traces de terre sur le  marbre noir. Il va falloir changer les fleurs en tissu, dont la couleur des pétales a passé sous le soleil. Je rachèterai des jaunes. Elle aimait particulièrement les tulipes jaunes.

A chaque fois que je me recueille devant sa tombe, je regarde avec étonnement ce chiffre, 1980.  Dans quelques mois, trente quatre ans, déjà ! Il n’y a rien de très linéaire dans le temps. Je ressens cela aussi quand je lis un auteur ancien, dont la vigueur de la pensée me saute aux yeux, fraîche, contemporaine. Les disparus nous habitent, quoi que nous en pensions avec, tantôt la force de l’instant, tantôt celle de la durée.

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intérieur Loyasse, photo Itinéraire bis

Je suis redescendu de Loyasse en passant par la chapelle de Fourvière, où j’ai placé un cierge pour son repos.  Sur les bancs, moins de fidèles qu’une main n’a de doigts, c’est dire. Je suis resté un instant à contempler la Vierge Noire qui trône au centre de l’autel baroque et doré, cette Vierge à qui le conseil municipal au grand complet, -monsieur Collomb en sa tête-, vient offrir un cierge et un écu chaque huit septembre. Je suis resté devant elle un moment, paisible et silencieux. Sur l’esplanade de la basilique, au-dehors, il y avait beaucoup plus de monde pour contempler la plaine urbaine, dans le bleu vilainement grisailleux de la pollution. 

12:15 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : lyon, loyasse, fourvière, littérature, avril | | |

lundi, 15 février 2010

Les sculpteurs de Fourvière

Tout le monde connait, ne serait-ce que de nom, la basilique de Fourvière. Elle a rencontré, depuis le début, des ardents défenseurs (palais de Marie, citadelle mystique) ainsi que des détracteurs passionnés (éléphant renversé). Huysmans la trouvait « asiatique et barbare »... Léon Bloy ne l'aimait pas. Et le maire franc-maçon Victor Augagneur engagea en 1903 une procédure municipale pour la faire fermer.

Depuis longtemps, Pierre Marie Bossan (1814-1888), son architecte principal, nourrissait le projet d’édifier sur « la colline qui prie » un nouveau sanctuaire. En 1856, déjà, il en présentait le projet à son ami Joannes Blanchon (1819-1897), secrétaire de la toute jeune commission de Fourvière. La défaite de 1870 et la menace prussienne favorisèrent finalement le vœu du cardinal Ginouilhiac dont la future église sortit, si l’on peut dire, justifiée, malgré les innombrables incertitudes financières et techniques qui pesaient sur le projet. Louis Sainte-Marie Perrin (1835-1917) fut alors choisi par la commission de Fourvière pour diriger le gigantesque chantier que Bossan, son asthmatique architecte en chef désorfourviere_055compweb.jpgmais contraint de vivre à La Ciotat, avait laissé sur place. Le chantier s’étira sur une trentaine d’années. Si l’on peut considérer que le bâtiment vit finalement le jour, contrairement par exemple au Sacré Cœur de la rue Baraban qui, selon la volonté de son architecte, devait rivaliser avec Montmartre (1), le monument lui, a de grandes chances de rester à jamais inachevé : si on l’observe de près, en effet, à de nombreux endroits, seuls des blocs de pierre non ciselée, desquels il était prévu de faire jaillir motifs ou personnages s’imposent à la vue : bon nombre debasilique_de_fourviere_illuminee_pour_la_fete_des_lumieres_lyon_france_galerie_photo_large.jpg sculptures sont demeurées inachevées. Certains jugent le contraste entre la décoration trop symbolique des œuvres achevées et la rudesse massive de ces blocs en devenir saisissant. D’autres disent qu’après tout, c’est aussi bien que le cubisme ait à sa façon laissé son empreinte su1755016068_7e6806e41c.jpgr les parois de la basilique. Gros plan par là sur un ange, par ici sur un pélican…

Paul Emile Millefaut (1848-1907), spécialiste de la statuaire religieuse, fut l’auteur de la plupart des principaux anges arrivés à terme, des huit cariatides monumentales de la façade principale, ainsi que de la statue de Saint-Michel écrasant le Mal, symbole de la France légitimiste dont la lance, du haut de l’abside, fait face au Levant. On doit à Charles Dufraine (1827-1900) « le Lion de Juda » ainsi que la frise du fronton. Entre 1914 et 1920, Jean Baptiste Larrivé (1875-1928), prix de Rome en 1904, sculpte sur la tour Nord Ouest le groupe « de la Force ». Il réalise également les groupes « Samson et le lion » et « Jacob et l’Ange », ainsi que trois anges isolés, dont « l’ange du silence », achevé par Louis Bertola (1891-1973) Joseph Belloni (1898-1964), installé quasiment à demeure dans l’atelier de l’esplanade, parachève à son tour plusieurs décors, au-dessus de la porte principale et sur les murs latéraux de l’édifice. C’est notamment lui qui sculpte la frise de la Sainteté Lyonnaise sous le porche, où se découvrent entre autres Antoine Chevrier, Jean Marie Vianney, Pauline Jaricot et Frédéric Ozanam.

_basilique_fourvière.jpg

(1) Un terrain de 15.000 m2 fut acheté à la fin de la première guerre mondiale, huit jours après l’armistice pour le « Sacré Cœur » lyonnais.  Sur la plaine, il était question que l’église mesurât 94 mètres de long, qu’elle fût aussi vaste que Fourvière qui surplombe la colline et ornée de deux clochers et d’un dôme à l’égal de son homologue parisien. Faute d’argent, on ne construisit du bâtiment prévu que l’abside et le transept, lesquels devinrent à eux seuls le corps de la modeste église du Sacré Cœur rue Baraban. La municipalité racheta le terrain qui demeura longtemps un simple terrain vague avant de se transformer en modeste jardin public, au pied la haute muraille nue qui mettait fin au projet initial des Veuves de la guerre de Quatorze...

17:47 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre marie bossan, jean larrivé, joseph belloni, fourvière, lyon, sculptures | | |

dimanche, 31 janvier 2010

Baudelaire et le spleen de Lyon

Le vingt-deuxième poème du Spleen de Paris, titré Crépuscule du soir, présente, dans la troisième version du journal La Presse publié en 1862, deux allusions à des toponymes lyonnais : l’hôpital de l’Antiquaille et la colline de Fourvière.

Dans la version définitive, celle du Figaro, datée de 1864 les deux mots ont disparu, l’un étant remplacé par là-haut.

« Quels sont les infortunés que le soir ne calme pas, et qui prennent, comme les hiboux, la venue de la nuit pour un signal de sabbat ? Cette sinistre ululation nous arrive du noir hospice des Antiquailles perché sur la montagne ; et, le soir, en fumant et en contemplant le repos de l’immense vallée, hérissée de maisons dont chaque fenêtre dit : « C’est ici la paix maintenant ; c’est ici la joie de la famille ! » je puis, quand le vent souffle de Fourvières (là-haut), bercer ma pensée étonnée à cette imitation des harmonies de l’enfer.

Le crépuscule excite les fous. — Je me souviens que j’ai eu deux amis que le crépuscule rendait tout malades… »

Dans la version de 1862, Fourvière porte un s final ce qui est conforme à la graphie des années 1830 : On le trouve dans le titre du livre de Boitel, Lyon vu de Fourvières. Dans l’une de ses études étymologiques de la Revue du Lyonnais (n° 316) datée de 1876, le baron Raverat s’interroge sur ce s final qui est alors en train de disparaître, rappelant que «Fourvière est un de ces mots qui ont le plus exercé l'imagination des archéologues lyonnais. »

En ce qui concerne le s de l’Antiquaille, il s’explique aussi fort bien si l’on se souvient que les Anticailles désignaient la collection d’antiquités (les débris d’objets gallo-romains) que Pierre Sala (1457-1529), ancien maître d’hôtel à la maison du Roi et bourgeois lettré, avait réunies dans la spacieuse demeure qu’il s’était fait construire au milieu des vignes. La villa était devenue le couvent des Visitandines puis, rachetée par la ville en 1806, il devint un hospice dans lequel on hospitalisa les fous jusqu’à l’ouverture, en 1876, de l’hôpital des Chazeaux. Baudelaire n’est pas le seul qu’indisposa le cri des fous quand tombait le crépuscule. Une immense rotonde, nommée « la rotonde des folles », construite de 1812 à 1814 et détruite en 1936 est demeurée légendaire.

Il est donc presque certain que Baudelaire a réutilisé un texte plus ancien, datant de ses années de collège à Lyon, de janvier 1832 à 1836, plaçant dans son spleen de Paris quelques miettes d’un spleen plus lyonnais. Le dessin d'Hubert de Saint-Didier ci dessous donne une idée du paysage lyonnais de cette époque, et le lavis de Leymarie nous rappelle l'hôpital perché sur la montagne ...

 

 

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Fourvière. Place des Minimes. Hospice de l'Antiquaille, par Balthazar Hubert de Saint-Didier, 1829-1832

 

 

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L'ancien quartier Saint-Georges, à Lyon, vu de la rive gauche de la Saône, vers 1840 [détail de la partie dominée par l'Antiquaille], phototypie d'après un lavis par H. Leymarie, ca 1840

21:01 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : baudelaire, spleen, littérature, fourvière, antiquaille | | |

vendredi, 14 novembre 2008

La colline s'écroule

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La date du 13 novembre 1930 reste gravée dramatiquement dans la mémoire de Lyon :

« Les générations se sont acharnées à reconstruire, écrit Tancrède de Visan  dans Sous le Signe du Lion, en 1935 [1]. On dirait qu’elles sont lasses, qu’elles comprennent que rien ne tient plus sur ce sol où l’humus manque. Les pas résonnent sur des caveaux, s’engluent dans la glaise des morts. Périodiquement, une affreuse catastrophe se produit. Tout est miné ici ». Plus loin, un autre personnage du même roman : « Mais cette colline est définitivement minée, comme un riche organisme dont la vitalité s’est consumée trop vite en excès de générosité. Je ne voudrais pas être enseveli sous les décombres, car c’est une question de jours »

Cinq ans auparavant, le 13 novembre 1930, vers une heure du matin, un pan entier de la colline de Fourvière s’était affaissé par deux fois, entraînant les maisons et  broyant tout sur son passage. Cette catastrophe a laissé une trace à la fois dans la physionomie de la colline et dans la mémoire de beaucoup de Lyonnais. Il y eut une quarantaine de victimes, dont dix-neuf pompiers. Dans son livre Carrefour des Hasards, Gabriel Chevallier, auteur de Clochemerle et de la Peur [2], raconte :

« Je fis mes débuts dans la presse lyonnaise le 13 novembre 1930, à l'occasion de la catastrophe du Chemin-Neuf, qui eut à l'époque un grand retentissement. Vers une heure du matin, affouillé par les eaux, un pan de la colline de Fourvière partit en glissade, engloutissant les maisons et broyant tout sur son passage. La seconde poussée ensevelit les premiers sauveteurs accourus, agents et pompiers, qui furent surpris dans l'hôtel du Petit-Versailles de la rue Tramassac. Il y eut une quarantaine de victimes (...)

J'habitais à vol d'oiseau à moins de cent mètres de l'endroit où le mur avait lâché. Je fus réveillé dans la nuit par des coups frappés dans ma porte, en même temps qu'on me criait : "Levez-vous vite, La colline s'écroule." L'électricité manquait, le premier glissement ayant rompu les canalisations. On entendait, venant de la rue, un bruit de piétinement, de pleurs d'enfants effrayés, et des cris de rassemblement de familles. Tout cela faisait très sinistre. Je m'habillai rapidement dans l'obscurité et je descendis. Nous ne distinguions à nos pieds qu'un gouffre d'ombre impénétrable. L'énorme masse de terre s'était refermée sur ses victimes, comme la mer se referme sur le bâtiment  qu'elle vient d'engloutir. C'est à ce moment là que se produisit la seconde poussée qui ébranla le sol comme un  tremblement de terre, et dont le bruit roula lugubrement dans la nuit...

 

 

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... Alors on abandonna le quartier. Chargés de baluchons, les gens refluaient du sommet du Gourguillon pour descendre ensuite sur la ville. Place Saint-Jean, une foule éplorée de sans-logis occupait le parvis de la cathédrale. Devant elle, la faille invisible craquait et grondait encore sourdement par intervalles. La colline s'était fendue juste en-dessous d'un hôpital de la montée Saint-Barthélémy, qui restait planté au bord de l'abîme, où il menaçait de culbuter. On dut évacuer en hâte les malades.

Un silence terrible planait sur les décombres, mais on ignorait le nombre de victimes qui gisaient sous les amas que le service d'ordre ne laissait pas approcher. On ne racontait qu'une chose. Il y avait à l'hôtel du Petit-Versailles, où nous dînions quelquefois, une jeune fille très gentille. Elle s'était sauvée à temps puis s'était aperçue qu'elle avait oublié son argent. Elle revint sur ses pas sans se douter qu'elle marchait à la rencontre de la seconde poussée du terrain. On devait la désenfouir serrant dans ses mains son pécule, désormais inutile. "

C'est cette catastrophe qui a conféré à la colline de Fourvière l'aspect qui est le sien aujourd'hui : beaucoup de bois pour retenir la terre. Sur cette terre, un peu de vert. Avec cette catastrophe terrible, la "colline qui prie" est devenue "la colline qui verdoie ».


   1. Tancrède de Visan, Sous le signe du Lion,

   2. Gabriel CHEVALLIER, Carrefour des Hasards; La Quadrige d'Appolon, 1956

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dimanche, 09 novembre 2008

Lui, l'Antique

Avec ses gradins découverts depuis peu, vides et courbés contre le flanc de la colline, gradins si hauts pour des jambes d'enfants qu'elles pendent et se balancent,

Avec cette résonance, jeu d'échos de tous ceux qui le connurent en culottes courtes, lui aussi, et jouèrent avec le son, la magie du son,

Le mur de scène évaporé, lui aussi, comme l'amphithéâtre de Condate, comme si à travers ce mur de scène évaporé, au loin par-dessus la plaine, on cherchait du regard par-delà cette fuite de l'horizon vers les Alpes -

Et l'on on a beau chercher - or, il y a en ce temps-là bien moins de pollution qu'à présent - on a beau cligner des yeux, et placer sa main en visière contre son front, cette fuite de l'horizon, cette fuite là-bas, un peu dodelinée entre plaine et bleu du ciel, Rome est si proche pourtant, que le vieux forum où l'on se trouve lui ressemble, lui ressemble, n'est-ce-pas ? on a beau chercher, on ne le voit jamais, on ne la voit jamais la Capitale du monde, là où tout se tient, ni quand on est enfant, ni quand on est grand, parce que, parce que,

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Vit-on jamais Rome de Lugdunum ? Paris de Lyon ? Vit-on jamais ?

Et c'est ainsi que la province, conquise et calfeutrée à jamais dans les bras de plus puissant qu'elle, demeure à jamais femme ou à jamais enfant, c'est ainsi,

On ne peut, de ses frêles doigts de chair qui déjà ont compris qu'ils mourront, que  toucher la pierre et d'une paume aplatie contre elle, la chaleur somptueuse et ferme de la pierre quand on est petit garçon et que dans le théâtre, dans la pierre du théâtre on ne comprend pas comment peut se mirer là l'Arc du cercle de tout l'Univers, cette chaleur, s'en saisir et l'absorber,

Moi, l'Enfant,

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J'imaginai là, du règne d'Auguste jusqu'à celui d'Hadrien, tous ces gradins soudainement rugissant de la clameur et des cris de 10 000 spectateurs amassés, et tout aussitôt silencieux, pénétrés de toute leur attention et de leur surprise devant la grimace comique, le masque tragique,

Quoi ? - Quoi donc se dit, - Quoi donc se joue là, sur la scène ?

- quidcur ? - ubi sunt ? - ubi sunt ?

Qu'il est dur de commencer à comprendre, à pressentir,

Qu'en reste-t-il ? Qu'en reste-t-il ?

Sa muette réponse.

Lui. L'Antique.

Mais

Voilà que

La lumineuse trace des absents pèse trop sur ce vers que j'étends.

 

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mercredi, 28 mai 2008

La Vierge de Fabisch (2)

Image insolite d'une Vierge dorée haute comme trois hommes, flottant, libre, dans les airs à une dizaine de mètres du toit de la chapelle... La scénographie de la dépose de la Vierge de Fabisch, hier, à Lyon, a réservé à ceux qui avaient escaladé à temps "la colline qui prie", deux beaux moments, empruntés l'un et l'autre à l'iconographie mariale populaire la plus naïve et la plus radieuse. Ce fut d'abord, comme le précisa plus tard le cardinal Barbarin, non pas une ascension mais une assomption : de fait, pour qui sait voir, il y eut vraiment durant un bref instant quelque chose de l'histoire de cette ville et de la foi de nos ancêtres, quelque chose du génie du christianisme au sens le plus romantique du terme qui plana sur l'assemblée, lorsque les trois tonnes cinq de bronze doré à la feuille d'or, soudainement lestes comme un rayon de soleil, s'élevèrent par-dessus nous tous et demeurèrent suspendus là-haut, face à au plus beau panorama que la capitale des Gaules, tournée vers le Levant, peut offrir. J'oubliai les engins de levage et la mécanique, si performante fut-elle. Je songeai un instant à la capacité d'étonnement, d'admiration et de foi de Mélanie, la modeste bergère de la Salette : « La belle dame se lève. Eux n'ont pas bougé. Elle leur dit en français: Avancez, mes enfants, n'ayez pas peur, je suis ici pour vous conter une grande nouvelle... »

 L'autre moment de grâce fut la découverte du visage, couronné et étincelant, de la statue, visage que nul n'avait pu contempler de si près depuis 1852.  Ce fut, cette fois-ci, comme une apparition : visage à la fois gracieux et gigantesque, mobile et figé, éloquent et silencieux du masque d'or dérangé de son exil par les grutiers, à la façon d'un pharaon surpris en son éternité et banni de son rêve par quelques indélicats archéologues : devant la silhouette drapée et gigantesque de la Divinité, on a pu un instant se croire Renan, jadis troublé par l'effigie géante d'Athéna : « Quand je vis l'Acropole, j'eus la révélation du divin, comme je l'avais eue la première fois que je sentis vivre l'évangile, en apercevant la vallée du Jourdain des hauteurs de Casyoun. Le monde entier alors me parut barbare » Instants de grâce, instants de rêves, instants de contact avec le sacré, l'histoire et la foi, instants de charme, véritablement, que ne parvient pas à rompre le cérémonial des inévitables discours officiels tenus peu après sur l'estrade. Quelques gouttes d'un orage, d'un qui se retenait, tombent alors. C'est la fin. Chacun se disperse. La Vierge de Fabisch retrouvera son socle restauré au mois de décembre. On a donc tout l'été pour aller la méditer de près.

 

07:53 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : fourvière, christianisme, fabisch | | |