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mercredi, 23 septembre 2009

Saint-Laurent de Choulans

  « Découverte à l’occasion de travaux effectués sous la chaussée de la montée Saint-Clair- du Port, la basilique funéraire de Saint Laurent a été fouillée une première fois en 1947. En 1976, nous avons pu reprendre la fouille et mettre au jour l’abside orientale, puis dégager à nouveau la nef, les collatéraux et le portique, tout en complétant l’étude des sépultures. En 1983 des travaux de terrassement ont fait apparaître l’extrémité sud de l’abside ; en 1985, et en collaboration avec le Service archéologique municipal, nous avons pu mettre en évidence la clôture de la nécropole, sa porte d’entrée et quelques maisons construites hors de l'area funéraire. » 

 

Jean François Reynaud, Lugdunum Christianum, Ed. de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1998

 

Le quai Fulchiron est une  voie d’accès très empruntée le long des berges de la Saône, vers le centre touristique du Vieux- Lyon. C’est par là que s’engouffrent les estivants qui, de la vieille capitale des Gaules, n’auront jamais connu que le tunnel de Fourvière, l’odieux complexe autoroutier qui défigure la place Carnot, les plaisirs pollués de l’embouteillage auquel on se résigne devant les caméras s’il s’agit de faire bonne figure auprès de Bobonne et des gosses au journal de 20 heures.

Dans ce flot de véhicules sans mémoire craché par la gueule hideuse de ce tunnel, qui se doute qu’en le pénétrant, il foule du pneu les velléités de repos éternel d'antiques  dignitaires burgondes  ?  

 

Après le démembrement de la Gaule, en effet, Lugdunum fit partir du royaume de Bourgogne. Gondahaire (ou Gondicaire), le premier roi des Burgondes (ou Bourguignons) avait pénétré le Lyon gallo-romain dès l'an 435. Il défit l’’empereur Majorien, au mois de décembre 458, et fonda la dynastie des rois burgondes, laquelle dura tout juste un siècle, puisque la ville passa aux Francs en 534. Je tiens tout ceci de monsieur Josse, alias Auguste Bleton, puisant régulièrement dans sa précieuse Petite histoire populaire de Lyon (ed. Ch. Palud, Libraire de l’académie et des écoles, Lyon, 1885), qui reste une mine.

Le site archéologique de la vieille basilique Saint-Laurent de Choulans vaut le détour. Derrière une paroi de verre fumé, les niches clairsemées des sépultures ouvertes sont laissées à l’abandon, tandis qu’au rythme poussif des feux colorés de la circulation, une clignotante et ininterrompue guirlande de véhicules en tous genres se répand, tantôt venu du pont Kœnig, tantôt de la montée de Choulans, et continûment tournoie autour du sanctuaire masqué, dont nul ne soupçonne plus en ce lieu l’existence. Une époque, la nôtre, tourbillonnant autour d'une autre, la leur.

 

« Ce tombeau, déchiffre-t-on, appartient pour ses mérites à Atto, de bonne mémoire, dont saint Laurent a recueilli le corps, afin qu’il mérite le pardon ».

 

Mais, l’une après l’autre dispersée pour fortifier d’autres demeures (une chapelle carolingienne, un hôpital pour pestiférés, de multiples habitats de notables ), la basilique ancienne égara ses pierres et accomplit ce naufrage dans le mauvais oubli des hommes.  Seul demeure ce relief lisse de pierres violées, derrière cette paroi de verre et sous ces étranges ponts métalliques désertés par les passants.

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Le séjour d’Atto servit ainsi de fondations à divers bâtiments, dont le célèbre hôpital de la Quarantaine qui ne passa pas, pour autant, le dix-neuvième siècle. De ces récurrentes transactions comme de cette compilation presque pâtissière d’époques successives, placée devant mes yeux et comme glissée à mon oreille, seul, le génie décadent d’un vieux mémorialiste catholique venu séjourner là quelques heures de son siècle romantique, aurait pu façonner la méditation en périodes croustillantes sur l’ironique, démembrée et corrosive puissance des temps ; quelques ans plus tard, un poète érudit  se serait complu, en quelques maints sonnets pompéiesques, à retracer le douloureux roman d’un dieu Attys, lequel, « tant qu’il aima Cybèle en fut jaloux d’Atto ». Il aurait suffi qu’ensuite un  breton sulpicien consolidât l’édifice en jetant à l’antique déesse certaine prière démocratique dont seul il posséda le secret, pour que Saint-Laurent de Choulans entrât en littérature. Sans doute aurait-il fallu également aux récents dirigeants de la Cité, une plus saine intelligence de son passé et un véritable amour des Lettres.

Les ruines à présent révélées de saint Laurent de Choulans auraient acquis aujourd’hui quelques lettres de noblesse avérées. Mais hélas, aucun Renan n’eut jamais le loisir, à propos d'une quelconque lyonnaise Acropole, de dialoguer avec le moindre Chateaubriand, et les Chimères de ces tombes dévastées restent à composer.

Le grès rocailleux et javellisé des sarcophages ne découvre à l’œil exercé que les mégots que de récents passants y ont jetés du haut des passerelles. Fièvre patrimoniale. Quant au flot des automobiles que le quai draine juste derrière ce vitrage, il m’empêche même d’écouter le silence des tombes. Je ne perçois que l’indifférence des vivants à leur égard : qui le rompra, Atto ?  De la plate forme métallique d’où je contemple l’embarras de ces ruines, je comprends que s’est dérobé le temps de réciter le fond sec et incurvé de leur mirobolante vanité. Claquemurées au centre des embouteillages, cela ne ravirait que fort peu l’attention du public.

Ce constat attristant en tête, je quitte le bâtiment circulaire qui les abrite. En un instant, me voilà rendu sur le trottoir du quai Fulchiron. Une discrète borne kilométrique me rappelle, un peu plus loin, qu'il fut aussi sur les cartes routières la départementale D487.

 

Autres monuments perdus:

L'hôpital de la Charité :

http://solko.hautetfort.com/archive/2008/09/03/les-fantom...

L'amphithéâtre des Trois-Gaules :

 http://solko.hautetfort.com/archive/2008/11/03/l-abbaye-l...

Le Pont de Saône :

 http://solko.hautetfort.com/archive/2008/12/07/le-pont-de...

Le Progrès, rue Bellecordière :

http://solko.hautetfort.com/archive/2009/07/23/le-progres...

La passe des Cordeliers :

http://solko.hautetfort.com/archive/2008/10/06/passe-des-...

dimanche, 09 novembre 2008

Lui, l'Antique

Avec ses gradins découverts depuis peu, vides et courbés contre le flanc de la colline, gradins si hauts pour des jambes d'enfants qu'elles pendent et se balancent,

Avec cette résonance, jeu d'échos de tous ceux qui le connurent en culottes courtes, lui aussi, et jouèrent avec le son, la magie du son,

Le mur de scène évaporé, lui aussi, comme l'amphithéâtre de Condate, comme si à travers ce mur de scène évaporé, au loin par-dessus la plaine, on cherchait du regard par-delà cette fuite de l'horizon vers les Alpes -

Et l'on on a beau chercher - or, il y a en ce temps-là bien moins de pollution qu'à présent - on a beau cligner des yeux, et placer sa main en visière contre son front, cette fuite de l'horizon, cette fuite là-bas, un peu dodelinée entre plaine et bleu du ciel, Rome est si proche pourtant, que le vieux forum où l'on se trouve lui ressemble, lui ressemble, n'est-ce-pas ? on a beau chercher, on ne le voit jamais, on ne la voit jamais la Capitale du monde, là où tout se tient, ni quand on est enfant, ni quand on est grand, parce que, parce que,

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Vit-on jamais Rome de Lugdunum ? Paris de Lyon ? Vit-on jamais ?

Et c'est ainsi que la province, conquise et calfeutrée à jamais dans les bras de plus puissant qu'elle, demeure à jamais femme ou à jamais enfant, c'est ainsi,

On ne peut, de ses frêles doigts de chair qui déjà ont compris qu'ils mourront, que  toucher la pierre et d'une paume aplatie contre elle, la chaleur somptueuse et ferme de la pierre quand on est petit garçon et que dans le théâtre, dans la pierre du théâtre on ne comprend pas comment peut se mirer là l'Arc du cercle de tout l'Univers, cette chaleur, s'en saisir et l'absorber,

Moi, l'Enfant,

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J'imaginai là, du règne d'Auguste jusqu'à celui d'Hadrien, tous ces gradins soudainement rugissant de la clameur et des cris de 10 000 spectateurs amassés, et tout aussitôt silencieux, pénétrés de toute leur attention et de leur surprise devant la grimace comique, le masque tragique,

Quoi ? - Quoi donc se dit, - Quoi donc se joue là, sur la scène ?

- quidcur ? - ubi sunt ? - ubi sunt ?

Qu'il est dur de commencer à comprendre, à pressentir,

Qu'en reste-t-il ? Qu'en reste-t-il ?

Sa muette réponse.

Lui. L'Antique.

Mais

Voilà que

La lumineuse trace des absents pèse trop sur ce vers que j'étends.

 

00:15 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : lyon, odéon, théâtre romain, fourvière, archéologie | | |

mardi, 04 novembre 2008

Archéologiquement vôtre

Je dis souvent à mes amis que Lyon est une ville croustillante, au sens qu'on emploie en parlant d'une simple pate feuilletée. Avant d'être celle de la gastronomie, Lyon fut, au seizième siècle, la capitale de l'archéologie. Le Petit Robert date de 1599 la naissance de ce  terme et en donne la définition suivante : « science des choses anciennes, des arts et des monuments antiques ».

Avant sa création, les érudits lyonnais disaient plus simplement : histoire. On se souvient peu que c'est le lyonnais Jacob Spon qui fut l'inventeur de ce mot. Spon, l'amoureux « des pierres qui parlent dans tous les coins de nos rues », du « Lyon romain retrouvé », de « l'antique grandeur enfouie sous nos pas », le médecin des hommes (comme Rabelais) et des pierres, qui consacra sa vie à l'exégèse de leurs étonnantes épigraphes latines. J'eusse aimé me promener en ce temps-là sur le site encore en grande partie livré aux caprices de Nature, comme disait alors Belièvre ou Champier.

Le Lyon moderne et industrialisé, celui que nous connaissons, a totalement éclipsé cette perspective. Elle se rappelle pourtant à lui à chaque fois qu'à l'occasion de la percée d'un tunnel ou de la creusée (c'est ce mot qui me vient, et non pas le plutôt laid creusement - qu'importe !) d'un parking souterrain, son passé antique et préhistorique vient cogner à ses tempes : les ancêtres sont têtus, et refusent que leurs opéra s'éclipsent si facilement devant les nôtres. L'Amphithéâtre des Trois Gaules possédait à ses côtés un Sanctuaire, lequel a littéralement disparu. Ne restent que ces piliers qui soutiennent la basilique d'Ainay.

On suppose une gigantesque terrasse, longue de cent mètres, au niveau de l'actuelle rue des Tables Claudiennes (nom rappelant justement les Tables de l'empereur Claude), avec des rampes d'accès donnant sur d'autres, étagées par en-dessous. Le souvenir de cette architecture antique transpire justement sous cette topographie si caractéristique des pentes de la Croix-Rousse, qui fait de la ligne 6 qui la parcourt en esses une des plus pittoresques du réseau TCL. 

Les pierres du Sanctuaire ayant servi de vaste carrière au Lyon médiéval, elles furent donc éparpillées telles de gigantesques dominos par toute la cité. La nature aura donc repris ses droits pendant plusieurs siècles, effaçant le souvenir de Condate. Ceignant de murailles et de hautes grilles leurs enclos et leurs potagers, les couvents qui s'y installèrent ont longtemps protégé la physionomie de ces lieux de tout ce qui aurait pu la corrompre. Après la Révolution, les marchands les plus fortunés ayant acquis ces terrains, ils y firent bâtir les hauts immeubles de rapport qu'on voit aujourd'hui, où s'entassèrent les canuts du dix-neuvième siècle, sur ces terrasses qui faisaient face aux monts alpins, et qu'on avait conçues pour des empereurs romains. Le bistenclac de leurs métiers retentit ainsi durant des décennies, comme le cri de leurs révoltes, juste au-dessus du vieux sanctuaire dont les mânes veillaient encore, enfoui sous leurs caves, sur les amours de ce malheureux prolétariat. Est-ce la saison, qui me rend l'âme toute archéologique ? Lorsque je traverse ce vieux et cher quartier, j'aime bien que grimpent à mes narines, depuis les temps d'Auguste et de Claude, et à travers ceux de jacob Spon puis de Louis Philippe, les effluves d'un lancinant parfum, qui, parcourant toute la ville, m'en rappellent toute l'histoire en un seul geste, de mon enfance à ce jour.

 

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Le sanctuaire des Trois Gaules, à Condate, aujourd'hui

15:02 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : littérature, archéologie, condate, jakob spon | | |