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lundi, 06 octobre 2008

Passe des Cordeliers.

Des places de villes aux contours flous, il en existe un certain nombre un peu partout; cela s'appelle place, mais à bien y regarder, c'est au mieux un quelconque carrefour, lieu fade où le promeneur solitaire, comme le piéton contemplatif, ne trouve plus sa place. Il faudrait retirer une lettre aux plaques bleues de ces ronds-points, et les nommer passe, symbole de notre temps pour gens multipressés, qui ne font que passer.

Dans le premier arrondissement de Lyon se trouve ainsi la passe des Cordeliers. Elle fut ouverte en 1557, sur le cimetière des religieux qui, moyennant une redevance annuelle de cent livres que la Ville s'engageait à leur payer, lui ont alors cédé le terrain. Le Consulat a fait abattre les murs du vieux cimetière, vider les tombes, aplanir le sol bossu et, du nom des Cordeliers installés là depuis 1220, baptisé le funèbre enclos ouvert au trafic urbain. Un Turc installa là le premier café lyonnais, en 1660 (on écrivait alors caffé.) Cet antre prit naturellement le nom de Caffé Turc.

Au centre du cimetière se dressait jadis une très ancienne croix gothique. On la laissa presqu'un siècle au centre de la place. En 1748, comme elle tombait de vétusté, le Consulat la remplaça par la colonne du Méridien. Vingt mètres de haut : longtemps, affairistes & amoureux, qui la repéraient de loin, s'y donnèrent rendez-vous; si bien que les Cordeliers faillirent céder leur nom à ce qui, dans les conversations, devenait peu à peu « la place du Méridien ». Au-dessus de la colonne trônait une statue, celle d'URANIE, la muse aujourd'hui manquante sur le fronton de l'Opéra où n'en trônent que huit. Une Maison de Concert bâtie sur la place eut son heure de gloire puisque le jeune Mozart en personne s'y fit applaudir le 13 août 1766.

 

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La Colonne d'Uranie et la Maison du Concert firent les frais du ré-aménagement du Quartier par le préfet Vaisse, le Hausmann local de Napoléon III de triste mémoire puisqu'on dit qu'il ouvrit la Rue Impériale (future rue de la République) pour réprimer au canon plus facilement d'éventuelles émeutes de canuts. La place qu'on voit sur la gravure perdit peu à peu son caractère historique. On édifia à la gloire du Tout Puissant-Commerce le Palais de Dardel, flanqué du bas-relief assez mastoc représentant le Rhône et la Saône qu'on peut toujours y voir. Tony Desjardins planta juste à côté à côté ses fameuses Halles en 1860, dans le goût métallique de son époque. Ces Halles furent ratiboisées un siècle plus tard,  et installées à la Part-Dieu, dans un bâtiment sans originalité auquel on donna le nom de Paul Bocuse : sur la place des Cordeliers s'est dressé à leur place un magnifique parking qui fait la joie des touristes du monde entier attirés à Lyon par son classement UNESCO. On le voit, pour les bâtiments aussi, cette drôle de place ne devait être surtout que le lieu d'un passage éphémère. Les Grands Magasins Sineux, devenus Grands Magasins des Cordeliers, puis succursale des Galeries Lafayettes parisiennes-  et désormais de Planet Saturn- furent construits sur les plans de l'architecte Prosper Perrin. Un modeste bazar polonais qui avait ouvert au début du dix-neuvième siècle vola bien vite en éclat pour céder la place à une autre enseigne "A la Ville de Lyon", qui devint bien vite le fort populaire "Grand Bazar," depuis peu reconverti en un banal aquarium du label  Monoprix. Certains jours de juillet, quand il fait très chaud sur la vieille capitale des Gaules, le toit de ce machin-là s'avance sur le chaland de façon incroyablement menaçante.

Seule demeure, en place et au coeur de tout ce qui passe (et ne sait faire que cela), seule demeure et comme en apnée, tant l'espace s'est amenuisé et pollué autour d'elle, la vieille église dédiée à Bonaventure, l'italien séraphique au si joli nom, venu mourir à Lyon le 15 juillet 1274, lors du Concile Oecuménique convoqué par Grégoire X. Si vous passez par la passe des Cordeliers, entrez-y. Vous y trouverez d'abord du silence, de la fraîcheur et des bancs. Ce n'est pas négligeable par les temps qui courent. Puis vous ferez face à l'un des plus beaux orgues de la ville. Des rangées de lustres qui s'alignent là tombe un clair-obscur comme méditatif. Tous les anciens corps de métiers avaient jadis regroupé autour de l'autel de Saint-Bonaventure leurs chapelles latérales, dont les vitraux restaurés -la plupart s'étaient effondrés  lors du bombardement du pont Lafayette - étincèlent. Asseyez-vous. Laissez, à la lueur d'un cierge, à la note de l'orgue, le sanctuaire  s'animer dans la pénombre : le cœur du Moyen-âge, dans la bourrasque de la modernité, livre son premier et simple éclat. Sur la passe, enfin, le badaud trouve sa place.

 

19:37 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cordeliers, lyon, ville, grand bazar, société | | |

Commentaires

PASSE DES PASSES

Mine de rien
La passe éloigne
De ces gens
Qui sont nés quelque part
Même si la proximité subsiste
Dans les apparences
Et les ondulations
Dont les diseuses
Tracent au cordeau
Les lignes d'aventure

Écrit par : gmc | lundi, 06 octobre 2008

Pour que soit bonne l'aventure
Il faut bien que la passe dure
Plus que le temps de l'apparence
Et que le repos s'en saisisse
Au fil du discours ondulant
Comme un encens

Écrit par : solko | lundi, 06 octobre 2008

Rebonjour Solko, votre site lyonnais est véritablement instructif, parfois même savant, passionnant, en tout cas. A signaler également que la plupart des auteurs et des peintres que vous exhumez sont de notre famille de pensée (certains même de notre famille tout court) … nationalistes. Mais de quoi donc avez-vous peur pour supprimer non seulement un lien, comme vous le dites, mais un commentaire sur votre blog (y a quand même une raison quelque part à cette auto-censure) ?
Les renvois «citoyens critiques» que vous fournissez ne sont-ils pas eux, beaucoup plus insidieusement certes, des liens militants ? Votre démarche correspondrait-elle à cette défaite de la pensée qu’annonçait Saint-Thomas d’Aquin «Non respicias a quo audias, sed quidquid boni dictatur, memoria recommenda» … grossièrement transcrite ou résumée, ici, par un « peu importe la vérité, si je n’apprécie pas celui dont elle vient» ! Vous voyez que votre démarche est fondamentalement plus grave que ce que vous n’envisagiez (à l’aune de votre talent) : elle est à la source de la corruption… Bien à vous, Cyrille RC, ParisLibéré

Écrit par : ParisLibere | lundi, 06 octobre 2008

La question ne se pose pas en terme de peur, ni de censure, ni d'autocensure ; elle se pose plutôt en terme de cohérence, ce blog n'étant tout simplement pas un blog politique, encore moins politicien ou partisan. La vérité se trouve, hélas, corrompue dès qu'on prétend en être le détenteur : Vous savez bien que Saint-Thomas d'Aquin parle d'une vérité transcendante, or le nationalisme est une doctrine, pas une vérité transcendante ; c'est pourquoi votre propos est plus spécieux qu'autre chose. Mais enfin, voyez, je le laisse.
Je ne suis pas nationaliste, ce qui ne m'empêche pas de comprendre historiquement et d'apprécier vraiment un Henri Béraud, si c'est, par exemple, à lui que vous pensez en parlant des auteurs que "j'exhume". Encore que le nationalisme de Béraud soit fort discutable pour avoir longtemps été un républicanisme radical, soumis à l'épreuve historique de 14, puis de 18, puis de la suite qu'on connait. De la même façon, je ne suis pas socialiste, et j'apprécie Louis Guilloux tout autant que Béraud; pas monarchiste, et j'apprécie Montesquieu; ni hindouiste ni musulman et lecteur pourtant de Kabir; pas grec, mais admirateur de Sophocle. On continue ... ? Rien ne me glace plus que l'esprit partisan, le terrorisme de la cohérence lorsqu'elle devient purement idéologique.

Écrit par : solko | lundi, 06 octobre 2008

Je ne faisais aucun lien entre Saint Thomas et le nationalisme ; mais mettais seulement en cause notre assujettissement au droit subjectif (notamment depuis l’abrogation de ceux de la Paix dite de Westphalie...). Ceci étant dit, brisons ! D’après les commentaires de vos élèves, vous semblez un sacrément bon prof – à l’ancienne (hem, hem), pour susciter le meilleur en eux ! La France –nous et nos enfants- a besoin de vous, alors, merci pour votre réponse et courage (quand bien même nous serions partisans). Bien à vous. Cyrille RC, ParisLibéré.

Écrit par : Cyrille RC | lundi, 06 octobre 2008

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