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jeudi, 05 mars 2009

Chronique de la fonte des cloches, des anciens incunables et de l'abbé Vachet

Hier soir, dans salle des ventes de la presqu'île, se déroulait une vente de livres anciens et modernes sur catalogue : dans l'assistance, une quarantaine de personnes, guère plus. Essentiellement des libraires, quelques collectionneurs, une poignée d'observateurs. Non loin de là, Fnac. Virgin. Planet Saturn. Des enseignes aux noms curieux, il faut bien l'avouer, quand on les écoute avec distance : un badaud des années trente - mille neuf-cent, bien sûr-, aurait-il jamais imaginé qu'une librairie pût porter un tel nom ? Dans ces enseignes de grande distribution qui a jamais vu un livre ? un vrai livre ? La foule que drainent les escalators ne sait pas ce que c'est. D'ailleurs, un escalator, dans une librairie digne de ce nom, est-ce concevable ?  Tandis qu'ici, dans la salle des ventes, c'est parquet verni, vitrines en verres, tables en bois. Les voilà donc empilés, les incunables, les éditions originales, les manuscrits, les collections, les livres de chasse, de pèche, héraldisme et généalogie, architecture, militaria, régionalisme et puis un peu de littérature. Des livres, quoi. Annoncé un à un.  Le premier lot, c'est un manuscrit. Un manuscrit autographe. Un manuscrit autographe composé d'environ 40 pages  et orné de 9 figures à la plume, rédigé en 1740. Je sais que cela énerve beaucoup certains commissaires-priseurs. Mais à la vente, je suis d'abord au spectacle. Sujet du manuscrit : la fonte des cloches. Rien que cela me rend joyeux : n'est-ce pas merveilleux, un mercredi soir, par temps de crise, une pensée émue pour ce noble artisanat ? Poids des battants, des carillons, typologie des cloches romaines... Tout s'y trouve. Pendant que les enchères grimpent, je pense à George Sand, aux Maîtres-Sonneurs, roman touffu, lu autrefois. A Paris. On a commencé à 320 euros, cela intéresse des gens, la fonte des cloches; eh oui ! C'est un sujet passionnant, le texte n'a pourtant jamais été édité, sans doute est-ce pour cela : nous voilà à 400, 450, 500, ça part à 580 euros. Moi, je commence à oublier la journée que j'ai derrière moi. C'est le commissaire qui tient la salle, je fais, moi, l'élève. Je discute avec ma voisine, une libraire spécialisée dans le régionalisme. Un manuscrit de la grammaire générale de Port-Royal d'Arnauld & Nicole, demi-maroquin rouge à long grain à coins passe sous nos yeux et, pendant que nous discutons comme des potaches, est adjugé à 240 euros. Elle me dit que le jansénisme, ça ne marche plus. Tout ce qui est religieux, en général, non plus. Voilà qui tombe bien. Je suis venu pour un livre sur les Anciens Couvents de Lyon, le Vachet 1895, pour ceux qui sont spécialistes. Je pense à tous ces malheureux sur les escalators. Au fond, qu'ils y restent. Et qu'ils achètent autre chose. La vente continue. Ma voisine grogne un peu car elle n'a pu avoir la carte du Gouvernement du Lyonnais qu'elle avait repérée à moins de 120. Elle calcule déjà son prix de vente. Chacun son métier. Moi, je suis là pour oublier ma journée.

J'ai vu passer, juste passer, une édition originale de L'Education Sentimentale, Paris, Michel Levy, 1870 qui est parti à 1100 euros. Quelques incunables, dont je n'ose vous dire les prix d'adjudication. Quand on dépasse 10.000, je commence à décrocher. Pas que cela m'impressionne, cela m'endort. Comme dit ma voisine, il y a encore de l'argent dans ce pays, n'est-ce pas ?  Il y a des clowns comme Jacques Séguéla, pour proclamer que si à cinquante ans on n'a pas de rolex, on a raté sa vie (on ne sait plus trop si tout ça pue davantage le Sentier ou la force tranquille des propos aussi con, c'est made in Séguéla !)... Moi je me dis plutôt que si à cinquante ans on n'a pas d'incunable, on a un peu raté - oh pas forcément sa vie, mais au moins sa bibliothèque. Il y a toujours le petit moment de somnolence dans une vente. Surtout comme ça, lorsque cela s'étire en soirée. Enfin, amateurs d'héraldique, je ne vous dis pas les sacrés beaux bouquins que j'ai juste entrevus ! Ces bouquins-là, ils sont surtout beaux par leurs planches. Ce qu'ils respirent d'un monde qui n'est plus, par les blasons reproduits sur ces planches, c'est comme ce que respire la ville de Lyon par les noms de ses couvents disparus. Un monde  qu'on a complètement remplacé par un autre. Ici, on se donne rendez-vous aux Jacobins, aux Cordeliers, aux Célestins, à Ainay... Noms lancés parmi d'autres. Cordeliers, c'est une station de métro, Jacobins, c'est une place, Célestins, un théâtre. Je me dis parfois que si Florence avait subi le même sort, il n'en resterait carrément plus rien. Quelle tristesse ! Cela me ramène à ce que je suis venu faire ici, aussi. Ne pas rater l'abbé Vachet. Je confirme que ces malheureux disparus, les anciens couvents de Lyon, ça n'intéresse plus personne. Le livre est en mauvais état, soit. Mais il est entier, 657 pages de texte et d'illustrations, quarante-trois chapitres pour quarante-trois couvents, qui furent rayés de la carte, disparus, volatilisés. Je n'ose vous dire combien je l'ai payé. Quand je pense à ce que, pour la même somme, on ramène de la Fnac ... J'ai l'impression d'avoir un trésor entre les mains.  Quelques paroles, pour conclure, de la préface de l'abbé Vachet : "Lisez ce livre chapitre par chapitre. Dirigez ensuite votre promenade de la semaine aux lieux mêmes où fut le couvent dont vous avez lu récemment l'histoire. Essayez, sur nos données, de reconstituer le passé, et avant peu, vous aurez dans l'esprit une connaissance plus complète du vieux Lyon et, dans votre cœur, un amour plus vivace pour lui. "  Merci l'abbé me dis-je en lisant ça dans le métro. Nous passons justement sous les Cordeliers, tiens. Serait-il saisi au cœur, ce pauvre abbé du dix-neuvième siècle, s'il voyait ce que je vois ? Mes contemporains ! Chaque siècle a son délabrement. Le nôtre a quelque chose d'innommable. Vraiment. Que nous ne savons plus par quel angle, ni de quels yeux regarder, ni de quel jugement éprouver. Cela ne rend pas triste, non. Non. Mais c'est à peine si l'on ose encore dire qu'Alexandre est grand...

 

lundi, 06 octobre 2008

Passe des Cordeliers.

Des places de villes aux contours flous, il en existe un certain nombre un peu partout; cela s'appelle place, mais à bien y regarder, c'est au mieux un quelconque carrefour, lieu fade où le promeneur solitaire, comme le piéton contemplatif, ne trouve plus sa place. Il faudrait retirer une lettre aux plaques bleues de ces ronds-points, et les nommer passe, symbole de notre temps pour gens multipressés, qui ne font que passer.

Dans le premier arrondissement de Lyon se trouve ainsi la passe des Cordeliers. Elle fut ouverte en 1557, sur le cimetière des religieux qui, moyennant une redevance annuelle de cent livres que la Ville s'engageait à leur payer, lui ont alors cédé le terrain. Le Consulat a fait abattre les murs du vieux cimetière, vider les tombes, aplanir le sol bossu et, du nom des Cordeliers installés là depuis 1220, baptisé le funèbre enclos ouvert au trafic urbain. Un Turc installa là le premier café lyonnais, en 1660 (on écrivait alors caffé.) Cet antre prit naturellement le nom de Caffé Turc.

Au centre du cimetière se dressait jadis une très ancienne croix gothique. On la laissa presqu'un siècle au centre de la place. En 1748, comme elle tombait de vétusté, le Consulat la remplaça par la colonne du Méridien. Vingt mètres de haut : longtemps, affairistes & amoureux, qui la repéraient de loin, s'y donnèrent rendez-vous; si bien que les Cordeliers faillirent céder leur nom à ce qui, dans les conversations, devenait peu à peu « la place du Méridien ». Au-dessus de la colonne trônait une statue, celle d'URANIE, la muse aujourd'hui manquante sur le fronton de l'Opéra où n'en trônent que huit. Une Maison de Concert bâtie sur la place eut son heure de gloire puisque le jeune Mozart en personne s'y fit applaudir le 13 août 1766.

 

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La Colonne d'Uranie et la Maison du Concert firent les frais du ré-aménagement du Quartier par le préfet Vaisse, le Hausmann local de Napoléon III de triste mémoire puisqu'on dit qu'il ouvrit la Rue Impériale (future rue de la République) pour réprimer au canon plus facilement d'éventuelles émeutes de canuts. La place qu'on voit sur la gravure perdit peu à peu son caractère historique. On édifia à la gloire du Tout Puissant-Commerce le Palais de Dardel, flanqué du bas-relief assez mastoc représentant le Rhône et la Saône qu'on peut toujours y voir. Tony Desjardins planta juste à côté à côté ses fameuses Halles en 1860, dans le goût métallique de son époque. Ces Halles furent ratiboisées un siècle plus tard,  et installées à la Part-Dieu, dans un bâtiment sans originalité auquel on donna le nom de Paul Bocuse : sur la place des Cordeliers s'est dressé à leur place un magnifique parking qui fait la joie des touristes du monde entier attirés à Lyon par son classement UNESCO. On le voit, pour les bâtiments aussi, cette drôle de place ne devait être surtout que le lieu d'un passage éphémère. Les Grands Magasins Sineux, devenus Grands Magasins des Cordeliers, puis succursale des Galeries Lafayettes parisiennes-  et désormais de Planet Saturn- furent construits sur les plans de l'architecte Prosper Perrin. Un modeste bazar polonais qui avait ouvert au début du dix-neuvième siècle vola bien vite en éclat pour céder la place à une autre enseigne "A la Ville de Lyon", qui devint bien vite le fort populaire "Grand Bazar," depuis peu reconverti en un banal aquarium du label  Monoprix. Certains jours de juillet, quand il fait très chaud sur la vieille capitale des Gaules, le toit de ce machin-là s'avance sur le chaland de façon incroyablement menaçante.

Seule demeure, en place et au coeur de tout ce qui passe (et ne sait faire que cela), seule demeure et comme en apnée, tant l'espace s'est amenuisé et pollué autour d'elle, la vieille église dédiée à Bonaventure, l'italien séraphique au si joli nom, venu mourir à Lyon le 15 juillet 1274, lors du Concile Oecuménique convoqué par Grégoire X. Si vous passez par la passe des Cordeliers, entrez-y. Vous y trouverez d'abord du silence, de la fraîcheur et des bancs. Ce n'est pas négligeable par les temps qui courent. Puis vous ferez face à l'un des plus beaux orgues de la ville. Des rangées de lustres qui s'alignent là tombe un clair-obscur comme méditatif. Tous les anciens corps de métiers avaient jadis regroupé autour de l'autel de Saint-Bonaventure leurs chapelles latérales, dont les vitraux restaurés -la plupart s'étaient effondrés  lors du bombardement du pont Lafayette - étincèlent. Asseyez-vous. Laissez, à la lueur d'un cierge, à la note de l'orgue, le sanctuaire  s'animer dans la pénombre : le cœur du Moyen-âge, dans la bourrasque de la modernité, livre son premier et simple éclat. Sur la passe, enfin, le badaud trouve sa place.

 

19:37 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cordeliers, lyon, ville, grand bazar, société | | |