Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 20 août 2014

Je hais les touristes (3)

 Le touriste est d’abord voyeur (et non voyageur) et dans un second temps raconteur (et non baroudeur) : c'est-à-dire à dire porteur d’images et faiseur d’opinion. C’est pour cette raison qu’il convient à la fois de le bichonner (on se souvient du souci tout particulier de la préfecture de Paris pour les touristes chinois de la capitale, cible privilégiée de vols à la tire), et de surveiller ses déplacements. Cela peut s’effectuer de manière soft, comme dans les pays démocratiques, au nom d’alibis culturels ou d’intérêts esthétiques, qui guident les masses davantage vers un lieu de mémoire,  d’exposition ou de  divertissement. Mais on a aussi tous à l'esprit les parcours imposés par les pays soviétiques aux visiteurs occidentaux (souvent militants) au temps de la guerre froide, des modèles du genre. Nul doute également que dans cette forme effroyable de tourisme dont il est question ICI, les pas de chacun ne soient bien pensés et les itinéraires pour le moins balisés.

L’obscénité, comme son nom l’indique, c’est le fait de chercher à voir ce qui est hors de la scène  -. Dès lors, rien d’étonnant à ce que le tourisme, cet écart effectué par rapport à la scène quotidienne - ne connaisse des dérives aussi effroyables que le tourisme sexuel ou – variante morbide – le tourisme guerrier : le tourisme n’est qu’une des activités du consommateur, qui engage peut-être plus qu’une autre le regard, mais dont le but reste de satisfaire une curiosité, un goût, une émotion, un paraître (à la façon d’un spectacle), et, finalement, ce que les moralistes du grand siècle appelaient un vice.

Une question se pose alors : En 2014, sur les plages, dans les musées, dans les centres villes comme dans les sites naturels, alors que le tourisme modèle (et morcelle) aussi bien le territoire que le calendrier, ce mal nauséeux est-il évitable ? Je veux dire, est-il possible d’y échapper, de voyager sans se sentir – à un moment ou un autre, pris au piège du tourisme, comme on l’est à celui de la consommation durant le reste de l’année ? Car touristes, au fond, nous le sommes tous plus ou moins à un moment ou à un autre, dès lors que nous vivons dans un monde qui nous place en situation de le devenir dès qu'on pose les pieds dehors. A quel point nous nous laissons piéger, c’est affaire d’hygiène de vie intellectuelle. De regard autocritique, de limites posées. 

 

Affirmer que je hais les touristes revient à signifier que je me hais en touriste. Peut-être alors que la meilleure façon d’échapper à ce qui n’est même plus un mal du siècle, mais une véritable pandémie, serait de revenir aux fondamentaux, aux raisons même que nous aurions de nous déplacer sans cesse : et de renoncer aux voyages qui n’auraient pour but que de voir ou de se faire, comme c’est joliment expliquer ICI, pour retrouver des raisons plus évidentes et plus traditionnelles : aller rendre visite à des amis ou effectuer un travail, ou encore, mais cela devient de plus en plus difficile dans un univers sous haute surveillance, partir à l’aventure…

Martha Rosler, Bringing war home

tourisme,littérature,europe,monde,

mardi, 19 août 2014

Je hais les touristes (2)

Au fond le touriste, où qu’il aille, n’est nulle part un étranger. Il n’est d’ailleurs jamais non plus à l’étranger puisque ses périples déclinent à l’infini une seule conception du monde, celle de citoyen de la planète.  C’est à ce titre qu’il voyage, un visa et une carte visa en poche.Celui qui partout se trouve chez lui, ayant tôt bu à la mamelle de la post-modernité,  est charnellement convaincu que la planète entière n’attend que lui, que la terre est sa nation, son village. Le communicant qui trouva la formule « le village global » résuma en elle l’essence même de ce qu’est la perspective spirituelle d'un touriste. 

D’où l’arrogance feutrée qui parcourt les traits du touriste en train de héler un taxi à la sortie d’un aéroport.  Le touriste est partout chez lui, car l’aéroport et le taxi ne figurent pour sa bourse que le prolongement de son domicile. Ce qui fait le lien entre sa chambre à coucher et la chambre d'hôtel où le taxi le dépose, c’est un certain style de vie, a certain way of life comme on dit, dans la langue du touriste. Ibis, Mercure, Novotel, Pullman, Marriott développent des programmes fidélité, tout comme United Airlines, Air France, Emirates, des programmes pour cumuler les miles. Le touriste ne voyage pas, il visite. Trois petits tours. Il capitalise des vols et des chambres d’hôtels. Le capital est sa matrice.

A quelque classe sociale qu’il appartienne, le touriste se vit partout comme un hôte de marque. Normal. Les paysages qu’ils traversent s’organisent autour de sa personne, ainsi que l’industrie du service qui gravite autour de chacun de ses besoins.  Aussi, à quelque classe sociale et à quelque nation  qu’il appartienne, le touriste devient – qu’il le veuille ou non -  un représentant du système mondialisé qui autorise sa libre circulation à travers le grand village planétaire. Il contribue, certes, aux échanges monétaires de devises ; mais cette participation économique à la marche du monde n’est rien au regard de sa participation proprement idéologique : avec ses valises à roulettes, ses appareils photos, ses lunettes de soleil et ses tenues vestimentaires interchangeables, il est une sorte d’homme-sandwich qui véhicule partout les signes dominants du monde auquel il appartient.

 

Partout, il en affirme la toute-puissance. Avec ses congés payés, il en assure gratuitement – voire à ses frais – la propagande la plus béate et la publicité la plus efficace, sur les cinq continents. Au contraire du voyageur, le touriste ne quitte jamais le système dans lequel il vit, non. Rivé à lui, bien au contraire, il le transporte en tous les sentiers par où il passe. Ambassadeur et citoyen du monde. Leur monde.

tourisme,village global,United Airlines, Air France, Emirates,Ibis, Mercure, Novotel, Pullman, Marriott,

Touristes, piazza di Spagna, Roma

dimanche, 17 août 2014

Je hais les touristes (1)

Ma détestation du touriste remonte loin, à ce temps où je faisais mon Kérouac sur les routes, sac à dos en bandoulière, pouce levé. S’il fallait fixer une image liminaire, ce serait peut-être celle de ce Français juché sur les épaules de la petite sirène de Copenhague, l’été 73, et gueulant à sa femme, bras levés au ciel : « Et surtout, qu’on ne voit que moi… ». Quelque chose d’incompréhensible, pour l’adolescent que j’étais. Sur la petite sirène ? Qu’on ne voit que ce gros con ? étions-nous vraiment du même pays ?  De la même humanité ?

Peut-être aussi dois-je cette détestation à de vieilles lectures : celles des récits des voyages en Orient de Gérard, à de vieux rêves : ceux des premiers beatniks dont, dans l’ennui drômois qui berça ma puberté, je me grisais. Original, ça ne colle pas avec organisé.

Et puis, je suis d’une famille de sédentaires, comme la plupart d’entre vous. Ma grand-mère, par exemple, ne quitta jamais Lyon, sinon pour cette maison de la Drôme où je me suis beaucoup ennuyé en sa compagnie. Pour ces gens-là qui vivaient comme leurs chats, le voyage était un fait exceptionnel.  C’est peut-être ce qui me déplaît le plus chez le touriste : le côté acquis du voyage, comme si c’était un droit… Vulgarité, effet de troupeau, routine : bref, s’il y a bien un ennemi, un contraire absolu du voyageur, c’est bien le touriste.

Une autre anecdote : Je me souviens être allé en Bretagne voir des amis il y a longtemps et avoir visité avec eux un phare, et longuement discuté avec son gardien. En ce temps-là, personne de visitait les phares, ni les cabanes de pécheurs, ni ailleurs les mines ou les camps de concentration. Il y a quelques années, je suis retourné dans le Finistère. Et j’ai vu un car s’arrêter devant un phare désaffecté, des grappes de gens en sortir, appareils photos bringuebalant sur le torse. Un guide avait pris la place du gardien, que savait-il, ce dernier, des longues nuits, passées seul avec le vacarme de l'océan ?Ce côté obligé, balisé, pour finir : j’ai donc renoncé à voyager vers 1997 et je me souviens fort bien m’être dit cette fois-ci, c’est la dernière fois que je prends l’avion. J’ai laissé mourir mon passeport au fond d’un tiroir, et quand il a expiré, je ne l’ai pas renouvelé, de profundis et n’en parlons plus.

 

C’était sans compter sur l’Unesco et ses hits qui classèrent un jour tout mon quartier de la Croix-Rousse avec la bonne ville de Lyon toute entière pour son site exceptionnel et la variété de son architecture. Sans Raymond Barre et Gérard Collomb, qui transformèrent la vieille fête du 8 décembre en festival des Lumières. Si tu ne viens pas au tourisme, le tourisme viendra à toi. Moi qui, jadis, engueulais des potes qui  tiraient irrespectueusement le portrait des autochtones sur le marché de Cotonou au Bénin, me retrouve pris en photo par ces cons à la fenêtre de mon immeuble, habitat typiquement canut and so and so…  Les touristes sont décidément une sale engeance. J’ai connu à Briançon une dame charmante, qui les appelait fort justement des doriphores, et il faut vraiment s’appeler Fabius et raisonner sous un crâne d’œuf pour se réjouir du fait que la France, après avoir perdu sa monnaie, ses frontières, son industrie, et une grande partie de sa culture, soit devenue « la première destination touristique du monde ». Cela me rappelle son collègue socialiste Attali, assurant d’un ton égrillard que les nations sont comme les hôtels de luxe, et que le petit personnel y doit être bien traité, si l’on veut que les hôtes de marque y reviennent…

A suivre

sirene11.jpg

København, indéniable solitude d'une sirène

mercredi, 13 août 2014

Les hauts lieux du spectacle résistent aux humaines prétentions

On a souvent répété que Rousseau avait « inventé la beauté des montagnes », notamment celle des Alpes, et la phrase des Confessions est demeurée célèbre : « Au reste, on sait déjà ce que j’entends par un beau pays. Jamais pays de plaine, quelque beau qu’il fût, ne parut tel à mes yeux. Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à monter et à descendre, des précipices à mes côtés qui me fassent bien peur » Avec le promeneur solitaire et l’idéal de pureté qu’il dépose sur elle, la montagne cesse d’être un lieu hostile, effrayant, mortifère, pour devenir une allégorie du sublime, un idéal sensible qui se raconte de lui-même : « Tout le jour, enfoncé dans la forêt, j'y cherchais, j'y trouvais l'image des premiers temps dont je traçais fidèlement l'histoire ; je faisais main basse sur les petits mensonges des hommes, j'osais dévoiler à nu leur nature, suivre le progrès du temps et des choses qui l'ont défigurée, et comparant l'homme de l'homme avec l'homme naturel, leur montrer dans son perfectionnement prétendu la véritable source de leur misère » 

Les lecteurs et héritiers de Rousseau ont développé et corrigé le motif. Sur le chemin du saint Gothard, Chateaubriand décrit ces arbres que la nature alpestre a forcés à redevenir sauvages : « la sève se fait jour malgré la greffe : un caractère énergique brise les liens de la civilisation. » Quelques lignes plus loin, se souciant de lui-même, que les révolutions politiques ont jeté sur les routes : « J’ai encore assez de sève pour reproduire la primeur de mes songes, assez de flammes pour renouer mes liaisons avec la créature imaginaire de mes désirs ».

Les montagnes qui entourent le lac de Lugano deviennent-elles pour autant le lieu d’une renaissance exaltée au sentiment de l’infini ?  Le mémorialiste âgé remet  bien vite à sa place la ferveur du rêve rousseauiste : « Si pour devenir un robuste, un saint, un génie supérieur, il ne s’agissait que de planer sur les nuages, pourquoi tant de malades, de mécréants et d’imbéciles ne se donnent-ils pas la peine de grimper au Simplon ? » Et, conclut-il, ce sont les belles personnes qui font les beaux sites. Les montagnes ne font, elles, qu’ajouter « quelque chose de l’infini aux passions de l’âme ».

C’est avec Chateaubriand que la nature devient donc un spectacle à part entière, avec ce que cela suppose d’empathie et de mise à distance, de séparation et d’effusion. François-René fut contemporain des premières ascensions, qui datent de la fin du XVIIIème siècle ; les chamoniards Paccard et Balmat avaient-ils feuilleté du Rousseau ? Et l’anglais Edward Whymper, du Chateaubriand ? A peine l’homme posa-t-il un œil quelque peu contemplatif sur la montagne qu’il se trouva des intrépides pour la conquérir. Et la célèbre catastrophe du mont Cervin ne fut que le prologue d’une longue histoire, celle de la conquête toujours éphémère, toujours illusoire, des « hauts lieux ». 

J’apprends qu’une cordée entière de six personnes vient d’être victime de l’Argentière. Six, après et avant de nombreux autres... Se mesurer au gigantisme de la montagne fait tellement partie du « pari ordinaire » que les nouveaux touristes se jettent à la figure, que certains partent à l’assaut du Mont Blanc en chaussures de ville, rapportent les gendarmes du coin. Devenir le héros du spectacle, après l’oubli du grand théâtre naturel dans lequel ce dernier déroule ses abstractions, son  idéalisme, sa crétinerie, chacun s'en croit-il capable, vanité de l'égalitarisme oblige ? Cette inconscience et cette imbécillité post-modernes, qui jettent tout autant le touriste sûr de ses droits à la gueule des requins sur certaines plages, proviennent-elles de ces jeux de rôles aventureux dont on devient pour trois dollars le héros dérisoire ? Ou de cette goujaterie intrinsèque à l’ère industrielle, qui transforma le voyageur en touriste en quelques générations, sans parvenir - Dieu merci - à réduire l’implacable et somptueuse rudesse des monts à l'échelle de la prétention de simples images,  d'humaines œuvres d'art...

saint-gothard,lugano,mont-blanc,l'argentière,rousseau,chateaubriand,littérature,montagne,doré,mont-cervin,alpinisme,tourisme

Doré, catastrophe du mont Cervin

saint-gothard,lugano,mont-blanc,l'argentière,rousseau,chateaubriand,littérature,montagne,doré,mont-cervin,alpinisme,tourisme

 

mercredi, 15 août 2007

PRIMATIALE

 1. Dans sa Dédicace de la cathédrale de Lyon, Sidoine Apollinaire ( Vème siècle) a sans doute composé les lignes dont l’autorité demeure définitive sur la cathédrale Saint-Jean-le- Baptiste de Lyon :  « La forêt de pierres couvre une espace médian : Ici la colline résonne, là la Saône renvoie l’écho ; d’un côté se réfléchit le bruit du piéton, du cavalier et du conducteur de chars grinçants, de l’autre le chœur des rameurs courbés élève vers le Christ le chant rythmé de la rivière, tandis que les rives répondent en écho alléluia. Chante, chante ainsi, matelot ou voyageur, car c’est ici le lieu où tous doivent se rendre, le lieu où se trouve la route qui mène au salut ».  Les vaguelettes de la Saône ne viennent plus lécher son chevet, sur le quai Romain Roland strié de voitures. Pourtant son emplacement, entre la colline (désormais coiffée de la basilique) et la Saône , (toujours limpide malgré la pollution) son implantation entre ce qui passe et ce qui demeure, bref, son existence reste toujours aussi stratégiquement symbolique. Et l’axe que constitue la primatiale avec la basilique demeure un repère pour tout le monde à Lyon, qu’on soit autochtone ou nouveau-venu, athée ou croyant. .

2. « D’un geste d’épouvante, Salomé repousse la terrifiante vision qui la cloue, immobiles sur les pointes ; ses yeux se dilatent, sa main étreint convulsivement sa gorge (…) Sous les traits ardents échappés de la tête du Précurseur, toutes les b3b5885acd7e062c575e048999954edd.jpgfacettes de joailleries s’embrasent ; les pierres s’animent, dessinent les corps de la femme en traits incandescents ; la piquent au cou, aux bras, aux jambes, de points de feu, vermeils comme des charbons, violets comme des jets de gaz, bleus comme des flammes d’alcool, blancs comme des rayons d’astre. L’horrible tête flamboie, saignant toujours, mettant des caillots de pourpre sombre aux pointes de la barbe et des cheveux… »  La description de l’aquarelle de Gustave Moreau L’apparition par Huysmans dans A Rebours (1884), sept ans après Flaubert (Hérodias- 1877), vingt ans après Mallarmé (Hérodiade -1864) : (« Et ma tête surgie / Solitaire vigie / Dans les vols triomphaux / De cette faux »), consacre une figure presque païenne de Jean-Baptiste, à travers l’épisode de Salomé et de la décollation. Une figure on ne peut plus fin de siècle, décadente… Et pourtant, là encore, bien qu’il soit réduit à son seul chef, Jean Baptiste, encore, désigne, pointe,  montre, comme si c était, là, de toute éternité sa mission : « Celui-là n’était pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière » (Jean, Prologue)

 

3. La dédicace de la primatiale à Jean-Baptiste a, paraît-il, toujours étonné les historiens. Il semble pourtant que le culte du Précurseur n’était pas rare à Lyon puisque, d’après J.F.Reynaud (Lugdunum Christianum, DAF, Paris, 1998), l’église de Saint Irénée lui a été également primitivement dédiée. A l’entrée du chœur sur le côté droit, le marbre du patron 095efff2e1da8322c095e18f0ffd091a.jpgdate de 1780. C’est l’œuvre d’un certain Barthélémy Blaise (Lyon, 1738 – Paris,1819), un petit maître responsable également, quatre années plus tôt, du Saint-Etienne qui lui fait pendant à gauche. L’abside actuelle date du XIIème siècle ; la façade du XVème. La chapelle des Bourbons, malgré la laideur des vitraux bleus placés en remplacement de ceux qui se sont effondrés lorsque les nazis ont bombardé le pont Tilsitt en 1944, demeure la partie la plus illustre de l’édifice. Celle où les souvenirs perpétués jusqu’à nous par les chroniques (de multiples conciles, dont le plus célèbre reste celui de 1274, en présence de Thomas d’Aquin et de Bonaventure, concile qui réunit provisoirement les églises d’Orient et Occident, exposition de la dépouille mortelle de Saint Louis de retour de Tunis en 170, mariage de Henri IV avec Marie de Médicis en1600 ), celle où la mémoire et l’imaginaire peuvent le mieux prendre corps parmi la pénombre.

 

4MARGERITE DE NAVARRE (1492-1549) : Simplicité d’une vieille qui présenta une chandelle ardente à Saint-Jean de Lyon et l’attacha contre le front d’un soldat qui dormait en un sépulcre. (Heptaméron, nouvelle 65)

c7ada8d45f261f1edd3bf9ddecb58285.jpg"En l’église Saint-Jean de Lyon y a une chapelle fort obscure et, dedans, un sépulcre fait de pierre à grands personnages élevés comme le vif : et sont à l’entour du sépulcre plusieurs hommes d’armes couchés. Un jour, un soudard se promenant dans l’église au temps d’été qu’il fait grand chaud, lui prit envie de dormir. Et regardant cette chapelle obscure et fraîche, pensa d’aller garder le sépulcre en dormant comme les autres, auprès desquels il se coucha.  Or advint-il qu’une bonne vieille fort dévote arriva au plus fort de son sommeil et, après qu’elle eut dit ses dévotions, tenant une chandelle ardente en sa main, la voulut attacher au sépulcre. Et trouvant le plus près d’icelui cet homme endormi, la lui voulut mettre au front, pensant qu’il fût de pierre. Mais la cire ne put tenir contre la chair. La bonne dame, qui pensait que ce fût à cause de la froidure de l’image, lui va mettre le feu contre le front pour y faire tenir sa bougie. Mais l’image, qui n’était pas insensible, commença à crier, dont la bonne femme eut si grand peur que, comme tout hors de sens, se prit à crier miracle, tant que tous ceux qui étaient dedans l’église coururent, les uns à sonner les cloches, les autres à voir miracle. Et la bonne femme les mena voir l’image qui était remuée ; qui donna occasion à plusieurs de rire, mais les plusieurs ne s’en pouvaient contenter, car ils avaient bien délibéré de faire valoir ce sépulcre et en tirer autant d’argent que du crucifix qui est sur le pupitre, lequel l’on dit avoir parlé. Mais la comédie prit fin pour la connaissance de la sottise de la bonne femme."

 

5. Emile Baumann, ami lyonnais de Léon Bloy, à propos de la primatiale, dans Lyon et le Lyonnais :

« Quand l'office est achevé et la foule partie, je me plais à circuler un moment le long des nefs et du transept. La chapelle du Saint Sacrement, à droite, très obscure, où la lampe suspend comme une ampoule de sang embrasé est dominée au fond par un vitrail : la Vierge en manteau bleu sombre soutient sur ses genoux son Fils mort, entre deux anges qui s'inclinent, deux anges aux ailes d'argent, aux robes d'émail. Je ne sais pourquoi, détachée sur le fond noir de la chapelle, cette image d'un coloris assez lourd, me paraît, plus que nulle autre semblable, envelopper un mystère douloureux comme si, derrière elle, le monde était une nuit sans étoile. »

 

6.Ma prière à Jean le Baptiste :

 Jean-Baptiste ! O grand saint, maintiens toujours en vie ma jeunesse, ma vitalité et ma virilité spirituelles, mon désir d’entreprendre, de vaincre et d'être heureux. Ce qui est destructeur pour mes proches et pour moi, en mon cœur ou en ma pensée, ôte-le. Fais de moi un constant arbre de vie. Protège mon baptême que tout menace, en ruisseau comme en lumière, saint Jean-Précurseur. Amen. »

 

09:20 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : christianisme, lyon, religion, tourisme, eglises, saint | | |

dimanche, 05 août 2007

En cage à MONACO

On entre chez le Prince par un parking à étages souterrains, étages ordinaire, paring sombre et pollué. Comme ça, le touriste de Noisy-le-Sec n'est pas dépaysé à l'instant où il quitte son automobile pour emprunter ascendeurs ou escalators, guidé par des hôtesses munies de pancartes en formes de tête de Mickey. Bien l'bonjour. En famille, on arrive enfin à l'air libre. C'est qu'on est en vacances, imbécile parmi des centaines de milliers d'imbéciles ! Enfin, libre, à l'air libre, avec du temps libre ... Libre d'aller du Musée Océanographique au Palais, en passant par la Cathédrale et en faisant le détour par le parc empli de ces magnifiques cactus, qui domine "ce toit tranquille où marchent les colombes...". Pardon, un instant, je me suis cru à Sète. Au cimetière marin, pour tout dire. Bévue ! Ici, ce n'est pas Sète. Il y a la même vue, certes, "la mer, la mer, toujours recommencée..." Mais comme "récompense après une pensée...", on est prié d'aller voir ailleurs.

 Car en guise de bienvenue, une plaque commémorative salue la mémoire de "l'hôte fidèle de Monaco" (si! si!), le suisse Ernest Guglielminetti "propagateur infatigable (ça ne s'invente pas) du goudronnage des routes, qui réalisa sur cette avenue en mars 1902 la première application du procédé"  Je n'ai jamais vu autant de drapeaux et d'écrans plats que dans la cathédrale de la Principauté. Beaucoup de belles œuvres, assurément. Les portables numérisent jusqu'à plus soif 25eea661fc0f86bbbf019841148be9c6.jpgles dalles de Rainier et de Grace, preuve que si un culte véritable existe en ce lieu, ce n'est ni celui de l'Art, ni celui de la Beauté, ni celui de Grace ou du Prince, ni même celui de l'Eucharistie, mais bien celui du Tourisme et de tous les euros qu'il fait tomber dans les caisses....

Un tourisme de masse, comme partout ailleurs, - me direz-vous ! Certes. Monaco n'est qu'un lieu banal, standard, une pause parmi d'autres dans le pèlerinage désenchanté des touristes. En Bretagne on fait les phares, dans le Nord, il parait qu'on fait les mines, ici, on se fait le prince, d'une certaine façon. C'est peut-être là que le bât blesse : chez les Grimaldi, tout est commerce de Grimaldi. Et où qu'on se trouve, on se sent chez quelqu'un (Ah! Ces visages de Grace en bannières, qui pendouillent à chaque carrefour !). Ici, plus qu'ailleurs, le tourisme et le commerce sont subtilement manigancés, orchestrés autour d'une exhibition somme toute bourgeoise et grossière...

Une véritable entreprise, ce putain de Rocher ! Ici, le touriste n'est même plus au centre du monde, il est le centre du monde : des poissons phosphorescents et colorés, venus du fond des fosses sous-marines, le contemplent, en casquette à visière et panta-court, d'un œil morne. Des uniformes et des bonnets comme chez la Reine ou chez le Pape, des gardes-centons font la parade, à heures fixes, pour ses gosses. Bref, tout un environnement -aussi bien naturel que culturel- exporté du monde entier, photographié avidement. On s'en retourne par le même parking enfumé et puant, aussi benêt qu'à l'arrivée, en suivant des pancartes à têtes de Mickeys, quelques euros en moins dans le porte-monnaie. Mais bon. Dans un espace rétréci, dans une durée limitée, on se dit une fois de plus que le spectre de la fin des libertés rôde vraiment sur le monde, sur la société des loisirs, ainsi organisée. Car « l'imagination, comme certains animaux sauvages, ne se reproduit pas en captivité » (Orwell, "Où meurt la littérature", Essais)

 

 

15:35 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tourisme, musée, monaco, société, contemporain, grimaldi | | |