mercredi, 20 août 2014
Je hais les touristes (3)
Le touriste est d’abord voyeur (et non voyageur) et dans un second temps raconteur (et non baroudeur) : c'est-à-dire à dire porteur d’images et faiseur d’opinion. C’est pour cette raison qu’il convient à la fois de le bichonner (on se souvient du souci tout particulier de la préfecture de Paris pour les touristes chinois de la capitale, cible privilégiée de vols à la tire), et de surveiller ses déplacements. Cela peut s’effectuer de manière soft, comme dans les pays démocratiques, au nom d’alibis culturels ou d’intérêts esthétiques, qui guident les masses davantage vers un lieu de mémoire, d’exposition ou de divertissement. Mais on a aussi tous à l'esprit les parcours imposés par les pays soviétiques aux visiteurs occidentaux (souvent militants) au temps de la guerre froide, des modèles du genre. Nul doute également que dans cette forme effroyable de tourisme dont il est question ICI, les pas de chacun ne soient bien pensés et les itinéraires pour le moins balisés.
L’obscénité, comme son nom l’indique, c’est le fait de chercher à voir ce qui est hors de la scène -. Dès lors, rien d’étonnant à ce que le tourisme, cet écart effectué par rapport à la scène quotidienne - ne connaisse des dérives aussi effroyables que le tourisme sexuel ou – variante morbide – le tourisme guerrier : le tourisme n’est qu’une des activités du consommateur, qui engage peut-être plus qu’une autre le regard, mais dont le but reste de satisfaire une curiosité, un goût, une émotion, un paraître (à la façon d’un spectacle), et, finalement, ce que les moralistes du grand siècle appelaient un vice.
Une question se pose alors : En 2014, sur les plages, dans les musées, dans les centres villes comme dans les sites naturels, alors que le tourisme modèle (et morcelle) aussi bien le territoire que le calendrier, ce mal nauséeux est-il évitable ? Je veux dire, est-il possible d’y échapper, de voyager sans se sentir – à un moment ou un autre, pris au piège du tourisme, comme on l’est à celui de la consommation durant le reste de l’année ? Car touristes, au fond, nous le sommes tous plus ou moins à un moment ou à un autre, dès lors que nous vivons dans un monde qui nous place en situation de le devenir dès qu'on pose les pieds dehors. A quel point nous nous laissons piéger, c’est affaire d’hygiène de vie intellectuelle. De regard autocritique, de limites posées.
Affirmer que je hais les touristes revient à signifier que je me hais en touriste. Peut-être alors que la meilleure façon d’échapper à ce qui n’est même plus un mal du siècle, mais une véritable pandémie, serait de revenir aux fondamentaux, aux raisons même que nous aurions de nous déplacer sans cesse : et de renoncer aux voyages qui n’auraient pour but que de voir ou de se faire, comme c’est joliment expliquer ICI, pour retrouver des raisons plus évidentes et plus traditionnelles : aller rendre visite à des amis ou effectuer un travail, ou encore, mais cela devient de plus en plus difficile dans un univers sous haute surveillance, partir à l’aventure…
Martha Rosler, Bringing war home
13:43 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : martha rosler, tourisme, littérature, europe, monde |
Commentaires
J'ai connu nombre d'anciens combattants des deux guerres, ils se racontaient comme des touristes de retour de voyages....La Russie n'était pas perçu comme un lieu de villégiature hospitalier mais l’Italie pour les poilus qui se prenaient pour Byron et la doulce France...Ach so!!!
Écrit par : patrick verroust | mercredi, 20 août 2014
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