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jeudi, 26 mars 2015

Les justes proportions

Louis XIV définissait la France comme un pays de taille idéale ( 4 jours par 5 pour la transmission de l’information). Il jugeait ce faisant en véritable homme d'État. Le monde, aujourd'hui, se découvre encore plus petit que ne l'était la France d'alors, si on le mesure à l'aune de la vitesse des transferts des messages : 1 Centième de seconde pour un courrier électronique d'un coin de la planète à un autre. Un village global, en somme, cette pauvre boule ! Pas de quoi se retourner sans se cogner un bout d'épaule ou de coude en un de ses recoins : Les concepteurs du web avaient donc visé juste.

Or, si le monde est dorénavant un réduit plus minuscule que la France des logiciens de Port-Royal, je comprends pourquoi je m'y sens tellement à l'étroit, et comme rabougri, rétréci, mal à l'aise parmi des milliers de rabougris, rétrécis... - Je parle du monde, bien sûr, pas de la France. qui, dès qu'on ouvre un livre, est restée de la taille qui fut sienne par la grâce de messieurs Racine et de la Fontaine, entre autres diseurs de contes et de tragédies, divins géomètres de nos réelles proportions.,,,

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Gulliver de Swift

06:24 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, louis xiv, gulliver, racine, la fontaine | | |

vendredi, 16 novembre 2012

Le Racine de la réclame

Un Cassandre, vous imaginez, terne, quelconque ? Il a bien son annonceur, un certain Dubonnet, le soir tombe dans son bureau comme dans un dessin de Hopper, les traits tirés, il cherche sa rime en pensant à autre chose dans on ne sait quel contre-champ, il doit rendre sa copie le lendemain, il commence à se faire du mouron en ne voyant rien venir, rien de chez rien, rien de rien ou juste un truc comme Dubonnet, le vin frais.

Il compte tristement ses syllabes sur le bout de ses doigts, un deux trois, le compte y est mais Dieu que que c’est mauvais. Du bonnet c’est pas mauvais : Un Cassandre à court, quoi. Un Adolphe-Jean-Edouard-Marie des plus mauvais jours, l’esprit essoré, jetant sur le papier des biffures, tâtonnant cette soirée de 1932, faire la réclame se dit-il c’est comme faire le tapin, c’est rien que ça, Un Dubonnet c’est parfait, non, non, pas possible d’être plus plat ; pire encore, Dubonnet, ça le fait…  

Un autre, ailleurs, se serait peut-être contenté de ça. Après tout, un slogan, une affiche, qu’est-ce que c’est, et puis qu'est-ce que ça dure?  Boire Dubonnet d’un seul trait, pourquoi ne pas se contenter de ça, écrit en grosses capitales sous un petit bonhomme qui vide son verre une fois, deux fois, trois fois et hop ! Il est des nôtres, il a bu son verre comme les nôtres…

Seulement voilà, l’intuition fulgurante, le trait de génie, la sagacité, la simplicité aussi, ce soir de 1932 : Il faut qu’il n’y ait rien à jeter dans ce qu’il trouve, rien, se dit-il.  La perfection est à ce prix-là, quand on ne peut ni avancer ni reculer, ni entrer ni sortir, en aucun cas aller plus loin. Comme quand Hippolyte lance dans Phèdre ce vers fait de monosyllabiques : « Le Jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur », essayez-voir de faire mieux, douze mots, douze syllabes, plié.

Il faut, s’encourage Cassandre ce soir-là de 1932, atteindre Racine, je serai, se dit-il, le Racine de la réclame ; c’est du côté du simple que tout se trouve, il s’en convainc et soudain voilà que s’impose comme une source : Dubonnet, mais c’est bien sûr, Dubonnet ne peut rimer qu’avec lui-même, parce que Dubonnet c’est Dubonnet.

Dubonnet : Du beau, du bon, dubonnet : elle était, la solution, là, à portée de mot, à portée d’écoute, pas un phonème à retirer, pas un à ôter, rien qu’à déplier ce petit bonhomme noir qui s'emplit jusqu'au goulot, en trois coups sur fond jaune et c’était plié, un slogan comique aussi parfait qu'un alexandrin tragique qu’on ne saurait jamais plus oublier, Dubonnet c’est du beau, du bon, dubonnet….

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mercredi, 21 décembre 2011

Des mots et des sous

De mémoire, il fut mon premier boulot. Et ne dura que quelques heures, réparties sur trois après-midis. Aide-géomètre, vous savez, ce type planté devant le tachéomètre qui griffonne sur un calepin des mesures. En tout, donc, une dizaine d’heures pas trop harassantes qui me firent découvrir plus en détail le faubourg de Vaise. Toujours ça.

Un Racine pour cette poignée d’heures fut mon premier salaire. Rien qu’un. En même temps c’était déjà ça. Déjà un. Ce prime boulot fut suivi par tout un paquet d’autres, tout un paquet d’après-midi, de semaines, d’années. C’est  pas ça qui compte. Ce qui compte, c’est ce qu’il m’avait appris, que les autres confirmèrent par la suite : qu’entre un boulot et un salaire, on cherche en vain le rapport. En vain.

En linguistique, on appelle ça l’arbitraire du signe. Dans le monde du travail, ce qui devrait s’appeler l’arbitraire de la monnaie se nomme du doux euphémisme de  différences de traitement. Le tout  varie du très simple au fort double. Du smic à ce que touche à présent Anelka chez les Chinois. Entre, toute la gamme, du saisonnier à l’emploi à vie. De plus en plus rare, la dernière espèce. Quant à ce que palpe Anelka, ca reste réservé aux faibles pourcentages. Des milliardièmes de milliardièmes de l’humanité. Pas la part la plus intéressante. La monnaie joue quand même à être fiduciaire. Et ça gaze. Incroyable, non ? Le mot, lui…

Vouloir réparer ces injustices, c’est comme vouloir supprimer l’arbitraire du signe, ça se peut pas. Rien qu’une illusion pour berner l’électeur. Mais comme disent les gourmets politiques : faute de pouvoir réparer les injustices, peut-être qu’on pourrait parvenir à les réduire, non ?

Mon boulot à moi, c’est plutôt de réduire l’arbitraire du signe. Pas l’inégalité des conditions. C’est pour ça que je n’aime pas les politiques. Ni ceux de gauche, ni ceux de droite, pas mieux ceux des extrêmes. Je préfère les écrivains. Je suis écrivain. On fait pas le même boulot.

Nous, on berne le lecteur consentant. C’est ça notre mandat. Moins radical. Moins dangereux. Moins définitif. Moins rentable aussi, par les temps qui courent. Il y a une trentaine d’années, une directrice de collections me disait déjà : vivre de sa plume ? A part San Antonio et les recettes de cuisine, mon petit ami…  Me souviens encore du temps qu’il faisait, place Saint-Sulpice ce matin-là. Des limaces grises et bleuâtres qui coulissaient sur Paris. Ç’aurait  pourtant été joli de construire une existence à partir de sa plume. Une existence d’homme libre. Mais établir une relation entre réduire l’arbitraire du signe et un gagner sa vie semble un doux rêve de pubère excentrique. La monnaie se cabre. Résiste. Veut pas. Elle a de nombreux adeptes. Vraie peau de chagrin.

J’en ai pris mon parti, j’écris sur ce blog pour des nèfles en termes monétaires et gagne ma vie (comme on dit) autrement. Et quand se pose cette question sans doute non réglée de l’édition, j’éprouve une grande fatigue en songeant à tous  ces mois de ma vie qui dorment dans des tiroirs, romans, pièces de théâtre, recueils de poésie. Ces textes ne figureront jamais sur ce blog car ils sont sans rapport avec Solko. Ont-ils encore un moment à attendre ? Un public à atteindre ? Ou bien sont-ils, telles ces âmes perdues errant dans les marais ? Ils naquirent en tout cas d’un but qui n’était pas mercantile d’où la difficulté que j’eus à les vendre.  Sans doute étais-je le plus mal placé. A présent, quelle envie grignotée me presserait donc encore ? Autant, somme toute, se planter devant le tachéomètre…

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00:52 | Lien permanent | Commentaires (27) | Tags : écriture, littérature, monnaie, vanité, racine, billets français | | |

samedi, 29 janvier 2011

Andromaque, je pense à vous

Aujourd'hui, anniversaire de la mort de Racine. Occasion de publier à nouveau ce billet : 

 

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Dans l’écusson bleu,  en bas et à gauche de la vignette, presque invisible, nage un cygne, un cygne solitaire. Suffisant, déjà, pour conférer à ce billet une élégance particulière et énigmatique.  « Le vierge, le vivace, le bel aujourd’hui », le cygne, depuis Mallarmé devenu l’emblème même de l’alexandrin – ne rappelle encore, dans un coin de ce billet, que les armoiries concédées à Jean Racine par Louis XIV, « d’azur au cygne d’argent ». Le tragique au visage replet a le chef surmonté d’une haute perruque bleuâtre. Derrière lui (derrière Racine, derrière l'historiographe du Roi-Soleil), cette étroite cour de terre battue qu’on distingue entre quelques  bâtiments, ne ressemble-t-elle pas à l’enceinte d’un lycée qui serait déjà napoléonien et dans lequel s’étudieraient depuis des siècles les tirades de Phèdre et d’Athalie :   « N’allons pas plus avant. Demeurons, chère Oenone… Un songe (me devrais-je inquiéter d’un songe ?)». La cour, je dis bien la cour vide (quand chacun est en cours) d’un vieux lycée perdu dans une sorte de province coupée de tout et résolument éternelle – oui, cela existe, les provinces résolument éternelles - L'eau des rivières y demeure à jamais potable, et les monuments aux morts y sont régulièrement fleuris. Anacoluthe : on y étudierait encore du grec et du latin, on y composerait même des tragédies, imitées à l’exemple d’Eschyle ou bien de Sénèque. On se défierait dans des concours de rhétorique, quelques précaires mais suffisantes connaissances mythologiques y suffiraient. Derrière le visage de Jean Racine, non, non, ce n’est donc plus l’abbaye de Port Royal des Champs, non, ce n'est pas non plus le Louvre, c’est...   En filigrane,  la tête d’Andromaque : « Le spleen, expliquait d'un ton docte le professeur de français, c’est la douleur intense qui survit au renoncement à l’idéal. Il se peut que ce soit aussi une forme de salut pour le poète. Andromaque lui apparaît alors comme la dernière incarnation sensible de la grandeur dans ce Paris que la modernité a la fois embellit et prostitue».  Quel vieux lycée, oh, quel vieux temple de l'alexandrin, dans lequel les vers de Racine, et ceux de Baudelaire, et ceux de Mallarmé se croiseraient en nouant la gorge des récitants comme sont noués les plis en ce pourpoint carmin de Racine, comme le désordre indocile et beau du col bouffant qui s’en échappe, et me rappelle trop vivement, trop brutalement, l’élégance, désabusée du paysage en ruine, et néanmoins dressé de jeunesse et d’orgueil, ces quelques mots ont valeur de mètre, et derrière ce poète, cet autre encore, ayant valeur de maître :

 

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Aussi devant ce Louvre une image m’opprime 

 

Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous...

 

Ce billet magnifique a été imprimé du 7 juin 1962 au 3 juin 1976. Il remplaçait le 50 NF Henri IV et fut remplacé par le 50 Frs Quentin de la Tour. Jean Racine est né le 22 décembre 1639 et mort le 21 avril 1699,  soixante ans.

12:17 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature, théâtre, racine, billets français, lycée | | |