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vendredi, 16 novembre 2012

Le Racine de la réclame

Un Cassandre, vous imaginez, terne, quelconque ? Il a bien son annonceur, un certain Dubonnet, le soir tombe dans son bureau comme dans un dessin de Hopper, les traits tirés, il cherche sa rime en pensant à autre chose dans on ne sait quel contre-champ, il doit rendre sa copie le lendemain, il commence à se faire du mouron en ne voyant rien venir, rien de chez rien, rien de rien ou juste un truc comme Dubonnet, le vin frais.

Il compte tristement ses syllabes sur le bout de ses doigts, un deux trois, le compte y est mais Dieu que que c’est mauvais. Du bonnet c’est pas mauvais : Un Cassandre à court, quoi. Un Adolphe-Jean-Edouard-Marie des plus mauvais jours, l’esprit essoré, jetant sur le papier des biffures, tâtonnant cette soirée de 1932, faire la réclame se dit-il c’est comme faire le tapin, c’est rien que ça, Un Dubonnet c’est parfait, non, non, pas possible d’être plus plat ; pire encore, Dubonnet, ça le fait…  

Un autre, ailleurs, se serait peut-être contenté de ça. Après tout, un slogan, une affiche, qu’est-ce que c’est, et puis qu'est-ce que ça dure?  Boire Dubonnet d’un seul trait, pourquoi ne pas se contenter de ça, écrit en grosses capitales sous un petit bonhomme qui vide son verre une fois, deux fois, trois fois et hop ! Il est des nôtres, il a bu son verre comme les nôtres…

Seulement voilà, l’intuition fulgurante, le trait de génie, la sagacité, la simplicité aussi, ce soir de 1932 : Il faut qu’il n’y ait rien à jeter dans ce qu’il trouve, rien, se dit-il.  La perfection est à ce prix-là, quand on ne peut ni avancer ni reculer, ni entrer ni sortir, en aucun cas aller plus loin. Comme quand Hippolyte lance dans Phèdre ce vers fait de monosyllabiques : « Le Jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur », essayez-voir de faire mieux, douze mots, douze syllabes, plié.

Il faut, s’encourage Cassandre ce soir-là de 1932, atteindre Racine, je serai, se dit-il, le Racine de la réclame ; c’est du côté du simple que tout se trouve, il s’en convainc et soudain voilà que s’impose comme une source : Dubonnet, mais c’est bien sûr, Dubonnet ne peut rimer qu’avec lui-même, parce que Dubonnet c’est Dubonnet.

Dubonnet : Du beau, du bon, dubonnet : elle était, la solution, là, à portée de mot, à portée d’écoute, pas un phonème à retirer, pas un à ôter, rien qu’à déplier ce petit bonhomme noir qui s'emplit jusqu'au goulot, en trois coups sur fond jaune et c’était plié, un slogan comique aussi parfait qu'un alexandrin tragique qu’on ne saurait jamais plus oublier, Dubonnet c’est du beau, du bon, dubonnet….

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Commentaires

On opine du... :)

Écrit par : Lucien Duplateau | samedi, 17 novembre 2012

Ce texte me rappelle une vieille histoire. Des visiteurs hauts placés dans la hiérarchie de l'urss tombent en admiration devant cette plublicité et décident de l'adapter chez eux. Le résultat donne "con comme communiste". (Pardon pour le gros mot, mais il est nécessaire).

Écrit par : Julie des Hauts | dimanche, 18 novembre 2012

Les dignitaires du parti - sil'on en croit cette excellente blague - avaient donc de l'humour ?

Écrit par : solko | dimanche, 18 novembre 2012

Je ne pense pas, non, si des dignitaires communistes russes avaient eu de l'humour, on s'en serait aperçu ! J'ai travaillé jadis avec une dame communiste, convaincue au point qu'elle en devenait presque admirable, et bien je n'ai jamais rencontré une personne aussi totalement dépourvue d'humour !

Écrit par : Julie des Hauts | vendredi, 23 novembre 2012

C'est mon grand père, Antonin MARECHAL qui a inventé la formule:Du beau, du bon Dubonnet, et qui l'a confiée à l'agence Publicis dirigée par Marcel Bleustein-Blanchet à l'époque.Il a été remercié par un nombre impressionnant de caisses d'apéritif, qu'il a largement distribuées autour de lui.

Écrit par : MARECHAL | dimanche, 23 juin 2013

Eh bien bravo à Maréchal, dont je n'ai jamais entendu parler. Et merci de votre intervention.
Cela n'enlève rien au graphisme somptueux de Cassandre.

Écrit par : solko | dimanche, 23 juin 2013

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