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mercredi, 10 décembre 2008

Le dernier billet de cinq francs

Le premier billet de cinq francs fut imprimé par la Banque de France à partir du 1er décembre 1871; et mis en circulation l'année suivante, afin de satisfaire les besoins du public. La vignette était bleue, les textes noirs, c'est pourquoi les collectionneurs l'appellent aujourd'hui le "cinq francs noir".

Quelque évolution qu'ait connu le cours du franc à travers les aléas tourmentés du pays durant le vingtième siècle, cette valeur faciale a traversé les deux guerres et les Trente Glorieuses : 5 francs, c'était le billet du pauvre, certes ; cela signifiait que le pauvre, aussi, avait son billet.

En nouveau franc, il existait encore, même s'il ne valait déjà plus grand chose.

Le 5 mai 1966, pour remplacer l'effigie d'Hugo,  devenu quelque peu misérable devant son Panthéon écorné par plusieurs années de circulation dans la poche des Français, la Banque de France fit le choix judicieux d’un savant à la probité égale à celle de Toto : Le bon Pasteur ; d'une barbe, l'autre ; la transition s'opéra en douceur, tant en république, le poil de barbe était devenu depuis Jules Ferry, surtout blanchi, un principe académique irréfutable... 

5francs.jpg

Sur une face du billet, le fameux berger Jupille, deuxième enfant sauvé de la rage, figure aux prises avec un chien aux côtés du savant, devant un paysage de fioles et d'éprouvettes à faire pâlir d'admiration un fécondé in-vitro.

Le savant a le regard de Zorro, rien de moins.

Déterminé, inflexible, bref, barbu. Le savant, surtout, a le front (siège de l’esprit) large et haut. Car le savant demeure, auprès du faucheur (paysan) et du forgeron (artisan), l'une des figures allégoriques préférées de la sérénissime Banque de France.  Car à la République, il faut une tête et des bras, et au peuple des modèles à suivre.

Pasteur (27 décembre 1822 - 28 septembre 1895) n'était-il pas le totem idéal, pour symboliser la matière grise et le cœur industrieux de l'homme de la Cinquième République ?  Pasteur donc, avant le couple des Curie, mais sur une coupure moindre que la leur, prit la pose.

Composée par une certaine mademoiselle Lambert, d'après un tableau d'un certain Renaud Champollion, la vignette connut ses premiers alphabets le 5 mai 1966. Tout juste un siècle après la publication des "Études sur les vins".  S'agissait-il de fêter le centenaire de l'édition de l'illustre ouvrage ? On ne sait.

Mis en circulation le 3 janvier 1967, le Pasteur à cinq balles devint bien vite le billet-type des enragés de 68, celui avec lequel on se payait une séance au Quartier Latin, par exemple, avec un petit noir à la sortie. Deux paquets de goldos, pour tenir la nuit, dans la Sorbonne occupée. Pas sûr que ce fût le but recherché…

5francspasteur01091966F.jpg

Sur l'autre versant du billet, se dévoile le parc hivernal de l'Institut-éponyme, à Paris. C'est l'hiver, déjà. L'hiver du franc, mais personne, hormis quelques banquiers et politiciens internationaux ,ne s'en doute encore. Le 5 francs si familier aux Français depuis tout juste un siècle de République, va vivre, sous les auspices de l’illustre vaccinateur des familles, ses dernières années : J’aime tout particulièrement le charme bourgeois de cette demeure aux volets fermés, ainsi que le soleil blanc de ce filigrane. J’aurais pu rêver dans ce beau parc de novembre, dans lequel j'imagine quelque étudiant solitaire, la vie de Rancé en main, errer en regrettant d'être né trop tard pour rencontrer le Tasse.  Crépusculaire à souhait, ce parc, cette demeure, ce billet...

Un jour de Toussaint, le 1er novembre 1972, le Pasteur fut retiré de la circulation, ce qui lui évita de connaître le choc pétrolier et le trop dynamique Valéry à l'Elysée.

Il rejoignit Victor Hugo au musée Grévin des billets démonétisés de la Banque de France et coule une retraite paisible au paradis des collectionneurs.

La somme était si ridicule qu'on ne jugeait plus nécessaire d'imprimer, pour elle, un billet. Une pièce suffisait. J'entends dire à présent que circulent des pièces de 5 euros. Je laisse chacun songer à ce que tout cela signifie...

Commentaires

Solko vous êtes le roi de l'élastique dans mon coeur! (un peu confarfe comme compliment, certes!) mais sans rire: on bondit, on sort d' un cinéma près du jardin du Luxembourg en 68 pour s'enfermer dans un café plein de fumée puis zou nous voilà dans ce parc "la Vie de Rancé" à la main, alors que dans le café c'était le Pasteur qu'on avait à la main, et là nous sommes à l'intérieur du billet dans le parc, ce sont les nuits brûlantes de mai puis l'hiver dans le parc et l'hiver du franc: c'est bien ainsi l'élastique de nos vies, dedans, dehors, hier, aujourd'hui,trop tard pour rencontrer le Tasse, bye bye Valery, Clint Eastwood passé par ici,et mademoiselle Lambert, et moi qui ne sais pas ce que c'est des goldos? Des gitanes? enfin, des cigarettes?

Écrit par : Sophie L.L | mercredi, 10 décembre 2008

@ Sophie : Des gitanes ? Vous brûlez... Ce sont bien des cigarettes, mais pas celles-ci...

Écrit par : solko | mercredi, 10 décembre 2008

Ce que c'est que Wikipédia! Wiki donc pédia raconte que dans "Dans la dèche à Paris et à Londres" 'Orwell parle des gauloises qu'il fumait...enfin des goldos (parce que j'ai enfin compris! et que je suis trop curieuse je ne peux pas m'empêcher de regarder le faillible wikipédia)

Écrit par : Sophie L.L | mercredi, 10 décembre 2008

Merci Sophie. Et comme je le suis aussi (curieux), je suis allé voir la page en question : on y lit (à propos d'Orwell) que les gauloises blondes (anti-gauloises, à l'époque du moins) sont sorties en 1984...

Écrit par : solko | mercredi, 10 décembre 2008

Beau billet, merci Solko... Des accents de chercheur d'homme irréfutables... Une mélancolie qu'il ne renierait pas je pense, si vous me permettez de faire parler un mort encore bien vivant.

Écrit par : Tang | mercredi, 10 décembre 2008

Gauloises blondes sorties en 84 ? !!! - Mon père qui est mort en 75 fumait des gauloises blondes " goût Maryland", si mes souvenirs sont exacts. Les paquets étaient jaunes mais ce n'était nullement des maïs. Il déposait ses cigarettes dans la galerie du buffet (l'une de ces horreurs mi-Henri II, mi-Henri III dont le début du siècle (le 20ème) meubla les salles à manger de campagne) - Mon père savait pertinemment que j'allais lui en piquer une ou deux au passage et faisait semblant de ne rien voir ... le tabac n'était pas trafiqué comme actuellement et moins nocif. Ah ! ah ! Wikipédia ...

Écrit par : simone. | mercredi, 10 décembre 2008

Ces billets, je m'en souviens étaient souvent scotchés, sales et dans un piteux état. Preuve de leur réel usage.

Écrit par : M.Rivière | mercredi, 10 décembre 2008

@ M.Rivière : tels étaient les billets du pauvre; je deviens, avec le temps, de plus en plus heureusement mélancolique. Sensation indescriptible, sereine, douce.

Écrit par : Solko | mercredi, 10 décembre 2008

@ Tang. Le chercheur d'hommes est irréfutable, comme le loup.

Écrit par : solko | mercredi, 10 décembre 2008

@ Simone : Savez-vous ce que nous devrions faire ? Devenir encyclopédistes à notre tour. Il y a eu, après tout, d'illustres prédecesseurs.

Écrit par : solko | mercredi, 10 décembre 2008

"Heureusement mélancolique", comme cela dit bien la douceur en effet difficile à décrire de vos billets sur nous et sur le cours des jours.

Écrit par : Sophie L.L | mercredi, 10 décembre 2008

Oui voilà, pour ma part je me sens à vous lire une sagesse mélancolique de vieillard aimant toujours la vie, plus que jamais peut-être, humblement, comme nous devrions l'aimer chaque jour.
Merci.

Écrit par : Tang | mercredi, 10 décembre 2008

Oui aimant la vie alors même qu'elle s'en va et que le peu qui reste n'est pas sa meilleure part. Comme cela doit être difficile d'aussi bien vieillir... Je ne vous le cache pas Solko, quand je vois une vieille personne digne, cheveux gris, bien mise dans le tram j'ai envie de l'embrasser vraiment.

Écrit par : Tang | jeudi, 11 décembre 2008

Tang, vous avez pété un plomb! 1/ les vieilles personnes, même mal mises, on peut avoir envie de les embrasser 2/ pourquoi il faudrait être digne quand on est une vieille personne?! 3/ et pourquoi il faudrait prendre le tram? merci bien! et pas rouler en décapotable cheveux au vent! hein? 4/ je vous souhaite d'être un vieillard aimant férocement -et pas "humblement" la vie! 5/ qu'est ce que vous en savez de la meilleure part ou non?! Bref, moi j'aime pas du tout quand vous parlez comme ça à Solko, dont les années non seulement je suis sûre n'entament pas la séduction mais l'augmentent (je parie qu'il était -jeune- un infâme gredin! non, je rigole Solko!) Donc cher Tang, vous direz pour votre salut quelques ave et quelque notre père, et tenez-le vous pour dit!!! Non mais!

Écrit par : Sophie L.L | jeudi, 11 décembre 2008

Malentendu entre nous: Solko n'est pas vieux et m'avait bien compris je crois. Enfin j'espère.
1-bien sûr mais il y a un soin modeste de la mise qui n'appartient qu'aux vieillards et qui m'émeut aux larmes...
2-pourquoi être digne en étant vieux? Mais comme il faudrait l'être jeune aussi. Et comme il est difficile de le rester parfois, lorsqu'on sent la mort approcher (quand on fait le jeune, alors qu'il ne faudrait plus).
3-hum et pourquoi pas le tram, parce que j'ai failli embrasser une vieille dame ce midi... Et passer pour un dangereux cinglé (le dangereux cinglé que je suis?)
4-je ne sais pas si j'aimerai aimer la vie férocement à 70 balais. Je ne suis déjà pas bien sûr de l'aimer ainsi et pas sûr que ce soit si grave au fond (cela va de pair avec une nature un peu contemplative, d'autres plaisirs)...
5-La meilleure part ou non? Bah, je ne sais pas, les maladies, l'affaiblissement du corps, la gêne qui emmure tout doucement... Voir la peau de chagrin se réduire sans cesser de l'aimer. Et pire pour certain(e)s savoir que l'on n'est plus en mesure de protéger ceux qu'on aime...
6-Il n'y a pas de 6, si ce n'est que sans avoir couru j'ai voulu préciser tout de même...
7-Un magnificat alors, maintenant je connais...

Écrit par : Tang | jeudi, 11 décembre 2008

Solko, Tang: un magnificat donc; et je vous embrasse tous les deux. Bonne journée! Je file me faire embrasser dans le tram; heureusement qu'il reste des jeunes hommes cinglés sur terre!

Écrit par : Sophie L.L | jeudi, 11 décembre 2008

@ Tang et Sophie: Eh bien comme vous n'avez pas parlé trop fort, ça ne m'a pas empêché de dormir et je trouve en me levant ces sympathiques et discrètes traces de votre passage. Pour ce qui est des vieux jours, c'est une autre affaire et par un effet de correspondances surprenant, je vous renvoie au billet de demain qui vient à point.
@ Sophie: Oui, vous ne pouvez pas vous imaginer comme j'étais cinglé plus jeune, - mais véritablement cinglé, pas cinglé pour la forme.
@ Tang : Comme aurait dit Vialatte, il faut commencer très tôt à apprendre à vieillir, si on ne veut pas finir idiot. Je sais que vous avez cette sagesse, aussi, je ne m'inquiète donc pas.
Bonne journée à vous deux.

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

@Sophie:
Hélas je ne fus cinglé qu'en pensée... Maudite réserve!

@Solko: Oui nous nous sommes si joliment croisés avec votre billet sur Vialatte... J'ai cru d'abord à une réaction d'ailleurs... Toujours cette manie de me croire indispensable... Il me reste du chemin pour apprendre à vieillir....

Merci encore pour votre billet sur Vialatte, merci beaucoup... Et puis, et puis le poème de Bonnefoy que je connaissais est superbe... Et puis, lisez l'essai de stevenson vraiment... Vous vous retrouverez cinglé comme jeune homme (on aurait aimé voir cela, un Solko cinglé...)

Bon vendredi, tous les deux...

Écrit par : Tang | vendredi, 12 décembre 2008

J'ai bien fait de venir
étant une presque vieille dame et essayant d'être bien mise
-Tang a raison, c'est tout ce qu'il nous reste avec l'âge-
je me dis qu'un charmant monsieur a peut-être envie de m'embrasser.
Mais je rêve...pas assez vieille ou trop : l'entre-deux, rien de pire !

Écrit par : Rosa | vendredi, 12 décembre 2008

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