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jeudi, 11 décembre 2008

Chronique de la grammaire, de la vieille dame indigne et du général de Gaulle

« Il faut toujours garder un vice pour ses vieux jours. » : L’idée de garder un vice pour ses vieux jours, tout d’abord : je la trouve excellemment formulée. L’idée qu’un vice puisse se garder au  frais, comme une bouteille pour la Noël, ou des boites de sucre sous le lit, ou le livret A sous une pile de drap. Un vice. Pour ses vieux jours : Je pense à La vieille dame indigne, le film de Robert Allio, avec Sylvie. A la chanson de Jean Ferrat (Faut-il pleurer, faut-il en rire … ?) Eh oui, il y en a eu, des jeunes, des moins jeunes, il y en aura une poignée, de jours, qu’on appellera les vieux. Les vieux jours. Cela me rappelle la Winnie de Beckett, qui articule (splendide, irremplacée Madeleine Renaud : « Quel beau jour ça a été! ») Encore une vieille dame indigne.  Se garder un vice pour eux,  en prévision, donc. On ne dira jamais les vertus de la prévoyance. Se le garder comme la fourmi qui thésaurise.  Bon. Connaissez-vous  la suite ? « la grammaire est l’un des meilleurs ». Et dans le même texte, un peu plus loin : « Je serais d’avis que l’orthographe est toujours trop simple, il y aurait intérêt à compliquer ses règles. Les amoureux de billard, de cheval ou de régates trouvent toujours à compliquer le jeu. Je crois que Jean Paulhan était du même avis. Probablement aussi Perret. Quand on est amoureux de la langue, on l’aime dans ses difficultés. On l’aime telle quelle, comme une grand-mère. Avec ses rides et ses verrues. »

Le 3 mai 1971, Alexandre Vialatte est mort.

A l’époque, personne n’a dérangé la classe pour venir nous le dire au lycée. Il est mort à l’hôpital Necker, des suites d’une opération de l’aorte. Il avait 70 ans. Le 9 novembre de la même année (scolaire, je parle en année scolaire) le lundi 9 novembre 1970, donc, le proviseur était entré en classe, exactement comme dans Madame Bovary. Nous n’étions pas à l’étude mais, je m’en souviens très bien, en cours de mathématiques, quand il entra. Il nous annonça que le Général de Gaulle était mort, et qu’il y aurait un jour de deuil national. Je trouve qu’on nous fait vivre depuis quelque temps dans une sorte de nostalgie, une nostalgie très débile, très commerciale, très factice, de ces années soixante et soixante-dix parfaitement ridicule, dont je garde pour ma part un très mauvais souvenir. Ce que  les ados de l’époque pouvaient être idiots avec leurs boums dans les garages, leur salut les copains, leur idoles des jeunes ! A peu près autant que ceux d’aujourd’hui, ce qui n'est pas peu dire. Je soupçonne d’ailleurs les ados débiles des années soixante, devenus des presque retraités, d’entretenir cette nostalgie chez les ados d'à présent par une sorte de narcissisme complaisant et maladif, ainsi que par peur des vieux jours qui les rattrapent ; les vieux jours : nous y revoilà. Moi, si j’ai la nostalgie de ces années soixante-dix, ce n'est certes pas des années yéyés de tous ces jeunes cons devenus des vieux cons  (Johny Ah que je t’aime, sa greluche Sylvie et autres Dutronc, Mitchell, Mick Jagger et Sheila), mais c’est la nostalgie des vieux d’alors, de ces septuagénaires des années soixante qui avaient su mettre de côté un peu de grammaire pour leurs vieux jours. Ah ! Les vieux de ces années-là ! Pas un seul ne demeure pour tirer l'oreille de leurs coquins d'enfants. Ce sont ces vieux-là, pourtant, qui avaient été les vrais artisans du bonheur de vivre des sixties, dont on nous rebat les oreilles à présent. Bref, je ne saurais vous dire à quel point j’ai non pas la nostalgie du temps de la jeunesse de Johny et de Sylvie, mais celle du temps de la vieillesse de Charles de Gaulle et d'Alexandre Vialatte. Alors, pour finir ce billet qui n’a ni queue ni tête - mais à qui cela importe -t-il d'avoir une queue et une tête ?-, voici un extrait de la chronique de Vialatte du 15 novembre 1970, alors que toute la France ne parlait encore que de « ça » et qui, peut-être, éclairera mon propos ; un chef-d’œuvre d’humour, de légèreté, de reconnaissance également :

«L’humanité n’est composée que de survivants. C’est une vérité d’évidence, mais à laquelle on pense rarement parce que, vus sous un autre jour, ces survivants sont aussi des ancêtres (ou tout au moins de futurs ancêtres). L’humanité ne se compose que d’ancêtres. Et qui disparaissent à leur tour. Cette année, Marc Orlan, Mauriac, Giono, Jeanson (2) et j’en oublie »

Et c'est ainsi qu'Alexandre est grand.

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(2) Et dernière heure, le général de Gaulle qui était aussi un écrivain. 

 

 

 

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Commentaires

Ah voilà, merci... Vialatte manquait, c'était trop peu.. Il nous en fallait bien plus que de fines allusions d'initiés... Alors merci!

Écrit par : Tang | jeudi, 11 décembre 2008

Message de Fénelon: oui, mais pas Françoise!

Écrit par : Sophie L.L | jeudi, 11 décembre 2008

Merci, vous m'avez fait découvrir A.Vialatte .

Écrit par : La Zélie | jeudi, 11 décembre 2008

@ Tang : Tout vient à point !

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

@ Sophie : ???????

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

@ La Zélie : Sans plaisanter ? Alors vous n'avez pas fini de découvrir cet individu, en tous points irréfutable.

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

ah les années 60-70. Oui, il y avait ce crétins de Johnny, passé sans transition de jeune con à vieux con. Qui a dit: "être vieux, ce n'est pas une excuse" ? Mais il y avait à coté une chanson d'auteur, vivante, riche, d'une richesse incroyable. J'adore ces années, là pour la chanson, et tant pis, si mes potes de l'époque me regardaient comme un misérable de trouver Johnny et sa greluche débiles. Par chance, on ne peut réduire ces années 60, à ces années yéyé crétines (les années 70 nous réservaient aussi des trucs monstrueux, mais heureusement certains mettaient les doigts dans ces prises electriques !) Je me souviens de la mort du général, des mines compassées (j'etais petit) mais on avait fait Mai 68, et bon sang on etait allé gueuler dans les manifs, et il fallait faire du bruit pour que le général de Gaulle s'en aille avec ses grandes oreilles ! alors c'etait pas pour le regretter après. On nous a refait le même coup avec Pompidou, deux ou trois ans après. Nous on trouvait que c'etait bon débarras !

Écrit par : Autres rivages | jeudi, 11 décembre 2008

J'ai été adolescente dans les années 60 et pas du tout yéyé.
Au contraire coincée, triste, ennuyeuse, pédante et on ne se remet jamais de cette adolescence là.
La frivolité est nécessaire, indispensable même. Quant aux adolescents d'aujourd'hui, j'en ai connu de très attachants jusqu'à la fin de ma carrière.
La mort du général de Gaulle est un souvenir très précis et très particulier. Je venais de me marier. Je suis née dans une famille antigaulliste de droite et mon mari était au contraire très gaulliste. Ce fut notre première dispute, je voulais du champagne et lui portait le deuil.
Nous n'en avons plus jamais eu sur ce sujet.

Écrit par : Rosa | jeudi, 11 décembre 2008

@ Rosa : "je voulais du champagne et lui portait le deuil." Cette phrase est magnifique, Rosa.

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

L'orthographe et la grammaire sont toujours trop simples. En effet. C'est extraordinaire, d'avoir écrit ça. Et c'est cela, vraiment, qu'il faut tenir aujourd'hui, par temps de destructions.

Écrit par : Pascal Adam | jeudi, 11 décembre 2008

@ Autres rivages : "On nous a refait le même coup avec Pompidou, deux ou trois ans après " Vous ne trouvez pas qu'on nous refait à nouveau "le même coup"à présent ? Bien sûr qu'il y avait une chanson d'auteurs à côté. Il y avait surtout aussi autre chose que la chanson : des écrivains, des philosophes, des dramaturges et des poètes, par exemple. Et puis aussi des chroniqueurs. Tiens : il y avait Alexandre Vialatte, bien plus captivant, drôle et jeune que Jean Philippe Smet ou la Maritza, sa rivière, tous deux en désolants come-back paraît-il (mais quand cesseront-ils de "revenir") ?

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

@ Pascal : Oui, c'est hors de l'ordinaire, vraiment, d'écrire cela. Un vrai paradoxe sur lequel l'oeil glisserait, sans qu'on y prête attention... D'ailleurs De gaulle aurait pu écrire au début des Mémoires de guerre : "Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de l'orthographe".
Tenons, tenons bon. J'ai bien peur que ce soit quand même la lutte finale. Cela ne fait rien. Il paraît que les derniers arriveront les premiers...

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

Comment résumer les années 60 ? Pour tout vous dire, je vivais alors une passion-admirative-amoureuse et me trouvais enfermée dans une bulle. Mon unique pôle d'intérêt appartenait à une autre génération et de ce fait, les yéyés et autres rockers déblles n'avaient pas droit à mon attention.
70 m'a vue plus réaliste mais jusqu'à maintenant ce que l'on nomme " l'air du temps " m'est un peu glissé dessus comme la pluie sur les plumes d'un canard. C'est peut-être une ruse pour ne pas vieillir ? Tant que ça marche ...
Si mes souvenirs sont exacts, De Gaulle est mort après avoir vu Massu passer à la télé. Un coup de sang en quelque sorte et cette circonstance faisait marrer ses adversaires dont j'étais bien sûr. Difficile de regretter un homme d'état qui avait tenu le pays à grand renfort d'intransigeance et de discours télévisuel. S'il arrivait un pépin à l'actuel, je ne crois pas que les gens seraient nombreux à le pleurer. Ceci n'engage que moi, évidemment.

Écrit par : simone. | jeudi, 11 décembre 2008

@ Sophie : Comme, avec l'âge qui va, je ne comprends la remarque de Fénelon que maintenant, je retire les points d'interrogation. Cela dit, Fenelon, qui mourut en son temps la même année que Louis XIV, peut comprendre que son point de vue sur tous les garçons et les filles de lâge de Françoise demeure teinté d'un brin de subjectivité. Enfin, c'est vrai que des trois grâces yéyés, Hardy fut la moins pire. Aussi Fénelon peut-il apprécier le fait que je ne citais que ses deux rivales et son abruti de mari.

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

@ Simone : Comme vous, je crois que la plupart des gens se foutaient de ces imbéciles dont on fait aujourd'hui des mythes de consommation à l'usage des jeunes gens.
Enfin, entre De Gaulle & Vialatte d'un côté et Smet et sa greluche de l'autre, qui mérite notre mémoire ?

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

Mon cher Solko seriez-vous plus sensible à la forme qu'au contenu ?

Écrit par : Rosa | jeudi, 11 décembre 2008

De Gaulle, je l'ai subi comme beaucoup, cela dit, comparativement à certains, il fut grand et pas seulement par la taille ... J'avoue ne pas avoir lu Alexandre Vialatte, lacune que je vais m'empresser de combler; quant à " Smet et sa greluche " ils n'existent que pour leurs fans, non ? ...

Écrit par : simone. | jeudi, 11 décembre 2008

@ Rosa : Je suis sensible à la belle langue.

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

@ Simone : "Les chroniques de la Montagne, "collection bouquins (laffont) : Vous ne le regretterez pas.

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

@ Solko : merci !

Écrit par : simone. | jeudi, 11 décembre 2008

Le titre exact du film de Alliot est "la vieille dame indigne", simple rectification. Et l'actrice principale était Madame Sylvie, accompagnée dans son délire d'un comédien lyonnais, Jean Bouise, qui appartenait dans les années 60 à la troupe de ce qui n'était pas encore le TNP.

Écrit par : Porky | jeudi, 11 décembre 2008

Ce que j'aime bien: que De Gaulle soit mort en faisant une réussite. Je veux dire: ce que j'aime bien c'est que jusqu'à sa mort, il faisait des réussites.

Écrit par : Sophie L.L | jeudi, 11 décembre 2008

@ Porky : Ah Jean Bouise ! Merci de la rectification. Et merci pour Jean Bouise. La gueule de Jean Bouise, tout une époque, pour le coup. .

Écrit par : Solko | jeudi, 11 décembre 2008

@ Sophie : Tout le monde faisait des réussites en ce temps là. remarquez, aujourd'hui, je vois dans certains bureaux des gens qui croient encore que l'ordinateur a été inventé pour ... faire des réussites.

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

Oui, oui, je sais, mon grand père faisait des réussites aussi, il aimait De Gaulle et est mort exactement comme lui. Mais dans mon commentaire je voulais être hautement astucieuse et jouer sur les deux sens de "réussite" ! Ah, et Fénelon est très sensible au fait que vous disiez "son abruti de mari" pour Françoise! (et moi j'ai jamais eu un gramme de goût pour Smet, mais La Maritza je trouve que c'est une très belle chanson! elle a quelque chose qui me fait pleurer, qui m'émeut à chaque fois, je vous assure! elle est à part!

Écrit par : Sophie L.L | jeudi, 11 décembre 2008

Big problem ! De Gaulle est-il mort en faisant des réussites ou en regardant Massu à la télé ? Quelle est la bonne version ? ... L'officielle et la vraie ? - Mais bien que n'étant pas tout à fait Napoléon, il pouvait se livrer à deux activités en même temps, non ? Voilà comment s'écrit l'histoire : à grands coups d'hypothèses.

Écrit par : simone. | jeudi, 11 décembre 2008

@ Sophie : Je savais bien que cela ne pouvait que plaire à Fénélon, il faut dire que ce Dutronc, tout de même, c'est pas la même hauteur, hein. La MARITZA, oui, si vous voulez, enfin ce n'est pas non plus le beau danube bleu, non plus, hein...

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

@ Simone : Moi, je croyais que De Gaulle était mort de chagrin, comme le Prince de Clèves, en se promenant dans les vastes landes d'ire-lande...

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

Ah ! ah ! De Gaulle en promeneur romanesque ... cette version ne manque pas de piquant. Ou la main sur le coeur, chantant Werther ? La terre doit bouger du côté de Colombey les 2 Eglises ...

Écrit par : simone. | jeudi, 11 décembre 2008

@ Simone : Toute ma vie, je m'étais fait une certaine idée de la Gaule...

Écrit par : solko | jeudi, 11 décembre 2008

@ Solko. Je crois percevoir ce message subliminal ...

Écrit par : simone. | vendredi, 12 décembre 2008

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