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dimanche, 25 décembre 2011

L'indignation en polo Lacoste

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Drôle de jour. J’apprends par hasard la mort de George Whitman. La Shakespeare and Co, dont le nom nous ramène à Sylvia Beach et à James Joyce, est en deuil. Cette photo des années 1920 appartient aux mythes de la modernité enfouie. La librairie du 37 rue de la Bûcherie tiendra-t-elle le coup ? Depuis la disparition des PUF, place de la Sorbonne, on n’est plus trop sûr de rien. A Lyon, toutes les librairies d’envergure du vingtième siècle ont fermé.  La plupart ont disparu, quelques courageux ont pris le relai et les centres de distribution d’objets culturels Mainstream, pour parler le langage Martel, ont tout avalé.

A propos de librairie, une phrase saisie au vol devant une télé allumée, hier. C’était sur LCP, l’émission Librairie Médicis. Frédéric Beigbeder qui vendait son Bilan après l’Apocalypse (pas lu, lirait pas) et entretenait le chaland de son indignation disait ceci : « Je suis un Stéphane Hessel en polo Lacoste ». Comme si Stéphane Hessel était, je ne sais pas, un terroriste ou un loubard de banlieue. Comme si ce vieux diplomate n’était pas déjà l’image même du polo Lacoste. Du polo Lacoste indigné. Le pire.

Tout ça me fait penser à cette phrase du regretté Christopher Lasch, dans son Culture de masse ou culture populaire de 1981 : « Il est certes tentant pour des gens de gauche de croire qu’en retransmettant des images de rébellion politique ou en diffusant des idées radicales, l’industrie de la communication pourrait être transformée en agence de contre-propagande. Mais loin de subvertir le statu quo, les medias de masse récupèrent les mouvements radicaux et l’idée radicale à l’instant même où ils leur concèdent « un temps de parole égal ». 

La différence entre une librairie ancienne et un centre de distribution d’objet culturel indéterminé, c’est que la première avait les moyens d’être parfois une agence de contre-propagande, le second, où s’empile l' indignation en polo Lacoste à 3 euros, incarne le media de masse par excellence. Celui qui n'est là que pour faire des affaires en grand nombre.

jeudi, 04 mars 2010

Il ouvrit sa porte et sortit (2)

Il y a, c'est vrai, des lieux, des lieux où ne souffle pas l'esprit, ou bien s'il souffle, c'est de façon univoque, pour finalement dire peu. Comme s'y trouvent peu de portes, et qu'elles sont bien gardées, l'air peu à peu s'y est climatisé au sens le plus  terne du terme, le style raréfié. Les vendeurs en uniforme sympas ont fini par se fondre avec la signalétique : on y vit sous un seul climat, toujours le même, que gardent gorilles en uniformes patibulaires et portiques électroniques couineurs. Grande surface, grande distribution. Tout y devient, le long d'escalators moroses et silencieux, TOUT, y compris le client (pardon, on dit consommateur à présent) un objet culturel, in fine, indéterminé.

Et puis il y a d'autres lieux qui vont à rebours, 5000 portes, c'est autre chose, d'autres questions, d'autres parfums, d'autres désirs, et c'est ICI.

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Merci, Thomas, pour la porte.

06:42 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : midi à sa porte, littérature, librairie, photographie | | |

samedi, 04 juillet 2009

Lisbeth

Il ferait chaud. Plus chaud encore qu’aujourd’hui. La bouteille de whisky serait sous la banquette. Lisbeth me soufflerait à l’oreille : c’est avec ça que plus d’un a combattu la page blanche... Dans un coin de la librairie, une vieille Remington, devant un panneau de vieilles affiches. Attirés par les soldes, les clients flâneraient dans les rayons, mais très peu  achèteraient. Nous obligeant juste à les suivre du regard, c’est si vite piqué, un bouquin… Quand j’étais étudiante, me dirait Lisbeth …  Oui, je sais bien, moi itou : la fauche…

           

Dehors, les perches des bus roulant à l’électricité ; leur klaxons, comme des dindons, et puis ce glissement très spécial des pneus sur l’asphalte. On vend plus rien, me souffle Lisbeth à l’oreille. Encore un whisky ? 

 

 Dans les années soixante,  la librairie marchait bien. L’ancien propriétaire, je te dis que ça…  J’arrive même plus à payer une femme de ménage. Y’a tellement de poussière à l’étage, moi-même, j’achèterais pas les livres que je vends…ça, qui fend le cœur, hein ?

 

T’as pas eté voir ? Juste, je jette un coup d’œil là-haut. Plein d’éditions originales à 20 %. Des volumes avec envoi. Je dis non de la tête.

C’est pas la peine, je fais.

Lisbeth est peut-être une des dernières à cloper dans sa boutique. La fumée va avec les livres, c’est son arrangement à elle. Elle a pas tort. La fumée a toujours été bien avec les livres. Jadis, un écrivain qui fumait pas était un hygiéniste ou un économiste, et donc tout le contraire d’un écrivain, garanti. Un client âgé demande la biographie d’un peintre. A côté de lui, se tient une femme très maigre, cramponnée des deux mains aux brides d’un large sac qui touche presque le sol. Anorexie, ça. Lisbeth opine. Elle dit rien, son mari demande toujours des trucs impossibles et de toutes façons,  les rares fois où j’avais en boutique ce qu’il voulait, il n’a pas acheté.

 

Je trempe les lèvres dans mon whisky. Je les regarde qui s’en vont, ce couple, curieux. Ils ont le même dos. Lui à cause de l’âge, elle à cause de la maladie. Une chemise flottante et une robe à motifs qui recouvrent les omoplates saillantes comme les statues de l’ile de Pâques.

 

Lisbeth rallume encore une clope. C’est gentil d’être passé, dit-elle.

Je n’ose rien lui dire. Je regarde la moquette, ça et là, qui ne tient plus sur le plancher. Râpée. Les étagères où les livres, même eux, dirait-on, s’ennuient à porter les siècles anciens qui n’intéressent plus le chaland. Il parait que cette librairie date de l’Empire. Le premier… Tout ça sent le sapin.

Tu viendras aider pour l’inventaire ?

J’opine.

 

Il fera chaud. Livre par livre, nous cocherons des listes. Ce sera l’occasion de faire le ménage. Juste un chouya. Comme chaque année. Je me retourne avant de passer l’angle de la rue.

Lisbeth est déjà retournée à sa banquette. La bouteille est juste dessous.  

A suivre : Lisbeth II :

19:29 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : librairie, whisky, bouquinistes | | |