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mercredi, 15 avril 2009

Charles Péguy et le premier billet de cent francs

Les journées de panique de fin février et début mars 1848 ont réduit  l’encaisse de la Banque de France à 59 millions le 15 mars au soir.  Le Conseil général  de la Banque de France sollicite des mesures exceptionnelles : il obtient le décret du 15 mars établissant le cours forcé, et autorisant la création d’une coupure de cent francs. Les jours suivants, ces mesures sont appliquées aux banques départementales qui sont sommées, le 27 avril et le 2 mai suivants, de fusionner avec la Banque de France. La création du premier billet de cent francs est vivement décriée  par ceux qui rappellent la douloureuse époque des assignats.  Mais ceux qui prévoient déjà la diffusion du billet dans les paiements des salaires et les transactions quotidiennes du public l’emportent : on décide de la création de ces coupures dans la limite de 10 millions de francs. La Banque émet alors en toute hâte un billet provisoire imprimé en noir sur papier vert du Marais, comportant un simple encadrement ornemental. L’impression des 80.000 billets de cette série est effectuée chez l’imprimeur Didot. Sa vignette, de forme ovale, est constituée d’ornements et de figures allégoriques : de 1848 à 1862, la Banque de France tirera  5 525 000 exemplaires de ce premier billet de cent francs.

A cette même période, le daguerréotype de Nicéphore Niepce, mort en 1833, commence à se répandre. L’astronome et chimiste anglais John Herschel a découvert en 1839 l’hyposulfite de soude et son compatriote William Talbot, en 1841, le moyen pour développer des clichés. Le souci de la Banque de France n’est plus seulement de créer des billets afin de récupérer l’or des gens dans ses coffres, mais c’est avant tout de réaliser le billet mythique : le billet inimitable.  Le gouverneur de la Banque de France commande rapport sur rapport pour suivre de près l’évolution de ces inquiétantes découvertes concernant la photographie, « qui touchent de trop près aux intérêts de la Banque de France ».

En 1862, pour déjouer les contrefaçons, le billet est légèrement remodelé : un filigrane à tête de Mercure (le dieu des voleurs) est rajouté. Parmi les études de teintes effectuées, on retient un bleu dit céleste pour le deuxième billet. Une composition allégorique de Brisset y est adjointe, dessinée par Cabasson et gravée par Panemaker. Les deux stars de la Banque de France, Mercure et Cérès, s’y donnent pour la première fois rendez-vous. Ce sera le début d’une longue collaboration. Voici ce que Charles Péguy écrit, quelques années plus tard dans son maître livre, L’Argent :

« C’est la bourgeoisie capitaliste qui a tout infecté. C’est la bourgeoisie capitaliste qui a commencé à saboter, et tout le sabotage a pris naissance dans la bourgeoisie. C’est parce que la bourgeoisie s’est mise à traiter comme une valeur de bourse le travail de l’homme que le travailleur s’est mis, lui aussi, à traiter comme une valeur de bourse son propre travail. C’est parce que la bourgeoisie s’est mise à faire perpétuellement des coups de bourse sur le travail de l’homme que le travailleur, par imitation, par collusion et encontre, et on pourrait presque dire par entente, s’est mis à faire continuellement des coups de bourse sur son propre travail. C’est parce que la bourgeoisie s’est mise à exercer un chantage perpétuel sur le travail de l’homme que nous vivons  sous ce régime de coups de bourse et de chantage perpétuel à la grève. Ainsi est disparue cette notion de juste prix, dont nos intellectuels bourgeois font aujourd’hui des gorges chaudes, mais qui n’en a pas moins été le durable fondement de tout un monde. »

 

 

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Commentaires

Quelle belle analyse de C.Peggy et bien réaliste, elle peut s'appliquer à notre époque.
Si le monde pouvait retrouver "la notion du juste prix", il s'en trouverait ragaillardi.

Solko, j'aime beaucoup vous lire, j'apprends toujours de belles choses qui donne envie d'aller fouiner à la bibliothèque de ma ville(mais Béraud pour elle c'est un inconnu!)!

Écrit par : La Zélie | mercredi, 15 avril 2009

Solko vous savez comme j'ai été touchée par la découverte de Péguy, vous savez cela, et d'autre part je vous assure que ce n'est pas par esprit de contradiction -quoique avoir besoin de le préciser peut le faire croire!- mais je ne comprends pas ce que Péguy appelle "le juste prix". Certes, il me faudrait lire L'Argent...
Mais quand je lis cette "notion de juste prix", vraiment, sincérement, au-delà de la formule, ou de la nostalgie que cela peut incarner, je ne comprends pas. Quel juste prix? Juste aux yeux de qui?
C'est comme l'ordre juste.
Mais derrière ces mots, il y a quoi?
Et les grèves des mineurs furent-elles imitation "par entente" (!) des coups de bourses de la bourgeoisie capitaliste? je trouve ça bien curieux quand même! bien bien curieux, même!

Écrit par : Sophie L.L | mercredi, 15 avril 2009

@ Sophie : Pour faire court, je pense que ce que Péguy appelle "le juste prix", c'est ce que Marx appelle la valeur travail, qu'il oppose à la valeur d'usage et à la valeur d'échange. Le prix d'un objet est donc juste aux yeux (si on peut dire) du temps qu'on a passé à le fabriquer. On ne peut construire une équité des salaires qu'à partir de là, dit Péguy.
Quant au débat sur les grèves, il s'inscrit dans un plus large débat sur le sabotage du monde du travail et des moyens de productions. On accuse les ouvriers d'en être responsables. Péguy défend le peuple en disant que le peuple ne fait que réagir au sabotage des salaires par les grands patrons de l'époque. Le papier monnaie et son introduction n'y est pas étranger. C'est ce qu'induit le parallèle que je dresse entre le discours de Péguy et l'introduction de ce premier billet "populaire"

Écrit par : solko | mercredi, 15 avril 2009

Solko, vous allez finir par me le rendre sympathique ce Péguy ! ...

Écrit par : simone | mercredi, 15 avril 2009

Charles Péguy cet athée redevenu croyant, un individu énigmatique, visionnaire, bref , un Môssieur ..

Écrit par : Peguilla | mercredi, 15 avril 2009

Je suppose que si Charles Péguy avait fait le cheminement inverse, ce serait une pov' cloche ? ... Il est pourtant plus difficile de devenir athée tout en restant un honnête homme que l'absolu contraire. Cela demande une éthique plus rigoureuse et une plus grande force de caractère.

Écrit par : simone | mercredi, 15 avril 2009

@ Simone :
Oh je suis ravi de vous rendre Péguy sympathique.
Disons que le cheminement vers la foi de Péguy a été surprenant pour beaucoup de socialistes comme pour beaucoup de catholiques. Mais pour moi Péguy reste surtout, dans ses analyses, un penseur exigeant, et dans son écriture, un poète inspiré. C'est aussi un dramaturge, ne l'oublions pas.
La foi, pas plus que la non-foi, ne fait le talent.

Écrit par : solko | mercredi, 15 avril 2009

@ Péguilla :
Un Môssieur, si vous voulez. Mais cela signifie quoi ?

Écrit par : solko | mercredi, 15 avril 2009

Parce que c'est un libre penseur,à l’intelligence lumineuse et à sa profonde humanité ..

Écrit par : Péguilla | mercredi, 15 avril 2009

Solko, vous êtes, avec vos billets sur les billets, une véritable mémoire, un document poétique à ciel ouvert, une ouverture d'esprit sur plein de choses qu'on palpe, c'est le cas de le dire, sans les voir.
Pour "le juste prix", je crois qu'effectivement c'est ce qu'entrevoit Péguy, sous une autre dénomination....
Enfin, une petite anecdote sympa : Chez Simone, à propos de Gallo, vous me conseilliez de lire Michelet. J'ai effectivement trouvé le conseil fort judicieux (tjs préféré l'original à la copie), mais ce qui est suprenant, c'est que depuis février, je suis plongé dans l'Histoire de la Révolution française du susdit Michelet.
Vous voyez, nous avons des points de convergence non négligeables qui rendent encore plus méritoires l'énoncé de nos divergences...
Cordialement

Écrit par : Bertrand.Redonnet | jeudi, 16 avril 2009

Michelet, j'y songe et sérieusement mais pour l'heure je me cantonne au format de poche un peu à la façon de celui qui disait " chez moi, c'est tellement bas de plafond que je ne peux y manger que des soles. "
Bien sûr que le talent n'a rien à voir avec les opinions politiques ou religieuses. Il ne manquerait plus que cela ! Et je ne pratique aucune ségrégation mais me livre parfois à quelques priorités ... Bonne journée à tous !

Écrit par : simone | jeudi, 16 avril 2009

@ Bertrand ... d'autant plus que "La Mer", dont j'ai vu qu'il figurait parmi les livres que vous recommandez, est aussi un livre que j'affectionne.

Écrit par : solko | jeudi, 16 avril 2009

Je prends enfin le temps de lire ce billet, et j'aime beaucoup ce qu'en dit B. Redonnet. Et de même l'extrait de Péguy est très beau. Péguy dont je n'ai rien lu et ne possède pas le traitre ouvrage. (expression consacrée, un peu inadaptée sans doute pour Péguy, quoique je devine qu'il fut traité comme tel par bien des imbéciles, des deux côtés).

J'ai une mission pour cette après-midi... Ici j'ai mes adresses... A bientôt.

Écrit par : tanguy | jeudi, 16 avril 2009

@ Tanguy : Vous êtes bien lacunaires...

Écrit par : solko | jeudi, 16 avril 2009

Hélas Solko!!! Je n'ai que ce des lacunes partout, un vrai gruyère... Je dois dire que ma relation avec les livres est un peu orageuse, moins à cause d'eux que de mes ruades dans le grand livre des jours...
Mais glissons-là, je suis très touché je ne sais pourquoi par ce que vous dites s'agissant de certain livre béraldien... Enfin voilà je suis d'autant plus ému de lire ce roman...

A bientôt.

Écrit par : tanguy | jeudi, 16 avril 2009

Un truc tout bête : s'apercevoir de ce que ce billet (sur le billet de cent francs) tout récent, est en deuxième position dans la liste des Anciens francs.
Et se demander alors si jusque là c'était Jean Racine qui était en deux. Et oui sûrement ; se sentir toute bête de ne pouvoir le vérifier, tout étonnée de s'être laissée surprendre.

Écrit par : michèle pambrun | vendredi, 17 avril 2009

@ Michèle : Votre sagacité me confond !

Écrit par : solko | vendredi, 17 avril 2009

@ Michèle : En fait, j'ai interverti Molière (38) & Péguy (2). Pourquoi ? Peut-être parce que ce premier billet de cent francs marque un commencement, une volonté de la part de la Banque de France de toucher les gens avec une coupure moindre. Et que je cherche une continuité improbable d'un billet à l'autre.

Écrit par : solko | vendredi, 17 avril 2009

C'est bien la question que je me posais, à partir de ce premier billet de cent francs (que je croyais même avoir lu "populaire" ; mais là j'exagère) : la question d'un sens, d'une sorte de fil conducteur, de continuité, oui.
Et j'ai fureté d'un billet l'autre ; puis renoncé devant l'ampleur de la tâche.
On ne peut pas venir lire tranquillement chez vous ! Le moindre billet nous met au travail et en travail. :-)

Écrit par : michèle pambrun | vendredi, 17 avril 2009

@ Michèle : Je me mettrais à la tache pour réorganiser tout cela en nouvelles (quelques unes en réserves ) dès juillet. C'était de toute façon le projet initial.

Écrit par : solko | dimanche, 19 avril 2009

" Réorganiser en nouvelles ", cela veut-il dire que ces textes seraient intégrés dans des fictions ? Ils ne vont pas disparaître tout de même ? Ne nous faites pas ça. Ce serait atroce.
De fait en les relisant (j'ai plein de livres à lire pour dans moins d'un mois maintenant et je continue à rester scotchée ici, c'est une véritable addiction : tout ce qu'on entend de son histoire à travers tout ça), je m'aperçois que ça fonctionne bien et vraiment je verrais un livre qui contiendrait nouvelles et textes-récits tels que nous les lisons là. Ce serait très foisonnant. Agréable pour le lecteur de glaner comme il veut.

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 19 avril 2009

@ Michèle : Me reste à démarcher... Il faut quand même organiser cela autour d'une unité, traiter encore quelques billets manquants et surtout établir une chronologie plus repérable. Merci en tous cas de votre soutien.

Écrit par : solko | dimanche, 19 avril 2009

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