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jeudi, 16 avril 2009

Souvenir de Jacques Seebacher

C’est à Jacques Seebacher,  qui est mort il y a tout juste un an, que je dois la découverte de Michelet ; l’Histoire de la Révolution Française, celle du Moyen Age, dormaient plus ou moins sur mes rayons. Je dis plus ou moins, parce que s’il m’arrivait alors d’en lire une ou deux pages, je trouvais toujours quelque autre priorité pour ne pas aller de l’avant. Il y avait aussi Le Peuple, dans une vieille édition glanée chez un bouquiniste, dormant à côté ; un jour, il nous proposa cet extrait de l’introduction à la Histoire de la Révolution française à étudier.

Il se trouve que par un détour heureux chez Bertrand (L’exil des mots), Michelet revient sur le tapis, en quelque sorte. Et ce texte sur l’analogie entre l’histoire des hommes et un paysage aride, la nécessité de comprendre et la tristesse infinie qu'elle engendre, l’enfantement quasi-prodigieux de la Révolution Française, dont Seebacher me fit un jour un lumineux commentaire, et que je recopie…  


« Si vous avez voyagé quelquefois dans les montagnes, vous aurez peut-être vu ce qu’une fois je rencontrai. Parmi un entassement confus de roches amoncelées, au milieu d’un monde varié d’arbres et de verdure, se dressait un pic immense. Ce solitaire, noir et chauve, était trop visiblement le fils des profondes entrailles du globe. Nulle verdure de l’esprit ne l’égayait, nulle saison ne le changeait ; l’oiseau s’y posait à peine, comme si, en touchant la masse échappée du feu central, il eût craint de brûler ses ailes. Ce sombre témoin des tortures du monde intérieur semblait y rêver encore, sans faire la moindre attention à ce qui l’environnait, sans se laisser jamais distraire de sa mélancolie sauvage…

Quelles furent donc les révolutions souterraines de la terre, quelles incalculables forces se combattirent dans son sein, pour que cette masse, soulevant les monts, perçant les rocs, fendant les bancs de marbre, jaillit jusqu’à la surface !  Quelles convulsions, quelles tortures, arrachèrent du fond du globe ce prodigieux soupir !

Je m’assis, et, de mes yeux obscurcis, des larmes lentes, pénibles, commencèrent à s’exprimer une à une… La nature m’avait trop rappelé l’histoire. Ce chaos de monts entassés m’opprimait du même poids qui, pendant tout le moyen-âge, pesa sur le cœur de l’homme, et dans ce pic désolé, que du fond des entrailles la terre lançait contre le ciel, je retrouvais le désespoir et le cri du genre humain.

Que la Justice ait porté mille ans sur le cœur cette montagne du dogme, qu’elle ait dans cet écrasement, compté les heures, les jours, les années, les longues années… c’est là, pour celui qui sait, une source d’éternelles larmes. Celui qui, par l’histoire, partagea ce long supplice, n’en reviendra jamais bien ; quoi qu’il arrive, il sera triste ; le soleil, la joie du monde, ne lui donnera plus de la joie ; il a trop longtemps vécu dans le deuil et les ténèbres. »

 

 

 

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12:56 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : jacques seebacher, jules michelet, littérature | | |

Commentaires

Bonjour Solko,
Merci, c'est le premier extrait un peu long de Michelet que je lis grâce à Jacques Seebacher donc et vous-même.
C'est un superbe extrait, vraiment très beau. Qui plus est, une analogie souterraine rapproche ce pic immense de l'homme dont vous rappelez le souvenir des profondeurs à la surface.

Je vous souhaite une belle journée, pourquoi pas à relire Michelet...

Tanguy

Écrit par : tanguy | jeudi, 16 avril 2009

Oui, c'est un extrait qui se situe au tout début du premier volume et qui est absolument splendide !
C'est tout Michelet. Il réconcilie lyrisme et précision historique. C'est un vrai bonheur et sa lecture flatte en même temps le goût pour ce lyrisme et pour l'histoire.
Quant à "La mer" c'est également pour moi un grand, un très grand texte.
Cordialement

Écrit par : Bertrand.redonnet | jeudi, 16 avril 2009

Bonjour Solko,

A vous lire, je découvre le gouffre de mon inculture.

J'ai suivi le lien de Jacques Seebacher et je voulais savoir si vous avez écrit le billet sur La princesse de Clèves.
J'ai lu ce livre dans ma jeunesse et j'en ai aucun souvenir transcendant.
Je le relirais après votre billet (s'il existe!).

Écrit par : La Zélie | jeudi, 16 avril 2009

@ Zélie : Non, non, je n'ai écrit aucun billet sur "la Princese de Clèves" Je citais un article de Pierre Malandain, qui en livrait, lui une lecture originale. Mais le lien est périmé. Le livre de Pierre Malandain doit se trouver encore en revanche.
C'est vrai qu'avec les récentes déclarations de Sarkozy, la Princesse de Clèves est revenue au goût du jour...

Écrit par : solko | jeudi, 16 avril 2009

@ Bertrand : J'ai aussi beaucoup aimé "La mer", notamment une certaine page dont je me souviens encore sur l'oursin prolétaire.

Écrit par : solko | jeudi, 16 avril 2009

Merci pour ces lignes de Michelet dont je découvre ainsi la plume !

Quant à "La Princesse de Clèves", elle est effectivement très "in" dans le milieu estudiantin actuellement... On m'a même parlé d'un amusant badge "je lis La Princesse de Clèves" vendu dans une librairie du Quartier Latin : je mène actuellement mon enquête pour en savoir plus !

Écrit par : Zabou | samedi, 18 avril 2009

@ Zabou : "Pauvre princesse !" soupire l'Infante dans Le Cid...

Écrit par : solko | dimanche, 19 avril 2009

Les commentaires sont fermés.