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mardi, 22 avril 2008

Jacques Seebacher

J'apprends avec beaucoup de tristesse la mort de Jacques SEEBACHER. Dans le tintamarre médiatique, les grandes intelligences et les beaux esprits s'en vont fort discrètement. Jacques Seebacher a été mon professeur à Paris VII pendant plusieurs années. Je lui dois, comme beaucoup d'autres de ses étudiants, des centaines d'heures d'un plaisir exquis, rare, indicible : celui de comprendre un grand texte auquel on consacre, pour rien, quelques heures de sa vie. Et cela chaque semaine. Et cela durant plusieurs années. Jacques Seebacher qui prit la succession de Pierre Albouy était un spécialiste de Victor HUGO (il dirigea l'édition du centenaire dans la collection Bouquins). 

seebacher.gifC'était un dix-neuvièmiste complet, si une telle expression a du sens, un homme réellement cultivé, attaché à la transmission comme un paysan à sa terre. Je me souviens d'explications de lui de Michelet, de Renan, de Sainte-Beuve, de Musset, de Baudelaire, de Lamartine ou de Sand, bien sûr, mais également de Ronsard, de Racine, De Pascal, de Montesquieu, d'Apollinaire, de Valéry... Des explications scrupuleuses et lumineuses, au sens propre.  Des explications généreuses, qui donnaient à leur auditeur l'impression d'être intelligent... Il était un professeur à la fois plein d'humour, de rigueur et d'intégrité, capable d'être cassant lorsqu'il se trouvait devant une personne qu'il jugeait malhonnête sur le plan intellectuel, heureux lorsqu'il apprenait qu'un de ses étudiants avait réussi quelque chose. La dernière fois que j'ai parlé avec lui, c'était de Béraud, par téléphone, il y a quelques années déjà. Je n'ai eu que très peu de véritables professeurs dans toute ma scolarité, déjà ancienne. J'en dénombre trois, tous de lettres : il était l'un deux. Il était parti à la retraite au tout début des années quatre-vingt dix.

L'époque, déjà, n'était plus trop littéraire, et avec son départ, j'eus l'impression, oui, qu'un siècle, qui jusqu'alors avait été mien, avait été nôtre,  commençait à s'en aller aussi.  Voici quelques lignes de lui que je tire de la préface qu'il avait alors rédigée pour Victor Hugo ou le calcul des profondeurs (PUF écrivains, 1991) :

« Voilà un peu plus d'un demi-siècle, en un Noël de guerre, un enfant de neuf ans commettait sa première inconvenance littéraire en demandant qu'on lui offre Les Misérables, pour en avoir lu un fragment dans ce merveilleux livre de lecture de l'école publique qui s'intitulait Une heure avec... Ce fut un couple d'Anglais, que l'invasion nazie allait bientôt contraindre à l'exil dans leur propre pays, qui consentit à ce caprice, avec les quatre volumes de la collection Nelson.  « De l'Angleterre, tout est grand », dit l'auteur de L'homme qui rit. Peu importe de combien d'exils se compose toute pairie et de combien d'escarpements se conquiert le plain-pied quand on a compris comme Romain Gary et Ajar réunis qu'avec Hugo, l'éducation européenne consiste à avoir la vie devant soi ».

 

16:32 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, jacques seebacher, paris7, jussieu | | |

Commentaires

Je vous comprends. Je ne le connais, quant à moi, que par diverses études publiées dans l'édition chronologique de Massin (entre autres "Poétique et politique de la paternité chez VH"). Ce n'est déjà pas si mal, pour éprouver de l'estime. Je vous recommande, dans le Monde daté Jeudi 24 avril, en page 2, le mot de Francis Marmande, qui met en exergue une phrase de Seebacher que je trouve une admirable signature de l'esprit : "L'intelligence, ça s'apprend".

Écrit par : fredlôtre | jeudi, 24 avril 2008

J'ai dit "le mot" de Francis Marmande. Le terme "hommage" conviendrait mieux.

Écrit par : fredlôtre | jeudi, 24 avril 2008

Merci pour ce commentaire; le texte de Marmande est très beau, très juste également.

Écrit par : solko | vendredi, 25 avril 2008

Bonsoir Solko,
Je joins mes pensées à votre douleur pour cet homme que je ne connaissais pas et dont vous dressez un beau et pudique portrait. Et en effet la phrase de Seebacher signe une belle âme de pédagogue et d'humaniste (au sens noble).

Respectueusement,
Tanguy

Écrit par : Tang | samedi, 26 avril 2008

J'apprends avec tristesse le décés de Jacques Seebacher à retardement.
Je me souviens comment il m'avait expliqué en deux temps trois mouvements La Princesse de Clèves de façon "politique" : du génie à l'état pur ! et puis il y avait son amour du théâtre. Et puis il y avait eu nos échanges sur les Paravents de Genet, de la mise en scène de Blin en 1966 qui l'avait marquée. J'aimais son élégance, sa classe et aussi son humour et son audace !

J'aimerais bien lire l'article de Francis Marmande, qui le connaissait bien, forcément.

Écrit par : Gilles | vendredi, 24 octobre 2008

@ Gilles : SI vous avez connu l'explication de La Princesse de Cleves par Seebacher, vous connaissez sans doute Pierre Malandain ( la princesse de Clèves comme figure de la Cour du XVIIème, Nemours comme figure de celle du XVIè, je fais evidemment court ).
J'essaie de retrouver l'article de Marmande pour le mettre en ligne à votre attention.

Écrit par : solko | vendredi, 24 octobre 2008

Qui est Pierre Malandain? Comment en savoir plus sur cette explication de la Princesse de Clèves figure du XVIIème, Nemours du XVIè?? Merci

Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 24 octobre 2008

Bonsoir Sophie.
Je mets ce lien qui vous expliquera tout de Pierre Malaindain et de sa lecture politique de la Princesse de Clèves dont me parle Gilles (que je ne connais pas mais qui, comme moi, vous l'avez compris, fut un étudiant de Jacques Seebacher)
http://www.alapage.com/-/Fiche/Livres/9780224049870/LIV/madame-de-lafayette-la-princesse-de-cleves-pierre-malandain.htm?donnee_appel=GOOGL)
Si vous vous intéressé à la Princesse de Clèves, c'est une lecture en effet stimulante dont on ne peut parler en un bref commentaire (ça nécessiterait un billet - pourquoi pas ? )

Écrit par : solko | vendredi, 24 octobre 2008

Je ne connais pas Pierre Malandain. Merci pour le lien et les infos. J'étais à Jussieu en licence (j'avais Francis Marmande comme prof mais pas Jacques Seebacher qui ne donnait plus de cours à l'époque mais qui devait encore avoir quelques étudiants en thèse. On se croisait de temps en temps. La relation est née fortuitement. Peut-être j'avais La Princesse de Clèves entre les mains quand on s'est rencontrés mais je ne m'en souviens pas très bien. Je dois avouer que je n'ai pas tout compris à ses explications. Il allait tellement vite dans ses démonstrations (l'esprit si vif et intelligent) et moi je n'étais pas du tout au niveau pour comprendre les subtilités de ce récit.
Et puis au cours de nos rencontres il me "racontait" l'histoire littéraire avec fougue et passion. C'était passionnant. Je serais resté longtemps à l'écouter mais souvent je devais m'enfuir de Jussieu pour aller travailler !

Écrit par : Gilles | vendredi, 24 octobre 2008

Les commentaires sont fermés.