samedi, 11 août 2012
16 & 16 = 32
Emplir presque à ras de café noir un bol tout blanc
Sans savoir si on l’engloutira tout entier
Puis des murmures familiers : tu ne vas pas dormir ce soir
Leur opposer qu’avec ce bol s’apprête à l’envol
Sa propre plume sur quelque feuille blanche
Car le vol de la nuit qui débute
Se soucie comme d’une guigne des tableaux où s’affichent
En linéales rouges telle ou telle capitale
Non, ignorance même de ce que je veux dire
Ni peux lire en cette mare ronde de café
Qui a quelque chose à dire né dans ce fief sans relief
Juste envie d’essayer tel Michel en sa librairie
La jeunesse instantanée demeure le privilège de l’écrivain
Pharmacopée de son imaginaire
Tirant pied de nez à tous les dogmes
Tout comme la première fois
De laquelle toi parles-tu il y en eut tant
Première fois que tu perçus la lenteur en parfum de la Saône
Que le jus de pêche engloutie à l’arbre s’égoutta à ton palais
Que malgré le midi vif le soleil cessa de t’éblouir -oh c’est toujours
La première fois quand tu l'écris tel ce legs
« O mon crâne étoile de nacre qui s’étiole »
Et comme elle ou comme lui tu souris sûr que Saussure
Aima Rrose Sélavy le pauvre Lelian et son impair aussi
Qui s’éteignit au 39 rue Descartes chez une ouvrière de la Belle
Jardinière non loin de la cloche de la Sorbonne ce bol
Fol « Qui toujours à neuf heures sonne
Le salut que l'ange prédit»
Un adieu digne de François dont le lent Lais clamait déjà
Ce qu’aucun né d’ensuite ne parvint à mieux clamer
Qu'assigner sens au dire n’est guère plus sain qu’y mettre fin
Ce dont nous sommes malades autant que vierges et heureux
22:19 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : verlaine, villon, desnos, rrose sélavy, poésie, littérature |
mardi, 22 novembre 2011
Memento mori et autres postures
L’Europe est vieillissante ; c’est un fait. La jeunesse, celle qui veut le bruit et la fureur et charrie l’énergie dans ses veines, gronde ailleurs : au Brésil, en Inde, en Afrique. Comme Chateaubriand l’écrivit un jour à propos du duc de Bordeaux : «Prolonger ses jours au-delà d’une éclatante illustration ne vaut rien ; le monde se lasse de vous et de votre bruit ; il vous en veut d’être toujours là. » On aurait tout autant pu le dire à ce monsieur Rivier, dont l’enseigne occupa un jour si largement la place des Terreaux. Son restaurant où se pressait la Bonne société de la Belle Epoque est dorénavant un magasin de fripes assez quelconque. Et l’on ne sait même plus le nom de l’artisan qui un jour, pour ravaler la façade, fit choir l’enseigne qui porta son nom au milieu des débris. Ni dans quel champ elle alla pourrir. Ce restaurant qui n'est plus, cela m'étonne et m'amuse de penser que Béraud, qui habita un certain temps au 4 de la place des Terreaux, dut s’y attabler en compagnie d’Albert Londres et de Charles Dullin au plus bel éclat de leur jeunesse, avec cette même et somme toute ridicule privauté que les vivants du café Leffe d’aujourd’hui.
C’est certes dérangeant de se souvenir que, comme le duc de Bordeaux ou monsieur Rivier, nous passerons à notre tour. Certains âges de la vie jugent même la chose révoltante. En même temps, il y a dans la mort quelque chose de consolant, et j’entends bien ce lucide et caustique plaisir avec lequel Chateaubriand écrivit : « il vous en veut d’être toujours là ». Heureux me dis-je celui qui, après avoir été insouciant à vivre, parvient à l’être autant à mourir, même si c’est assurément plus difficile.
On apprend beaucoup de choses dans le monde, en effet, mais nulle part à passer la main. Imaginerait-on une école de ce genre, dont la devise écrite au tableau chaque jour serait celle du Memento Mori, et le diplôme de fin de cursus un congé définitif ? Se dire qu’on va mourir, n'est un plaisir - voire un luxe- que pour celui qui estime que ça ne va pas se passer sur l’heure, je veux dire, à l’instant. Je sais que je vais mourir, mais je sais que je goûterai, là, encore quelques instants. Je les savoure. J’hume. Derrière ce memento mori, j'entends bruire mon souffle et résonner le pas sûr de ma vie. Et j’apprécie. Là réside la secrète et profonde délectation de la mélancolie. Si les 2000 vers du Testament de Villon sont si justes, si caustiques et si beaux, c’est parce qu’ils dégorgent de la joie de se savoir mortel et vivant à la fois. Le plus pauvre des pauvres, sûr tout soudain de son trésor.
S’il y a un point commun entre Villon et Chateaubriand , c’est que tous deux - est-ce assez singulier dans la littérature ! - ont adopté le point de vue de leur propre cadavre, une parole issue de leur propre tombe :
« Item, vueil qu’autour de ma fosse
Ce qui s’ensuit, sans autre histoire,
Soit escrit en lettre assez grosse… »,
quémande le premier. S'il n'y avait cette joie, ce plaisir ironique de celui qui n'est pas encore mort et chante encore, ce serait certes ce qu'on appelle une posture. Sur quoi le second renchérit, de ce même ton, mettant à nu le plaisir vif du vivre encore : «Vous qui aimez la gloire, soignez votre tombeau ; couchez-vous y bien ; tâchez d’y faire bonne figure, car vous y resterez. »
05:41 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : memento mori, béraud, chateaubriand, villon, place des terreaux, littérature, lyon |
mercredi, 21 octobre 2009
A coeur vaillant, rien d'impossible
13 juin 1940, la Banque de France lance la première impression du premier de ces billets de guerre dont le petit format permet, sur une unique feuille de papier, de tirer le plus grand nombre possible d'échantillons. C'est une coupure de 50 francs. Elle est dédiée à la mémoire de Jacques Cœur. Insolite retour du Moyen Age, en plein cœur du vingtième siècle et alors que se noue le deuxième conflit mondial du monde industriel : Au quinzième siècle, dans le Conseil de Charles VII, (le roi de la petite Jeanne) Jacques Cœur, incarne à la fois le roturier et le grand argentier. Personnage à la trouble légende, parti faire fortune sur les pistes de Syrie et du Liban, dont Michelet a dit :
« Ici il fait son fils unique archevêque de Bourges, là-bas, il marie ses nièces aux patrons des galères »
Ce Jacques Cœur devint très vite une légende, à en croire le bon clerc de François Villon, qui parle de lui dans son pauvre Testament :
« Le cœur dit à Villon
Ne te chagrine pas, homme
Et ne demeure pas en douleur
Si tu n'as tant eu que Jacques Cœur
Mieux vaut vivre sous tissu de bure
Pauvre, qu'avoir été seigneur
Et pourrir sous riche tombeau ».
Etrange, oui, ce personnage aux contours flous et presque anachroniques qui, en sa maison de Bourges, collectionnait des bas-reliefs représentant, en lieu et place de saints et de saintes, tantôt une fileuse (cf verso du billet), tantôt une balayeuse, tantôt un vigneron, et dont on murmura qu'il fut sans aucun doute à l'origine de l'empoisonnement de la belle Agnès Sorel. Romanesque, oh combien ! Son cœur, précisément, Lucien Jonas l'a placé en filigrane, telle une fenêtre ouvrant de part et d'autre de la demeure, sur des boiseries chaudes ou sur un ciel laiteux. Bergère, filez votre quenouille et gardez vos blancs moutons : Le billet de juin 40 met à l'honneur le Berry, ses humbles et lointaines aïeules des héroïnes de George Sand,
Le curieux personnage, marchand, courtisan, aventurier, n'a jamais cessé, de son vivant, de balancer entre deux devises : Le billet reproduit la première dans le rectangle rouge du recto, qui sert de reposoir à son bras :
« A vaillans (cuers) riens impossible ».
On imagine qu'en juin 1940, alors que triomphait la chanson de Lucienne Delyle ("Mon Ange, mon ange qui veillez sur moi / Mon ange, mon ange, ayez pitié d emoi..."), la formule pouvait être d'un certain réconfort, en effet...
L'autre devise reste moins célèbre sans doute. Elle résume cependant tout ce que ce quatorzième siècle fascinant et déjà bourgeois, qui paracheva l'invention du Purgatoire, contient de neuve sagesse :
« Bouche close. Neutre. Entendre dire. Faire. Taire. »
L' opulente demeure de Jacques Cœur se profile derrière son effigie. D'une main, il porte une plume qu'on devine destinée non pas à consigner quelque pensée de philosophe, mais plutôt à tenir l'un de ces livres de compte qui furent les véritables ancêtres du journal intime. De l'autre, il soupèse son menton, dans un geste où peuvent se lire et la hardiesse et la défiance du véritable parvenu. Devant lui, un coffre, et un petit encrier bleu. Quelque chose du roué politique se déchiffre aussi sous ce bonnet, et dans ce geste. Nul autre que lui, parmi tous les personnages dont la Banque de France honora (ou déshonora, c'est selon) la mémoire, nul autre que lui, qui définissait la sagesse ainsi, "prêter d'une main, se payer de l'autre", nul autre mieux que lui, finalement, ne mérita de passer de main en main, de croupir dans des bourses, d'être joué, volé, échangé, comme une putain et comme un presque roi bref, de figurer sur un billet.
La coupure circula peu de temps, de janvier 41 à juin 45. Le temps d'une guerre moderne et de toutes ses atrocités. Une guerre qui fit oublier, il est vrai, tout ce que la Guerre de Cent Ans avait eu de modestie dans l'horreur et d'amateurisme dans la technicité. C'est que du quinzième siècle de Jacques Coeur au vingtième d'Einstein, les hommes avaient su prendre le temps de peaufiner aussi bien l'art de la planche à billets que celui (qui va de pair) de la destruction massive.
19:45 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, villon, numismatique, écriture, billets français, jacques coeur |
vendredi, 15 février 2008
Terrasse technologique
Dansait-il sur une terrasse
Large et dominant la cité technologique
Lui qui, le dernier, embrassa la cathédrale ?
On ne saurait le dire parmi les réseaux
Où galope un reflet d'étincelles
Mais dans les tissus de nos tissus
Et dans les gènes de nos gènes
Nous sentons bien qu'électriques
Le spectre de son baptême
Et le frisson de son argot
Encore villonnement vivants
Sillonnent jusqu'à l'épuisement
Les lignes de nos testaments
08:25 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, poèmes, villon, solko, cathédrale |