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mardi, 22 novembre 2011

Memento mori et autres postures

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L’Europe est vieillissante ; c’est un fait. La jeunesse, celle qui veut le bruit et la fureur et charrie l’énergie dans ses veines, gronde ailleurs : au Brésil, en Inde, en Afrique. Comme Chateaubriand l’écrivit un jour à propos du duc de Bordeaux : «Prolonger ses jours au-delà d’une éclatante illustration ne vaut  rien ; le monde se lasse de vous et de votre bruit ; il vous en veut d’être toujours là. » On aurait tout autant pu le dire à ce monsieur Rivier, dont l’enseigne occupa un jour si largement la  place des Terreaux. Son restaurant où se pressait la Bonne société de la Belle Epoque est dorénavant un magasin de fripes assez quelconque. Et l’on ne sait même plus le nom de l’artisan qui un jour, pour ravaler la façade, fit choir l’enseigne qui porta son nom au milieu des débris. Ni dans quel champ elle alla pourrir. Ce restaurant qui n'est plus, cela m'étonne et m'amuse de penser que Béraud, qui habita un certain temps au 4 de la place des Terreaux, dut s’y attabler en compagnie d’Albert Londres et de Charles Dullin au plus bel éclat de leur jeunesse,  avec cette même et somme toute ridicule privauté que les vivants du café Leffe d’aujourd’hui. 

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C’est certes dérangeant de se souvenir que, comme le duc de Bordeaux ou monsieur Rivier, nous passerons à notre tour. Certains âges de la vie jugent même la chose révoltante.  En même temps, il y a dans la mort quelque chose de consolant,  et j’entends bien ce lucide et caustique plaisir avec lequel Chateaubriand écrivit : « il vous en veut d’être toujours là ».  Heureux me dis-je celui qui, après avoir été insouciant à vivre, parvient à l’être autant à mourir, même si c’est assurément plus difficile.

On apprend beaucoup de choses dans le monde, en effet, mais nulle part à passer la main. Imaginerait-on une école de ce genre, dont la devise écrite au tableau chaque jour serait celle du Memento Mori, et le diplôme de fin de cursus un congé définitif ? Se dire qu’on va mourir, n'est un plaisir - voire un luxe- que  pour celui qui estime que ça ne va pas se passer sur l’heure, je veux dire, à l’instant. Je sais que je vais mourir, mais je sais que je goûterai, là, encore quelques instants. Je les savoure. J’hume. Derrière ce memento mori, j'entends bruire mon souffle et résonner le pas sûr de ma vie. Et j’apprécie. Là réside la secrète et profonde délectation de la mélancolie. Si les  2000 vers du Testament de Villon sont si justes, si caustiques et si beaux, c’est parce qu’ils dégorgent de la joie de se savoir mortel et vivant à la fois. Le plus pauvre des pauvres, sûr tout soudain de son trésor.

S’il y a un point commun entre Villon et Chateaubriand , c’est que tous deux - est-ce assez singulier dans la littérature ! - ont adopté le point de vue de leur propre cadavre,  une parole issue de leur propre tombe :

« Item, vueil qu’autour de ma fosse

Ce qui s’ensuit, sans autre histoire,

Soit escrit en lettre assez grosse… », 

quémande le premier. S'il n'y avait cette joie, ce plaisir ironique de celui qui n'est pas encore mort et chante encore, ce serait certes ce qu'on appelle une posture. Sur quoi le second renchérit, de ce même ton, mettant à nu le plaisir vif du vivre encore  :  «Vous qui aimez la gloire, soignez votre tombeau ; couchez-vous y bien ; tâchez d’y faire bonne figure, car vous y resterez. » 


05:41 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : memento mori, béraud, chateaubriand, villon, place des terreaux, littérature, lyon | | |

Commentaires

Un très beau texte, Solko et après qu'on vous a lu, la Leffe ne doit plus avoir tout à fait le même goût, sur la place des Terreaux...

On voit le restaurant Rivier, aujourd'hui remplacé par une boutique. Ce que je vois moins bien c'est ce qu'il y avait à l'emplacement actuel du café Leffe, et ce qui semble aujourd'hui une entrée dans l'immeuble (entre le café Leffe et la boutique) était à l'époque une enseigne de coiffeur. Peut-être Béraud allait-il s'y faire couper les cheveux...

Écrit par : Michèle | mardi, 22 novembre 2011

Avoir une tête de mort sur son bureau...
Memento Mori : très beau livre de Calaferte.

Écrit par : Rosa | lundi, 28 novembre 2011

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