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mercredi, 29 décembre 2010

Un rêve de linguiste et accessoirement d'illuminé, de fou, de poète

« Il y a eu tout à fait au début du XIXe siècle, en particulier dans la première phase de découvertes que permettait la grammaire comparée, cette idée qu’on remontait aux origines de l’esprit humain, qu’on saisissait la naissance de la faculté du langage. On se demandait alors si c’était le verbe qui était né le premier, ou si c’était le nom. On se posait des questions de genèse absolue.

Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’un tel problème n’a aucune réalité scientifique. Ce que la grammaire comparée, même la plus raffinée, celle qui bénéficie des circonstances historiques les plus favorables comme la grammaire comparée des langues indo-européennes, plutôt que celles des langues sémitiques qui sont pourtant attestées aussi à date très ancienne, ce que cette reconstitution nous livre, c’est l’étendue de quelques millénaires. C’est à dire une petite fraction de l’histoire linguistique de l’humanité.

Les hommes qui, vers le XV° millénaire avant notre ère, décoraient les cavernes de Lascaux, étaient des gens qui parlaient. C’est évident. Il n’y a pas d’existence commune sans langue. Il est par conséquent impossible de dater les origines du langage, non plus que les origines de la société. Mais nous ne saurons jamais comment ils parlaient. 

L'idée que l'étude linguistique révélerait le langage en tant que produit de la nature ne peut plus être soutenue aujourd'hui. Nous voyons toujours le langage au sein d'une société, au sein d'une culture. Et si j'ai dit que l'homme ne naît pas dans la nature, mais dans la culture, c'est que tout enfant, et à toutes les époques, dans la préhistoire la plus reculée comme aujourd'hui, apprend nécessairement avec la langue les rudiments d'une culture. Aucune langue n'est séparable d'une fonction culturelle»

Emile Benveniste - Problèmes de linguistique générale 2 - 1974

lascaux.jpg

 

 

1878 : C'était l'âge d'or de la linguistique, cet objet devenu depuis, avec le structuralisme, si austère : le temps des Bréal, des Saussure, des Meillet. Meillet fut le maître de Benveniste dans les années 20. Je ressens quelle passion, quel moteur, cela pouvait constituer pour ces chercheurs contemporains de Pasteur, de Littré et de Darwin, l'idée de revenir aux sources de la culture afin d'embrasser un fragment pur de la nature. Quelle déception cela dut être ensuite, de ne trouver, in fine, aux origines de la culture encore, que de la ...  culture, tristement et bêtement humaine. Et encore, de la plus récente qui soit, de la culture niaisement romantique... On ne s'échappe pas si facilement de l'humaine finitude... 

Commentaires

Que vous sachiez, cher Solko, à quoi vos billets conduisent vos lecteurs. Je viens de passer deux heures à lire dans "La plus belle histoire du langage" (Seuil, 2008), une cinquantaine de pages sur un récit des origines du langage, - quel bricolage de l'évolution pour aboutir à l'apparition de cet instrument si puissant et si singulier -, par le paléoanthropologue Pascal Picq, maître de conférence au Collège de France ; puis une cinquantaine d'autres pages sur la saga des langues, - que sait-on des langues parlées depuis que le verbe est venu aux hommes -, par Laurent Sagart, linguiste, directeur de recherche CNRS à l'EHESS ; qui de son enfance en Dordogne a gardé le goût de la préhistoire et est devenu à partir de sa connaissance du chinois un des spécialistes mondiaux de la linguistique historique des langues d'Asie orientale.
Apprendre que le néolithique a été la première vague d'extinction linguistique de notre histoire, qu'au moment de cette révolution néolithique il y avait entre 5 et 9 millions d'hommes sur toute la planète, à peine la population d'Île-de-France aujourd'hui ; que ces chasseurs-cueilleurs parlaient des centaines, voire des milliers de langues. Et qu'avec l'invention de l'agriculture (inventée quasi simultanément en plusieurs endroits du mode : il y a 12000 ans au Proche-Orient, 10000 ans en Chine, dans la vallée du fleuve Bleu, et plus récemment en Amérique du Sud ; synchronisme étonnant dû au réchauffement climatique à la fin de la dernière glaciation), donc de la domestication des céréales, la démographie humaine s'emballe. Comme les céréales et le bétail permettent de nourrir plus de monde que le gibier et les fruits, les populations d'agriculteurs croissent assez vite, se répandent, et avec elles leurs langues. Celles des chasseurs-cueilleurs ont tendance à disparaître, parce que ceux qui les parlent ne peuvent vivre dans les zones défrichées et se réfugient dans les collines, les montagnes, ou se déplacent. Plus l'importance économique des agriculteurs s'agrandit, plus les locuteurs des dernières langues paléolithiques finissent par les abandonner et ne plus parler que celles des agriculteurs, dont le nouveau mode de vie se répandra sur toute la planète, excepté la Nouvelle-Guinée, l'Australie, certaines régions d'Amérique et d'Afrique.
L'indo-européen remonte peut-être (origine encore controversée) à une langue de paysans du sud de l'Anatolie où le blé a été domestiqué il y a 11000 ou 12000 ans.
En Europe l'expansion indo-européenne a éliminé les langues les plus anciennes comme l'étrusque ou les langues ibériques, dont on a gardé des traces mais qui ont complètement disparu sauf dans l'ouets des Pyrénées où, le relief fournissant une certaine protection, l'ancêtre basque a résisté.
Le basque serait donc une langue du paléolithique ; son origine reste très obscure, c'est un "isolat" comme disent les linguistes, une langue qui n'est apparentée à aucune autre. L'hypothèse la plus raisonnable est que le basque soit le descendant des langues parlées par les populations paléolithiques, celles qui nous ont laissé les grottes de Lascaux. Ce serait donc la seule langue survivante en Europe de la grande extinction linguistique du néolithique.

Écrit par : Michèle | mercredi, 29 décembre 2010

@ Michèle : Savoir que le basque "serait la seule langue survivante en Europe de la grande extinction linguistique du néolithique" me donne une soudaine et sérieuse envie de porter le béret. Cela faisait un moment d'ailleurs que ce couvre-chef (je crois n'avoir vu lorsque j'étais enfant qu'un oncle, épicier de son état - le plus aimable descendant de chasseur-cueilleur qu'il m'ait été donné de rencontrer - le porter régulièrement) me redevenait sympathique...

Écrit par : solko | mercredi, 29 décembre 2010

Ce qui est curieux avec le basque, c'est qu'il s'est maintenu dans la partie la plus basse, la plus accessible, des Pyrénées et également sur des terrains moins accidentés, comme à Bilbao ou Vitoria. Ont-ils été "coincés" le long de la mer par les Indo-européens?

Pour moi, les Basques évoquent moins le béret que l'attaque de l'arrière-garde de Charlemagne, dans la Chanson de Roland.

Écrit par : Feuilly | mercredi, 29 décembre 2010

Passionnant, de même que le commentaire de Michèle. Je me souviens avoir lu autrefois (je ne sais plus où ni quand, pardon) qu'on avait tenté de faire des rapprochements entre le basque (et donc les Basques) avec le langage de certaines populations amérindiennes d'Amérique Latine. Quant à la langue dominante, celle des agriculteurs, elle vient du dénombrement des sacs de graines et des troupeaux, donc du commerce. Bizarrement donc, le "monde marchand", qui détruit aujourd'hui la mémoire en tentant de rendre la langue avant tout technique, était à l'origine de la culture... :0)

Écrit par : Sophie K. | mercredi, 29 décembre 2010

(PS : Je parle de la langue écrite.)

Écrit par : Sophie K. | mercredi, 29 décembre 2010

Le Basque n'est pas le seul "isolat" en Europe; Il y a les langues finno-ougriennes dont le Hongrois, même si les linguistes ne sont pas très d'accord sur leur origine : trace d'une protolangue ou produit d'une langue véhiculaire ayant emprunté à diverses origines.
Les illustrations des grottes sont toujours étonnantes de délicatesse. Ces peintres possédaient un langage et une culture, sans aucun doute, ne serait-ce que parce qu'ils symbolisent leur univers

Écrit par : Zoë Lucider | mercredi, 29 décembre 2010

@ Feuilly : Roland en béret, sonnant le cor...
@ Sophie : Rousseau disait, lui, que la langue primitive était le chant, faisant de l'homme une sorte d'oiseau. L'idée était jolie même si, je crois que vous avez raison, nous devons la langue aux marchands.
@ Zoé : Je ne connais pas le hongrois, mais nous avons un spécimen à l'Elysée. Faudrait lui poser la question de l'origine de sa langue...

Écrit par : solko | jeudi, 30 décembre 2010

Effectivement , les basques attaquèrent l'arrière garde, commandée par le preux Roland, des troupes de l'empereur Charles qui avait pris une déculottée en Espagne. Il y eut trop de maures. Les basques voulaient récupérer leurs basquettes que les soudards francs avaient enlevées et prendre une partie des impedimenta, Les escarmouches tournèrent à l'avantage de ces rudes montagnards.Il faut dire que la marche était lente, la viande marchait sur pied et broutait des myrtilles . Roland en jura de dépit mais "il est rond ce veau". Un basque, dans un combat corps à corps lui marcha sur le cor, le meuglement qu'il poussa , résonne encore dans la vallée . Ce n'était pas un gars verni, ce Roland, sentant la partie perdue , il voulut casser son épée , c'est elle qui ébrécha la dalle. Il hurla « mais qu'elle est dure en dalle » . Abandonnant toute fierté, toujours sur la brèche, il appela, son oncle l'empereur Charles à la barbe fleurie d'un prosaïque « Charles, magne toi! » Cri colla à la peau du dit Charles et forgea la légende orale du preux Roland . C'était juste un petit rappel historique pour ceux ou celles qui ont séché leurs cours d'histoires.

Écrit par : patrick verroust | vendredi, 31 décembre 2010

@ Patrick Verroust : Et le pire est né du joyeux calembour

Écrit par : solko | vendredi, 31 décembre 2010

Solko:

Je ne suis pas un pédago mais mine de rien, j'ai fait réussir des élèves en difficultés en leurs contant, entre autres, l'histoire de cette manière burlesque. La réalité dépasse en burlesque toute fiction et défie l'imagination. La "vérité historique" est pétrie de calembredaines.

Écrit par : patrick verroust | samedi, 01 janvier 2011

J'oubliais, je vous souhaite d'être armé pour affronter cette année et en faire une bonne année, malgré les hausses en travers de la gorge.
Que cette année vous soit "utile" . Pour l'an suivant, le mot d'ordre sera "hausse toi de là que je l'y mettes"

Votre billet et le commentaire de Michèle sont passionnants. Merci à vous deux.

Écrit par : patrick verroust | samedi, 01 janvier 2011

Décidément, on va vraiment de plus en plus loin, mais de quoi? C'est probablement qu'on en est très loin...
C'est marrant, le progrès et l'évolution, cela marche pour tout sauf pour le langage. Le premier homme serait-il un dieu omniscient?

Si cela vous intéresse, nous parlons européen...

Stéphane Feye
Schola Nova - Humanités Gréco-Latines et Artistiques
www.scholanova.be
www.concertschola.be
www.liberte-scolaire.com/.../schola-nova

Écrit par : Pr Stephane Feye | mercredi, 29 mai 2013

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