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mardi, 17 janvier 2012

Billet de campagne : Le Sarko

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En ces mois d'interrogation sur le maintien de l'euro ou le retour aux francs, et pour un peu se détendre face à une campagne où chacun tire à vue à la moindre occasion, voici un peu d'argent de poche pour financer ce qui reste de bonne humeur dans ce vieux pays

13:42 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : billets français, sarkozy, montesquieu, politique, société | | |

mercredi, 14 décembre 2011

Berlioz et l'inflation fantastique

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C’est du portrait peint par Emile Signol en 1832 que Lucien Fontanarosa  (1912-1975) s’inspira en 1969, lorsque la banque de France lui passa commande d’une aquarelle pour figurer sur  son dernier billet de dix francs à l’effigie d’Hector Berlioz. Lucien Fontanarosa avait déjà été sollicité en 1964 pour le 500 f (Pascal), en 1965 pour le 100F (Delacroix) et en 1967 pour le 50 F (Quentin de la Tour).

Les quelques mots qu’Hector Berlioz eut pour ce portrait non signé dans le chapitre XLII de ses Mémoires permirent d’en connaitre l’auteur : Berlioz et Signol avaient emporté le Prix de Rome la même année (1830), l’un en musique, l’autre en peinture : « Je pose pour mon portrait qui, selon l’usage, est fait par le plus ancien de nos peintres et prend place dans la galerie du réfectoire 3 », écrit-il. Mais le séjour mouvementé du musicien en Italie (interrompu par une escapade à Nice) diffère plusieurs fois la réalisation du tableau. Le 7  avril 1832, Berlioz écrit : « Le peintre qui l’a commencé ne sera libre d’achever que dans quinze jours. »

Sur le billet, Fontanarosa (qui fut, lui, prix de Rome en 1936) a coupé la lavallière rouge et bouffante qui évoquait le gilet rouge de Gautier à la bataille d’Hernani. Mais il a gardé l’ambiance de la génération des Jeunes France, avec la crinière d’un roux flamboyant et les traits acérés du visage, le verso du billet représentant Berlioz en chef d’orchestre.

Le billet fut imprimé du 23 novembre 1972 au 6 juillet 1978 : en tout, 306 alphabets, répartis en 24 dates d’impression, qui circulèrent dans une France giscardienne en passe de se fiancer longuement avec la crise. Il naquit l’année du serment des 102 au Larzac,  du suicide de Montherlant, du Bloody Sunday en Irlande du Nord et de la spectaculaire prise d’otage de sportifs israéliens à Munich. La durée de vie du 10 francs Berlioz (1972-1978) équivalut  à celle du «  serpent monétaire européen », dispositif économique destiné à limiter les taux de change entre monnaies européennes.

Il fut le billet de l’inflation par excellence ; la preuve : l'auteur de la Symphonie Fantastique céda la place à un rond de métal de 10 francs, ayant perdu une bonne moitié de sa valeur en quelques années. Que vaudrait-il, à présent ? A peine plus d'un euro : La chance d'avoir du talent ne suffit pas, avait écrit le Maître. Encore faut-il avoir le talent d'avoir de la chance...

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vendredi, 09 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (7)

Voilà, finit par murmurer Polo, c’est ce matin là  que je l’ai vu la dernière fois. J’ai trouvé son message le lendemain, dans lequel il me confiait son billet sans autre explication. Très souvent, il m’avait dit que le plus difficile n’était pas de vivre ou de mourir, mais bien proprement, de disparaître. Ils ont la manie du recensement, mais avec les disparus, ils sont bien emmerdés : c’est le nombre le plus difficile à établir, disait-il. Celui des disparus.

«J’ai attendu toutes ces années pour vous porter le porter, son billet, parce que je savais pas trop si on pouvait compter sur vous. Comment dire ? Un trois cents francs Clément Serveau dans cet état de conservation, vous comprenez,  je sais combien ça coûte, même un peu gribouillé. »

A présent, le conserver intact, ça devenait difficile. Trop durs, les temps, pour un vieux pauvre comme lui. Et on risquait de pas en voir la fin. A travers la vitre fumée du bureau, les yeux baissés, Polo contemplait les jolis escarpins de Rita, qu’elle croisait comme sur une affiche. «On risque bien de pas en voir la fin, répéta-t-il d’une voix plus sourde.

 «Il faudrait ne jamais le vendre, vous comprenez. On ne sait jamais ce qui peut arriver par la suite. Je veux dire : il n’est pas mort, il est simplement disparu. Il faudrait pouvoir conserver ce billet, quoi qu’il arrive.  »

Rita contemple ce vieil homme à la bille ronde, aux yeux plissés, au  galurin cabossé sur la tête. Quand il lui a demandé si elle se souvenait de Patrick, et du plus beau billet du monde, elle n’a hésité que peu de temps. Bien sûr, bien sûr. Ce Patrick un peu romanesque. Elle se souvenait l’avoir attendu longtemps un matin à l’agence. Il lui avait promis de passer, en effet. En effet.

 

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Du temps encore a filé, depuis. Du temps. Chaque soir en rentrant chez elle, Rita passe devant les vitres propres de la brasserie d’Alésia. Beaucoup sont attablés seuls, leur portable à portée de main.  Elle ne peut s’empêcher d’y jeter un œil, si jamais quelqu'un... En quelques décennies, les gens ont-ils tellement changé ?

 Depuis peu, cependant, elle évite. On gagne correctement sa vie, c’est sûr, dans la numismatique. Pour cette raison, elle n’a pas encore eu besoin de s’en séparer, du joli cadre en verre qui trône sur une étagère, dans la cuisine du petit appartement de Montparnasse, dont elle aura fini de payer les traites dans dix-sept ans. Elle se le dit souvent, pour s’empêcher de croire qu’elle le conserve par superstition. En même temps, depuis peu, le secteur aussi connait la crise. Putain de Maastricht. Putain de pognon. Putain d’époque. Ridicule, la superstition. Mais c’est une vraie question : Que vaut Montparnasse, sans Mercure et Cérès ?

Elle non plus n’avait plus jamais eu la moindre nouvelle de Patrick. Est-il même encore de ce monde ? Et depuis, aucune de Polo. Drôles de gars, ces deux là. Et leur plus beau billet du monde, auquel elle a fini, elle aussi, par s’attacher. Un spécimen, disait-il, oui, maintenant, elle comprenait.  Surchargé, ça c’est un comble ! Elle comprenait, à force d’y lire chaque matin, tandis qu’elle vidait son café au lait en grignotant du muesli, écureuil tragique et post-moderne, ces trois mots là rédigés à l’encre bleue : je vous aime.

Fin

jeudi, 08 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (6)

 Le  lendemain, ce serait déjà lundi. L’histoire, le temps passent trop vite. Et souvent comme sans moi, sans nous. J’ai toujours été coupé en deux avec ça. Une part qui veut régner dans le monde des hommes, inscrire sa marque, être aimé des femmes. L’autre qui surtout veut s’en garder et rester méconnu de tout ce beau monde. Discret comme le souffle. Noli me tangere.

Le bout de cette nuit viendrait, c’était inévitable, et j’avais promis de porter mon billet à Rita. Quelques gouttes de pluie tombaient sur la verrière, imitant des pas d’oiseaux. Passants, nous sommes. A l’idée que j’allais bientôt m’en défaire, je me mis une fois encore à penser à la silhouette élancée de Saint-Pierre du petit Montrouge, ce dimanche de juillet 1950.

Sébastien n’aurait jamais dû se rendre à la brocante d’Alésia ce matin-là, s’il n’y avait eu cette histoire de commode à retaper de toute urgence pour une baronne neurasthénique de Neuilly. Mais Gaby n’avait rien en stock et lui avait demandé de repasser en fin d’après-midi. Il avait remonté toute la rue des Plantes, puis l’avenue du Maine, puis avait achevé de se vider la tête en se prenant pour James Stewart devant les images de La Flèche brisée. C’était l’été, la rue de la Gaité était quasiment déserte au sortir du cinéma.

Habitué à traîner ainsi dans Paris, de longs dimanches comme celui-ci durant les cinq ans qui venaient de s’écouler, arpentant aussi bien la rue Monge que celle des Pyrénées, la rue de Courcelles que celle de Vaugirard, après une nuit parfois passée à moitié blanche, parfois à l’heure de midi, Mercure indécis ne devant plus compter désormais sur le seul  hasard pour retrouver Cérès égarée, piégé par la dimension de Paris et les cataclysmes du siècle.  

Il était revenu finalement à la brocante d’Alésia et avait conclu avec Gaby d’une date de livraison. Gaby avait tenu à lui montrer une collection de sabres dont il venait de se porter acquéreur. Sans plaisanter, le coup de fusil de la semaine. Les deux hommes avaient plaisanté un moment, discutant westerns tout en fumant du gris.  Bientôt, il fut huit heures à l’horloge de Saint-Pierre. C’est comme ça que tout est arrivé, je murmure. Polo opine du galurin.

Sébastien est finalement entré dans la brasserie. Il est entré juste pour passer un coup de fil à la concierge et lui demander de laisser la porte d’entrée entrebâillée comme elle le fait souvent, en  glissant dessous une page pliée du journal de la veille. C’est au moment où il dit ça qu’il la voit dans un miroir, qui le regarde.

Quand il s’est attablé face à elle, pourquoi aurait-elle eu le moindre mouvement de surprise, le moindre geste de recul. Au contraire. A l’un comme à l’autre, rien ne parut aussi évident que l’un, que l’autre. Et les conversations autour d’eux continuèrent comme si de rien n’était. Gauthier conserverait-il longtemps son maillot jaune ? La Seleçao KO devant l’Uruguay ! L’entrée de la RFA au Conseil de l’Europe. Fallait bien finir par le boucler, le grand cercle de la paix.

Cette jeune femme qui n’était attablée que depuis dix minutes, on aurait tout simplement dit qu’elle ne l’avait attendu que dix minutes, et qu’ils s’étaient quittés au matin. Au matin même. Le garçon venu prendre leur commande, sûr que c’est ça qu’il s’était dit, dès qu’il vit Sébastien assis face à elle. Un peu comme ces volutes de fumée qui se stabilisent au-dessus des têtes en un beau plafond de nuage gris, tout rentrait dans l’ordre ; comme si rien jamais n’avait été diverti, comme si l’errance et ses arabesques par les rues de Paris n’étaient plus de mise. Autour, on ne les remarquait, on ne les voyait plus, qui commençaient à s’aimer sous un plafond de lumière art-déco, dans le brouhaha diffus de cette fin de dimanche à la brasserie d’Alésia. 

Qu’a-t-il pu lui dire à cet instant ? Elle seule l’a su, hein !

Elle seule l’a su, reprend Polo.

Ils sont restés tout le temps d’un premier repas face à face. Et le temps qu’ils se dévisagent comme des amants déjà, la brasserie se vidait. La brasserie se vidait peu à peu. Il y avait des tables qui restaient sans clients, dont on avait retiré les couverts et mis les nappes en boule. D’autres désertes pareillement, mais dont les couverts sales demeuraient encore sur des nappes un peu tâchées, avec des serviettes pendant dans le vide. Les forcenés du dernier métro qui occupaient les dernières banquettes commençaient tous à fatiguer. 

Forcément, à un moment, il a dû lui parler du turban qu’elle portait, ce turban magnifique aux épis d’or qui semble tenir tout seul sur ses tresses, mais qu’une large broche nacrée maintient sur le bandeau du devant. Mauve, le bandeau, mauve. Forcément, il lui a parlé de la beauté extraordinaire de ses yeux. Des yeux de braise, oui, tout à fait.

Quand on glisse le billet sous une lampe, on la voit bien poindre, cette lueur orangée plus vive dans le regard. De braise scintillant. C’est comme ça qu’il la regardait, ce dimanche de juillet. C’est dans ce chatoiement qu’elle l’a toujours vu aussi, reprit Polo.

Nous nous taisons un moment.

Et puis, oui, oui, je fais.

L’ovale de son visage était impeccable. Le nez parfaitement droit. La peau toute lisse. Ce jaune orangé qui point dans son regard, n’est-ce pas tout autant celui des épis, des épis de blés dont Cérès est couronnée ? C’est le même or. Cérès, qu’avait enfin connue Mercure.

A force de se vider, ne resta bientôt plus qu’eux dans la salle. Et le billet, je dis. Le temps passe. Le billet ?

T’inquiète pas, je me souviens de tout encore, fait Polo. Je me souviens.

Quand le garçon est venu avec l’addition, ils en avaient chacun un en main à s’offrir. Et flambant neufs encore. Chacun tendit le sien comme un trophée, levant très haut le bras, en ne se quittant pas des yeux, riant même, un peu. Cela faisait des années qu’il n’avait pas ri un peu. Un seul suffisait à payer les deux repas. Le garçon a pris celui de Sébastien et ne lui a rendu que quelques pièces. Alors, comme elle tenait encore le sien entre ses doigts fins, il l’en a retiré doucement, il a demandé au garçon un stylo bleu. Tout ce manège, elle l’a suivi d’un air émerveillé, comme si vraiment elle avait su ce qu’il allait faire. Des yeux de braise. Et forcément, elle le savait, puisqu’elle était venue là elle aussi par hasard, après des mois et des années d’attente, après avoir tant sillonné la ville, et que cela faisait des années que Cérès n’avait pas ri un peu.

Alors il a écrit ce que tu vois sur le billet d’un seul trait, conclut Polo, d’un seul, au dessus des signatures, ces mots dans l’emplacement que la Banque de France n’avait laissé blanc que pour ça.

Il raconte bien, Polo. Il est bon, Polo. Elle a éclaté de rire, littéralement. Je suis certain qu’elle était vraiment heureuse. « Je le conserverai toujours auprès de moi, a-t-elle dit. C’est le plus beau billet du monde. »  Après, dis-je d’une voix de plus en plus douce tant elle me paraît lointaine, et j’entends alors les gouttes qui tombent comme des pas d’oiseaux sur la verrière, après ça leur appartient.

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 A suivre

mardi, 06 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (5)

V

Je peux l'imaginer, Sébastien, démobilisé, ne connaissant dans Paris que peu de gens vraiment, seul dans la chambre meublée qu’il louait pour un billet de cinq mille, en train de n’espérer qu’en une pauvre image toute neuve, qu’il décidait de conserver précieusement chaque journée proche de son cœur jusqu’à ce qu’il  trouvât celle qui lui ressemblait.

1945. La date exacte… L’échange ordonné par le Général se faisait par séries de lettres, et comme Sébastien passait dans les dernières, son tour dut être vers le mercredi 13 juin. Dans la France ruinée de l’époque, y’avait queue rue Croix-des-Petits-Champs, queue de gens ordinaires tous en file avec leur pognon à la main, de gens fatigués de tout, de la guerre, des queues, des aboiements politiciens de tous bords, à attendre, à s’entreregarder, à siffloter Fleur de Paris. Certains avaient même apporté des pliants. Au milieu d’eux, il se sentait très seul.

Le moment qui compte fut celui-ci. Lorsqu’il tendit ses coupures démonétisées au guichet de la Banque de France et qu’une caissière en échange lui offrit à nouveau sa gueule, une fois encore, sa propre gueule sur un billet à masque de Mercure, un Mercure cette fois-ci de profil sur un bifton de trois cent balles. Aurait-il donc un sosie, un sosie qui posait pour les graveurs de la Banque de France ?

Ce qui dut le frapper ce jour-là, Sébastien, tandis que plein de monde attendait derrière lui qu’il ait fini de compter ses billets, c’est que cette grâce juvénile qui n’avait pas abandonné les traits de Mercure commençait à laisser tomber les siens. Ce cou puissant, ce nez droit, cette ligne grecque, cette peau sans ride, ce regard sans amertume, ce crâne ailé, sa jeunesse : voilà que le trois cents francs de remplacement la lui balançait d’un coup en pleine gueule lui qui pour toute avenir se voyait foncer à présent vers les temps les plus noirs du monde. Il eut un moment d’hésitation, forcément, et puis, il retourna le billet.

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Alors là, c’est la première fois, et c’est pour de bon, que Sébastien tomba amoureux, niaisement, sans crier gare, comme dans les chansons de coin de rues. Là, pile, quand il découvrit le visage de la Cérès du trois cents francs Serveau, rue Croix-des-Petits-Champs, ce jour de juin 45, quand la France entière échangeait ses billets.

Pas un portrait à l’identique trafiqué, cette fois-ci. Pas comme sur le billet des années trente.

Non, pas une espèce de sosie, qu’un dessinateur économe aurait cloné à son image.

Mais un vrai visage, un visage autre, qui lui convenait. Un beau visage ovale et doux. Sur les petits rectangles blancs tout neufs qu’on lui distribue, son double. Pas son sosie. Son double. Son double féminin, authentifié exact par les signatures conjointes d’un caissier général et d’un secrétaire général. Sa promise. Comme s’il avait fallu toutes ces années pour qu’elle apparût enfin, non pas rafistolée à partir d’une des côtes de Mercure, mais libre, authentique, singulière, étrangère, mystérieuse, autre, pleinement. Cérès.

Quelle était cette inconnue ?

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Il se retourna, sur le point de demander à un concierge de la rue Croix-des-Petits-Champs le nom du modèle qui aurait posé sur ce billet. Peut-être se trouvait-elle là, parmi cette file immense de gens qui, malgré leur fatigue, portaient tous sans le dire la même impression étrange d’avoir survécu au pire, la même joie d’être rescapé. C’était d’abord cette joie et cette joie seule, la joie de la victoire et celle de la Libération.

Peut-être cette femme était-elle encore parmi eux. Fébrile, il observait chaque trait, chaque visage. Peut-être aussi n'avait-elle pas survécu. 

A suivre

lundi, 05 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (4)

IV

Le billet, ça m’est facile de le montrer à Polo, pourquoi n’ai-je pu à Rita ? Rita, c’est comme un jeu dont je n’ai pas la règle, une société dont je ne sais la langue. Le marché, le produit. Les salons internationaux. Les profits. C’est tout ça, Rita, si attirante de l’autre côté du fossé.

Je n’ai pas pu la première fois, je n’ai pas voulu la seconde, quand elle m’a entretenu de son Américain à la brasserie du Maine. Elle ne zyeutait plus mes manches douteuses, mais tout de go, dans le tintinnabulement joyeux de la fin du service, voilà qu’elle m’appelle son ami : « pas question de m’engager à votre place autrement qu’en promettant à mon contact de lui transmettre vos coordonnées dans le cas d’un accord pour une rencontre durant son escale avant Maastricht… Le plus beau  billet, pouffe Rita, il ne sait même pas duquel il s’agit, une épreuve ou un fauté, tout juste qu’il est français…  Mon ami, notre prix sera le sien… »

Il va de soi que l’Américain a de quoi payer au-delà de ce que des gens de ma trempe imaginent. Je me rembrunis imperceptiblement lorsque les lèvres de Rita susurrent de telles sommes. Je me rembrunis autant que ça paraît l’égayer. Elle a dû faire des études de commerce, elle  exerce un métier. Le petit marc nous monte à la tête. Sûr qu’elle pense me rendre service en m’offrant l’opportunité de m’en débarrasser à de tels prix. Mais tout cela est trop irréel. Et je ne suis pas sûr qu’elle ait bien tout pigé de mon cas personnel.

 Tu ferais mieux, me dit Polo d’en tirer le meilleur parti. Rita a le regard brûlant, les doigts fins, la peau qu’on sent tiède, et les courbes nourries capiteuses, comme tu les aimes. Le plus chouette billet, c’est elle, mon salaud. Hilare sous son galurin.

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Rien n’est plus mélancolique que des reliefs de fruits de mer sur un plateau cabossé. La nacre effritée des huitres, la glace en train de fondre, les veines blanches, grises et noires du marbre de la table. Autour de cette nature morte, la brasserie se vidait sérieux et les garçons en veste blanche, comme de grandes cigognes, semblaient pressés de rentrer au nid.  Qu’avais-je eu besoin d’évoquer ce billet, au bout du compte ?

Lorsque les tables furent vides autour de nous, je lui chuchotai à l’oreille : 

« La naissance du trois cents francs Clément Serveau  n’est-elle pas à elle seule un roman ? Dessiné l’année d’Hitler en 33, émis celle de Munich en 38, et puis placé en réserve durant toute une guerre mondiale, comme le bon pinard en fût. La Banque de France n’autorisa sa circulation que la paix revenue, lors de l’échange de billets voulu par de Gaulle.»

Lorsque je rajoutai ; un spécimen neuf et surchargé, Rita cessa de faire la moue. Elle aurait voulu l’expertiser. Je dus lui avouer que je ne l’avais pas sur moi.

-         Il faut monter chez vous pour toucher le billet, c’est ça ?

Je me suis à nouveau dégonflé, j’ai dit : je vous le porterai lundi à l’agence.

Je suis rentré seul. «Ce billet, faudra que tu le lâches un jour, m’engueula Polo. Il pèse trop sur tes épaules. C’est trop de lierre qui t’assombrit... ». 

A suivre

dimanche, 04 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (3)

III

Polo, il a respiré un grand coup avant de s’endormir et voilà que maintenant,  ses ronflements montent plein le galetas. Autour de nous je devine les zigues par milliers, en train de récupérer leurs défroques de la veille, descendre leur bol de café ou se brosser les chailles : toujours les mêmes hardes d’employés ; leur ville, j’imagine pas d’y installer campement, c’est chômeur que j’y suis depuis que j’ai quitté les études et la trentaine arrivée, ça me paraît tenir du destin.

Alors, je songe à lui, place Clichy, je songe au Sébastien. Il sort tout juste du métro, l’air encore niais des provinciaux frais débarqués. C’est le printemps, forcément. Cette scène-là, elle n’est possible qu’au printemps, dans le bleuté tièdard qui refile l’illusion aux vieux matous d’un possible recommencement à leurs turpitudes.

Mais lui a tout juste vingt ans et se dit qu’à Pigalle, ça pourrait forcément qu’aller mieux. Le Topol, Saint-Lago, Ménilmuche, la Courtille, comme dans les chansons de Fréhel, c’est plein d’occases dont il rêve, à pas cracher dessus, la coco, les cinoches américains, les Alfa Roméo milanaises, les milliardaires russes et les gerces aux yeux qui brillent sous le faux des projos, le tout comme dans un roman de Carco : c’est la toute fin des années folles et, même si  partout autour, comme on dit dans le Temps, le feu couve,  il les tient ses vingt ans, le Sébastien.

- Montre voir, aurait dit Polo à cet instant, si la bourrique ne ronflait pas à briser la verrière. Comme d’habitude, je le lui aurais tendu pour sûr.

Il m’aurait alors expliqué d’un ton doux, comme s’il causait à Sébastien lui-même : « Tu vois, là, la gonzesse, avec son petit châle mauve sur les épaules, en train faire le rade devant le parc de Versailles ? T’en as jamais tenu entre tes bras, hein, des gonzesses comme ça ? Ni vraiment froissé des liasses dans tes poches, des billets flambant neufs comme çui-ci, pas vrai ? »

J’opinerais à la place de Sébastien qui n’est plus là pour le faire. Mais en avril 1935, quelle tronche dut-il tirer quand il a découvert ce billet entre ses pognes, devant le visage de cette Cérès taillé à la serpe. Saisi, le Sébastien, forcément, et plus encore lorsqu’en le retournant, il est tombé sur Mercure, le Mercure de trois quarts et en tunique bleue. Un petit crème sur la place, sûr qu’il se prit ça, ce matin d’avril-là, pour l’observer tranquille, son fafiot. De tout près. 

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Bon c’était bien ça le chic du genre de l’époque, remarque, commenterait Polo l’ironique. Transformer les nanas en mecs et les mecs en nanas : le tout sur un patron de lithos grecques, trafiquées à la Cocteau dans un parfum de Chanel. Le résultat : cet androgyne à tête de cinquante francs. Comment t’appelles ça, toi le savant ? A l’identique. Ouais, ricanerait-il.

Reproduction à l’identique de façon à ce que le motif du verso  coïncide avec celui du recto : même motif, quand on regarde le papier par transparence : A l’identique, gonzes et gonzesses bouillant dans la même marmite, tous pareils et bien baisés au défilé des Temps Modernes. La parité dans le même jus de cuisson. Mais Polo ronfle encore et j’observe seul mon billet dans le rayon qui choit, tout oblique, du vasistas. 

 

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De toute façon, c’est pas la ressemblance entre la Cérès et le Mercure qui nous soucie, mais bien celle entre le Sébastien et le Mercure, et donc avec Cérès, par ricochets, ça qui a dû l’arrêter. Sa propre gueule sur un billet du pays, et en double exemplaire, ça peut que clouer, non ?

La seule photo que je possède de Sébastien, c’est pendant la guerre, autour de 42/43. En pantalon gris, chemise blanche, avec sept ou huit autres, il sourit pas plus que sur le billet. C’est vrai que ça impressionne, a toujours convenu Polo. Mercure tout craché, ton grand-père, ça impressionne.

Fais voir l’autre billet.

Je lui tendrais le plus beau billet du monde. S’il ne ronflait pas comme un damné sous cette verrière, il commencerait à chercher dedans on ne sait quelle vérité.

Moi, je fermerais les yeux un moment, le cœur qui cognerait, juste pour bien me ressaisir. 

A suivre

samedi, 03 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (2)

II

Tout ça a débuté par ce fax que reçut la petite Rita un matin encore tiède de septembre. R.W., lui disait-on, un type de la Silicon Valley depuis peu plein aux as, collectionnait entre autres raretés (art primitif, manuscrits d’auteurs, instruments de musique médiévaux, bijoux antiques, esquisses de maîtres) des billets de banque européens. Pas des nouveaux, des anciens. De chaque nation.

R.W ? Rita avait haussé la pointe d’un sourcil : Son immense fortune ne couchait-elle pas à ses pieds tous les financiers, tous les politiciens, toutes les femmes, tous les artistes et tous les érudits ?

L’auteur du fax prétendait que le multimilliardaire aurait par hasard entendu raconter dans un congrès de numismates qu’elle connaitrait un homme qui se serait vanté de posséder, oui, le plus beau billet du monde : cela faisait beaucoup de conditionnels, et Rita avait balancé le bout de papier à la corbeille. Par qui aurait-il entendu dire cela ? Et de quel homme pouvait-il être question ? Et puis elle s’était baissée pour le ramasser, ce bout de papier en boule, se souvenant, me dira-t-elle plus tard, du sentiment de plénitude qui avait traversé mon visage la première fois qu’on s’était rencontré brasserie du Maine, se souvenant de moi, rien de moins et de notre conversation ce midi-là, exalté j’étais, pour sûr, et même un peu cuit : « Un billet si beau,  qu’il constitue à lui seul toute une collection, je lui avais dit au téléphone : Toute une collection ! »

En réalité, j’avais surtout besoin de liquidités actuelles, comme ils disent tous en ce milieu, de coupures fraîches. Je lui avais touché trois mots de mon spécimen, un authentique. Rare, plus que, surtout dans l’état que je lui décrivais. Suffisamment pour éveiller en elle plus que de l’attention, de l’intérêt. Plus même : de la convoitise. 

Son regard avait traîné sur le col ouvert et les manches froissées de ma chemise : un mec qui possède le plus beau billet du monde serait-il fringué comme ça ? Mais au bout de deux ou trois colles, j’avais marqué des points, très vite : elle avait bien vu que j’en savais long sur l’histoire de cette coupure. Peut-être même bien plus long qu’elle. La passion du papier passé, ça trompe personne, dans ce milieu peuplé d’extravagants. A la fin, j’avais gagné sa confiance.

Mais quand elle me demanda de le toucher, « vous ne croyez tout de même pas que je me promène avec lui dans mon porte feuille». 

Alors elle m’avait tendu sa carte : « Le plus beau billet du monde, vous savez, on m’a déjà souvent fait le coup. Le jour où vous serez vraiment décidé à le vendre, apportez le à la boutique ».

J’étais resté un moment silencieux, le regard un peu embué. Le hic, c’était ça. Une coupure unique à laquelle on tient comme à la prunelle de ses yeux, on croit facile de s’en débarrasser et puis au moment de passer à l’acte...

-  C’est un original, avais-je fait, comme pour m’excuser.

-  On verra bien.

        Elle s’était levée tout net. En échange de sa carte, j’avais griffonné mon numéro sur un ticket de métro.

      Et voilà qu'elle se souvenait très bien à présent de mon visage, dans sa boutique de la rue Saint-Jacques, et puis aussi de cette conversation qu’elle avait tenue plus tard avec ce collectionneur à Maastricht, « j’ai rencontré un type à Paris qui dit en posséder un, oui, mais je le crois un peu fou ». Et l’autre : «mais s’il ne ment pas, c’est vraiment le plus beau billet du monde… ». A présent, Rita remontait doucement le fil, de la brasserie au salon, du salon à ce fax et de ce fax à moi. Elle ouvrit un tiroir et commença à farfouiller dans les boites de cigarillos entassées dedans dont elle se servait de vide-poches, flairant le parfum familier du bon coup.

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A suivre

vendredi, 02 décembre 2011

Le plus beau billet du monde

I.

Cette merde, le fric, hein, vraie merde, tout ça ! Un monde qui n’espère plus qu’en ça, qu’a rien que ça ! Ça, putain ! Lorsqu’il a dit ça qu’il rumine sans cesse, toutes ses frusques volent et s’éparpillent comme d’habitude sur le plancher inégal de la pièce. Arrête Polo, tu viens de prononcer quatre fois le mot merde pour rien. Trois, corrige-t-il. Trois ! Et je sais pas combien de fois le mot putain. Il bondit sur le sommier mitoyen et j’entends le bruit des ressorts que ça fait toujours quand il dégringole, s’affaissant de tout son poids dessus, en lançant vers le haut ses bras, ses mains, ses jambes, ses pieds et en faisant le dos rond.

J’étais allongé depuis l’aube sur l’autre pucier tout pourri sous la verrière et je réfléchissais. Le jour est en train d’apparaître. A quoi bon, qu’il me fait ? Aujourd’hui comme toujours, Polo, il me regarde, sa bille ronde, les yeux plissés et son galurin encore rabattu sur la tête. Va-t-il le quitter pour roupiller ou l’oublier, encore l’oublier et le garder jusqu’à son réveil sur la tête, cette fois ci ?  Tu sais pas ?  Il me dit : Quoi donc ?

Je sors à nouveau les coupures de la poche de mon manteau. Je les lui tends. On campe bien plus qu’on n'habite ici, faut être honnête, dans les soutes de l’édifice dont ça cause tous les jours dans les journaux, leur saleté d’Europe. Il a toujours été bon Polo, c’est pour ça qu’il est resté pauvre. Y’en a qui sont pauvres parce qu’ils sont restés franc cons, d’autres parce qu’ils sont restés franc bons. Polo, c’est la deuxième catégorie. Allons, qu’il me dit, raconte 

Le premier de mes deux billets, cérémonieux comme un prêtre, je le lève alors dans la pâleur laiteuse d’une lumière aurorale tombée des vitres sales. Mon billet de cinquante francs ! Moucheté, usé, plissé. Un vrai chiffon, mais tant pis. Cérémonieux comme un officier de l’Etat-Civil je pointe du doigt l’effigie de cette femme mille et mille fois contemplée. Il connaît son portrait par cœur, Polo, qui me réciterait d’un ton mécanique, comme s’il servait la messe : Non, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, comme on l’a dit souvent, comme on le dit encore, ce n’est pas Cérès, la déesse de la moisson fertile. Celle que voilà n’est pas Cérès, non : elle est la France ! La France elle-même, en cette année 1935, celle enjouée de Mistinguett et de Chevallier, du feu dans les pattes et du soleil dans la voix, celle qui, cinq ans plus tard, rentrerait tout droit dans le mur, mais qui à cet instant se pare de feuilles et d’épis aux couleurs de l’automne, afin de ruser le monde qui la cerne en se donnant l’allure d’une Ancienne. Il pendouille bien un peu, son bonnet phrygien, c’est vrai, tout recouvert qu’il est de ces feuilles et de ces épis. C’est l’hellénique France, mon vieux, celle qui se réclame de ses humanités et rumine encore entre ses dents la passion du politique, celle de la race enracinée au sol, tenant son agriculture et sa Banque entre ses bras puissants comme la Grèce son Parthénon, Rome son Colysée, Marie son enfant !

 Je le regarde. En aura-t-il cette fois-ci marre de mon histoire ? Il a, ce matin, le regard éteint des jours qui vont pas bien. Il dit rien, cette fois-ci, rien... Une autre  journée commence. 

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A suivre

11:42 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : nouvelle, littérature, cérès, europe, billets français, anciens francs | | |