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samedi, 03 décembre 2011

Le plus beau billet du monde (2)

II

Tout ça a débuté par ce fax que reçut la petite Rita un matin encore tiède de septembre. R.W., lui disait-on, un type de la Silicon Valley depuis peu plein aux as, collectionnait entre autres raretés (art primitif, manuscrits d’auteurs, instruments de musique médiévaux, bijoux antiques, esquisses de maîtres) des billets de banque européens. Pas des nouveaux, des anciens. De chaque nation.

R.W ? Rita avait haussé la pointe d’un sourcil : Son immense fortune ne couchait-elle pas à ses pieds tous les financiers, tous les politiciens, toutes les femmes, tous les artistes et tous les érudits ?

L’auteur du fax prétendait que le multimilliardaire aurait par hasard entendu raconter dans un congrès de numismates qu’elle connaitrait un homme qui se serait vanté de posséder, oui, le plus beau billet du monde : cela faisait beaucoup de conditionnels, et Rita avait balancé le bout de papier à la corbeille. Par qui aurait-il entendu dire cela ? Et de quel homme pouvait-il être question ? Et puis elle s’était baissée pour le ramasser, ce bout de papier en boule, se souvenant, me dira-t-elle plus tard, du sentiment de plénitude qui avait traversé mon visage la première fois qu’on s’était rencontré brasserie du Maine, se souvenant de moi, rien de moins et de notre conversation ce midi-là, exalté j’étais, pour sûr, et même un peu cuit : « Un billet si beau,  qu’il constitue à lui seul toute une collection, je lui avais dit au téléphone : Toute une collection ! »

En réalité, j’avais surtout besoin de liquidités actuelles, comme ils disent tous en ce milieu, de coupures fraîches. Je lui avais touché trois mots de mon spécimen, un authentique. Rare, plus que, surtout dans l’état que je lui décrivais. Suffisamment pour éveiller en elle plus que de l’attention, de l’intérêt. Plus même : de la convoitise. 

Son regard avait traîné sur le col ouvert et les manches froissées de ma chemise : un mec qui possède le plus beau billet du monde serait-il fringué comme ça ? Mais au bout de deux ou trois colles, j’avais marqué des points, très vite : elle avait bien vu que j’en savais long sur l’histoire de cette coupure. Peut-être même bien plus long qu’elle. La passion du papier passé, ça trompe personne, dans ce milieu peuplé d’extravagants. A la fin, j’avais gagné sa confiance.

Mais quand elle me demanda de le toucher, « vous ne croyez tout de même pas que je me promène avec lui dans mon porte feuille». 

Alors elle m’avait tendu sa carte : « Le plus beau billet du monde, vous savez, on m’a déjà souvent fait le coup. Le jour où vous serez vraiment décidé à le vendre, apportez le à la boutique ».

J’étais resté un moment silencieux, le regard un peu embué. Le hic, c’était ça. Une coupure unique à laquelle on tient comme à la prunelle de ses yeux, on croit facile de s’en débarrasser et puis au moment de passer à l’acte...

-  C’est un original, avais-je fait, comme pour m’excuser.

-  On verra bien.

        Elle s’était levée tout net. En échange de sa carte, j’avais griffonné mon numéro sur un ticket de métro.

      Et voilà qu'elle se souvenait très bien à présent de mon visage, dans sa boutique de la rue Saint-Jacques, et puis aussi de cette conversation qu’elle avait tenue plus tard avec ce collectionneur à Maastricht, « j’ai rencontré un type à Paris qui dit en posséder un, oui, mais je le crois un peu fou ». Et l’autre : «mais s’il ne ment pas, c’est vraiment le plus beau billet du monde… ». A présent, Rita remontait doucement le fil, de la brasserie au salon, du salon à ce fax et de ce fax à moi. Elle ouvrit un tiroir et commença à farfouiller dans les boites de cigarillos entassées dedans dont elle se servait de vide-poches, flairant le parfum familier du bon coup.

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A suivre