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mardi, 30 avril 2013

Dix euros

Je passe de main en main, de poche en poche, car je suis fait pour ça : billet du libre marché et de la consommation, du social-libéralisme européen, je ne n’ai ni âme ni souvenir. Je ne suis signe de rien, je ne suis qu’un outil d’endettement pour les plus  pauvres et d’enrichissement pour les plus riches, qu’ils votent à droite ou à gauche, qu’ils prétendent ou non aimer la finance. Ma jeune histoire est celle de la propagation d’une inégalité de plus en plus accrue parmi les hommes.

On ne trouve sur mon corps rectangulaire que des ponts virtuels, car les matois financiers qui m’ont créé n’ont pu se mettre d’accord ni sur une effigie humaine, ni sur un bâtiment, ni sur une histoire commune ; le lieu dont je suis la monnaie n’est d’ailleurs ni un territoire, ni un pays, ni une nation. Ce n’est qu’une zone, pensez donc ! Voulu par des énarques, je ne représente que le délire informel des banquiers. Je n'ai plus rien de romanesque, hélas ! Je ne suis qu'une idéologie extrême et bien tue.

En Grèce, on me voue aux gémonies, on me traite de teuton.

Partout ailleurs, on se méfie avec raison de la façon sournoise dont j’échappe à toute souveraineté politique, à tout ancrage historique, à tout reflet poétique.

Je suis l’argent roi des dominants. Je suis la ruse extrême des spéculateurs. Je suis l'euro. 


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13:25 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : euro, argent, politique, europe | | |

samedi, 06 avril 2013

Les nouveaux francs (deux)

 

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C'est vrai que le choix des figures pour les grosses coupures est très consensuel, finalement. Le billet de cinq, lui, est  dédié à ... ?  Et celui de vingt ?

20:49 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : billets français, cinq francs, monnaie | | |

Les nouveaux francs

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08:36 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : politique, euro, crise, europe, francs, billets français | | |

vendredi, 08 mars 2013

Madame Rachou

Madame Rachou, la tenancière du Beat Hôtel. C’est aujourd’hui un hôtel relais de France, fade et sans saveur, pour touristes. A l’époque du Beat Hotel, Madame Rachou était veuve. Son mari, qui venait de mourir, avait peint leur nom qu’on voit sur la porte. On l'imagine, deux fois par ans, retirer les rideaux blancs de leur tringle pour les passer à la lessiveuse.

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Là,on la voit rendre la monnaie à Peter Orlowsy, le compagnon de Ginsberg (aurait-on le ridicule de dire mari - ou épouse -aujourd’hui ?), qui un jour lui écrivit ceci :

« Conversations ou rêves-
sommeil ou maux de têtes
bite ou couille - verre ou eau-
je vais dans la salle de bains pour m'asseoir
sur les toilettes j'ouvre la
porte mais avant que j'arrive aux
toilettes il y a une autre porte
et puis une autre porte, et je
l'ouvre et rentre mais
il y a encore une autre porte
et à chaque fois la pièce rétrécit
un peu jusqu'à ce qu'en fin de compte j'aie l'impression d'être un
nain dans cette course de portes
dans une salle de bains minuscule, qu'est-ce qui s'est passé
tout ce que je veux c'est des bonbons - pas de toilettes-
laissez-moi tranquille - voulez-vous
danser, peut-être êtes-vous
amoureux de moi - est-ce que j'en vaux la peine ? »

Ce qui est émouvant avec madame Rachou, outre sa blouse à courtes manches, sa permanente, et le fait qu’elle ait ainsi ouvert son hôtel à tout ce que la lost génération compta de talents en vadrouille dans la capitale, c’est aussi cette affiche – on la decouvre mieux sur cette autre photo :

peter orlosky,madame rachou,beat hotel,lost generation,paris,litterature,allen ginsberg,

Une affichette pour Pacifico, une opérette programmée au théâtre de la porte Saint Martin, avec Bourvil et Guétary (nous sommes donc très exactement en 1958). La promotion de cette oeuvre immortelle à découvrir ICI

Et c’est ce mélange de Ginsberg et de Guétary, de Bourvil et de Burroughs qui donne à madame Rachou toute sa grâce, toute sa classe. Bonne année, bonne santé, m'sieux dames...

Photos Harold Chapman

vendredi, 09 novembre 2012

Quand le Nobel monte à la tête de l'Europe

« -Les gars, ça y,  l’Nobel leur est monté à la tête

-      A qui donc, dont tu causes ?

-      A eux, pardi. A ceux-là tous de Bruxelles !  Y sont en train de pondre un nouvel euro avec la tête de qui, j’vous l’donne en mille ?

(silence autour du comptoir)

-      Zidane ?

(Exclamations diverses autour du comptoir)

-      Lady Gaga ?

(re-exclamations variées)

-      Obama ?

-      Charriez-pas, on n’est pas encore aux USA même si ça vient à grands pas  

- Friendly

(grosse rigolade)

-      Alors ?  Benoit XVI ?

-      Pire encore ! Je vous le donne en cent ! Je vous le donne en mille : A la déesse Europe !

-      Non ?

-      Si !

-      Nous prennent pour des cons intégraux cette fois-ci !

-      Ah ça !  Ah ah ah !

-      In Athéna we trust…

(Heurts de verres, brouhahas)

Buvons à la démocratie ! Ah ah ah !

-      C’est au moins une idée du Mario Draghi, ça…

-      Ecoutez ce que dit la BCE  (il lit) : « cette figure a été choisie car elle est clairement associée au continent européen, et apporte une touche d’humanité aux billets »

-      Avec ça, si les Grecs se tirent de l’euro …

Eh bé moi, je dois pas voir clair dis donc !

-      Z’en ont rien à foutre de la déesse Europe, les Grecs… Là-bas, c’est misère, la castagne, l'Achéron social,  la guerre civile, cependant qu'ici, on débat entre bobos du mariage pour tous et de la déesse Europe !

-      Nous non plus on n’en a rien à foutre de leurs dieux de papier ! Quelle bande de branleurs.

-      La déesse Europe ! La déesse Europe ! S’ils imaginent qu’elle va sauver leur torche-cul d’euros !

(rires)

 

Moralité : Puisque Augustin est à la page, relisons les livres II & III de La Cité de Dieu, plutôt que le bar corse de  Jérôme Ferrari   :

« C’est à ce moment là que, sous le coup de la grande peur, les Romains se précipitèrent sur des remèdes sans effet et qui prêtent à rire (…) Mais de la République à l’Empire, les dieux n’ont pu empêcher la guerre civile»


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La BCE a dévoilé ce jour quelques éléments du futur billet de cinq euros.

mardi, 08 mai 2012

Le passeport bleu

Je me souviens qu’à l’école, jadis, on nous faisait dessiner des frises chronologiques. Pour le XIXème siècle, par exemple, on traçait clairement des zones franches et déterminées. De 1802 à 1815, c’était l’Empire.  Napoléon et tous ses  grognards en leur pré carré. A leurs côtés, Louis XVIII et Charles X, chacun avec ses propres dates, formaient un autre colis en deux parties qui nous emmenait jusqu’à 1830. On changeait encore de couleur. 1830-1848 : Ah, 48 !  La fin du grand rêve de 89, nous disait-on, avorté avec la mort de la Seconde République. Le commencement du grand roman hugolien.  Le Coup d’Etat du Petit (déjà). Et puis le Second (Empire).Enfin, tout le monde voit le genre. Peut-être pas.

De ces frises colorées, j’ai gardé longtemps sans trop m’en rendre compte une vision niaisement compartimentée de l’Histoire. Comme s’il y avait des époques… Des gens du Premier Empire, puis des gens de la Restauration, des gens de  la Monarchie de Juillet… Des personnages de Benjamin Constant, d’un côté, de Stendhal ou de Balzac de l’autre. Puis viendraient les cohortes des  républicains,  3, 4, 5 comme au défilé…Comme si l’Histoire, avant ma naissance, avait été composée de diverses séquences et que depuis, en me devenant sensible, elle avait cessé d’être à mon tympan si heurtée. Que seule, ma mienne….

C’est Renan qui, dans ses Souvenirs d’enfance, livre le portrait attachant du « Bonhomme Système », un jacobin de 1793 qui, n’ayant jamais su s’adapter aux séquences suivantes, était devenu la risée de tous et mourut dans la défroque d'un tragique anachronisme.  

A en croire le tapage médiatique, nous serions en ce 8 mai 2012, avec nos deux présidents, dans un moment de transition, entre deux séquences. Les socialistes aimeraient faire oublier celle qui s’achève et tentent de ranimer la séquence mitterrandienne du siècle passé, histoire de légitimer ou de colorier leurs futures errances, comme la chiraquie et les sarkozistes l’avaient mise à la trappe pour fonder leur temps à eux. Ils y arriveront. En même temps, l’Europe, le grand « machin », nous pataugeons dans un temps nouveau et un espace remodelé... Et l’on voudrait que notre vie ressemblât au fond à cette frise, que nous jetions les « années Sarkozy » avec le bonhomme, pour s’adonner au « moment Hollande », dans ce temps qui s’annonce.

Pourtant, on ne pourra pas plus jeter ces années-là qu’on n’a pu jeter les autres. Parce que nous vivons, de chair, et qu'elles sont nôtres. Il y en a pour qui ç’aura été les années de l’enfance, d’autres celles de l’adolescence, et ainsi de suite. La vie d’un individu n’est pas « séquençable » comme une frise. Le monde entier nous y pousse et pourtant, nous ne sommes pas « sommés » de nous adapter. Nous cherchons notre fil.

Moi, par exemple, comme le bouquet de fleurs séchées du bonhomme Système de Renan,  je traîne encore des années Pompidou la lecture qu'on fait à un âge précis de sa vie de madame Bovary,  de  Phèdre,  des Fleurs du Mal. Des années Giscard, je garde un passeport bleu, qui ne passe pas, c’est ainsi. Qu’est-ce que je peux leur trouver l’air niais, ces euro-touristes qui m’affirment qu’avec leur monnaie unique, ils n’ont plus à faire la queue à la douane ! Comme si passer plus vite devant la caisse d’un supermarché, c’était leur voyage.... Des années Mitterrand, c’est surtout un Pascal que je traîne, un Montesquieu, un Delacroix, parce que c’est cela qu’il fit disparaître en encourageant l’opinion à voter pour Maastricht. Il y a des baumes qui ne nous lâchent pas des années disparues, c’est ainsi. Elle est donc à la fois illusoire et juste, cette démarcation de couleur que nous tracions d’une période à l’autre, dans ces époques irréelles où nous n’étions pas nés. Je me sens le bonhomme Système d’un autre siècle, qui aurait gardé de soi des pans intimes que seule la littérature aurait le pouvoir d’éclairer. Encore faudrait-il qu’on me fichât la paix, ce que le monde et le temps qui passe me refuse.

Alors, durant ces quelques jours, devant ces deux présidents aussi passagers l’un que l’autre, je serai encore un peu avec Pompidou, c’est sûr, et Giscard, et Mitterrand et Chirac… Parce que c’est de moi qu’il s’agit, de ma propre continuité, de mon passeport bleu et de mes anciens francs, de tout ce qui s’est accroché à mon balluchon depuis. Pas d’eux.

Quand j’y songe, ma propre frise a commencé avec Coty, dans je ne sais trop quel halo brumeux. Je ne sais trop quand elle cessera. Mais, plus que les démarcations d’une séquence à l’autre, c’est désormais le tracé continu qui les borde qui m’intéresse, en mien propre et comme détaché de ce qui fuse. Je ne serai plus jamais moderne.

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10:19 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : renan, littérature, bonhomme système, hollande, sarkozy, passeport bleu | | |

mardi, 27 mars 2012

L'argot des anciens francs

Quand le français de Vaugelas et de Bossuet cultivait encore une langue pour les gueux de ses foires et ses bagnes, le nôtre ne sait plus, signe des temps, quel est son argot. J’ai lu dans la préface d’un de ses nombreux dictionnaires que la véritable responsable de sa progressive extinction fut la modernité. Car l’argot n’aime ni l’innovation ni le changement. L’argot est une langue de tradition qu’on se transmet de père en fils, en marge de l’autre : dans le grand répertoire des seigneurs et des scélérats, on était ainsi lié à la vieille école des narquois, mot qui signifiait mendiant et dont, affirma un jour Nodier, procède le terme argot lui-même, s’il ne dérive pas de jargon, langue dans laquelle François Villon écrivit ses plus curieuses ballades. Les forçats des temps classiques refusèrent ainsi les innovations romantiques et presque industrielles de l’argot mutant des villes nouvelles, tandis que les nombreux dictionnaires imitant Le Jargon de l’Argot réformé, publié en 1628 par un marchand drapier de Tours du nom de Chéreau passaient à leurs yeux pour des bottins infamants, presque liberticides.

Pour les anciens pères conscrits du crime qui vivaient en solides corporations, le mot adéquat pour désigner l’argent ne fut jamais ni l’os, la douille ou la braise, ni la patate, le beurre, ou la graisse, ni le pognon, le pèse ou le picaillon, non, tout ça n’était que du langage de chiffonniers, du langage papier ; l’argent c’était encore le carle, de carolus, la monnaie faite du même or que la parole, sonnant et trébuchant.   

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Pour suivre : La poésie et la monnaie

21:22 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : anciens francs, argot, carolus, jargon | | |

vendredi, 17 février 2012

Leur monnaie, leur parole commune

Dernier jour pour échanger vos francs, lit-on un peu partout dans la presse aujourd’hui. Ce jour, vendredi 17 février 2012, le franc devient donc exclusivement un objet poétique, à quelques semaines d’une élection durant laquelle deux tenants du Oui à la Banque centrale européenne indépendante font mine de s’affronter comme d’autres escrocs politiques le firent avant eux. « Je suis de gauche » souriait à pleines dents, sirupeux, Hollande sur une chaine de télé, tandis qu’à Annecy, Sarkozy le traitait de menteur. La superposition des deux images et des deux propositions était éloquente : si l’on admet en effet que le clivage réel dans les peuples est purement économique, c'est-à-dire qu’il ne distingue en réalité que des pauvres et des riches, on voit bien en effet que ces deux partisans de la Banque centrale européenne autonome ne sont opposants que pour le spectacle.

François Hollande s’opposant à Nicolas Sarkozy sur son bilan est un leurre, le même leurre que François Mitterrand s’opposant à Valéry Giscard d’Estaing sur le sien en 1981 : en guise de changement, Hollande ne rêve que de prendre sa place pour faire la même politique que Sarkozy, tout comme Mitterrand, son modèle, prit la place de Giscard pour faire passer ce foutu euro que le rédacteur de la Constitution européenne avait inventé avec d’autres sous le nom d’écu. D’une certaine façon, le jour d’aujourd’hui qui entérine la confiscation de notre monnaie par une banque mondiale autonome est leur œuvre et leur victoire communes à tous, présidents, ministres, députés, sénateurs et chefs de partis de ces quatre dernières décennies.

Cette bipolarisation de la vie politique place donc en campagne un vrai président de droite contre un faux président de droite, la droite sarkoziste contre la droite socialiste, dans un pays où l’alliance des deux depuis quarante ans est l’unique responsable de l’endettement de l’Etat. Qu’on se souvienne de Jospin, Moscovici, DSK et consorts, volant au secours de Chirac après la dissolution de 1997 pour mener à bien les fameux critères de convergences de Maastricht afin de donner tous les pouvoirs à cette Banque centrale lors de la création de l’euro  (1999 et 2002).

A cette entreprise de confiscation de la monnaie, s’est adjointe une entreprise de confiscation de la parole, dont les deux camps se sont rendus complices sur plusieurs fronts :

        - Celui de l’appauvrissement de la langue qui, au nom de l’égalitarisme, a été mené de mains de maitres aussi bien par la gauche que la droite. Le corollaire de cet appauvrissement fut la progressive infiltration de la culture Mainstream, cette culture qui plait à tout le monde dont Martel se fit récemment le chantre

        - Celui du culte des valeurs, qu’elles soient  nationales  comme le travail et la famille du côté de Sarkozy ou qu’elles relèvent de la bouillie républicaine avec l’anti racisme et la défense indignée des minorités du côté de la sordide gauche plurielle. Sur ce culte campent aussi bien les sbires de Marine que ceux de Hessel.

       - Celui des communicants avec les grands meetings d’une part, dont Le Bourget pour Hollande et Marseille pour Sarkozy sont les plus récents exemples, et la propagande, par les chiens de garde respectifs de chaque parti, des petites phrases des candidats sur les réseaux sociaux ou dans les medias traditionnels.

Pendant ce temps, dans le monde réel, la confiance en l’euro, leur œuvre commune, s’évapore doucement. 

De nombreux spéculateurs ont fait monter le cours de l’or depuis ces derniers  mois, en pariant sur un effondrement progressif de cette monnaie de consommation sans corps ni histoire réels, après que les pays les plus endettés -à commencer par la Grèce- auront dû quitter la zone euro afin de rembourser leur dette avec une monnaie dévaluée. 

Qu’en sera-t-il alors de la dette française, creusée depuis Mitterrand jusqu’à Sarkozy  en passant par Chirac, chacun servant, de la retraite à 60 ans au bouclier fiscal, les intérêts de sa clientèle électorale ? Et qui croira qu’Hollande (qui affirme non sans culot qu’il sera le président de la sortie de crise) plus que Sarkozy aura le pouvoir d’agir sur la BCE, avec les pouvoirs restreints qui sont désormais ceux d’un président français?

Deux mois de mensonges, donc, de petites phrases et d’affrontements stériles gérés par des communicants sur des plateaux, attendent donc le pays de Rabelais et ses citoyens privés de paroles comme ils le furent de leur monnaie. Nous sommes, en effet, sommés d'écouter, de comprendre, d'adhérer puis de voter mais à quel endroit, dites-moi, de parler, de se parler ? 

Le Front de Gauche d’un côté et le Front National de l’autre ne sont là que pour canaliser le ressentiment sur ces fameuses valeurs, un peu comme la cape rouge cherchant l’attention du taureau : avec eux, le monde est simple, il y a les bons d'un côté et les salauds de l'autre, comme en 44, et chacun doit être d'un camp. Mais dès lors que ni l’un ni l’autre n’a les moyens d’accéder au pouvoir au second tour, à quoi sert cette mis een scène, sinon à remplir les caisses des partis (0,60 euros la voix) et gérer les ralliements.

Dès lors, à part occuper la position du spectateur cynique et se marrer devant les Guignols de l’Info en se croyant le plus malin, quel recours demeure-t-il au citoyen miniaturisé que chacun d'entre nous est à son insu ? S’il a compris que son vote (une voix sur plus de 40 millions) n’est plus depuis longtemps qu’un pis aller auquel une éducation citoyenne en papier mâché est seule à conférer une importance tronquée, il peut se désolidariser de ce système : le faire savoir en votant pour n’importe qui, sa belle mère ou son poisson rouge, ou bien en ne votant pas. Prendre soin de lui, de son individu, de sa parole, de ceux qui l’entourent. C’est à cela que dans toutes les dictatures a servi la culture, spécialement livresque. Remettre donc la politique et ses prétentions à sa place. Refuser, au nom de l’estime qu’il a de lui et des autres, de se faire illusionner - on pourrait aussi dire divertir  - d’une aussi piètre façon.

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Pascal sur un ancien billet de 500 francs, l'un des plus mélancoliques de la Banque de France. Malgré l'ironie terrible qu'il y eut à faire figurer le penseur du divertissement  et du pari sur un billet de banque alors que les Trente Glorieuses et la consommation battaient leur plein, j'ai toujours aimé ce visage songeur devant la tour Saint-Jacques, comme s'il était une sorte de gardien du temple, du vrai temple, celui du lecteur solitaire. 

02:36 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : politique, billets français, pascal, tour saint-jacques, divertissement | | |

vendredi, 27 janvier 2012

L'empereur des faux-monnayeurs

HOMMAGE A BOJARSKI  (billet réédité )
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La très rocambolesque affaire Bojarski débute le mois de janvier 1951, lorsque des contrefaçons incroyablement réussiés d'un billet de 1000 francs sont signalées à la Banque de France en région parisienne. Quelques années plus tard, en 1958, ce sont des coupures de 5000 francs (dites Terre et mer) dont on retrouve également des imitations étonnamment fidèles. En 1964, enfin, des faux-billets à l'effigie de l’empereur, ressemblant à s'y méprendre au Cent Nouveaux francs Bonaparte sont repérées ça et là. La chasse au faussaire le plus fabuleux du vingtième siècle commence. Très vite, on se retrouve plongé dans les ambiances inimitables d’un épisode des Cinq dernières Minutes :

Un jour, en effet, dans un bureau de poste de la rue Turbigo à Paris, un employé découvre une liasse entière de dix faux, remise par un homme pour l'achat de bons du Trésor. Erreur fatale. Un premier suspect est localisé. C'est un Russe, un certain Alexis Chouvaloff, domicilié à Clichy. Filé, celui-ci mène les inspecteurs de police à son beau-frère, un polonais, Antoine Dowgierd. Les deux hommes sont interpellés le 17 janvier 1964, tous deux en possession de ces faux-billets si ressemblants, à l’effigie de Napoléon. Ils finissent par livrer le nom d’un de leur vieil ami, du nom de Ceslaw Bojarski


Sans plus tarder, la villa du présumé faussaire est localisée dans la petite commune de Montgeron, en Seine-et-Oise où, sans grande difficulté, les policiers l’arrêtent et le menottent sous les yeux ébahis de sa femme et de ses deux enfants. Les voisins parlent de lui comme d’un individu aussi tranquille que respectable. Après une perquisition de plusieurs heures durant laquelle sa maison est fouillée de fond en comble, on découvre dans un coffre 72 millions d'Anciens Francs de bons du Trésor, dont certains sont connus comme ayant été achetés avec de faux billets par Chouvaloff.

Mais pas la moindre trace d'un atelier de fabrication, et Bojarsky nie formellement toute activité de faux-monnayage. 


C’est alors qu’un inspecteur, par accident, fait tomber un verre d’eau sur le linoléum et voit le liquide disparaître en un instant. Intrigué il s’approche, découvre une fente et, sous le lino, une trappe dissimulée. Non loin de là, le mécanisme qui en permet l’ouverture : la cache secrète du faussaire est ainsi mise à nu, avec le matériel nécessaire à la fabrication des faux et plus de 30 millions d’anciens francs en coupures planquées dans des caisses. Bojarsky passe aux aveux en disant au commissaire Benhamou qu’il n’a agi qu’à seule fin d’améliorer son ordinaire et le quotidien de sa famille.


Aussi incroyable que cela paraisse, Bojarski avait fabriqué durant vingt ans pour 300 millions d’anciens francs de papier-monnaie en mixant dans un robot-ménager du papier à cigarettes et du papier calque. Pour sélectionner les couleurs, les répartir, faire la taille douce, presser, encoller le papier après l'impression, vieillir enfin les coupures, il avait conçu lui-même un équipement sophistiqué à partir de pièces différentes achetées ici ou là pour n'éveiller aucun soupçon.  Afin d'écouler discrètement sa production, le précautionneux Bojarski avait sillonné la France entière, toujours de nuit, de Paris à Marseille ou à Lille, achetant, ici un stylo, là un paquet de cigarette ... sans même jamais prendre une chambre d'hôtel ! Et puis un jour, lassé de tant de voyages, il commit l’erreur de vendre à l’un de ses amis un lot de billets pour 62,50 NF pièce, en lui disant : « mes billets sont aussi beaux que les vrais, je n'ai jamais eu d'ennuis ». Imprudence qui lui coûta cher. Il eut beau lui  recommander expressément de continuer la mise en circulation homéopathique que lui-même avait respectée, et de ne surtout acheter les bons du Trésor à la Poste qu'avec des billets authentiques, Dowgierd décida de mettre dans le coup son beau-frère Chouvaloff qui, plus pressé et moins prudent, commit la faute fatale.


Le commissaire Benhamou a évoqué les révélations pleines d'orgueil de cet ancien élève de l'institut polytechnique de Dantzig, ingénieur et petit inventeur aussi génial que méconnu, aussi commun que romanesque. En l'entendant, dit-il, on croyait écouter la conférence d'un éminent professeur d'université.

Bojarski fut condamné à 20 ans de prison (condamnation indulgente, car le bagne et les travaux forcés, de rigueur pour les faux-monnayeurs, avaient été remplacés par la prison à perpétuité) ; il bénéficia finalement d’une remise de peine pour bonne conduite. On le libéra après treize années d'incarcération.


A présent, on parle d'un Bojarski chez les billetophiles comme d'un Cézanne chez les amateurs d'art ; loué soit le faux-monnayeur ! Sa contrefaçon du billet ce 100 NF est un chef-d'œuvre du genre, recherchée par les collectionneurs du monde entier. Son histoire hors du commun, sa personnalité de rond de cuir, son entreprise de solitaire fascinent. La signification si arbitraire de la richesse, l'aspect dérisoire de la monnaie fiduciaire, et l'ambiguité de la valeur attribuée aux choses, son oeuvre ne nous en offre-t-elle pas encore, en temps de crise, la plus joyeuse démystification ?

 

 

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Faux 100 NF Bonaparte réalisé par Ceslaw Bojarski