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mardi, 30 avril 2013

Dix euros

Je passe de main en main, de poche en poche, car je suis fait pour ça : billet du libre marché et de la consommation, du social-libéralisme européen, je ne n’ai ni âme ni souvenir. Je ne suis signe de rien, je ne suis qu’un outil d’endettement pour les plus  pauvres et d’enrichissement pour les plus riches, qu’ils votent à droite ou à gauche, qu’ils prétendent ou non aimer la finance. Ma jeune histoire est celle de la propagation d’une inégalité de plus en plus accrue parmi les hommes.

On ne trouve sur mon corps rectangulaire que des ponts virtuels, car les matois financiers qui m’ont créé n’ont pu se mettre d’accord ni sur une effigie humaine, ni sur un bâtiment, ni sur une histoire commune ; le lieu dont je suis la monnaie n’est d’ailleurs ni un territoire, ni un pays, ni une nation. Ce n’est qu’une zone, pensez donc ! Voulu par des énarques, je ne représente que le délire informel des banquiers. Je n'ai plus rien de romanesque, hélas ! Je ne suis qu'une idéologie extrême et bien tue.

En Grèce, on me voue aux gémonies, on me traite de teuton.

Partout ailleurs, on se méfie avec raison de la façon sournoise dont j’échappe à toute souveraineté politique, à tout ancrage historique, à tout reflet poétique.

Je suis l’argent roi des dominants. Je suis la ruse extrême des spéculateurs. Je suis l'euro. 


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13:25 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : euro, argent, politique, europe | | |

samedi, 27 novembre 2010

La bourse ou la vie

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Degas - Portraits à la Bourse.

 

Que des spéculateurs puissent aussi facilement s’attaquer à des Etats, que des gouvernements puissent aussi facilement se dédouaner de leurs responsabilités, n’est-ce pas la preuve d’une faillite globale de la civilisation même ?

Le vocabulaire guerrier, mis au service de la défense des intérêts particuliers, s’est emparé de l’économie, il a gagné le discours politique, institutionnel, sociétal, démocratique : chaque parti cherche son « patron », chaque syndicat son « leader », chaque équipe son « coach », et chacun son banquier.  

Ce qui fait couler le navire est un processus suicidaire dans le crédit duquel, un jour,  tout le monde a placé au moins un penny : tout le monde le sait, chacun en témoigne à sa façon, dans un banquet de dupes où quiconque voit son voisin manger une part plus petite ou plus grande que lui du même gâteau crie à l’inégalité de son seul point de vue.

La langue de bois accouche ainsi d’un langage de fer généralisé, qui tient lieu de morale pragmatique devant laquelle, peu ou prou, tout esprit est sommé de s’incliner. 

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10:55 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, argent, économie | | |

mardi, 14 avril 2009

Sur le parvis de la primatiale

Une femme (la cinquantaine, visiblement), à son frère : "J'ai proposé aux parents de s'impliquer plus activement dans mon projet financier"

La stratégie participative gagne les familles, semble-t-il.  A ce moment-là, le frère a fait la moue. C'était saisi au vol.

01:32 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : argent, société, sur le vif, parents, actualité, pâques, héritage, fratries | | |

lundi, 21 juillet 2008

Luc Olivier Merson

Le premigiral05.jpger billet à quatre couleurs émis par la Banque de France est le billet de 100 francs type 1906,  sorti des caisses le 3 janvier 191O. On le doit au peintre Luc Olivier Merson (Nantes, mai 1846 - Paris, 13 novembre 1920), prix de Rome en 1869, auteur de la gigantesque et saisissante mosaïque du Sacré-Coeur de 475 m2, qui domine l'autel de la basilique montmartroise, ainsi que de plusieurs peintures murales dans l'Hôtel de-Ville de Paris, la Sorbonne, l'Opera-Comique. Touche-à-tout chanceux et boulimique, Luc Olivier Merson s'est également consacré à l'illustration littéraire : La Chevalerie de Léon Gautier, La chanson de Roland, Sainte Elisabeth de Hongrie de Montalembert, Notre Dame de Paris de Victor Hugo, Saint Julien l'hospitalier de Flaubert, Les Trophées de José Maria de Hérédia, La Jacquerie de Mérimée, Les Nuits de Musset etc.… Ci-contre, son portrait en belle gueule romantique, d'après Schommer.

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Ce billet de cent francs a fait date, en France comme à l'étranger, en raison des fesses dodues des angelots nus, qu'on découvrait sur la cartouche et qui jamais, ne se virent en aucun pays du monde sur aucune autre coupure : car l'argent, y compris sale, se doit d'avoir au moins l'air sérieux. Malgré de sévères critiques, il plut au public et connut l'une des plus belles carrières, de janvier 1910 jusqu'à l'échange des billets de 1945.   Au centre d’un décor rococo fabriqué de tout un fouillis de fleurs, de fruits et de branchages, se lisent les majestueuses majuscules de la Banque de France, toujours elles, gravées sur une stèle rectangulaire, au dessus de la somme de cent francs, payables en espèces, à vue, au porteur. Contre la stèle, accoudées, deux jeunes femmes. La paysanne, la citadine. Les deux Marianne, les deux France de ce temps-là, l'une portant fichu et ample robe telle Bécassine, l'autre voilures et boucles tressées. Un garçonnet rose, scandaleusement nu et grassouillet accompagne l’une et l’autre.

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Sur le verso plié en quatre du billet se tient un jeune forgeron flanqué d'un tablier de cuir, en manches de chemise, le galurin sur la tête. A sa droite une enclume sur laquelle, plus raide qu’un soldat de la garde nationale qu’on aurait passé en revue, le forgeron présente son marteau à la France entière, telle une décoration. Assis sur un banc de marbre, le torse droit et la main reposée à l’envers sur la cuisse, il se détache sur un fond doré telle la pauvre statue d’un simple commandé. Une jeune femme drapée, dans un voile rose qui laisse échapper son sein droit, lui présente en esquissant un pas de danse une corne d’abondance, et un autre garçonnet dévêtu (scandaleux!) lui tend un rameau d’oliviers et une couronne de lauriers.  Ces allégories, encadrées de chaque côté de la vignette par des frises et des moulures dorées, constituent au final une scène bien trop champêtre pour être académique, bien trop idéale pour être réaliste, bien trop composée pour être touchante, et bien trop mièvre pour être belle, si bien que la rêverie reste comme indécise devant leur énigme, qui est aussi celle de leur époque : Etranges allégories, qui tentent de modeler le moderne sur l'antique ou le contraire, on ne sait plus trop. Billets dont on devine la senteur épicée, à force d'avoir traîné dans ces porte-feuilles en cuir rapé du premier vingtième siècle.

Ce billet de cent francs, qui existe en deux versions (l'une signée Luc Olivier Merson, l'autre non) a connu une longévité exceptionnelle, puisque plus de soixante sept mille alphabets ont circulé tour à tour. Conçu pour des petits bourgeois aisés, il a finalement gagné peu à peu les poches des plus prolétaires ; sa longévité exceptionnelle, en effet, explique les fluctuations de sa valeur : de 1908 à 1945, véritable peau de chagrin suivant en cela la lente dévalorisation du franc lui-même, son pouvoir d’achat est passé de mille neuf cent trente quatre à  soixante trois francs. Extrait, pour conclure, d'une page de Gabriel Chevallier :  « Tout était facile en ce temps-là. Les villes n’étaient point surpeuplées, les appartements ne faisaient pas l’objet de folles surenchères. On voyait un peu partout des pancartes de locaux à louer, que des propriétaires, point dédaigneux du moindre revenu, louaient même à des mineurs. Le billet de cent francs valait cinq louis, qui tintaient clair et représentaient une immensité de plaisir. La pièce de cent sous, la thune, avait un pouvoir d’achat considérable. Avec une seule de ces pièces en poche, on pouvait emmener une mignonne plus loin que l’Ile-Barbe, et tout un jour, sur les bords de Saône, la régaler de campagne, de fleurs et d’horizons, de saucisson et de fritures, de promesses et de caresses, la gaver d’enchantements ».

 

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15:21 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, société, argent, numismatique, écriture, peinture | | |

lundi, 17 décembre 2007

Empire Français

En 1939, la Banque de France propose à Clément Serveau, sur le thème de l'Empire Français, la création d'une nouvelle coupure de 5000 francs : il s'agissait de représenter une allégorie de la France, autour de laquelle se grouperaient des types ethniques de ses principaux territoires étrangers.

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Sur le recto du billet, que découpe l'horizon rectiligne, l'artiste a déposé un savant dosage bleu et blanc. La Mère Patrie, vêtue aux couleurs de la Méditerranée la plus limpide, vous regarde avec une souveraine et presque christique solennité, entre un paysage de la côte basque et un panorama du port de Rabat. Au verso, sur un fond de fleurs françaises et exotiques, un enfant noir, d’épaisses lèvres rouges, des cheveux crépus, un nez aplati ; de même que, sur de plus anciennes vignettes, le prolétaire portait tous les stigmates de sa classe jusque dans le portefeuilles des nantis et des riches, ainsi sur celle-ci, l'indigène noir amène tous les stigmates de sa race dans celui des habitants de la métropole. Dépaysement garanti : Les "colonies", comme on disait alors ! 

 

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Côte à côte, non loin de lui, ses deux frères en provenance des autres versants de l'Empire. La mère Patrie veille sur eux-tous, puisque la République est alors un Empire, le second du monde ! On rappelait curieusement au citoyen de la Métropole occupée que l'espace colonial français s'étendait sur 12 347 000 km² terrestres, soit environ 8,6% des terres émergées. La rose, la jeune, la sobre, la sérieuse, la vaillante mère Patrie, devant un faisceau de drapeaux multicolores... Placée en équilibre au centre exact du billet (le nez juste à l'endroit où on le plie en deux), avec son col blanc croisé, son cou droit, sa sobre chevelure de jeune fille catholique devenue laïque mais toujours emplie des meilleurs sentiments à l'égard de ses prochains. La mère Patrie les embrasse tous, ses enfants de l'Union Française, autre nom donné à ce billet

 

Le repérage à l'identique de la figure centrale, sur l'une et l'autre face du billet est particulièrement réussi et valut à la Banque de France d'élogieuses appréciations des imprimeurs et instituts d'émission étrangers.  On commença l'impression de ce billet de Clément Serveau (1886-1972) à Paris, en mars 1942, en pleine Occupation. Il ne fut mis en circulation que le 5 juin 1945. Mais trois ans plus tard, le 29 janvier 1948, il fut brusquement retiré de la circulation sur décision de M. Schuman, président du Conseil, afin de mettre définitivement fin au marché noir. Chaque foyer dut rendre l3d2911bf7bd2ae8ae82275bd7593c538.gifes billets en sa possession, toute transaction de ce billet devenant brusquement passible de 6 mois à 5 ans d'emprisonnement ou de 100 à 100.000 d'amende. Sur la photo ci-contre, on voit la foule parisienne se pressant devant le siège parisien de la Banque de France afin de se mettre en règles sans tarder. Les plus pessimistes durent, ce jour-là, se souvenir de l'échange de tous les billets français de juin 45.

Un tableau, publié par Le Monde quelques semaines plus tard indique que les agriculteurs furent, bien avant les rentiers et les industriels, les principaux déposants. L'opération fut couteuse pour l'Etat  (estimée à 1 milliard et demi). Sans doute fut-elle une sorte de prélude symbolique à la décolonisation en cours, à laquelle la Quatrième République naissante n'allait pas résister : Est-ce un hasard ? A Delhi, le même jour, on tirait trois coups de revolver sur Gandhi, alors qu'il se rendait à la prière. L'histoire était en marche et le temps des empires en train de passer.

 

 

08:05 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, numismatique, argent, société, billets français, colonialisme | | |