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vendredi, 02 décembre 2011

Le plus beau billet du monde

I.

Cette merde, le fric, hein, vraie merde, tout ça ! Un monde qui n’espère plus qu’en ça, qu’a rien que ça ! Ça, putain ! Lorsqu’il a dit ça qu’il rumine sans cesse, toutes ses frusques volent et s’éparpillent comme d’habitude sur le plancher inégal de la pièce. Arrête Polo, tu viens de prononcer quatre fois le mot merde pour rien. Trois, corrige-t-il. Trois ! Et je sais pas combien de fois le mot putain. Il bondit sur le sommier mitoyen et j’entends le bruit des ressorts que ça fait toujours quand il dégringole, s’affaissant de tout son poids dessus, en lançant vers le haut ses bras, ses mains, ses jambes, ses pieds et en faisant le dos rond.

J’étais allongé depuis l’aube sur l’autre pucier tout pourri sous la verrière et je réfléchissais. Le jour est en train d’apparaître. A quoi bon, qu’il me fait ? Aujourd’hui comme toujours, Polo, il me regarde, sa bille ronde, les yeux plissés et son galurin encore rabattu sur la tête. Va-t-il le quitter pour roupiller ou l’oublier, encore l’oublier et le garder jusqu’à son réveil sur la tête, cette fois ci ?  Tu sais pas ?  Il me dit : Quoi donc ?

Je sors à nouveau les coupures de la poche de mon manteau. Je les lui tends. On campe bien plus qu’on n'habite ici, faut être honnête, dans les soutes de l’édifice dont ça cause tous les jours dans les journaux, leur saleté d’Europe. Il a toujours été bon Polo, c’est pour ça qu’il est resté pauvre. Y’en a qui sont pauvres parce qu’ils sont restés franc cons, d’autres parce qu’ils sont restés franc bons. Polo, c’est la deuxième catégorie. Allons, qu’il me dit, raconte 

Le premier de mes deux billets, cérémonieux comme un prêtre, je le lève alors dans la pâleur laiteuse d’une lumière aurorale tombée des vitres sales. Mon billet de cinquante francs ! Moucheté, usé, plissé. Un vrai chiffon, mais tant pis. Cérémonieux comme un officier de l’Etat-Civil je pointe du doigt l’effigie de cette femme mille et mille fois contemplée. Il connaît son portrait par cœur, Polo, qui me réciterait d’un ton mécanique, comme s’il servait la messe : Non, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, comme on l’a dit souvent, comme on le dit encore, ce n’est pas Cérès, la déesse de la moisson fertile. Celle que voilà n’est pas Cérès, non : elle est la France ! La France elle-même, en cette année 1935, celle enjouée de Mistinguett et de Chevallier, du feu dans les pattes et du soleil dans la voix, celle qui, cinq ans plus tard, rentrerait tout droit dans le mur, mais qui à cet instant se pare de feuilles et d’épis aux couleurs de l’automne, afin de ruser le monde qui la cerne en se donnant l’allure d’une Ancienne. Il pendouille bien un peu, son bonnet phrygien, c’est vrai, tout recouvert qu’il est de ces feuilles et de ces épis. C’est l’hellénique France, mon vieux, celle qui se réclame de ses humanités et rumine encore entre ses dents la passion du politique, celle de la race enracinée au sol, tenant son agriculture et sa Banque entre ses bras puissants comme la Grèce son Parthénon, Rome son Colysée, Marie son enfant !

 Je le regarde. En aura-t-il cette fois-ci marre de mon histoire ? Il a, ce matin, le regard éteint des jours qui vont pas bien. Il dit rien, cette fois-ci, rien... Une autre  journée commence. 

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A suivre

11:42 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : nouvelle, littérature, cérès, europe, billets français, anciens francs | | |

Commentaires

Magnifique monsieur Solko ! Avec au début ce "merde" qui sert de virgule, parfois, à l'oralité...
Quand j'ai vu votre titre, en plus, j'ai cru que vous parliez de votre billet, de votre texte quoi, et que vous veniez de découvrir une veine d'écriture jusqu'alors inégalée...Je me suis jeté dessus..Mais je n'ai pas été déçu, finalement.

Écrit par : Bertrand | vendredi, 02 décembre 2011

Magnifique, Solko, magnifique !
On aime déjà Polo et son acolyte. On se demande où ils peuvent bien camper, pas dans les soutes du Parlement européen, ni du Conseil de l'Europe, quand même ? Avenue de l'Europe, alors ? :)
Peu importe, on attend avec impatience la suite... d'un texte qui s'adresse bien au lecteur d'aujourd'hui, plus affûté que jamais :)

Écrit par : Michèle | vendredi, 02 décembre 2011

Les commentaires se sont croisés. Magnifique étant un cri du coeur, il n'y avait pas de commentaire visible quand j'ai écrit le mien (resté un bon moment en suspens, je recherchais des noms de bâtiments abritant des institutions européennes :)

Écrit par : Michèle | vendredi, 02 décembre 2011

Bon, alors je continue.

Écrit par : solko | samedi, 03 décembre 2011

IL faut que je trouve le temps de te transmettre mes vieux billets d'anciens francs
Au fait, les prêtres ne sont plus cérémonieux.

Écrit par : Rosa | samedi, 03 décembre 2011

@Rosa

Ce gars-là, dans cette histoire-là, il est forcément cérémonieuxcommeunprêtre. Et même commun prêtre :)
Vous ne vous rendez pas compte ! (sourire)

Écrit par : Michèle | samedi, 03 décembre 2011

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