mardi, 16 février 2010
Gueule Noire
Boulets de charbon : Je me souviens que l’expression m’a toujours fasciné lorsqu’enfant, je voyais débarquer cet homme sombre qui, dans un déluge de poussière et un vacarme épouvantable, renversait les uns après les autres ses sacs en toile de jute dans le charbonnier jusqu’à l’emplir totalement de leurs pierres noires et polies. Gueule noire était, certes, le bougnat. Mais une gueule noire de l’aval. En amont, il en était une autre, souterraine, plus affreuse encore selon la légende. Un piocheur de l’abime, disait-on, et pour cette vraie gueule noire, le bourgeois Zola avait été jusqu’à écrire un roman, le roman, disait-on, de la guerre sociale.
Boulets de charbon : je n’avais entendu parler que de ceux des forçats, ceux-là, qui venaient du Nord, étaient pour moi parfaitement étrangers. Plus même. Avec leurs pioches, ils descendaient non seulement dans le fond des sols, mais aussi dans le fond des siècles pour en extraire leur diamant noir.
Gueule noire : voici donc le tirage de ce billet, le seul billet authentiquement du Nord que, dans une France occupée par la botte nazie, on commence à imprimer le 11 septembre 1941. Le peintre Lucien Jonas, qui avait longtemps vécu parmi les mineurs de Lens et les soldats de la guerre de 14-18 rendait hommage à l’un des leurs. La teinte générale du billet est bleu ardoise. Comme le berger des Pyrénées tenait ferme son bâton, celui-ci ne lâche pas le manche de son piolet, de ces mêmes mains noueuses qui ne lâcheront pas non plus le morceau : ils sont, dit le dessin, du même peuple. Oserait-on dire, encore, de celui de Michelet ? Le bonhomme, son casque et son piolet, valaient alors 10 francs.
Au verso, cette jeune paysanne de Lorraine. Elle brandit, elle, son piochon, tandis qu’un enfant blond tente de délacer son corsage. Toujours ce sol qu’il faut gratter, cette terre, pour extraire de son ventre un quelconque avenir. Mais là, le ton est plus vert. Dira-t-on plus féminin ? Comme lui son casque, elle son fichu. Le filigrane rappelle la célèbre tête sculptée du musée d’Orléans.
Le billet du Mineur a circulé jusqu’en juin 1949. Il fallut attendre Voltaire et les nouveaux francs dévalués pour retrouver cette valeur faciale, en 1963, et en nouveaux francs. Le mineur n’avait plus que quelques décennies à vivre pour être à son tour, après le tisseur et comme le paysan, peu à peu démonétisé. En septembre 2009, la commission régionale du Patrimoine et des Sites classait ses fosses, au titre de monument historique.
Reste ce billet, comme ses deux contemporains, le cinq francs Berger et le vingt francs Pécheur, et après le cent francs forgeron de Luc Olivier Merson, le cinq francs Docker et le vingt francs Faucheur de 1914, l’un des rares à vraiment célébrer, si cela peut avoir du sens sur du papier monnaie de la Banque de France, le monde du travail à travers la figure du travailleur.
18:34 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : billets français, lucien jonas, littérature, germinal, société |
Commentaires
Ces textes sur les billets sont toujours un régal, Solko. Le temps gravé par la planche à billets.
Ce mineur de fond serait aujourd'hui remplacé par un ingénieur d'une centrale nucléaire. Apologie des énergies.
Mais quelle gueule ça peut bien avoir un ingénieur de l'énergie nucléaire, hein ?
La gueule de monsieur tout le monde sans doute. Ou alors le casque du mineur serait changé en masque anti radiations, peut-être.
Ce billet ne serait cependant pas d'un art obsolète en Pologne. Ici, le charbon reste l'énergie première et la nation voue encore respect et reconnaissance à ses mineurs de Silécie. Chaque année, coup de grisou, victimes,et une journée de deuil national...
Germinal en 2010...
Appartenons-nous vraiment à une même communauté, dite européenne ? Quelle foutaise historique que ce conglomérat de la haute finance !!!!
Écrit par : Bertrand | mardi, 16 février 2010
Le vingt francs "Pêcheur", vous le chroniquerez un jour ?
Écrit par : Michèle | mardi, 16 février 2010
@ Bertrand : Si même, encore, demeurait un ingénieur; mais rien ! plus personne sur les euros... Que l'absence des hommes rêvant à leur étrange disparition, par eux-mêmes programmée...
Écrit par : solko | mardi, 16 février 2010
@ Michèle : Il est magnifique aussi, ce billet. Son tour viendra, bien sûr.
Écrit par : solko | mardi, 16 février 2010
J'arrive trop tard, vous avez déjà répondu. Je voulais dire que ma question est incongrue. Voilà que vous nous offrez une belle chronique "Gueule noire", et j'en demande une autre.
Il faut une de ces patiences avec certains lecteurs, je vous jure...
Écrit par : Michèle | mardi, 16 février 2010
Si les montagnes pyrénéennes symbolisaient la force des frontières naturelles, c’est dans le sous-sol de la patrie que le mineur va chercher la matière première qui fait prospérer l’économie nationale. La France se suffit à elle-même et sait, par la force de ses travailleurs, aller puiser en son sein des ressources vitales. On en oublierait que l’occupant teuton est maître en surface, à moins qu’on ne veuille justement suggérer qu’il ne règne qu’en surface, tandis que dans les profondeurs du sol national la vitalité perdure et va bientôt triompher.
Écrit par : Feuilly | jeudi, 18 février 2010
Excellent, Feuilly. En voilà de la contextualisation de billet, faite avec astuce et pertinence !
Écrit par : solko | jeudi, 18 février 2010
En Pologne, c'est "le billet brun de cinq cents zlotys (qui) était consacré aux mineurs. Ils extrayaient d'un gouffre noir du charbon à l'aide de pelles et de pioches."
(FADO d'Andrzej Stasiuk "Les billets de banque")
Écrit par : Michèle | samedi, 20 février 2010
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