samedi, 07 février 2009
L'Etude (dédiée à Georges Pérec et Françoise Sagan)
Ce port résolu, ce livre vert fermé, pressé contre soi, ce rameau d’olivier tenu si négligemment qu’on la croirait sur le point de le porter à ses lèvres pour en mâcher distraitement un petit brin : Ce billet affirme la volonté, l’intelligence et la joie d’une étudiante émancipée juste ce qu'il faut, mais encore stricte et très stylée dans un chandail élégamment torsadé, sagement boutonné, soigneusement repassé, les traits un peu sévères à cause de l’arceau vert qui rejette ses boucles de cheveux et dégage son front. Classique mais, déjà, oh déjà, si moderne : L’Étude de 1945 affiche une beauté en technicolor. Songe-t-elle à quelque film américain qu’elle irait voir, avec un amoureux ? Quelque air de swing qu’on danserait, une histoire de vacances sur la côte d’Azur ? Une histoire de soleil, simple et presque banale, racontée à toute vitesse, à toute allure, - tant et si bien qu'on la croirait couchée sur papier pour le livre de poche déjà, le supermarché, la décapotable. Sagan, cette fille de Flaubert, rappelait en ces temps-là avec l'élégance d'un Musset : "Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C'est un sentiment si complet, si égoïste, que j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. (...) Je répète ce nom très bas et très longtemps dans le noir. Quelque chose monte alors en moi que j'accueille par son nom, les yeux fermés : Bonjour Tristesse."
On l’imagine ensuite, Sylvie d’un quelconque Jérôme devenue rien qu’une chose en son salon, écoutant un air de jazz dans un poste radio d’après-guerre que lui aurait offert ses parents. « L’œil glisserait sur la moquette… » Fièrement élancée, lançant loin devant elle et devant sa vie le regard, fièrement assurée devant le globe qui tourne sur lui-même dans son dos, grosse boule liquide d’où émergent des continents, des hommes… Un monde dont le centre, sur la vignette, n’est la France qu’afin de lui permettre de se croire la citoyenne d’un pays calfeutré, elle-même, n'étant que pour elle-même le centre d’un monde déjà sur orbite. Quelques quinze ans plus tard, ils, comme disent les gens simples, poseraient le pied sur la lune. Sur le billet qui porte aussi le nom de Génie français, cette figure, donc, à peine allégorique et déjà très individualisée de l’Étude. Une figure qui n’a plus grand chose à voir avec la statuaire de ses ancêtres du dix-neuvième que logeaient encore les billets roses et bleus de la Belle Epoque. Ce billet, qui est l'œuvre de Sébastien Laurent, fut imprimé sur papier de ramie et frappé de très beaux filigranes. Il est le dernier à posséder une telle largeur : décidant, en 1952, d'homogénéiser sa production, le gouvernement de la Banque de France le condamnait implicitement : le retrait définitif de l'Etude s'opéra un 11 décembre 1956. Georges Pérec avait vingt ans. Françoise Sagan, à peine un de plus. Le monde allait s’emplir de plus en plus de choses. Bonjour, tristesse.
15:13 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, pérec, sagan, l'étude, billets français, bonjour tristesse |
Commentaires
J'ai recherché, dans les livres que j'ai de Perec - en particulier dans "Je me souviens" - s'il parlait de ce billet. Et non dommage, j'aurais aimé ; ça ne devait pas beaucoup le tracasser, mais bon, lui qui écrivait sur l'infra-ordinaire, la vie de tous les jours, il aurait pu se faire qu'il le mentionnât.
Écrit par : michèle pambrun | samedi, 07 février 2009
@ Michèle : C'était une "chose" parmi les autres, en effet.
Écrit par : solko | samedi, 07 février 2009
Bon. Toboggan solkozien en diable: l'or, puis les billets de largeurs différentes, puis les billets tous aux mêmes dimensions, puis les chèques, puis les cartes bleues, puis maintenant les échanges monétaires encore plus dématérialisés.
Les Choses, beaucoup plus proche des années d'après-guerre que d'aujourd'hui, MAIS annoncant aujourd'hui bien sûr, et Bonjour tristesse quoique plus vieux de 10 ans, qui traverse les âges. Leur premier livre à tous les deux.
Les pieds sur la lune, le pays calfeutré...et votre goût pour le port de tête des jeunes femmes...thèmes encore si solkoziens!
Voilà, j'ai fini ma rédaction.
Écrit par : Sophie L.L | samedi, 07 février 2009
Solko, je vous soupçonne de dormir sur un matelas de billets ...
Écrit par : simone | samedi, 07 février 2009
C'est fou combien vous réussissez à voir plus qu'une simple chose dans un billet !
Écrit par : Zabou | samedi, 07 février 2009
@ Sophie : 20 sur 20 !
@ Simone : Oh, des billets, j'en ai les poches, les matelas et les armoires emplis !
@ Zabou : Merci !
Écrit par : solko | samedi, 07 février 2009
Hum, j'ai trouvé "Bonjour tristesse" dans une jolie édition (les Editions &, pour "courts romans & autres nouvelles", aux emmaüs... Mais je ne l'ai pas encore lu. Quant à Perec je n'en ai ni lu ni acquis par quelque moyen jusque ceux que la morale réprouve...
Autant dire que je n'ai pas grand chose à dire sur ce billet hélas. Et que j'aurais mieux fait de me taire! Mais pour que ce ne soit pas inutile, je me demandais Solko pourquoi vous écriviez depuis quelque temps vos "et", &... J'espère n'être pas indicret tout de même.
Écrit par : tanguy | dimanche, 08 février 2009
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