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mercredi, 16 décembre 2009

Jeune Paysan

« Ils quittent un à un le pays, pour s'en aller gagner leur vie,

Loin de la terre où ils sont nés. Depuis longtemps qu'ils en rêvaient,

De la ville et de ses secrets, du formica et du ciné… »

 

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Jeune paysan, 1964 : Lorsque Jean Ferrat créait La Montagne, cela faisait déjà dix ans que sa coupure était retirée de la circulation. Celui qu’on voit sur la vignette fut donc un ultime résistant avant le progressif démantèlement de l'agriculture du pays. La « date de création » de la coupure, comme il est d’usage de le dire, fut le 7 novembre 1945.  Quelques trois mois plus tôt (le 6 août et le 9 août), le bon Truman avait largué ses bombes atomiques sur Hiroshima puis sur Nagasaki. Dans les mémoires de Truman, je relève au passage cette phrase assez succulente : « Le 24 juillet à Potsdam, je signalai en passant à Staline que nous possédions une nouvelle arme dont la puissance de destruction était exceptionnelle mais le chef soviétique ne parut pas s’intéresser vraiment à cette nouvelle. Il se contenta de dire qu’il était heureux de l’apprendre et espérait que nous en ferions « bon usage contre les japonais. »

Le pays se trouve alors en plein Gouvernement Provisoire de la République Française, lequel dure depuis un an ( juin 44) et en durera encore un autre (jusqu’en janvier 46). Période que dans ses Mémoires de Guerre, De Gaulle nomma celle du Salut. Et dans le Salut le chapitre Discordances. Sous l’égide de René Pleven le ministre des finances,  on venait  de procéder entre le 4 et le 15 juin, à l’échange des billets dans plus de 34 000 guichets (banques, bureaux de poste, caisses d’épargne, perceptions) : « L’opération visait écrit De Gaulle, à révéler l’avoir de chaque français. Déjà l’administration connaissait la valeur des fortunes en biens immobiliers, rentes, actions, obligations nominatives. Il lui restait à savoir comment était répartie la masse des titres au porteur : billets et bons à court terme. Les propriétaires avaient à présenter et par là même, à déclarer leurs titres. On les leur remplacerait franc pour franc, par des nouvelles vignettes. Du coup devenaient caduques les coupures qui n’étaient pas remises aux guichets publics, celles notamment, que les Allemands avaient emportées chez eux, celles aussi que leurs possesseurs préféraient perdre plutôt que d’en avouer le total (…) Cette photographie de la matière imposable allait permettre au gouvernement d’établir sur une base solide la contribution qu’il méditait de lever.»

Pour remplacer au plus vite les coupons anglais et américains qui avaient été distribués en masse (voir video ICI ), et dont les contrefaçons se multipliaient, on confia donc à Robert Pougheon (1886-1951) , ancien directeur de l’Académie de France à Rome, la création d’une série homogène : le 500 francs Chateaubriand, le 50 francs Le Verrier, et ce Cent francs jeune paysan.

Le dessin de Poughéon symbolise d’une part le monde agricole, avec ce jeune héros aux blondes boucles  et aux joues roses, précédant une paire de bœufs, et d’autre part l’univers de la mer représenté au verso par une famille de marins dans le décor cinématographique d’un port.  L’homme assis, coiffé d’une casquette et en tricot de corps, rêve au large,  là où sont les mats des cargos. La femme en jupe et en fichu, accoudée à une amarre, regarde dans la direction opposée vers les terres en tendant un crabe à l'un de ses trois enfants nus qui jouent entre eux. Entre eux, précisément, ça n'a pas l'air d'aller très fort. Les regards des personnages ouvrent le billet en tous sens. On dirait bien que ce vieux pays, "cet antique pays que vous ne comprenez pas", disait De Gaulle à Truman, veut quitter une terre et des frontières dont, à tort ou à raison, il est las.

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 La dernière émission de ce billet de cent francs qui fut, parait-il, l’un des plus populaires de cette valeur faciale, date du 1er avril 1954. Il ne valait alors quasiment plus rien et fut remplacé par une simple pièce après son retrait.

La Banque de France ne réédita à nouveau cette valeur faciale de cent francs que le 5 mars 1959, lorsque le 10 000 AF Bonaparte fut changé en 100 NF. Pour une quarantaine d’années, le franc allait se donner l’illusion de vivre encore.

12:47 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jeune paysan, billets français, libération, de gaulle, pléven | | |

Commentaires

Absolument magnifique, votre documentation, Solko....Vraiment.

Écrit par : Bertrand | mercredi, 16 décembre 2009

Oui.
Pour la première fois, enfin ! j'entends autrement le mot de "coupure". Il y a coupure et coupure, nonobstant.

Écrit par : Pascal Adam | mercredi, 16 décembre 2009

Votre "saga" de la monnaie est superbe, d'ailleurs c'est par elle que je suis arrivée sur votre blog.

Écrit par : La Zélie | mercredi, 16 décembre 2009

J'ai horreur des chiffres et de l'argent mais là je lis, avec un vrai plaisir, ces archives sont passionnantes. Le graphisme du second billet est d'une grande modernité, je trouve, est ce que ce sont ces vraies couleurs là qui se trituraient jadis ? Ou c'est l'impression qui les rend aujourd'hui si douces ?

Écrit par : Frasby | jeudi, 17 décembre 2009

Je sens que je vais revenir!

Écrit par : calystee | jeudi, 17 décembre 2009

Cher Monsieur,
vos écrits vont presque me rendre sympathiques les grands argentiers du monde.

Écrit par : guillaume | vendredi, 18 décembre 2009

@ Frasby : Pobert Pougheon, oui un très beau graphisme - d'époque tout de même. Ce sont bien les teintes de l'original, aussi bien sur cette coupure que sur celles de Chateaubriand et Le Verrier.
Amicalement

Écrit par : solko | vendredi, 18 décembre 2009

@ Calyste : Une introduction à la vie lyonnaise ?

@ Guillaume : C'est que les grands argentiers du monde sont aussi ceux qui font le monde.

Écrit par : solko | vendredi, 18 décembre 2009

Les commentaires sont fermés.