Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 18 décembre 2009

Mes ennemis sont des gens sérieux

On vendait hier soir à l’Hôtel des Ventes de Lyon la bibliothèque du chanoine Jean Vuaillat.  Né le 17 avril 1915 à Lyon ce dernier est mort récemment le 5 mai 2009. Durant la guerre, il avait, sur la demande du cardinal Gerlier, assuré un ministère auprès des jeunes de la STO. A son retour, il était devenu directeur de l’Ecole cléricale de Fourvière et, surtout, le maître de chœur de la Basilique. De 1959 à 1967, il avait été maître de la Chapelle de la Basilique de Lisieux. A Lyon, c’était une figure bien connue, comme on le dit.

Car le chanoine Vuaillat fut aussi un poète, qui vit ses tout premiers textes publiés dès l’âge de  à 17 ans. L’Académie Française le couronna à cinq reprises ; il aura publié en tout plus de 27 recueils de poésie et huit ouvrages de prose, dont principalement des biographies. En 1966, il avait fondé Laudes, une revue poétique qui parut jusqu’en 2006.

Le chanoine Vuaillat fut un bibliophile passionné. Ainsi qu’un collectionneur d’autographes. Hier après midi, ce furent pas moins de 206 lots d’autographes et de manuscrits (dont ceux du poète Pierre Aguétant) et autant de livres rares, qui attendaient un acquéreur sur la banquette. Parmi eux quelques trésors, il faut le dire. La table  des matières de Belluaires et Porchers (de la main de Bloy), une lettre de Chateaubriand au duc de Blacas, une page du Jeu de Patience de Louis Guilloux, une partition manuscrite de Fauré, le poème Heures du soir recopié par Verhaeren lui-même, un dessin de Jolinon… En matière de trésors, chacun aura ses choix personnels, je cite ceux-ci parmi les lettres, billets ou dessins de nombreux rois de France, présidents, écrivains (dont encore Flaubert, Barbey  Cendrars…)

On vit passer quelques livres magnifiques : éditions originales de Molière, Racine, Lamenais, Renard, Rimbaud…. Beaucoup de poètes régionaux, bien sûr, Aguétant, Kowalski, Bécousse, Montmaneix…  Dans la salle peu d’enthousiasme. Peu de portefeuilles suffisamment bien garnis sans doute.  Mais de l’intérêt, comme en ont les simples spectateurs. Un tiers des lots, à peine, trouva acquéreurs. A la fin, plusieurs éditions originales du pauvre Lelian, dont une de Dédicaces, paraphé de l’auteur, eurent du mal à partir.  La nuit était tombée. Les rangs étaient clairsemés. Il neigeait. Leurs yeux ont déjà vu tant de choses et tant de livres, déjà, sont passés par leurs mains. A la table centrale, l’expert, sans de départir de sa courtoisie, s’énervant un peu tout de même : « Vous avez la signature de Verlaine, tout de même la signature de Verlaine… »

 L’exemplaire fut bradé, de mémoire, à 500 euros – un tiers de sa valeur. Cinq cents euros tout de même.

Dédicaces, paru en 1890 comprend 41 poèmes. Je tire cette information ce matin, de ma petite édition de prof (Robert Laffont, Bouquins, septembre 1998) :Quelques hommages (à Villiers de L’Isle-Adam, à Léon Bloy, à Rimbaud) de nombreux pastiches, dont certains sont féroces (Jean Moréas, Jean Richepin Laurent Tailhade…).

Le tout se clôt par une Ballade pour s’inciter à l’insouci, dédiée à Maurice Barrès, une ballade qui vaut le détour :

 

verlaine_p.jpg

 

J’ai cet honneur d’avoir des ennemis

D’ordre privé dont je suis trop bien aise

Et m’esjouis autant qu’il est permis,

Car la vie autrement serait fadaise

Et, parlons clair, une belle foutaise.

Or j’en ai moult, non des moins furieux,

Mais comme on dit, ardents, chauds comme braise :

Mes ennemis sont des gens sérieux.

 

Ils ont passé ma substance au tamis,

Argent et tout, fors ma gaîté française

Et mon honneur humain qui, j’en frémis,

 Eussent bien pu déchoir en la fournaise

Ou leur cuisine excellemment mauvaise

Grille et bout pour quel maux injurieux ?

Sottise, Lucre et Haine qui biaise !

Mes ennemis sont des gens sérieux.

 

Ils iraient bien jusqu’au crime commis.

Satan les guide et son souffle les baise.

Prière au ciel d’en garder mes amis.

Caïn certes était dans leur genèse

Et son péché forme leur exégèse.

Leur discours va flatteur et captieux :

Tel un serpent rampe en un plant de fraise.

Mes ennemis sont des gens sérieux.

 

ENVOI :

Prince des cœurs que rien ne déniaise,

Mon cœur tout rond, tout franc, tout glorieux

De battre et d’être, et d’aimer qui te plaise,

Mes ennemis sont des gens sérieux.

19:28 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : dédicaces de verlaine, chanoine jean vuaillat, littérature, lyon | | |

Commentaires

Un jour, il faudra que je me décide à faire un tour dans une salle des ventes... merci de ce beau récit !

Écrit par : Zabou | vendredi, 18 décembre 2009

(Et bonnes vacances !)

Écrit par : Zabou | vendredi, 18 décembre 2009

Ah Verlaine, Verlaine...
Toujours aussi méconnu, finalement.

Écrit par : Pascal Adam | vendredi, 18 décembre 2009

Oh la lettre de Chateaubriand au duc de Blacas, c'est justement ce que j'ai demandé au père noël, j'espère que c'est lui qui l'a eue!(je cours voir qui c'est ce duc de Blacas, je ne sais pas du tout!)

Écrit par : Sophie | samedi, 19 décembre 2009

@ Zabou : Surtout qu'à Drouot vous n'aurez que l'embarras du choix! Bonnes vacances à vous également

@ Pascal Adam : Il a des destin comme ça vous savez.

@ Sophie : Blacas ? Son meilleur ennemi ou son pire ami, à prendre dans le sens que vous voulez...

Écrit par : solko | samedi, 19 décembre 2009

Les commentaires sont fermés.