mardi, 15 décembre 2009
Nouveaux pauvres et matériel humain
"La LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) est un fléau pour l'enseignement supérieur. Les professeurs n'ont plus le pouvoir. Il est progressivement accaparé par les services centraux (administration, compta, achats) qui eux seuls décident de ce qui est bon ou pas pour l'université.
Par exemple, le service comptabilité de Lyon 3 a décidé qu'en vertu de ses pouvoirs et de son logiciel de gestion des paies, les salaires des vacataires de l'université, constituant l'essentiel des effectifs seraient versés tous les 6 mois à compter de l'année à venir.
Les vacataires enseignants constituent l'essentiel des effectifs enseignants à Lyon 3. C'est-à-dire que sans eux, l'université ne tournerait pas rond. Les cours ne seraient plus assurés.
Un mouvement de résistance se serait organisé pour faire pression sur le président, qui n'y est pour rien et sur les services centraux. Cette affaire est grave : elle jetterait dans la précarité des centaines de personnes. Qui a les reins assez solides pour tenir 6 mois sans être payé ? Le fait n'est pas isolé, il concerne d'autres universités..
J'ai la chance d'y échapper pour le moment, je suis un administratif, contractuel mensualisé, mais je soutiens pleinement l'initiative contre cet absurdité de rémunération semestrielle.
Aussi, si quelqu'un peut relayer cette information et faire « buzzer », ce serait sympa et gentil. Merci.
Décidément, la journée se termine très mal..."
Message relayé du blog (Des) Illusions
Charlie Winston : Like a hobo
Me rappelle cette page de Béraud, puisée dans son témoignage Ce que j’ai vu à Berlin.
« A ce moment, un vieux couple digne et râpé entra dans la brasserie. Il salua et s’assit en face de moi, selon la mode allemande, bien qu’il y eût autour de nous des tables libres en grand nombre. L’homme, ayant tiré un livre de son antique redingote, si bien brossée, commanda deux soupes et un verre de bière. Ils avalèrent les soupes en gens qui jouissent amèrement de leur propre faim et partagent le verre de bière. On eût dit que le vieux et pauvre monsieur devinait mes pensées. Au lieu de lire, il me regardait. Nous liâmes conversation. Il parlait un français excellent. Avant « tout cela », il avait, avec son épouse visité Paris, dont il connaissait parfaitement les musées et la Sorbonne. Et soudain, sans élever la voix, il me cloua par ces mots :
Monsieur, j’étais professeur en retraite. Maintenant, nous sommes mendiants.
(…)
Parfois, le soir, aux angles des rues les plus solitaires du Tiergartenviertel (1), le passant se sent frôler par un couple d’ombres honteuses et chétives. S’il s’arrête au lieu de presser le pas, ces êtres noirs s’approchent et lui demandent la charité ; et si levant les yeux, le promeneur cherche à voir la mine de ces étranges quémandeurs, sa surprise est grande de trouver non des mendiants, mais des personnes convenables, trop convenables, désespérément convenables, des personnes mises avec cet excessif scrupule de correction dans la misère qui trahit les suprêmes efforts de la dignité bourgeoise. Lugubre spectacle. »
Béraud écrit cela en 1926. Dans un chapitre intitulé « nouveaux pauvres et matériel humain »
Brrrr.
07:27 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lyon3, lru, henri béraud, pauvreté, université |
Commentaires
Solko,'ai hésité à apporter ma contribution à cette information que vous relayez (déjà que j'ai tendance à tout rapporter à moi!): mais bon finalement je le fais. Comme vacataire deux ans de suite dans une fac j'ai rencontré des problèmes terribles pour être payée (retards systématiques de ...6 mois...car de toutes façons les règlements sont regroupés officiellement par trimestre pour les vacataires!)et pire encore...Ah brrr oui! je vous embrasse.
Écrit par : Sophie | mardi, 15 décembre 2009
Ce que Béraud a vu à Berlin existe maintenant à Paris. Il suffit de se rendre dans n'importe quel endroit de distribution de nourriture. On y rencontre des personnes dont brutalement la situation financière a périclité. Par ailleurs, le nombre de repas distribués est incroyablement élevé et dans une augmentation alarmante
Écrit par : Rodrigue | mardi, 15 décembre 2009
Bonjour Solko,
Merci pour cette belle page sur cette affreuse vérité: comme le fait remarquer Rodrigue, de plus en plus de ces ombres arpentent Paris, s'approchent des poubelles tête basse et y cherchent de quoi faire tourner leur misère... Ces nouveaux pauvres se reconnaissent d'un coup d'œil, pour l'instant. Demain rien ne les distinguera plus des plus "aguerris" à la mendicité, c'est ce qui rend ces ombres fugitives si poignantes: la fêlure irrémédiable d'une pauvre destinée humaine s'incarne un fragile instant avec cette pudeur ô combien précieuse que Béraud peint ici avec justesse et amertume.
Écrit par : tanguy | mardi, 15 décembre 2009
Vacataire à Paris IV, nous nous inquiétions avec une collègue lundi matin de ne pas encore avoir été payées : finalement, nous ne serions presque pas si mal loties...
Écrit par : Zabou | mardi, 15 décembre 2009
Relayé chez moi aussi (avec commentaire explicatif laissé sur le blog d'origine). Merci Solko.
Écrit par : Le Photon | mardi, 15 décembre 2009
Ce qu'écrit Béraud en 26, Solko, est exactement ce que j'ai vu à Belgrade en 2006: des cadres faire les poubelles des restaurants et grands magasins de Knez Mihaïlova, en fin de journée... Là-bas, les nouveaux pauvres, c'est ça, parce qu'un salaire d'universitaire diplômé, c'est moins de 300 euros par mois... Quand on sait que les restaurants coûtent aussi chers qu'ici, comme aussi les vêtements, qui se les offre sans compter ? Les nouveaux riches, charognards affairistes parachutés pour "make business" et les mafieux. Préfiguration de ce que sera demain pour un certain nombre d'entre nous. A ce propos, j'ai en mémoire le souvenir d'un autre ouvrage du même Béraud: "Le feu qui couve"... Prémonitions ?
Écrit par : Agaric | jeudi, 17 décembre 2009
@ Agaric : Le feu qui couve, dédié "à la grande mémoire d'Albert Londres" qui vient de mourir date de 1932. Traversée de toute l'Europe de l'Est (vous l'avez lu sans doute). "Nous vivons des temps où l'urgence des intérêts prime les révoltes de l'orgeuil et les conseils de la raison" y écrit notre Lyonnais globe-trotter.
Prémonitions, en effet. Mais surtout lucidité impeccable de l'analyse...
Écrit par : solko | vendredi, 18 décembre 2009
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