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vendredi, 16 avril 2010

A propos de Jacques Seebacher

Je place en ligne l'article de Francis Marmande (Le Monde, 24 avril 2008), en hommage à Jacques Seebacher (10 avril 1930 - 14 avril 2008), ainsi que le billet que j'avais édité sur ce blog le mardi 22 avril 2008 lorsque j'avais appris son décès. A l'attention de tous ceux qui, comme moi, ont eu la chance d'être l'un ou l'une de ses étudiants et de croiser les lumineuses explications de ce très grand professeur.  ICI, l'hommage que lui rend Guy Rosa dans la Revue d'histoire littéraire.  Et ICI, une biographie détaillée.

 

J’apprends avec beaucoup de tristesse la mort de Jacques SEEBACHER. Dans le tintamarre médiatique, les grandes intelligences et les beaux esprits s'en vont fort discrètement. Jacques Seebacher a été mon professeur à Paris VII pendant plusieurs années. Je lui dois, comme beaucoup d'autres de ses étudiants, des centaines d'heures d'un plaisir exquis, rare, indicible : celui de comprendre un grand texte auquel on consacre, pour rien, quelques heures de sa vie. Et cela chaque semaine. Et cela durant plusieurs années. Jacques Seebacher qui prit la succession de Pierre Albouy était un spécialiste de Victor Hugo  (il dirigea l'édition du centenaire dans la collection Bouquins). 

seebacher.gifC'était un dix-neuvièmiste complet, si une telle expression a du sens, un homme réellement cultivé, attaché à la transmission comme un paysan à sa terre. Je me souviens d'explications de lui de Michelet, de Renan, de Sainte-Beuve, de Musset, de Baudelaire, de Lamartine ou de Sand, bien sûr, mais également de Ronsard, de Racine, De Pascal, de Montesquieu, d'Apollinaire, de Valéry... Des explications scrupuleuses et lumineuses, au sens propre.  Des explications généreuses, qui donnaient à leur auditeur l'impression d'être intelligent... Il était un professeur à la fois plein d'humour, de rigueur et d'intégrité, capable d'être cassant lorsqu'il se trouvait devant une personne qu'il jugeait malhonnête sur le plan intellectuel, heureux lorsqu'il apprenait qu'un de ses étudiants avait réussi quelque chose. La dernière fois que j'ai parlé avec lui, c'était de Béraud, par téléphone, il y a quelques années déjà. Je n'ai eu que très peu de véritables professeurs dans toute ma scolarité, déjà ancienne. J'en dénombre trois, tous de lettres : il était l'un deux. Il était parti à la retraite au tout début des années quatre-vingt dix.

L'époque, déjà, n'était plus trop littéraire, et avec son départ, j'eus l'impression, oui, qu'un siècle, qui jusqu'alors avait été mien, avait été nôtre,  commençait à s'en aller aussi.  Voici quelques lignes de lui que je tire de la préface qu'il avait alors rédigée pour Victor Hugo ou le calcul des profondeurs (PUF écrivains, 1991) :

« Voilà un peu plus d'un demi-siècle, en un Noël de guerre, un enfant de neuf ans commettait sa première inconvenance littéraire en demandant qu'on lui offre Les Misérables, pour en avoir lu un fragment dans ce merveilleux livre de lecture de l'école publique qui s'intitulait Une heure avec... Ce fut un couple d'Anglais, que l'invasion nazie allait bientôt contraindre à l'exil dans leur propre pays, qui consentit à ce caprice, avec les quatre volumes de la collection Nelson.  « De l'Angleterre, tout est grand », dit l'auteur de L'homme qui rit. Peu importe de combien d'exils se compose toute pairie et de combien d'escarpements se conquiert le plain-pied quand on a compris comme Romain Gary et Ajar réunis qu'avec Hugo, l'éducation européenne consiste à avoir la vie devant soi ».

 

Le jour où Le Monde annonce la mort de Césaire, 18 avril 2008, on enterre Jacques Seebacher (1930-2008) du côté d'Amboise (Le Monde du 23 avril). Jacques Seebacher était un professeur de littérature de ce style disqualifié par la vulgarité qui règne : flamboyant, magnifique, contestataire, consentant à tous ses désordres et à toutes ses fidélités, amoureux du plaisir, désinvolte sur la forme et d'une exigence terrible sur les principes, dandy très capable de remplir la nuit des milliers de fiches érudites. Pour qui, ces fiches ? Certainement pas pour sa gloire, non : pour les groupes, les bandes, les tribus qu'il aimait susciter. Découvrant de très précieux secrets touchant à un manuscrit de Victor Hugo, assez en tout cas pour bétonner trois carrières universitaires et toute sorte de livres inutiles, il en fit des petits paquets soigneusement annotés de sa main, qu'il offrit en partage aux hugoliens de ses amis.

Il pratiquait l'amitié, la musique, le jardin, la conversation avec ce soin dilapidateur que d'autres mettent à naviguer sur MySpace. Jouait-il d'un instrument ? J'ai oublié de le lui demander. Il jouait de sa voix, sa voix grave, sa voix de viole de gambe, sa voix suave soudain cassante, sa voix aussi riche d'harmoniques que les vins dont il savait d'un coup de nez identifier les arômes. D'une intelligence féroce, soudain insupportable, cinglant, drôle, charmeur, méprisant, communiste et puis plus communiste sans en faire tout un plat mais sans se renier, constant de l'inconstance, il parlait sans notes, ne laissait jamais une phrase cul-de-jatte, ses mains alors semblaient des mésanges, un étudiant lui avait dit : « Nous, nous écrivons comme nous parlons, vous, vous parlez comme sont écrits les livres. » Ah oui !, Seebacher laissait tomber sans même y songer : « L'intelligence, ça s'apprend. »

Voilà, adieu berceau, cuillère en or dans la bouche en naissant, sapin de Noël, non, la vérité, c'est que l'intelligence, ça s'apprend. Ça ne tombe jamais du ciel. D'ailleurs, sauf pour les vélivoles et Galilée, le ciel n'existe pas. L'intelligence n'a rien d'un don, c'est une pratique.

Quels points communs entre Seebacher et Césaire, en dehors de ce 18 avril, jour de la Saint-Parfait ? Intermittents du communisme ? Bonne piste. Violemment autonomes ? Pas mal. Normaliens ? Soit. Mais l'Ecole normale, c'est bien joli, y entrer est à la portée de tous, le seul point qui compte, c'est de savoir en sortir. Ne pas s'y enterrer, il sera toujours temps au soir de la vraie mort. Ah oui, leur point commun : Hugo, la langue, le peuple, tout Hugo, le tendre comme le Hugo de La Bouche d'ombre. La langue, la farouche exactitude de la langue, seul accès à soi, au désir, donc aux autres, à la règle, à l'Histoire.

Seebacher, inconnu de tous, sauf de ces chercheurs aux mains nues en voie de disparition, et Césaire, le cri noir, la révolte, l'éloquence de la Révolution mâtinée de palabre, sortaient du peuple et s'en trouvaient gaillards. La colère noire chez Césaire, rien de cet "humanisme", cette "tolérance" dont se gargarisent tous les couteaux châtreurs de la classe politique (droite de droite et droite de gauche pour le coup confondues), répond à voix haute à l'intransigeance de Seebacher. La colère poétique. La colère théâtrale du Nègre. Nègre ou juif, disait-il, on ne naît pas nègre, on le devient. Nègre, ça sonne péjoratif ?  Mais c'est pas nous qui l'avions inventé. La négritude, c'était une réponse à la provocation." Aujourd'hui, on veut imposer la sale habitude de mettre une feuille de vigne au racisme ambiant en disant "black".

Décidément, Guy Rosa, professeur lecteur de Hugo, Césaire et Seebacher, a raison : « Il est des morts qui meurent plus que d'autres. »

Francis Marmande, Le Monde,24 avril 2008.

00:23 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (28) | Tags : jacques seebacher, littérature, paris7, enseignement, université | | |

mardi, 15 décembre 2009

Nouveaux pauvres et matériel humain

"La LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) est un fléau pour l'enseignement supérieur. Les professeurs n'ont plus le pouvoir. Il est progressivement accaparé par les services centraux (administration, compta, achats) qui eux seuls décident de ce qui est bon ou pas pour l'université.

Par exemple, le service comptabilité de Lyon 3 a décidé qu'en vertu de ses pouvoirs et de son logiciel de gestion des paies, les salaires des vacataires de l'université, constituant l'essentiel des effectifs seraient versés tous les 6 mois à compter de l'année à venir.


Les vacataires enseignants constituent l'essentiel des effectifs enseignants à Lyon 3. C'est-à-dire que sans eux, l'université ne tournerait pas rond. Les cours ne seraient plus assurés.

Un mouvement de résistance se serait organisé pour faire pression sur le président, qui n'y est pour rien et sur les services centraux. Cette affaire est grave : elle jetterait dans la précarité des centaines de personnes. Qui a les reins assez solides pour tenir 6 mois sans être payé ? Le fait n'est pas isolé, il concerne d'autres universités..

J'ai la chance d'y échapper pour le moment, je suis un administratif, contractuel mensualisé, mais je soutiens pleinement l'initiative contre cet absurdité de rémunération semestrielle.

Aussi, si quelqu'un peut relayer cette information et faire « buzzer », ce serait sympa et gentil. Merci.

Décidément, la journée se termine très mal..."

 

Message relayé du blog  (Des) Illusions  

 

Charlie-Winston.jpg

Charlie Winston : Like a hobo

 

 

Me rappelle cette page de Béraud, puisée dans son témoignage Ce que j’ai vu à Berlin.

« A ce moment, un vieux couple digne et râpé entra dans la brasserie. Il salua et s’assit en face de moi, selon la mode allemande, bien qu’il y eût autour de nous des tables libres en grand nombre. L’homme, ayant tiré un livre de son antique redingote, si bien brossée, commanda deux soupes et un verre de bière. Ils avalèrent les soupes en gens qui jouissent amèrement de leur propre faim et partagent le verre de bière. On eût dit que le vieux et pauvre monsieur devinait mes pensées. Au lieu de lire, il me regardait. Nous liâmes conversation. Il parlait un français excellent. Avant « tout cela », il avait, avec son épouse visité Paris, dont il connaissait parfaitement les musées et la Sorbonne. Et soudain, sans élever la voix, il me cloua par ces mots :

Monsieur, j’étais professeur en retraite. Maintenant, nous sommes mendiants.

(…)

Parfois, le soir, aux angles des rues les plus solitaires du Tiergartenviertel (1), le passant se sent frôler par un couple d’ombres honteuses et chétives. S’il s’arrête au lieu de presser le pas, ces êtres noirs s’approchent et lui demandent la charité ; et si levant les yeux, le promeneur cherche à voir la mine de ces étranges quémandeurs, sa surprise est grande de trouver non des mendiants, mais des personnes convenables, trop convenables, désespérément convenables, des personnes mises avec cet excessif scrupule de correction dans la misère qui trahit les suprêmes efforts de la dignité bourgeoise. Lugubre spectacle. »

 

Béraud écrit cela en 1926. Dans un chapitre intitulé « nouveaux pauvres et matériel humain »

Brrrr.

07:27 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lyon3, lru, henri béraud, pauvreté, université | | |