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samedi, 26 janvier 2008

Si Cérès m'était contée...

Cette coupure demeure aujourd'hui l'une des plus recherchées sur le marché numismatique, en raison, de sa valeur faciale- unique, il est vrai, dans l'histoire du billet français (300 francs).

Elle représente sous un jour pour le moins moderne le visage de la déesse CERES, déesse latine des moissons, du blé, mais également de la semence, de la prodigalité, de la fécondité et de la jouissance féminine, comme le rappelle en souriant le bon vieux Saint Augustin de La Cité de Dieu

Bien connue des philatélistes, CERES l'est aussi des numismates : la Banque de France, en effet,  la pratique depuis le dix-neuvième siècle, et l'on trouve son portrait en filigrane sur de nombreux billets antérieurs à celui du Clément Serveau mis en circulation à l'occasion de l'échange de billets de 1944.

Mère au cœur inconsolé, qui perdit à jamais son enfant, Cérès est devenue pourtant la figure de la mère nourricière universelle, adorée et célébrée à Eleusis.

Pourquoi La Fontaine, dans le Pouvoir des Fables, la fait-il aller si bon train, en compagnie d'une anguille et d'une hirondelle ? Le peuple tout entier, en tout cas, se demande comment elle passera le fleuve, quand le fabuliste interrompt son récit pour amener sa morale :

 

Si Peau d’Ane m’était conté,

J’y prendrais un plaisir extrême

Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant

Il le faut amuser encor comme un enfant.

 

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Pour en revenir au billet, j'ai toujours trouvé dans son dessin ce qu'il faut de sensualité et de sévérité pour former ce qu'on appelle un beau visage : cet ovale assez long et rond, ma foi, cette chair rosée sur fond d'écran blanc, bien que saisi de trois-quarts; ces fossettes, ces lèvres pulpeuses, ce regard marron, la ligne de ce  cou puissant et fin. Un accessoire, surtout, attire l'œil, ce foulard fait d'épis de blés, dont au centre repose une sorte de coquillage nacré.  

La création de ce billet remonte à l’année 1938, et à son climat international « tendu ». La Banque de France qui a besoin de billets de réserve décide de toute urgence la création de deux valeurs, l’une 300, l’autre de 3000 francs.  Seule la première verra vraiment le jour, d’après une maquette de Clément Serveau destinée depuis le début des années 1930 à une coupure de 10 francs, avec en son verso l’effigie de Mercure, dieu du commerce et des voyageurs, assimilé durant l’ère classique à l’Hermes grec.

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Mais alors que ces billets sont sur le pont d’être émis, les accords de Munich apaisent la tension et on sursoit donc à leur impression définitive.

Au mois d'Août 1944, les autorités allemandes à la veille de leur départ exigeant un acompte sur les indemnités d'occupation, Monsieur Favre-Gilly alors secrétaire général de la Banque de France propose en règlement cette coupure de réserve ainsi que le billet de 5000 Francs dit "de l'empire colonial". Les allemands refusèrent ces billets compte tenu du fait qu'ils n'avaient jamais été mis en circulation, considérant qu'ils n'avaient aucun pouvoir libératoire. Il faudra attendre le 5 Juin 1945 pour que l'échange des billets oblige la mise en circulation du 300 Frs type 1938 ainsi que le 5000 Frs type 1942 Union Française  alors gardé en réserve. Ces deux coupures seront rapidement retirées en 1948.

L’histoire de ce billet est, on l’a compris tourmentée. Il sera d’ailleurs retiré de la circulation, en même temps que l’Empire Français, en 1948.  

Et c’est ainsi que la Cérès des années trente va devenir une héroïne de la Libération.

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 J’imagine en ces années-là Jean Paul Sartre et Maurice Merleau Ponty, enfilant la rue des Saints-Pères en débattant du premier numéro d'une revue de gauche qu'ensemble ils viennent de fonder. En se dirigeant vers la rue Sébastien Bottin, ils passent devant une photo de Clark Gable et Vivien Leigh : Six ans après sa sortie aux Etats-Unis, Autant en emporte le vent arrive à Paris.

Le tem824b631dd075b05af5f4bc80cdafb25e.jpgps est un temps d'octobre, un ciel un peu venteux, gris et filandreux sur une capitale pas encore remise des traces les plus douloureuses de la guerre...  Non loin d'eux, le deuxième sexe trottine à bons pas, et ses talons pas encore plats claquent l'asphalte fraîchement humide : une Cérès aux Temps Modernes, ce billet en main...

Je l'imagine fort bien, Simone, se faufiler vers une boutique de Saint-Germain située entre deux cinémas - on jouerait dans l'un La Belle et la Bête de Jean Cocteau et dans l'autre Les Enfants du Paradis de Marcel Carné. Elle  aurait donc ce billet à la main et pour trois cent francs s'offrirait l'un de ces foulards à la Cérès, puis le nouerait sur sa brune chevelure. Ne trouvez-vous pas cette ressemblance éloquente ?

Pas plus qu'on ne nait Cérès, en des temps antiques comme en un siècle plus moderne, « on ne naît pas femme, on le devient ».

Il ferait beau voir le contraire.

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08:00 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cérès, simone de beauvoir, billets français, écriture, littérature | | |

Commentaires

C'est vrai que son visage est assez particulier, mais de là à dire que c'est un beau visage, c'est un peu trop poussé, non?

Écrit par : Amy | samedi, 26 janvier 2008

FERIA DE TOROS

D'un seul point masculin androgyne
Naît une femme aux talents d'or
Invisible invincible à la fécondité prolixe
Carrossée d'eau et de feu
Pour la plupart des amoureux
Aux griffes sans rancune
Pour les autres clichés de la brume
Dans le vent de ses parfums sauvages
Mâles et femelles s'étonnent
Des saveurs brûlantes de son sein

Écrit par : gmc | samedi, 26 janvier 2008

Beauvoirrienne et Sartrienne (j'ai tendance à transformer les nom de mes auteurs fétiches) j'ai vraiment pris plaisir à les revoir dans leur quartier (Montparnasse), Beauvoir au bras de Sartre. N'avez vous jamais pensé à nous offrir de petites nouvelles à déguster de temps en temps. Vous avez un style très fluide et très agréable à lire. La Force Du temps. Eve
PS: Ressemblance certaine

Écrit par : Guery | vendredi, 17 avril 2009

@ E.Guery :
Merci de votre commentaire. Il y a trois nouvelles sur les francs (billets) publiées sur ce blogue. D'autres qui ne le sont pas (le seront peut-être?).

Écrit par : solko | vendredi, 17 avril 2009

Je vous aime, d'emblée, de la trouver belle.
Dommage que sa voix n'ait pas la douceur de son visage.
Personne n'est parfait.
Simone de Beauvoir fut une intellectuelle, une féministe et une amoureuse.
"Il ferait beau voir" de ne pas l'aimer.

Écrit par : Ambre | jeudi, 07 mai 2009

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