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dimanche, 01 février 2015

Contrefaçons

Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, s’est écrié l’autre jour : « il y a une religion suprême, c’est la République. »  Curieuse façon d’opposer à l’Islam, qui est une religion d’état  (Cf. l’article III de la Constitution du Maroc), une autre religion d’état. Curieuse façon d’opposer, à un intégrisme, un autre intégrisme. Il serait si simple de rappeler, comme certains tentent de le faire, l’arbitraire de tous ces débats sur la représentation du signe que personnellement,en France du moins, je croyais réglés depuis longtemps. C’était ignorer les effets de l’acculturation scolaire à l’œuvre depuis plusieurs décennies (1), et de la régression intellectuelle qui s’ensuit, sur lesquelles les imams de tous crins cultivent leurs ouailles.

Non, la République n’est pas la religion suprême, pas davantage qu’elle n’est une religion tout court. La République est un régime politique, discutable, contestable, au même titre que n’importe quel autre, que n’importe quelle doctrine, que n’importe quelle religion, que n'importe quoi d'autre, en fait. Les faux Candide que sont les Peillon, Cazeneuve, Valls, Belkacem et autres Bartolone, qui s'en font les prêcheurs absolus, se rendent-ils compte qu’en judiciarisant certains mots et en en sanctuarisant d'autres, ils sont en passe de devenir les fossoyeurs ineptes et ridicules de l'arbitraire du signe et de la liberté d'expression qu'ils prétendent défendre ? Bien sûr. Au même titre que n'importe quels roués ayatollahs. Il y aurait –disent-ils - une certaine éthique à mener de tels combats et à prêcher de telles valeurs en temps de crise, dans une société où la laïcité serait en question. Mais faire de la laïcité une religion au prix d'un révisionnisme historique qui demanderait un développement hors de propos ici, cela relève de l'imposture. Si la laïcité doit devenir une religion, elle ne peut être que mimétique, et, face à toutes les autres,ne figurer qu'une religion de contrefaçon, un peu comme ces faux sacs imités des grandes marques, avec ses incantations vainement magiques, ses rassemblements faussement unitaires, ses discours intrinsèquement liés à la double contrainte. En témoigne l’enseignement moral et civique que Grenelle sort en toute hâte de ses cartons comme réponse à l’urgence du moment, et qui n’est qu’une resucée du projet Peillon. Les référentiels ne contiennent autre chose qu’une liste d’infinitifs pieusement récités hors de tout contexte et sans la moindre référence bibliographique, une sorte de formatage du citoyen de la zone, sans passé, lieu ni culture autre que verbeuse à laquelle s’arrimer. Serait plus judicieux, mais moins efficace en terme de propagande électorale, d'initier les élèves à la linguistique en les faisant réfléchir à ce que parler veut dire. La litanie des valeurs hollandaise s’assimile à du marketing républicain, rien d’autre. Et l'on veut faire advenir avec ça des citoyens éclairés ? Les imams, entre nous, n’ont pas fini de se marrer…

Il n'empêche.Nos curés laïques ont trouvé dans les morts tragiques de janvier les martyrs de leur endoctrinement à cette laïcité de combat dont le rôle est multiple :

- Faire oublier, dans un premier temps, la responsabilité du gouvernement qui, par son laxisme élevé en morale d’ État, n’a pas su nous prémunir contre les attentats de janvier, ni ceux de Noël (que tout le monde a déjà oublié), ni ceux qui sans doute sont à venir.

- masquer, dans un deuxième, leur véritable et concerté naufrage, tant économique avec des chiffres du chômage qui ne cessent et ne cesseront sans doute encore de grimper, que sociétal avec les distensions savamment entretenues au sein de la société pour favoriser les clans  (on dit communautés en novlangue médiatique) et mieux gouverner l'électeur.

- Contrer, enfin, l’inexorable progression de l’ennemi politique, – au premier rang desquels Le Front National : les cortèges du 11 janvier et « l’esprit » (2) qui se serait abattu sur les foules ne sont rien d’autre qu’une répétition générale de ceux qu’on ne manquera pas de rassembler au soir du premier tour de 2017, lorsque Marine Le Pen arrivera en tête, en raison même de toute cette politique désastreuse. Tout cela pue sa propagande à plein nez, la gauche gouvernementale et méprisant le peuple qu'elle prétend représenter, un remake mitterrandien dans toute sa splendeur.(3)

Et c'est ce Clergé trompeur, mondialisé et collecteur d'impôts, oublieux de sa longue histoire, fossoyeur de sa propre culture, initiateur du dogme unique et organisateur de spectacles mondialisés qui prétend triompher du terrorisme islamiste ? Avec ses rites mortifères, ses prêtres austères et bien payés, ses processions et ses slogans de contrefaçons, c'est peu probable. L'Occident aurait plutôt intérêt à en revenir à la vraie laïcité dont l'origine est, faut-il ici le rappeler, toute chrétienne. Car pendant ce temps, le diable en rit encore. Et c’est ainsi, rajouterait Vialatte, qu’Allah est grand !

 

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spécimen en chaire 

 (1) Me souviens avoir fort inutilement écrit alors L'École vendue... Par ceux-là même qui aujourd'hui prétendent la racheter...

 (2) Esprit pas très saint car dans l'argumentaire simpliste de l'actuel locataire de l'Élysée (voir video ci-dessous), la référence aux forces de l'esprit, je ne vous quitte pas et autres galimatias mitterrandôlatre est très prégnante

(3) Preuve, s'il en était besoin, de ce tripatouillage politicien, la manière dont tous les médias annoncent les résultats de la législative du Doubs de ce soir comme "le premier grand test électoral après les attentats parisiens". Triste à mourir pour les victimes qu'on commémore à grands frais par ailleurs


dimanche, 25 janvier 2015

La Queue

 

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Je ne sais trop en quelles contrées je me réfugiais quand j'ai écrit ce roman... ni comment j'en revenais. Mon chat dormait le plus souvent juste à mes côtés. Toutes tentures tirées, l'appartement demeurait lourdement calme. Parfois, j'errais par les trottoirs de cet Athènes tumultueux aux murs barbouillés de tags, celui-là même qui a voté aujourd'hui ; parfois je longeais les rues tranquilles du vieux Bruxelles ou les boulevards ensommeillés du pauvre Paris... Ou bien encore les vastes avenues du Manhattan des années cinquante, en compagnie de ce bon Kerouac dont j'aurai lu pour l'occasion (presque) toute l'œuvre [et découvert le splendide Visions de Gérard ]...  Non, je ne saurai dire moi-même, au fil de cette écriture fondue au quotidien, quels sentiers perdus de mon adolescence fugueuse j'empruntai à rebours jusqu'à Decize, ni non plus en quels fossés de cet aujourd'hui absurde et déréglé dont - tout en l'aimant malgré tout -  je dressais la satire, je m'embourbais, furieux tel un un fauve trompé, trahi. Au pays des anciens Francs, je fis de Pierre Lazareff et de Madame Rachou de véritables soldats lumineux, et de la catastrophe du Mans en juin 1955 une sorte de Guerre de Troie de nos ridicules temps modernes délités en zone euro. Mais j'aurais tort de les maudire encore et encore, ces mauvais temps-là, je m'y suis bien amusé à porter leur queue, comme mon héros avait appris à le faire lors de son joyeux dépucelage non loin du petit personnage de Capiello...

 

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 Je me souviens, bien sûr, de cette visite  au Louvre d'avril 2013 (déjà ? L'écriture tient le temps, empêche qu'il ne s'éparpille trop de travers, c'est par là qu'elle demeure malgré tout salutaire...) Je désirais que ce roman sortît d'une toile de La Tour, parce que depuis toujours ce maître lorrain sur lequel tout a déjà été dit m'accompagne et m'enrobe de ses toiles à chaque moment cuisant. La Tour, c'est un monde qui ne sera plus. Au sein du pavillon Denon, la salle qui lui est dévolue resta déserte, d'ailleurs, vide ce matin-là telle la coquille d'une noix dévorée - tous les queutards en pantacourts s'étant entassés devant la Joconde pour y faire des selfies - et j'hésitai longtemps d'un tableau à l'autre avant de jeter mon dévolu sur le Saint Sébastien pleuré par Irène. J'hésitai longtemps, comme guidé par les vœux intérieures de ce roman désireux de croître, alors encore à pousser. Mais à quoi bon en rajouter davantage? Ce serait risquer l'extravagance de la posture.

 

vendredi, 23 janvier 2015

Le Gentilhomme Cabaretier

Le Gentilhomme Cabaretier,rodolphe salis,le pont au change,léon bloy,barbey d'aurevilly,catholicisme,laïciré,« C’est « au très vivant, très fier, très impavide baron du Saint-Empire de la Fantaisie, au gentilhomme cabaretier Rodolphe Salis, fondateur du Chat Noir et découvreur de celui qui signe ces pages »  que Léon Bloy, « communard converti au catholicisme », dédicaça  en 1884 ses fameux Propos d’un entrepreneur de démolitions. Ce n’était nullement, précise-il en exergue, une fumisterie ni une réclame pour le fameux cabaret, mais plutôt la reconnaissance amicale d’un homme endetté. Les éditions du Pont au Change ont tiré du recueil quatre « propos », Le Gentilhomme Cabaretier (consacrée précisément à Salis et à sa revue), Le choix suprême (dédié au jour des morts), Le père des convalescents (à Coquelin Cadet), Le dixième cercle de l’enfer (Une chronique sur un roman de Barbey d’Aurevilly – dont Bloy fut le secrétaire – , Ce qui ne meurt pas ).

 

« J’ai passé l’âge d’être éducable et j’arrive de diablement loin » note sarcastiquement Bloy dans cette dernière. Au moment même où le gouvernement Valls sort de ses cartons à la faveur des événements récents  un enseignement de la morale et de la laïcité pour tous les élèves de l’école publique, relire cette dernière est assez savoureux. Ces lignes, entre autres : « Catholique des plus hauts et des plus absolus dans un temps où personne ne veut plus du catholicisme, il [Barbey] pense que ce n’est pas l’affaire  d’un laïque de prêcher une morale quelconque et d’avertir de ses devoirs  le charbonnier le plus rudimentaire. Mais il faut que la Vérité soit dite et c’est son art même qui lui a donné le secret de la dire sans violer le territoire des gardiens de la Parole. »

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intérieur du Chat NOIR  ( photo d'archives) 

Le Gentilhomme Cabaretier et autres chroniques du Chat Noir, par Léon Bloy, aux éditions Le pont du changeUne plaquette de 16 pages, format 12 x 21 cm, cousue fil, sur papier ivoire 100 grammes, couverture jaune 160 g. 6 € port compris.

 

vendredi, 05 décembre 2014

La dé-fête de la lumière

En ce début décembre, comme chaque année, les Lyonnais véritablement sensés ferment leurs volets, tirent leurs tentures et se terrent chez eux en maudissant leur maire. (1) A grands frais bat au-dehors la fête maçonnique dite des Lumières, laquelle par sa démesure, sa techno, son ingérence dans la moindre petite place et la plus humble impasse tente de rivaliser avec le lumignon de la tradition posé sur le rebord de la fenêtre en hommage à la Vierge. (2)

Lorsque j’ai vu arriver les ouvriers hier après midi, qui ont installé des baffles et les projos sur cette malheureuse place C... devenue ( comme beaucoup de sites urbains) à peu de frais une sorte de salle municipale gratos où déployer au fil de l’an et à bon compte les festivités les plus débilitantes, j’ai pris mon téléphone. Un employé courtois m’a indiqué dans quel service des festivités je pouvais manifester mon courroux et ma réprobation face à cette mainmise de cette fête prétendument traditionnelle sur le quotidien des gens comme vous et moi, l’irrespect de la municipalité à l’égard de ses administrés, et la propagande pour un type de manifestation artistique pour le moins discutable qui entérine la défaite de la véritable lumière, celle de l’intelligence et de l’esprit. L'événement prend tout en charge, même ses détracteurs, et dirige les pas de chaque quidam vers le service de neutralisation intellectuelle qui lui convient...

 

A cette heure, et pour encore quatre longues soirées, une musique techno-gothique aussi grave et satanique qu’assourdissante retentit dans tous les immeubles et les cours intérieures de la place, tandis que des rayons multicolores la balaie en tous sens avant de venir mourir dans les salons des riverains, qu’un nouveau-né y dorme, qu’un vieillard y agonise ou qu'un type normal tente de se reposer de sa journée de travail. Les promeneurs somnambuliques et passifs jusqu'à l'insomnie ont commencé à errer par les rues, consommateurs hébétés de je ne sais quelle quelle émotion esthétique. Vu de haut et de loin, ça ressemble à une vision de l’Enfer bruegélien, les derniers pas avant l’Apocalypse

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Le commerce est juteux, l'abrutissement des foules bien avancé, le triomphe de la techno-lumière et du techno-son bien implantés dans les esprits passifs, et l'entreprise de marée noire, grâce à la propagande massive, trouve sans doute aujourd'hui plus de défenseurs que de détracteurs puisque, comme chaque année, on attend paraît-il des millions de touristes, venus assister à l'agonie de la vieille ville qui sous ses toits se cabre et se replie. De Lyon, ces pauvres gens ne connaîtront donc que cette image quelconque, uniforme et abrutissante, aussi éloignée dans le temps que l'électricité l'est de la lumière du couchant qui donna son nom à la ville (Lux, lucis), aussi éloignée de toute vraie ferveur que toutes ces projections lumineuses sans aucun intérêt le sont de Pothin, Bonaventure et Nizier, de qui les églises qu'ils visitent portent pourtant la dédicace...

1 : Gérard Collomb, dans le genre "j'ai rien dans le cigare et je veux le dire à la terre entière" :

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2: Entre autre délire et propagande, j'ai entendu une journaliste affirmer sur BFM tout à l'heure que cette fête avait une origine médiévale....

mercredi, 12 novembre 2014

L'homme, l'homme, l'homme...

N’ont plus que ce mot à la bouche, tout ça pour avoir envoyé une sonde sur une comète. L’homme ! J’avoue que s’il m’est arrivé très souvent d’être heureux d’être un homme et d’être vivant, plus que ça, d'en être même ivre de joie, de juste respirer, et ce à n'importe quel âge de ma vie, je n’ai jamais, jamais je crois, été fier d’appartenir à cette espèce de grand prédateur imbécile qui est la mienne. J'ignore pourquoi, mais c'est un fait. Sauf peut-être en pénétrant, le cœur palpitant dans quelque grande production de l’esprit : la Comédie humaine de Balzac, la cathédrale de Chartres, par exemple...

J’entendais tout à l’heure un binoclard de la Cité des Sciences, exalté jusqu’à la déraison, comparer « la prouesse technologique » des scientifiques européens à la construction d’une cathédrale. Mais c’est oublier un peu vite que la cathédrale, dans son intention, n’était point une œuvre tournée vers la célébration de soi, this famous human being, mais vers Dieu, c'est-à-dire une forme d’Autre, d’Absolu, même s’il paraît qu’Il nous fit à son image.  Non pas une oblitération du ciel, mais au contraire, une ouverture vers lui, et avec majuscules, s'il vous plait !

 

Et d'autres, parler d'humanisme, tout ça parce que leur machin s'est accroché à ce caillou. Qui cela va-t-il rendre heureux ? Qui cela va-t-il rendre ivre de joie ? Bref, cet autosacramental dérisoire de l’espèce, cet entre-soi célébré par les fadas de Google avec leur doodle puéril et répandu sur tous les écrans,  est aussi inquiétant que dérisoire. Et puis Philae, ce nom ridicule, cette propagande débile pour l’Europe quand on sait ce que la zone euro aura fait vivre à la Grèce, justement… Non, décidément, l’humanisme ramené à ça, j'ai vraiment du mal... vanité, plutôt, tout cela n'est que pure vanité, et célébration immodeste, mise en scène aussi immodeste que grossière de technophiles, tandis que la planète meurt et avec elle la conscience des peuples qui survivent de plus en plus péniblement dessus.

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jeudi, 30 octobre 2014

Les Editions du Bug sont nées

Le Bug, c’est :

Une rivière à la frontière de l’Europe

Un gros crash informatique

 Maintenant c'est aussi 

et surtout :

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Votre prochaine maison d’éditions où vous fournir en bonne littérature 

Alors, le jour de Sainte-Bienvenue,

Soutenez !  Adhérez !

Tour d’horizon et Renseignements à suivre ICI

 

 

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lundi, 27 octobre 2014

Suceurs de sang

Tout le gotha politique et économique enterrait ce matin Christophe de Marjorie à Saint Sulpice. Il fallait entendre, à la sortie de l’église, les « personnalités » socialistes, comme on dit, parler de lui non seulement comme « un homme bien », « un homme atypique apprécié de tous », mais surtout comme un homme plein d’humour, quand le PS lui-même avait menacé Gérard Filoche d’exclusion pour avoir parlé à son propos de « suceur de sang ». Le pingouin Hollande, dont le sens de l’humour est proverbial et qui connaissait bien le défunt, avait justement salué « la finesse d’esprit » de ce « grand patron » lors de son communiqué. Il était présent au premier rang de l’église, en tant que président, bien sûr, mais aussi en tant que proche de la famille, aux côtés de l’émir du Qatar (un autre proche…)

« Suceur de sang » : ce n’était certes pas très malin, pas plus que de traiter de « singe » Christiane Taubira.  Mais depuis quand demande-t-on à l’humour d’être intelligent ? Et depuis quand exige-t-on du peuple qu’il ne rit plus ?

Depuis les salons précieux du XVIIe, salons hantés par les Trissotin et les Bélise (amateurs futiles et complices de petites blagues) que Molière ne se priva pas de tourner au ridicule ! C’est alors que se développa  cet humour français si connoté, qui se piquait d’être un trait d’esprit et un instrument de séduction en instaurant le culte du bon mot contre la franche saillie rabelaisienne et qui, de Voltaire à Sacha Guitry , passa par la suite pour un signe de culture ( en lieu et place de la saine érudition), quand il n’était qu’un marqueur de classe dans une société de plus en plus sotte et embourgeoisée.

Bien sûr, avant les précieux, les dévots avaient aussi condamné le rire, au motif que « le Seigneur ne rit jamais ». Certes, bien avant les précieux, d’austères gens d’Eglise avaient même été les premiers à interdire au peuple de rire, au risque de perdre son âme et de compromettre son Salut : le rire, une forme de péché, était la signature de Satan. Au moins cette injonction s’inscrivait-elle dans une hiérarchisation du monde, du profane au sacré, qui faisait sens, à l’heure des bâtisseurs de cathédrales, et les jours de carnaval permettaient de s’adonner au rite d’une joyeuse inversion.

 

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Gargantua, Envoi au lecteur

 

Nos puissants bourgeois bohèmes aux commandes aujourd’hui se comportent, avec les interdits qu’ils multiplient sur la liberté de rire de tout, à la fois  comme des curés sans soutane et des précieux ridicules. Sous leur règne attristant, c’est peu dire que la France va mal. On se demande si elle n’a pas complètement perdu la tête, alors que les comiques milliardaires et si accommodants avec le pouvoir emplissent les bacs des centres culturels d’objets indéterminés et les théâtres parisiens. En 1983, Gilles Lipovetsky appela cette ère « l’ère du vide ».  Dans cette époque, écrivait-il, l’humour apparait comme un « code de dressage égalitaire, qu’il faut concevoir ici comme un instrument de socialisation parallèle aux mécanismes disciplinaires » Nous y sommes. Tu ne diras pas singe ni suceur de sang, au risque d’apparaître tantôt comme diabolique, tantôt comme imbécile. Dans les deux cas, border line, c'est-à-dire infréquentable. Rire de certains trucs, c’est très vilain et ça peut te coûter cher. Confère Dieudonné. Mais tu riras du reste, officiellement drôle, ruquierisé devant ton écran : Tu riras seul, et seulement de ce qu’on te dira.

 

mardi, 14 octobre 2014

Lettres et durée

Celui qui dessinait  des lettres destinées à être fondues, c'est-à-dire à s’inscrire dans une durée préméditée, leur imprimait une trace de lui-même et de son temps  Mais à l’heure actuelle, « il est très difficile de gagner sa vie en dessinant et en commercialisant ses propres caractères, même s’ils ont du succès », constate Lewis Blackwell dans son livre Typo du 20° siècle.

Ainsi, ce  qui fut vrai de Manuce et de Garamond, de Didot et de Morison, d’Eric Gill et même encore de Cassandre ou d’Excoffon,  ne l’est plus  aujourd’hui d’un dessinateur, fût-il le plus doué. Car lorsqu’un métier « ne paye plus », plus rien ne sort de lui. C’est un fait qui se vérifie un peu partout de nos jours, dans la typographie, certes, mais également dans tant de techniques et d’arts où la standardisation va de pair avec la démocratisation, la médiocrité avec la massification, le talent de tous avec celui de personne.

Quand je pense au mal que nous avons pris de naître, et à celui que nos parents ont eus à nous élever, et tout ça pour assister à ce naufrage lent, du politique, de l’esthétique, de l’éthique, à ce dépérissement de la qualité et de la vigueur, au profit de la quantité et de la malfaçon. Quand je vois la médiocrité galopante des individus qui siègent au sommet de l’Etat, celle de ceux qui, un peu partout, prostituent le beau nom d’artiste, quand je vois le culte rendu à des sportifs et à des comédiens pelliculés, je me réjouis de sentir que la plus grande part de moi échappe encore à leur société et à leur monde, malgré tout le temps que j’ai passé dedans pour gagner ma vie.

 

Je me réjouis d’être ému (parfois jusqu’aux larmes) par une statue du Juste, tout noir de suie, tenant l’Enfant dans ses bras dans la pénombre d’une chapelle, ou silencieux durant des heures à me répéter la beauté d’un poème appris autrefois dans un lycée de pierres, ou, mieux encore, d’une prière tenue jadis de l'Eglise et redite mot à mot, syllabe par syllabe et presque lettre par lettre, comme si je les dessinais dans ma seule pensée en articulant leurs lettres de caractère, dans le silence et la solitude de l’instant unique, et qui file.

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Catalogue des fonderies Deberny et Peignot, 

jeudi, 09 octobre 2014

Le fossé

C’est un spectacle imperceptible et étonnant, de constater que le fossé se creuse encore et encore, au rythme insidieux de l’érosion, entre les pauvres, les précaires, les moyens, les normaux – et puis les très riches, les très très riches, les impunément riches, les puissants.

Les uns se taisent, ne votent plus, ne lisent plus les journaux – sauf les résultats sportifs et ceux de l’euro millions dans les PMU, et vident des verres de rouge ou de blanc, ou de bière. Ils sont comme le noyau d’un fruit dont la chair se ratatine et se rétrécit autour d’eux : le monde. Ils se rassurent auprès d’animaux, chiens ou chats, rats, serpents ou poissons parfois. Ils portent des habits négligés, ils mangent des produits sans saveur particulière, ils font des gestes grossiers en lâchant voilà, voilà et le pas pesant, ils sont souvent seuls, à la fois  lourds et identiques.

Les autres ne se taisent pas. Ils votent, lisent Libé, Le Monde ou le Figaro – et puis quelques romans - de moins en moins, et des bribes d’essais, et surfent surtout, surfent sur tout. Des heures derrière les écrans. Ils sont comme la peau dorée au soleil d’un fruit jadis dodu et qui se tend – la peau – vers l’ailleurs qu’ils nomment le même, vers l’autre qu’ils nomment l’ici : le monde.  Ils se blottissent entre eux dans des lieux à la mode où l’on parle plusieurs langues et où l’on ne rit que de rien. Ils habitent des quartiers intelligents, goutent, grignotent, plus qu’ils ne mangent, et font des gestes évasifs en lâchant voilà, voilà et, le pas léger, ils vont souvent accompagnés, à la fois légers et identiques.

 

Le fossé se creuse, donc. C’est lui, le fossé, de plus en plus visible, lui qui inquiète, effraie. Car il rogne la terre de part et d’autre sous les pas de chacun, les riches, les pauvres, les pauvres, les riches, il rogne. Et ça ne produit qu’un murmure de souris furtivement enfuie, la terre meuble qui s’émiette, se divise et s’affaisse, nul ne voit le fond certain vers lequel plongent les particules, nul ne voit, mais devine. Et surtout, nul ne sait ! Nul ne sait, à tel point que la conviction devient une denrée rare, la certitude un fossile, sur ce terrain où tous n'ont plus appris à jouer que leur survie. 

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21:26 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française, Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie | | |